Les Chansons des trains et des gares/La main légère

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Édition de la Revue blanche (p. 161-165).


LA MAIN LÉGÈRE


        Enfant du pays toulousain,
— Compatriote, donc, de notre Armand Silvestre,
        Comme nous le savons de reste :
                        Violettes,
            Allées Lafayette,
        Le Capitole, Saint-Sernin, —
        Enfant de Toulouse aux toits roses,
Un apprenti coiffeur un beau matin s’en vint,
        Avec son noble gagne-pain,
        (C’est de son rasoir que je cause),
        À Paris tenter le destin :

        Il faut bien faire quelque chose.


Constatons, aussitôt, en une parenthèse,
        Constatons quel attrait exerce,
        Malgré les campagnes de Presse,
        Et l’intervention de Barrès, —
Sur tous les jeunes gens qui, eux aussi, exercent,
Quand du service militaire ils sont libérables,
        Une industrie, ou un commerce,
        Ou une profession libérale,
Constatons quel attrait la Capitale exerce !

        Recommandé par Gailhard et Falguière,
        Comme, tout naturellement,
        Aussi par Benjamin Constant,
        Vous pensez que notre merlan
        Sans place, ici, ne chôma guère :
        Il fut engagé sans retard
        Par un coiffeur, ami justement de Gailhard :

                        LE CHŒUR
 
        Tant est vrai que, si sympathique,
        Il ne compte que des amis,
        Le directeur de notre Académie
            Nationale de Musique !

                        M. GAILHARD

        Oui, c’est vrai, et moi je m’en pique.
        Je ne compte que des amis,
        Gai directeur de votre Académie
            Nationale de Musique !

                        ENSEMBLE

Tant est vrai que, si sympathique,
Oui c’est et moi je m’en pique,
Il ne compte que des amis,
Je
Le directeur de notre Académie
Gai votre

        Grâce à cet appui sérieux,
Le jeune homme connut le jeu délicieux :

Sans souci d’une courtoisie aux vains scrupules,
        Dire au premier de ces Messieurs :
— Si, devant une friction, Monsieur recule,
        (Et le prix en est ridicule),
        Un homme averti en vaut deux :

Vous périrez sous le poids de vos pellicules ! —

        Mais surtout il eût souhaité,
        Pour le plaisir et pour la gloire,
D’acquérir dans Paris une notoriété
        Pour l’extrême légèreté
Avec laquelle il eût su guider le rasoir :

    — Connaissez-vous ce garçon de Toulouse ?
Nul autre n’a, que lui, la main légère et douce… —

Et l’on en parlerait au foyer des artistes ;
                    Et Baptiste,
À l’office, ferait un éloge idolâtre :
Il aurait à gogo, des billets de théâtre,
Et, dans les bars franco-russes, il irait rouler
        Avecque des cochers anglais.

        Voilà, direz-vous, des aubaines
Qui valent bien que l’on se donne un peu de peine

        Mais notre garçon toulousain
        Entre tous était un malin ;
                    Sa main

        Fit très rapidement la pige,
        Et de combien, un vrai prodige,
        À la main de tous ses confrères :

Car, pour l’avoir plus bondissante et plus légère,
        Son secret tient en un seul mot,
    Il la gantait soigneusement de peau

                    De chevreau.

        Encor fallait-il y songer…