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Les Chansons des trains et des gares/Petit poème didactique

La bibliothèque libre.
Édition de la Revue blanche (p. 177-180).


PETIT POÈME DIDACTIQUE


Claretie,
Ginisty, —
Ginistie,
Clarety, —
Porel,
Porel !…

Ecrire une pièce en cinq actes,
Ou simplement en quatre,
Si belle,
Que, suivant de Sarcey les sagaces préceptes,

Jamais l’on n’en verrait descendre la recette
Au-dessous de sept mille ou de six mille sept.
(Ce qui n’est pas à dédaigner,
Mazette !…) —

Pouvoir imaginer des dames Lemeunier,
Qui, de leur petit nom, s’appelassent Georgette ; —
Allier, en quelque spectacle merveilleux, —
Il ne se meublent pas de vulgaire pitchpin,
Les auteurs de Perlinpinpin… —
Allier (dis-je) en quelque spectacle merveilleux,
Les charmes de l’esprit et le plaisir des yeux,

Lavedan,
Et Rostand, —
Rossedan,
Lavetand, —
Brieux,
Brieux !

Et ce serait la vie prestigieuse des coulisses ; —
Chaque soir, applaudi du public idolâtre,
Être celui que salue le concierge du théâtre ; —
Des actrices, vivre avec des actrices !

(Des actrices !…)
Connaître, en leur intimité,
Telles femmes de rêve ! — et des acteurs, aussi.
Aller fumer des cigarettes chez Guitry ;
Comme parrain être choisi
Pour le premier bébé de Monsieur Le Bargy ;
Et goûter cette volupté
De tutoyer, — vous m’entendez ! —

Tutoyer Coquelin cadet !

Mais tant d’obstacles se hérissent
Devant les colonnes Morris !

Et le souci poignant d’une indulgente presse :
Que faut-il faire
Pour que l’on plaise
Et à Mendès,
Et à Bauer ;
Et à Sarccy, et à Fouquier, ces maréchaux
De la critique dramatique de nos journaux ; —
Ah ! satisfaire aussi les feld-
Maréchaux —

Satisfaire Lucien Mühlfeld !…

Car le plus simple vaudeville
Apparaît œuvre à composer si difficile !
Et d’abord tous les personnages, sur la scène,
À point nommé, quel bon vent les amène ?
Sachez du moins le procédé subtil
Grâce auquel il n’est pas la peine
Ni d’exposer, ni d’expliquer pourquoi ils viennent :

On prend un moulin pour décor, —
Endroit où chacun vient, endroit d’où chacun sort,
Sans commentaire, et sans chercher de raison vaine ;

Le mieux est une pièce où les gens sont muets,
Et doivent
Se contenter d’éternuer, —
(Seul le souffleur, sortant parfois de son orifice,
Proclamerait : Dieu vous bénisse !) —

Car le lieu de la scène est un moulin à poivre.