Les Chants du bivouac/« Rosalie »
C’est la baïonnette.
D’où lui vient ce nom ? Je ne sais pas. De père inconnu.
Avec un éclat de rire, il a dû naître au soleil dans la bouche d’un caporal qui sifflait, en train d’astiquer « l’enfant ». Aussitôt, comme un amadou battu par la pierre à fusil, il a pris feu, il a brillé, brûlé… sur toute la ligne… Rosalie !… On n’est pas bête. On avait compris. On avait deviné du premier coup, sans demander à personne, qui ça voulait dire. Et voilà que précisément, à cette minute, arrivant de Bretagne, ainsi que dans les vieux refrains, Botrel « vint à passer par là ». Il ne manqua donc pas de sauter sur cette Rosalie si avenante et d’en faire avec amour, en deux temps et trois mouvements, la chanson qui porte haut ce titre, et que vous connaissez déjà.
Elle est très belle.
Grâce à la Chanson si française, si joyeusement crâne de notre moderne Tyrtée, les partants de demain iront gaiement à la Victoire en fredonnant Rosalie !
… Dans les tranchées, ils sont gais, ils ont de l’esprit, des mots à l’emporte-boche ; ils chantent la Marseillaise et Rosalie…
… Nos soldats n’ont pas besoin seulement du bon ravitaillement que leur distribue l’intendance ; il leur faut aussi des vers et des chansons : Rosalie et la Marseillaise ; sans cela, ils se battraient, non avec moins de courage, certes, mais peut-être avec moins d’entrain, pour la France !
« ROSALIE »
Rosalie, c’est ton histoire,
Que nous chantons à ta gloire,
Verse à boire,
Tout en vidant nos bidons.
Buvons donc !
Rosalie est si jolie
Que les galants d’Rosalie,
Verse à boire !
Sont au moins deux, trois millions.
Buvons donc !
Rosalie est élégante
Sa robe fourreau-collante,
Verse à boire !
La revêt jusqu’au quillon.
Buvons donc !
Mais elle est irrésistible.
Quand elle surgit, terrible,
Verse à boire !
Toute nue : baïonnette… on[2] !
Buvons donc !
Sous le ciel léger de France,
Du bon soleil d’Espérance
Verse à boire !
On dirait le gai rayon.
Buvons donc !
Elle adore entrer en danse
Qaand, pour donner la cadence,
Verse à boire !
A préludé le canon.
Buvons donc !
La polka dont ell’ se charge
S’exécute au pas de charge,
Verse à boire !
Avec tambours et clairons.
Buvons donc !
Au mitan de la bataille
Elle perce et pique et taille,
Verse à boire !
Pare en tête et pointe à fond.
Buvons donc !
Et faut voir la débandade
Des mecs de Lembourg et d’Bade,
Verse à boire !
Des Bavarois, des Saxons,
Buvons donc !
Rosalie les cloue en plaine :
Ils l’ont eue, déjà, dans l’aine…
Verse à boire !
Dans l’rein bientôt ils l’auront.
Buvons donc !
Toute blanche elle est partie.
Mais, à la fin d’la partie,
Verse à boire !
Elle est couleur vermillon,
Buvons donc !
Si vermeille et si rosée
Que nous l’avons baptisée
Verse à boire !
« Rosalie », à l’unisson.
Buvons donc !
Rosalie ! sœur glorieuse
De Durandal et Joyeuse,
Verse à boire !
Soutiens notre bon renom.
Buvons donc !
Sois sans peur et sans reproches
Et du sang impur des Boches,
Verse à boire !
Abreuve encor nos sillons !
Buvons donc !
Nous avons soif de vengeance :
Rosalie, verse à la France
Verse à boire !
De la Gloire à pleins bidons !
Buvons donc !