Les Chants du bivouac/Fleuve de larmes

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Texte établi par Avec une préface de M. Maurice BarrèsLibrairie Payot et Cie (p. 27-32).


FLEUVE DE LARMES














 


 

FLEUVE DE LARMES

 
Vive Dieu ! la race française
Superbement se ressaisit
Et, fredonnant la Marseillaise
En vérifiant son fusil,

Elle s’élance à la Frontière
Que viole un lâche ennemi,
Farouche, résolue et fière
Comme ses « Anciens » de Valmy !…


…Mais les épouses et les mères
Qui, jusques au dernier moment,
Cachaient leurs angoisses amères
En souriant stoïquement,

Les vaillantes de tout à l’heure,
Les longs trains disparus au loin,
Vite, ont regagné leur demeure,
Se terrant chacune en son coin ;

Et les pleurs de désespérance
Ruissellent dans tous les logis :
Tous les yeux des femmes de France,
Tous les yeux aimés sont rougis !

Et c’est un spectacle tragique !…
Larmes chaudes tombant, ici,
Tombant en Russie, en Belgique,
En Angleterre… en Prusse aussi !


Pleurs de la fille et de la Veuve,
Fleuve salé toujours montant,
Jusqu’où dois-tu monter — ô Fleuve ! —
Pour que le Kaiser soit content ?

Monte !… Et déborde !… Et, lourd d’alarmes
— Dieu t’ayant crié : Halte-là ! —
Va-t’en, dernier Fleuve de larmes,
Noyer le dernier Attila !

(Guingamp, 11 Août 1914.)