Les Chants du bivouac/Un Héros belge (le Commandant Gilson)

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Texte établi par Avec une préface de M. Maurice BarrèsLibrairie Payot et Cie (p. 93-98).


UN HÉROS BELGE
(le commandant gilson)















UN HÉROS BELGE
(le commandant gilson)

Après trois semaines d’un siège
Qui stupéfie l’Univers
Les braves défenseurs de Liège
Ont ordre de gagner Anvers.

Mais la Retraite est rude et lente
Et l’Ennemi, féroce et prompt,
Monte une garde vigilante
Nous traquant de flanc et de front.

La route d’Aerschot[1] occupée
Et tout finit tragiquement
Car c’est la Retraite coupée
Qu’escompte déjà l’Allemand.


Quoi ! pour toute l’arrière-garde
Est-ce la Mort ? ou la prison ?
Non ! entre nous et la Camarde
Un Héros s’est dressé : Gilson !

Il est là dans une tranchée
Avec cent cinquante soldats,
Compagnie à demi fauchée
Qui combat sur ses morts en tas.

On n’est plus bientôt que quarante
Dans le fond du sombre ravin…
On vise, on tire ! — Plus que trente !
Qu’importe ?… Et l’on n’est plus que vingt !

Vingt grandes âmes orgueilleuses
Seules contre dix escadrons
Sous le feu de dix mitrailleuses
Et de huit pièces de canons !…

Gilson dit : « Fuyez ! Moi, je reste ! »
Mais, tous, ont froncé le sourcil
En esquissant, muets, le geste
D’un serment sur leur bon fusil ;

Et c’est une froide tuerie
De Hulans et d’artificiers ;
Le chef, lui, par coquetterie,
S’est réservé les officiers ;


On n’est plus que douze… Qu’importe !
On tient : on tiendra jusqu’au bout !
Gilson, blessé, tombe : on l’emporte.
Colère, il se remet debout ;

Le nez fauché, la lèvre ouverte
— Terrible à voir — de ses deux bras
Frappant sur sa poitrine offerte,
Il rallie encor ses soldats !

Enfin ! la panique tragique
Évitée, il part, triomphant !…
Horatius Coclès — ô Belgique ! —
N’a pas fait mieux que ton enfant !

Mais vous allez croire peut-être
Que Gilson dort sur ses lauriers ?
Ah ! mes amis, c’est mal connaître
L’entêtement de nos guerriers !

Désignant son noble visage
Défiguré par le Germain
Et souriant sous son bandage
N’a-t-il pas dit, le lendemain :

« Ils me la paieront, cette entaille :
Je jure — et soyez-en témoins —
Que dès la prochaine bataille
Je m’en vengerai… nez en moins ! »

(Anvers, 22 Août.)
  1. Prononcez « Erkott ».