Les Chouans : Épisodes des guerres de l’Ouest dans les Côtes-du-Nord/9

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PIÈCES JUSTIFICATIVES



ANNEXES N° 1

J’ai dû signaler les divisions qui ont tant contribué à paralyser la guerre de l’Ouest. La Vendée ayant échoué en faisant mouvoir de grandes masses, la Bretagne, qui se souleva après, sous l’influence et la direction de MM. de La Rouërie et de Puisaye, voulut faire une guerre de partisans, ce qui nécessita beaucoup de chefs, et, par suite, une compétition incessante et déplorable, dont les pièces suivantes, écrites par des hommes dûment nommés au commandement par le Roi, établissent les preuves.

La première est une lettre de M. Le Veneur de La Roche à M. Henri de La Vieuxville, qui n’appartenait pas au département des Côtes-du-Nord :


« … Vous me mandez que M. Pontbellanger est destiné à commander dans la partie que j’occupe : je ne mets aucune espèce de prétention ni d’ambition à ce qu’il n’y commande pas, quoique personne n’y ait plus de droits que moi. D’abord, la parole de M. de Puisaye et la correspondance du Conseil[1], ensuite la confiance que les officiers de cette division m’avaient témoignée en me choisissant dans des temps orageux et malheureux pour leur chef de division, sitôt après la mort tragique de M. du Boishardy, et m’engageant à quitter celle du Comité central, étaient un témoignage trop agréable et trop flatteur pour moi pour que je ne me rendisse pas à leurs désirs. J’ai supporté le fardeau, un autre en profitera. La marche de la colonne rouge ne nous a été d’aucune utilité ; elle n’a procuré à ce pays qu’une plus grande inquisition de la part des républicains, et elle a disparu, enlevant avec elle les armes et le peu de cartouches que nous avions. Les grandes propriétés de M. de Pontbellanger dans l’arrondissement de Quimper devaient naturellement lui faire désirer ce poste. Il ne paraissait pas destiné pour cet arrondissement, puisqu’il avait été nommé pour remplacer Georges Cadoudal et M. Le Chevalier de La Monnaie pour la place de commandant en second, qu’occupe Mercier-la-Vendée.

» Il paraît donc que ces Messieurs ne viennent commander ici que parce qu’on leur a opposé de la résistance dans l’armée de Vannes.

» Deux places de général étaient vacantes dans les deux arrondissements de Quimper et de Tréguier et laissaient un vaste champ aux nominations. L’idiome de ce pays m’est inconnu, sans quoi j’y irais[sic] pour y travailler. Si j’avais été possesseur d’une grande , il y a gros à parier que j’aurais eu assez de talents pour ma place ; mais je n’en ai pas, et voilà le mot de l’énigme. J’avais déjà prévenu l’invitation que vous me faites de ne laisser passer personne en Angleterre pour la correspondance ; j’en avais senti tous les inconvénients. Nous manquons de tout, excepté d’hommes, qui nous demandent des armes et des munitions et tout ce qui serait nécessaire pour travailler en grand. Nous ne serons avancés que quand nous aurons reçu des officiers en quantité, nous en manquons absolument. »


Voici maintenant une lettre de M. Le Gris du Val, appelé à succéder à M. Le Veneur de La Roche, nommé également par le Roi. Je ne sais à qui sa lettre est adressée, mais elle confirme bien les tiraillements indiqués par la lettre précédente :


« Je déclare avoir refusé comme général en chef de l’arrondissement de Saint-Brieuc M. Le Mercier, jusqu’à ce qu’il me produise ses brevets et que le Roi m’ait retiré les pouvoirs dont il m’a honoré[2].

» Le Gris du Val,
» général commandant l’arrondissement de Saint-Brieuc. »

Enfin, en 1814, les mêmes divisions se renouvelèrent : il ne devait y avoir qu’un seul chef ; cependant, il y eut encore des dissidents. — Voici la nomination de M. de Courson, indiquée dans celle de mon père :


« Au nom du Roi, nous, commandant le département des Côtes-du-Nord, pour Sa Majesté Louis XVIII, en vertu des pouvoirs qui nous ont été confiés le 28 avril par M. de Sol de Grissolle, maréchal des camps et armées du Roi en Bretagne, nommons, etc.

» De notre quartier général de Plaintel, le 2 juin 1815.

» Courson de La Villevalio. »



ANNEXE N° 2. — Les Faux-Chouans.

Cette infamie de la République, qui a induit en erreur beaucoup d’écrivains étrangers à la Bretagne, est pourtant trop réelle. On avait armé et jeté à travers la Bretagne les galériens de Brest, et on leur avait prescrit de tuer, d’incendier, afin de terroriser les campagnes particulièrement et de discréditer la Chouannerie. Outre les affirmations de tous les auteurs bretons, j’extrais des Étapes d’un Volontaire de l’An II les preuves suivantes[3] :

« … À présent, dit Alexis Monteil, comme on pourrait m’accuser d’avoir, pour créer un épisode dramatique, inventé l’existence des Faux-Chouans, je demanderai la permission de citer quelques autorités incontestables à l’appui du fait dont j’ai été témoin et que je viens de rapporter. Ce ne fut, au reste, que bien plus tard que les documents suivants me tombèrent entre les mains.

» Le premier est une dépêche du général Rossignol au Comité de Salut Public :

« J’ai rencontré, écrit Rossignol à la date du 25 brumaire, an III (15 novembre 1794), quelques bandes de nos amis, qui font bien leur besogne ; ils tuent tout ce vieux levain de patriotes tièdes, que la guillotine n’a pas retranchés du sein de la République ; mais il faut y regarder à deux fois. Ces enragés-là ont été démasqués par les vrais brigands, et ils disent qu’il n’y a plus de sécurité pour eux. Les Chouans les attaquent ; ils les reconnaissent au parler et aux cheveux, qui n’ont pas encore pu pousser longuement. Je pense qu’on pourrait les utiliser ailleurs ; ils ont fait leur coup ici, ils ont fait abhorrer les brigands. Nous n’en demandions pas davantage : il y a fureur partout contre eux ! Les patriotes s’enthousiasment au récit des horreurs qu’ils commettent, et quand la nouvelle de quelque crime bien horrible nous arrive, je lâche les gardes nationales, qui ne font pas de quartier[4]. »

« Le second document » — c’est toujours Alexis Monteil qui parle, — « qui prouve d’une façon irréfragable l’existence des Faux-Chouans, est une lettre écrite par le général Krieg au représentant Bollet. Le général Krieg, on le sait, vieux soldat républicain, plein de franchise et d’honneur, était le conseiller et l’ami du général Hoche. Voici à présent le passage textuel de cette lettre, qui se rapporte aux Faux-Chouans :

« Ne t’étonne pas de tous les crimes dont nous sommes inondés. Les patriotes du pays crient beaucoup pour peu de chose ; ils ont tellement peur qu’il faudrait une garnison pour garder chaque maison. Le fait est que, sauf le cas de guerre, après la paix que l’on a faite contre mon gré et dont les rebelles du Morbihan ne se soucient guère plus que moi[5], il n’y a pas de leur part tous les crimes qu’on leur attribue.

» Ce sont de bons soldats et de braves gens, un peu pris de fanatisme, peut-être, mais chacun a le sien dans ce bas monde. Ils ont celui de la religion ; nous, celui de la liberté. Ce qui fait le mal dans ces contrées, ce sont les galériens qui y fourmillent et dont on a fait de véritables Chouans de contrebande. Hoche, pour son honneur, nous en débarrassera, j’espère ; mais il est temps d’arrêter les brigandages dont les rebelles ne sont pas plus dupes que les administrateurs. On les appelle les Faux-Chouans.

» Au langage et à la tenue, ils sont si reconnaissables qu’il n’y a pas moyen de s’y tromper. Dis donc à Hoche et à Chérin de faire sabrer toute cette canaille. »

M. A. Monteil ajoute : « Je crois que ces deux citations, et je pourrais les multiplier à l’infini, suffiront pour établir ce point historique, trop peu connu jusqu’à nos jours, de l’existence des Faux-Chouans. »

Je pense comme A. Monteil.




ANNEXE N° 3.

Après la pacification, n’ayant plus qu’un jeune frère de neuf ans qui venait d’être recueilli par son oncle, M. Le Frotter, Honorat Le Frotter s’engagea, non comme tambour, ainsi que l’a écrit M. Théodore Muret, mais dans les vélites de la garde consulaire. Il fit, à partir de ce moment, toutes les guerres de la République et de l’Empire : il fit la deuxième campagne d’Italie, l’expédition d’Égypte avec le premier consul. Revenu avec lui, il entra dans la garde impériale, où il parvint au grade de capitaine : il fit les campagnes d’Espagne, de Russie, d’Allemagne ; enfin, il était avec la garde à Waterloo, et fut mis en disponibilité, comme tous les officiers de l’armée de la Loire. Ayant été remis en activité, il se trouva à la conquête d’Alger. Il a été mis en retraite étant chef de bataillon. Quant au troisième fils de Mme  Le Frotter, il passa quatre ans à Quintin, chez notre grand-père, M. Le . M. Gabriel Le Frotter ayant survécu à tous les siens, sans être marié, a laissé sa fortune à mon beau-frère en reconnaissance de l’hospitalité qu’il avait reçue dans cette branche de sa famille.




ANNEXE N° 4.

J’ai dit qu’à l’époque de la Révolution, il n’y avait plus de garanties pour personne : il fallait combattre ou se vautrer dans les fêtes de la déesse Raison et les clubs ; autrement, on devenait suspect et on ne tardait pas à être arrêté. Dans toutes les villes du pays que devait visiter le conventionnel Le Carpentier, on avait fait des approvisionnements de victimes pour la guillotine, qui avait déjà fonctionné à Saint-Malo.

La petite ville de Quintin, où était né mon père, était comme les autres villes tombée entre les mains de prétendus patriotes qui, dirigés par quelques malheureux dévoyés, avaient rempli de suspects l’ex-couvent des Ursulines. On a conservé dans ma famille les noms des personnes parmi lesquelles on devait choisir les victimes destinées à servir de pâture au Minotaure révolutionnaire. Voici, sur une population d’environ quatre mille âmes, les noms des personnes arrêtées du 20 octobre 1793 jusqu’au 27 novembre 1794 :

Hommes : Visdelou ; Kervers ; Trezel ; Le Frotter ; Guillard du Gouët ; Coatgourden ; Rocquefeuille ; Bouan ; Poulmic-Grandisle ; Le Daën Kermenan ; Le Gonidec Kerhalic ; Baron du Taya ; Hemery Villeauray ; Pallière du Fontenay ; Limon du Paremeur ; Charles Garnier ; Thierry Kergus ; Freleau ; Le Beau ; Fautrel ; Rolland ; Le Goff, Sylvestre ; Lormier Kerlano ; Perio, père ; Paulet ; Labbé, dit Fontaine ; Chauvel Roubrie ; Chapelle ; Jaffray ; Morvan, dit Ballec ; Duval ; Bannier ; Andrieux, Pierre ; Ollivry ; Galliot ; Mathurin Jumel ; François Morvandit Coyau.

Veufs : Rolland, père ; de Courtoux ; Courson-Ville-Pirault.

Ex-Religieux Capucins : Bernardin ; Nicolas Budet ; Louis Pommeret.

Femmes : Visdelou ; Hamon Kervers ; Trezel Keroignan ; Le Frotter ; Guillard du Gouët ; Coatgourden ; Rocquefeuille ; Bouan ; Poulmic-Grandisle ; Kermenan ; Le Gonidec Kerhalic ; du Taya ; Vaugervy ; Cuverville ; Le Marchand-Launay ; Perrio ; Duval ; Bannier ; Coëtpiquet ; La Busnel ; Le Carré ; La Chenaye, Joséphine.

Veuves : Du Quillio Chatton ; de La Valette ; Le Gonidec ; des Alleu ; Domalain ; Vinçot ; Hélène Dubourg-Duval ; Cherronet ; Glais ; Kermartin ; Guillemot ; Sainte Olivry ; Robichon.

Ex-Religieuses : Boischâteau Kermai ; La Noësèche-Drouet ; Thérèse Callouet Lanidi ; Green Lauw-Neuville ; Viansant ; Kerizac Lavenant ; Kerizac Lavenant 2e ; Kerizac Lavenant 3e ; Kervers Hamon.

Garçons : Visdelou Bonamour ; François Garnier de Kerhuault ; Le Coniac Pommerais ; Coniac Trebua ; André La Valette ; Aimé La Valette ; Gabriel La Valette ; Pallière de Villeneuve ; Joseph Le Frotter ; Honorat Le Frotter ; Baguet ; Ropers, Mathurin ; Avenel ; Vinçot ; Jean-Marie Oriou ; Noël ; Brient, dit Leveillé ; Le Marchand de Laulnay, Théodore ; Le Marchand de Laulnay, Édouard ; Jean-Marie Duval.

Filles : De Robien ; Le Goff du Murado ; Le Goff Kervilly ; Le Goff Dureste ; Le Goff du Trelay ; Le Goff Meninville ; Floyd Kerhamel ; Floyd de Tréguité ; Floyd de Kerloué ; Hamon de Kervers aînée ; Hamon de Kervers cadette ; Hamon de Kervers, Françoise ; Jeanne Le Gonidec ; Angélique Le Gonidec-Pennelan ; Le Gonidec Kerhalic ; Marie-Anne Le Gonidec ; Marie-Louise Le Gonidec ; Marie-Joseph Le Gonidec ; Hamon de Boismartin de Visdelou ; Poulmic ; Glais Villeaupré ; Marthe Parthenaye ; de La Pommerais Coniac ; de Ravilly Coniac ; de La Valette ; du Chef du Bois ; de La Villeguyomar ; Drouët de La Noësèche ; de Vaugervy ; Dufaure ; Damar ; Le Frotter, Émilie ; Sainte Olivry ; Amélie de Cuverville ; Aglaé de Cuverville ; Lavenan Kerizac ; Sainte Chandemerle du Bourg ; Guillemot ; Fanchon La Rivière ; Fiacrette Nay ; Noël Le Provost ; Marie-Anne Herbert ; Marie-Jeanne Launay ; La Launay ; Lambin Champ-Thierry ; Cécile Jauquel ; Françoise Le Couturier ; Anne Gautier ; Marguerite Le Helloco, Flavie Serville ; Garnier Keruault ; Zinner aînée ; Zinner cadette ; Rocquefeuille ; Kermenan, Constance, Gabrielle, Catherine, Mariette ; Cheronnet ; La Chenaye ; de Courson-Villepirault ; Marie Hamon de Kervers ; Marie-Anne Hamon de Kervers ; Kergoumaux Chassin[6].

Je pourrais également donner les noms des détenus de Saint-Malo, ville avec laquelle Quintin faisait de très grosses affaires. Je me contenterai d’indiquer les noms des femmes qui furent guillotinées et ceux de quelques hommes :

Femmes : De La Grassinais ; de Saint-Pern-Coalan ; Coëtisac ; de Carman ; Geslin ; Guillot ; Delise ; Vincent Bassablond ; de Landécot ; Bougourd ; une Religieuse ; Quesnel ; Le Chapelin.

Hommes : Dassise, prêtre ; Retif, id. ; Gardy, commis du citoyen Sablinais ; Sablinais-Magon ; La Lande-Magon, père.




ANNEXE 5[sic].

Le 24 juin 1791. « … La garde nationale de La Roche-Derrien fut chargée de fouiller plusieurs châteaux des environs. Elle avait visité Chef du Bois et Kericuff ; quand elle arriva dans la nuit au château du Rumain, le comte Troplong refusa l’entrée de sa propriété. Le feu s’ouvrit des deux côtés, et, après un combat d’une heure, la garde nationale se retira, emmenant trois hommes blessés grièvement.

» Elle appela à son secours celle de Poutrieux[sic], et revint en force le lendemain. Le château était ouvert, et il ne s’y trouvait plus que deux vieillards infirmes et le cadavre de M. du Rumain, dont le crâne avait été en partie enlevé par une balle. Ses biens furent confisqués.

» Mme  Taupin, dont le mari était émigré, fut arrêtée pour avoir donné asile à deux prêtres qui furent guillotinés avec elle à Tréguier. Ayant demandé à embrasser ses enfants avant de mourir, on les plaça sous la guillotine, où ils furent inondés du sang de leur mère.

» M. Taupin, à la nouvelle de ce crime, revint dans le pays, et, s’étant introduit pendant une nuit dans la chambre de celui qui avait dénoncé sa femme, il lui brûla la cervelle. Lamentable représaille, sans doute, mais trop facile à comprendre, hélas ! et laissant malheureusement des souvenirs ineffaçables. »


  1. Les royalistes avaient un Conseil de direction dont M. Le Veneur de La Roche avait été le président.
  2. L’original de cette lettre est entre les mains de mon honorable ami M. Hippolyte du Cleuziou.
  3. Les Étapes d’un Volontaire de l’An II, par Alexis Monteil, de l’Académie Française, page 431.
  4. Voilà un général bien digne des scélérats qu’il encourage et du Gouvernement de coquins auquel il obéit.
  5. Ce passage de la lettre du général Krieg confirme ce que j’ai dit sur les Chouans intransigeants et sur le personnel de la Chouannerie.
  6. En outre de son Conseil Municipal, Quintin avait une Commission révolutionnaire composée de douze gredins dont je m’abstiens de donner les noms. Un soir, l’un d’eux, qui demeurait à environ six kilomètres, fut fusillé à quinze cents mètres de la ville. Cette exécution, selon l’habitude, fut mise sur le compte des Chouans. Grâce à cette Commission, la ville était ornée d’une papesse, déesse Raison. C’était une ancienne cuisinière nommée la veuve Larose.