Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXXXVII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 632-633).

CHAPITRE CCCXXXVII.


Comment le roi de Mayogres fut rançonné du roi Henry d’Espaigne, et comment il fit guerre au roi d’Arragon, et comment il mourut.


Vous avez bien ouï ci-dessus recorder comment le roi James de Mayogres fut pris au Val-d’Olif en Castille, au reconquêt que le roi Henry fit en Espaigne, et demeura prisonnier au dit roi Henry. Quand la roine de Naples, sa femme, et la marquise de Monferrat, sa sœur, entendirent ces nouvelles, si furent moult courroucées de l’avenue, et y pourvéirent de remède et de conseil ; je vous dirai par quelle manière. Celles traitèrent et firent traiter par sages et vaillans hommes devers le roi Henry, et tant que le roi de Mayogres fut mis à finance et rançonné à cent mille francs, les quels les deux dames dessus dites payèrent si courtoisement que le roi Henry leur en sçut gré. Tantôt que le roi de Mayogres se put partir, il retourna à Naples, et ne voult mie séjourner ; mais quist or et argent à grands pouvoirs et amis de tous lez, et se remit au chemin de rechef, en intention de guerroyer le roi d’Arragon, son adversaire, qu’il ne pouvoit aimer ; car il lui avoit son père tué et lui tenoit son héritage. Si exploita tant le dit roi qu’il vint en Avignon devers le pape Grégoire XI, et là se tint plus d’un mois ; et fit ses complaintes si bien et si à point au dit saint père, qu’il descendit assez à ses prières, et consentit au dit roi de Mayogres qu’il fît guerre au roi d’Arragon ; car il avoit cause qui le mouvoit à ce : c’étoit pour son héritage. Donc se pourvéy le dit roi de Mayogres de gens d’armes, là où il les pouvoit avoir, et les acheta bien et cher, Anglois, Gascons, Allemands, Bretons et gens de Compagnies, desquels messire Garsion du Châtel, messire Jean de Malestroit, Sevestre Budes et Jacquet de Bray étoient capitaines : si pouvoient être environ douze cents combattans. Et passèrent outre, et entrèrent en Navarre, et séjournèrent là par le consentement du dit roi de Navarre, et entrèrent en Arragon[1], et commencèrent, ces chevaliers et gens d’armes, et leurs routes, à faire guerre au roi d’Arragon et à courir son pays, à prendre et à assaillir petits forts et à travailler le plat pays, où ils pouvoient habiter et entrer, et rançonner hommes et femmes ; et tant que le roi d’Arragon, qui bien se doutoit de celle guerre, envoya grands gens d’armes sur les frontières, desquels le vicomte de Roquebertin et le vicomte de Rodez furent capitaines.

Celle guerre pendant, qui étoit jà tout ouverte et moult felle, le roi James de Mayogres s’accoucha malade de rechef, au val de Sorie, de laquelle maladie il mourut[2]. Par ainsi eurent les Arragonnois paix de ce côté un grand temps ; et se départirent ces Compagnies qui là avoient guerroyé, et s’en retournèrent en France devers leur seigneur, dont ils pensoient avoir plus grand profit.

Or parlerons du duc de Lancastre.

  1. Froissart anticipe beaucoup sur le temps où ces événements arrivèrent. Don Jayme n’entra en Arragon que dans les derniers mois de l’année 1374.
  2. D. Jayme, appelé infant de Majorque, et roi de Naples après son mariage avec Jeanne, mourut au commencement de l’année 1375, ainsi qu’on peut le voir par le registre des Cortès d’Arragon. Il fut enterré au monastère de Saint-François-de-Soria.