Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre LXIII

La bibliothèque libre.
Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 374-375).

CHAPITRE LXIII.


Comment le roi de Navarre fut délivré de prison par le confort du prévôt des marchands.


Après cette avenue, avint que aucuns chevaliers de France, messire Jean de Péquigny et autres, vinrent, sur le confort du prévôt des marchands et du conseil d’aucunes bonnes villes, au fort châtel d’Arleux en Pailluel séant en Picardie, où le roi de Navarre étoit pour le temps emprisonné et en la garde de monseigneur Tristan Dubois. Si apportèrent les dits exploiteurs tels enseignes et si certaines au châtelain, et si bien épièrent que messire Tristan Dubois n’y étoit point, si fut par l’emprise dessus dite le roi de Navarre délivré hors de prison[1] et amené à grand’joie en la cité d’Amiens, où il bien et liement fut reçu et conjoui ; et descendit chez un chanoine qui grandement l’aimoit, que on appeloit messire Guy Quieret. Et fut le roi de Navarre en l’hôtel ce chanoine quinze jours, tant que on lui eut appareillé tout son arroy et qu’il fut tout assuré du duc de Normandie, car le prévôt des marchands, qui moult l’aimoit et par quel pourchas délivré étoit, lui impétra et confirma sa paix devers le duc et ceux de Paris[2]. Si fut le dit roi de Navarre amené par monseigneur Jean de Péquigny et aucuns de la cité d’Amiens à Paris[3] ; et y fut pour lors reçu à grand’joie, et le virent moult volontiers toutes manières de gens ; et mêmement le duc de Normandie le fêta grandement. Mais faire le convenoit ; car le prévôt des marchands et ceux de son accord le ennortèrent à ce faire. Si se dissimuloit le duc au gré du dit prévôt et d’aucuns de ceux de Paris.

  1. Le roi de Navarre fut tiré de sa prison dans la nuit du mercredi 8 novembre au jeudi 9 avant le point du jour, selon les Chroniques de France : leur récit et celui des autres historiens contemporains diffèrent en quelques circonstances de celui de Froissart. Il serait inutile de rapporter ces divers récits ; on les trouvera rassemblés dans les Mémoires de Charles-le-Mauvais.
  2. J’ignore quel démêlé le roi de Navarre pouvait avoir avec les Parisiens : il paraît, au contraire, qu’il n’avait pas cessé d’être agréable au parti dominant dans la ville ; et que dévoués comme ils l’étaient au prévôt des marchands, ils ne pouvaient être que très bien disposés pour ce prince.
  3. Il y arriva vers le soir, la veille de Saint-André, 29 novembre, escorté par Jean de Meulant, évêque de Paris, et par un grand nombre de gens d’armes et de bourgeois qui étaient allés au-devant de lui jusqu’à Saint-Denis ; et il alla loger à l’abbaye Saint-Germain-des-Prés.