Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CCIV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 258-259).

CHAPITRE CCIV.


Comment le roi et son conseil voyant l’obstination et rébellion des Flamands mit garnison a Bruges, à Yppre et ailleurs à son département de Tournay.


Pareillement le comte de la Marche et messire Jacques de Bourbon, son frère, se départirent de Tournay pour être mieux à leur aise et s’en allèrent rafreschir à Leuse en Hainaut sur leurs héritages. Messire Guy de Laval, breton, s’en vint aussi à Chievre en Hainaut où il a part en l’héritage ; et en sont seigneurs messire de Namur et lui. Le sire de Coucy s’en vint à Mortaigne sur Escaut et s’y rafreschit, et toutes ses gens ; mais le plus il se tenoit de-lez le roi à Tournay.

Le roi séjournant à Tournay, le comte de Saint-Pol ot une commission de corriger tous les Urbanistes, dont la ville étoit moult renommée. Si en trouva-t-on plusieurs ; et là où ils étoient trouvés, fut en l’église Notre-Dame ou ailleurs, ils étoient pris et mis en prison et rançonnés moult avant du leur. Et recueillit bien le comte, et sous briefs jours, par cette commission, douze cent mille francs ; car nul ne partoit de lui qui ne payât ou donnât bonne sûreté de payer. Encore le roi étant à Tournay, orent ceux de Gand un sauf conduit allant et retournant en leur ville ; et espéroit-on que ils venroient à merci : mais ens ès parlemens qui là furent ordonnés, on les trouva aussi durs et aussi orgueilleux que dont si ils eussent tout conquêté et eu à Rosebecque la journée pour eux. Bien disoient que ils vouloient eux mettre en l’obéissance du roi de France très volontiers, afin que ils fussent tous tenus du domaine de France pour avoir ressorts à Paris ; mais jamais ne vouloient être en la subjection de leur seigneur le comte Louis ; et disoient que jamais ne le pourroient aimer, pour les grands dommages que ils avoient reçu pour lui.

Quelque traité que il y eut entre le roi de France et son conseil et eux, ni quelconques prélats ni sages gens qui s’en ensonniassent, on ne pot oncques trouver autre réponse. Et disoient bien au par-clos que si ils avoient vécu en danger et en peine trois ou quatre ans, pour la ville retourner et renverser tout ce dessous dessus, on n’en auroit autre chose. Si leur fut dit que ils se pouvoient donc bien partir quand ils vouloient. Si se partirent de la ville de Tournay et retournèrent à Gand, et demeura la chose en cel état, confortés que ils auroient la guerre.

Le roi de France et les seigneurs rendoient grand’peine que toute la comté de Flandre fut Clémentine ; mais les bonnes villes et les églises étoient si fort annexées et liées en Urbain, avecques l’opinion de leur seigneur le comte qui ce même propos tenoit, que on ne les en pouvoit ôter. Et répondirent adonc, par le conseil du comte, que ils en auroient avis et en répondroient déterminément dedans Pâques ; et demeura la chose en cel état. Le roi de France tint la fête de Noël à Tournay ; et quand il s’en partit, il ordonna le grand seigneur de Ghistelle à être regard de Flandre, et messire Jean de Ghistelle, son cousin, à être capitaine de Bruges, et le seigneur de Saint-Py à être capitaine de Yppre, et messire Jean de Jumont à être capitaine de Courtray ; et envoya deux cents lances de Bretons et autres gens d’armes en garnison à Ardembourg ; et en Audenarde il envoya messire Guillebert de Lieureghen et environ cent lances en garnison. Si furent pourvues toutes ces garnisons de Flandre de gens d’armes et de pourvéances, pour guerroyer l’hiver de garnisons et non autrement jusques à l’été. Adoncques ces choses ordonnées se départit le roi de Tournay et vint à Arras, et ses oncles et le comte de Flandre en sa compagnie.