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Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CCXXXIV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 328-329).

CHAPITRE CCXXXIV.


Comment le duc de Bourbon prit en Poitou plusieurs forteresses, et entre les autres le fort chastel de Breteuil.


En celle saison que le roi de France fut en Flandre, tant devant le Dam comme ailleurs, le duc de Bourbon, à belle charge de gens d’armes, fit sa chevauchée en Limousin et en Poitou, et y prit plusieurs forts et garnisons anglesches qui s’y tenoient, tels que le San, Tronchette, Archiac, Garnace, Mont-Leu à huit lieues de Bordeaux et Taillebourch sur Carente ; et puis s’en vint mettre le siége devant Breteuil, un moult bel et fort chastel en Poitou sur les marches de Limousin et de Xaintonge. De Breteuil étoient capitaines : Andrieu Pruiars[1], Anglois, et Bertran de Montrivet, Gascon, et avoient là dedans avecques eux grand’foison de bons compagnons. Si y ot plusieurs assauts et escarmouches, et faites plusieurs appertises d’armes. Et presque tous les jours aux barrières y avoient de ceux de dehors à ceux de dedans escarmouches et faits d’armes où il avoit souvent des morts, des blessés. Et bien disoit le duc de Bourbon, que point de là ne partiroit si auroit le chastel à sa volonté ; et ainsi l’avoit-il promis au duc de Berry la darrenière fois que il avoit parlé à lui. Et avint, le siége étant devant Breteuil, que Bertran de Montrivet, qui étoit l’un des capitaines, devisoit à faire un fossé par dedans le fort, pour eux mieux fortifier ; et ainsi comme il montroit et devisoit l’ouvrage à ses gens, et véez-ci venir le trait d’une dondaine[2] que ceux de l’ost laissèrent aller, duquel trait et par mésaventure Bertran fut aconsuivi et là occis ; lequel étoit en son temps échappé de seize siéges tous périlleux.

De la mort de Bertran furent les compagnons effréés et courroucés ; mais amender ne le purent. Si demeura Andrieu Pruiars capitaine. Depuis, environ quinze jours après, fut fait un traité de ceux du fort à ceux de l’ost ; et rendirent le chastel et les pourvéances, sauves leurs vies ; et furent conduits jusques à Bouteville, dont Durandon de la Perrade étoit capitaine. Ainsi orent les François le chastel de Breteuil : si le remparèrent et rafreschirent de nouvelles pourvéances, d’artillerie et de gens d’armes, et puis s’en partirent et s’en vinrent rafreschir à Carros une belle et grosse abbaye[3], et là environ sur le pays. Et puis s’en vinrent à Limoges, et là se tint le duc de Bourbon huit jours, et ot conseil de retourner en France, ainsi qu’il fit ; et trouva le roi à Paris et son neveu de Valois et tous ses mariages brisés. Or reviendrons-nous aux besognes d’Escosse et de l’amiral de France, qui toutes avinrent en celle saison.

  1. Prior.
  2. Machine à jeter de grosses pierres.
  3. Je trouve dans un autre manuscrit, « à une bonne ville près d’illecques, qui est appelée Escures. »