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Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre LXXIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 115-117).

CHAPITRE LXXIII.


Comment le comte de Bouquinghen et le duc de Bretagne conclurent de mettre le siége devant Nantes, qui leur étoit contraire.


Le comte de Bouquinghen et les barons d’Angleterre recueillirent les chevaliers dessus nommés, messagers du duc de Bretagne, moult honorablement ; et là orent grands consaulx et grands parlemens ensemble ; et mirent les Anglois en termes, que moult s’émerveilloient de ce que le duc de Bretagne et le pays n’étoient autrement appareillés que ils ne montroient, pour eux recueillir ; car à leur requête étoient-ils là venus, et pris cette peine que de passer parmi le royaume de France. Le sire de Mont-Bourchier répondit pour tous, en excusant le duc et dit : « Messeigneurs, vous avez cause et raison de mouvoir ce que vous dites ; et est le duc en grand’voionté de tenir et accomplir les ordonnances et convenances qu’il a à vous et vous à lui, selon son loyal pouvoir : mais il ne peut pas faire de ce pays à sa volonté, et par espécial de ceux de Nantes qui est la clef de Bretagne, lesquels sont à présent tous rebelles, et s’ordonnent à recueillir gens d’armes de la partie des François ; dont monseigneur est tout émerveillé, car ce sont ceux qui premièrement s’allièrent avecques les autres bonnes villes de Bretagne. Et croit monseigneur que ceux de Nantes soient en nouvel traité avecques le jeune régent de France, lequel on doit à celle Toussaint couronner. Si vous prie, monseigneur, que vous l’ayez excusé de toutes ces choses. Et outre il vous mande par nous, que vous preniez et teniez le chemin de Rennes, car temprement il venra contre vous ; et a très grand désir de vous voir, et à ce n’aura nulle deffaute[1]. »

Ces paroles contentèrent grandement le comte de Bouquinghen et les Anglois ; et répondirent liement, en disant que le duc de Bretagne ne pouvoit mieux dire. Si se départirent ainsi, contents les uns des autres, et s’en retournèrent les messagers du duc devers Hainbont, et trouvèrent le duc à Vennes ; et les Anglois se tinrent à Chastel-Bourg quatre jours, et puis s’en partirent et vinrent loger ès faubourgs de Rennes. Et étoient les portes de la cité closes ; et n’y laissoit-on nul homme d’armes entrer ; mais le comte de Bouquinghen y fut logé, et le sire de Latimer, et messire Robert Canolle et six ou sept plus de barons seulement du conseil du comte. Et furent là quinze jours, en attendant tous les jours nouvelles du duc de Bretagne qui point ne venoit ; dont ils étoient émerveillés. Dedans la cité de Rennes étoient le sire de Mont-Raulieu, le sire de Montfort en Bretagne, messire Geffroy de Kaermiel, messire Alain de la Houssoye, capitaine de Rennes et messire Eustache son frère ; et excusoient tous les jours ce que ils pouvoient le duc de Bretagne. Ne sais si étoit à bonne cause ou non, mais les Anglois se commencèrent à mal contenter de ce que point ne venoit. Ceux de Nantes, qui se tenoient tous clos et n’étoient pas bien assurs des Anglois qu’ils sentoient logés à Rennes, envoyèrent devers le duc d’Anjou qui avoit fait tous leurs traités et par lequel la greigneur partie du royaume de France se démenoit pour le temps, en remontrant qu’ils n’étoient mie assez forts d’eux-mêmes pour eux tenir et défendre s’ils avoient siége ou assaut, sans être pourvus de bonnes gens d’armes : si prioient qu’ils en fussent refreschis. À celle requête obéirent tantôt les quatre ducs qui avoient en gouvernement le royaume de France, Anjou, Berry, Bourgogne et Bourbon ; et y envoyèrent plus de six cents lances de bonnes gens d’armes, et toutes gens de fait et de grand’vaillance. Ainsi furent ceux de Nantes et réconfortés et rafreschis. Et ces gens d’armes entendirent à reparer de toutes parts la ville et de mettre en bon état, pour attendre siége ou assaut, si aucunement il leur venoit.

Les Anglois qui se tenoient à Rennes et là environ se commencèrent à mérencolier sus le duc qui point ne venoit, et orent conseil qu’ils enverroient devers lui. Si furent ordonnés de y aller messire Robert Canolle, messire Thomas de Percy et messire Thomas Trivet, et si forts que atout cinq cents lances, pour découvrir et dérompre toutes embûches qui leur pourroient de nul côté sourdre ni venir. Ces trois barons se départirent de Rennes et se mistrent au chemin en celle bataille de cinq cents lances et autant d’archers ; et partirent à un jeudi de l’ost. Le samedi suivant vint le comte de Bouquinghen loger à Saint-Supplis en Bretagne, et là demeura trois jours ; et puis vint au quatrième jour à Combourg et là demeura quatre jours. Le duc de Bretagne, qui étoit parti de Hainbont et venu à Vannes, savoit tous les jours le convenant des Anglois ; car ses gens, qui se tenoient en la cité de Rennes, lui signifioient. Si avisa, tout considéré, que il venroit parler à eux, car à son honneur et selon les grandes alliances que ils avoient ensemble, il ne les pouvoit longuement demener. Et entendit que messire Robert Kanolle, messire Thomas de Percy et messire Thomas Trivet venoient devers lui : si se mit à chemin pour venir devers Rennes ; et encontra, ce propre jour qu’il se partit de Vannes, les chevaliers d’Angleterre. Si se firent sur les champs très grands reconnoissances, et demanda le duc de Bretagne du comte de Bouquinghen. Les chevaliers répondirent qu’ils l’avoient laissé à Rennes tout mérencolieux de ce qu’il n’oyoit nulles nouvelles de lui. Le duc s’excusa grandement, et dit, par sa foi ! qu’il ne l’avoit pu amender. Adonc chevauchèrent-ils tous ensemble ; et fussent bien ce jour venus à Rennes si ils voulsissent ; mais ils entendirent que les Anglois étoient à Combourg pour venir à la Herde ; et s’allèrent loger à la Maisière, car ils tournèrent ce chemin. À lendemain vint le comte de Bouquinghen et ses gens à la Herde, et là se logèrent ; car ils entendirent que le duc de Bretagne venoit : si ne voldrent aller plus avant. Là vinrent le duc de Bretagne et ses consaulx. Si s’entrencontrèrent le duc et le comte de Bouquinghen, et se montrèrent grand amour ensemble ; et s’excusa le duc de Bretagne moult bellement au comte et aux Anglois de ce que il avoit tant demeuré ; car voirement il ne trouvoit pas son pays tout tel comme il lui avoit promis au commencement de l’été. Donc répondit le comte et dit : « Beau-frère de Bretagne, pour ce ne demeurera-t-il mie, si vous voulez, que nous ne corrigions les rebelles ; car avec l’aide et la puissance que vous avez et que nous avons et qui tous les jours nous peut venir d’Angleterre, nous soumettrons si vos sujets, que ils seront tout aises quand ils pourront venir à merci. »

De telles paroles et de plusieurs autres parlèrent-ils longuement ensemble, et puis se trait chacun en son hôtel. Et chevauchèrent lendemain tous deux ensemble en grand’joie, et parlèrent après dîner de leurs besognes moult longuement. Et fut adonc ordonné que le conseil du comte s’en iroit à Rennes avec le duc, et là ordonneroient-ils et concluroient-ils finablement toutes leurs besognes. Si demeura ce soir le duc de Bretagne et le conseil du comte à la Maisière, et le comte retourna à la Herde ; car ils étoient tous là logés et environ la Maisière ; et lendemain le duc de Bretagne s’en retourna à Rennes, le seigneur de Latimier, messire Robert Kanolle, messire Thomas de Percy, messire Thomas Trivet et le conseil du comte en sa compagnie. Si furent trois jours à Rennes tous dis conseillans leurs besognes.

À ce derrain conseil fut accordé, juré et fiancé sur saintes Évangiles, du duc de Bretagne, que il viendroit devant Nantes mettre le siége, en la compagnie du comte de Bouquinghen, quinze jours après ce que les Anglois seroient là venus, et feroit le duc de Bretagne venir et amener par la rivière de Loire barges et balenniers à planté pour mieux contraindre par la rivière ceux de Nantes ; et ne s’en partiroit il ni ses gens, si seroit Nantes prise. Pour toutes ces choses entériner et affirmer plus pleinement, et que le comte de Bouquinghen fût à ces obligations prendre et faire ; son conseil l’envoya querre à la Herde où il étoit logé et tout l’ost. Si se délogèrent et s’en vinrent loger ès faubourgs de Rennes, ainsi que autrefois ils avoient été logés. Si entrèrent le comte de Bouquinghen et les barons à Rennes, et là leur donna le duc de Bretagne à dîner moult grandement. Le duc de Bretagne enconvenança et jura sur sa foi solennellement et sur saintes Évangiles qu’il viendroit atout son pouvoir devant Nantes ; et sur cel état il se partit et se trait vers Hainbont ; et le comte de Bouquinghen et les Anglois demeurèrent à Rennes ; et y furent depuis bien quinze jours, en ordonnant leurs besognes. De toutes ces choses étoient bien informés ceux de Nantes que ils devoient avoir le siége ; si s’ordonnèrent selon ce. Et un des plus grands capitaines qui fût dedans Nantes c’étoit messire Jean le Barrois des Barres, un vaillant et appert chevalier. Avec lui étoient le capitaine de Cliçon, Jean de Chastel-Morant, Morfonace, messire Jean de Malestroit, le sire de Tournemine et plusieurs autres, toutes fleurs de gens d’armes, lesquels se pourvéirent moult sagement de tout ce qu’il leur falloit, tant à l’encontre de la rivière, que des portes, des murs et des tours qui regardent sur les champs de cette part où ils pensoient avoir le siége. Nous mettrons ces besognes un peu en répit, et parlerons de l’ordonnance du couronnement du jeune roi Charles, qui fut en celle saison couronné à Reims.

  1. Il n’y manquera pas.