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Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre LXXXII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 128-129).

CHAPITRE LXXXII.


Comment un traité de paix et accord fut trouvé entre le roi de France et le duc de Bretagne.


Après ces faits d’armes qui furent faits en ces jours que le comte de Bouquinghen séjournoit à Vennes, n’y eut rien fait plus, de chose qui à recorder fasse. Et se tenoient les Anglois, ainsi comme j’ai ci-dessus dit, à Vennes, à Hainbont, à Camperlé et à Camper-Corentin, et passoient l’hiver tout au mieux qu’ils pouvoient. Si y orent les plusieurs moult de dommages et de dangers, et moult de malaises de vivres pour eux et pour leurs chevaux ; car les fourriers ne trouvoient rien sur le pays que fourrager ; et aussi en ce temps-là les granges sont vides, les foins sont usés, avec ce que les François y avoient rendu grande peine afin que leurs ennemis n’en eussent l’aisement. Et furent les Anglois en ce danger moult longuement ; car les François étoient ès garnisons sur les frontières moult puissamment, pourquoi les fourriers anglois n’osoient chevaucher. Il vint aux Anglois aucunes vivres par mer, des îles de Cornouaille, de Grenesée et de Wisque, et ce les réconforta moult ; autrement eux et leurs chevaux fussent tous morts de famine.

Entrementes étoient à Paris, de par le duc de Bretagne, le vicomte de Rohan, le sire de Laval, messire Charles de Dinan et messire Guy de Rochefort qui lui procuroient sa paix devers le roi ; et il les en laissoit convenir, car il voyoit bien qu’il ne pouvoit tenir son convenant aux Anglois, ni ce que il leur avoit promis, si il ne vouloit perdre son pays. C’étoit l’intention du comte de Bouquinghen et de ses gens que ils passeroient l’hiver en la marche de Vennes, au plus bel que ils pourroient, et à l’été ils retourneroient en France et y feroient guerre ; et avoient écrit et mandé leur état au roi d’Angleterre et au duc de Lancastre. Si étoit l’intention du duc et du conseil du roi anglois que l’avis et l’imagination du comte de Bouquinghen et de ses gens étoient bonnes ; et leur avoit écrit que ils fissent ainsi et que en la saison un passage des Anglois se feroit de rechef en Normandie, et prendroient terre à Chierbourch, et se trouveroient ces deux osts en Normandie, pourquoi quand ils seroient tous ensemble, ils pourroient faire un très grand fait en France. Le roi de France, ses oncles et tout le conseil imaginèrent bien tous ces points, et en étoient aucunement avisés et informés ; et disoient bien entre eux, en secret conseil, que si le duc de Bretagne et aucuns de ses villes et de ses gens étoient contraires au royaume de France, avec la puissance d’Angleterre, que le royaume de France pour une saison auroit à porter trop dur fais. Pourquoi ces quatre barons de Bretagne qui représentoient le duc et qui concevoient bien toutes ces affaires avoient mis ces doutes avant, et espécialement ils s’en étoient découverts au duc d’Anjou qui avoit le souverain gouvernement, pour le temps, du royaume de France. Et le duc d’Anjou, qui tendoit à faire un grand voyage et de aller dedans deux ans en Pouille et en Calabre, ne vouloit mie que le royaume de France fût si ensoigné que son voyage en fût rompu ni retargié ; si s’inclinoit grandement à ce que le duc de Bretagne vint à paix, afin qu’il demeurât bon François et loyal, et homme de foi et de hommage au roi de France.

Tant fut parlementé et traité par les quatre barons dessus nommés[1], que le duc de Bretagne vint à accord et pouvoit sans forfait adresser et aider les Anglois de navires pour r’aller en Angleterre. Encore mit le duc de Bretagne en ses ordonnances que, si ceux de la garnison de Chierbourch, qui étoient venus en ce voyage servir le comte de Bouquinghen, s’en vouloient r’aller par terre en leur garnison, ils auroient bon sauf-conduit du roi et aussi du connétable de France pour faire leur voyage parmi le royaume de France, voir à chevaucher sans armures ; et aucuns chevaliers et écuyers d’Angleterre, si ils se vouloient mettre en leur compagnie. Et les Anglois partis de Bretagne, le duc de Bretagne devoit venir en France devers le roi et ses oncles, et reconnoître foi et hommage du roi, ainsi que un duc de Bretagne doit faire à son naturel seigneur le roi de France. Toutes ces choses furent escriptes et scellées bien et suffisamment, et apportées devers le duc de Bretagne, qui pour le temps se tenoit à Suseniot en la marche de Vennes. Si s’accorda, mais ce fut à dur, à ce que ses gens en avoient fait ; car bien savoit que il ne pouvoit ce faire sans avoir grand maltalent au comte de Bouquinghen et aux Anglois.

  1. Ce traité, conclu à Paris le 15 janvier 1380 ou 1381, nouveau style, Pâques tombant cette année le 14 avril, fut ratifié par le duc de Bretagne à Guerrande, le 10 avril 1380 ou 1381, nouveau style. Il est rapporté en entier par d’Acynte, livre de Bretagne. Lobineau le rapporte également avec les ratifications successives des divers seigneurs de Bretagne.