Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre VII

La bibliothèque libre.

CHAPITRE VII.


Comment Bergerac se rendit aux François ; de la venue du sire de Coucy et de la prise de Sainte-Foy.


Après cette besogne et le champ tout délivré, et que tous ceux qui prisonniers étoient furent mis en ordonnance, on se mit au retour pour venir devant Bergerac arrière au siége. Vous devez savoir que le duc d’Anjou fut grandement réjoui de ces nouvelles, quand il sçut de vérité comment ses gens avoient exploité, et que toute la fleur de Gascogne de ses ennemis, chevaliers et écuyers, étoient pris, et messire Thomas de Felleton aussi qui tant de contraires lui avoit fait ; et n’en voulsist mie tenir de cette aventure cinq cents mille francs. Tant exploitèrent messire Pierre de Beuil, messire Jean de Lignac, Yvain de Galles et les autres, que ils vinrent en l’ost devant Bergerac, dont partis ils étoient. Si furent grandement fêtés et conjouis du duc d’Anjou et du connétable, des barons, des chevaliers et de leurs amis, et tinrent cette aventure à belle et bonne et moult profitable pour eux.

À lendemain la truie que amenée et achariée ils avoient, fut levée au plus près qu’ils purent de Bergerac, qui grandement ébahit ceux de la ville. Et eurent entre eux avis et conseil comment ils se maintiendroient ; et en parlèrent à leur capitaine, car ils véoient bien que longuement ils ne se pourroient tenir, car ils n’attendoient secours ni confort de nul côté, au cas que messire Thomas Felleton leur sénéchal étoit pris et la chevalerie de Gascogne ès quels ils avoient eu grand’espérance. Messire Perducas leur dit que ils étoient encore forts assez pour eux tenir, et bien pourvus de vivres et d’artillerie, pourquoi ils ne fissent nul mauvais marché. Si demeura la chose en cel état jusques à lendemain que on sonna en l’ost les trompettes d’assaut ; et se mit chacun en son ordonnance. Le connétable de France, qui étoit sur les champs en grand arroy, avant ce que on assaillit Bergerac ni que nuls des leurs fussent blessés ni travaillés, envoya parlementer à ceux de la ville, et leur fit remontrer comment ils tenoient tous leurs capitaines, par lesquels confort leur pouvoit être venu, et que jà étoient-ils en traité que de venir bons François, et eux et leurs terres mettre en l’obéissance du roi de France ; car nul secours ne leur apparoît de nul côté ; et si ils se faisoient assaillir et prendre par force, ainsi que ils seroient, on mettroit toute la ville en feu et en flambe et à totale destruction, sans nul prendre à merci. Ces menaces ébahirent moult ceux de Bergerac, et demandèrent temps à avoir conseil. On leur donna. Adonc se mirent les bourgeois de la ville tous ensemble et sans appeler leur capitaine ; et étoient en volonté et furent que de eux rendre bons François, afin que paisiblement et doucement on les voulsist prendre à mercy sans mettre nuls gens d’armes en leur ville : on leur accorda légèrement.

Quand messire Perducas de la Breth leur capitaine entendit ce traité, il monta à cheval et fit monter ses gens et passa les ponts, et s’en vint bouter au fort de Moncuq ; et Bergerac se rendit Françoise[1]. Le duc d’Anjou eut conseil que il chevaucheroit plus avant et viendroit mettre le siége devant Châtillon sur la Dourdogne. Ces nouvelles s’épandirent parmi l’ost, et se ordonna chacun à ce faire ; et se départirent le duc et le connétable et toutes gens d’armes, excepté le maréchal de France qui demeura derrière pour attendre le seigneur de Coucy ; car il devoit là être au soir, ainsi que il fut. Et alla, atout grand’route de ses gens, le maréchal à l’encontre de lui, et le recueillit moult amiablement ; et demeurèrent celle nuit en la place dont le duc étoit parti au matin. Si vint le duc en son ost ce jour en uns beaux prés sur la Dourdogne au chemin de Chastillon. En la route et de la charge du seigneur de Coucy étoient : messire Aymon de Pommiers, messire Tristan de Roye, messire Jean de Roye, le sire de Fagnoelles, le sire de Jumont, messire Jean de Rosoy, messire Robert de Clermont et plusieurs autres chevaliers et écuyers. Au lendemain ils se départirent de leurs logis, et chevauchèrent tant en la compagnie d’icelui maréchal de France que ils vinrent en l’ost du duc où ils furent reçus à grand’joie.

En allant vers Chastillon siéd une ville qu’on appelle Sainte-Foy : l’avant-garde du duc, ainçois qu’ils parvinssent jusques à Chastillon, tira celle part ; et l’environnèrent ; et commencèrent à assaillir forment. En la ville de Sainte-Foy n’avoit hommes, fors de petite défense, qui ne se firent point longuement assaillir ; mais se rendirent, et en eux rendant, elle fut toute pillée.

  1. Bergerac se rendit le 3 septembre suivant, et après quinze jours de siége, suivant les Grandes Chroniques.