Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XXV

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CHAPITRE XXV.


Des alliances que le roi de Navarre fit au roi d’Angleterre, et comment le roi de France étoit garni de gens d’armes en plusieurs lieux.


Un petit avant son département, le roi de France qui avoit enchargé le roi de Navarre en grand’haine, et qui savoit couvertement par gens de l’hôtel de Navarre tous les secrets traités que il avoit aux Anglois, avoit tant exploité devers le roi Henry de Castille que le roi Henry l’avoit défié et lui faisoit grand’guerre[1]. Si avoit à son département le roi de Navarre laissé en son pays le vicomte de Castelbon, le Seigneur de l’Escun, Perrot de Bierne et le Bascle, et grands gens d’armes, tant de son pays comme de la comté de Foix, pour garder les forteresses contre les Espaignols. Quand il fut monté en mer, il eut vent à volonté et prit terre en Cornouaille ; et puis exploita tant par ses journées qu’il vint à Vindesore où le roi Richard et son conseil étoient, qui le reçurent liement, car ils pensoient mieux à valoir de sa terre de Normandie, espécialement de la ville et du châtel de Chierbourch dont les Anglois désiroient moult à être seigneurs. Le roi de Navarre remontra au roi d’Angleterre sagement et par bel langage ses besognes et ce pourquoi il étoit là venu ; et tant que moult volontiers il fut là ouï du roi et son conseil, et sur ce conseillé et reconforté tant que bien s’en contenta. Je vous dirai comment les traités se portèrent entre ces deux rois : Que le roi de Navarre devoit demeurer à tous jours mais bon et loyal Anglois, et ne pouvoit ni devoit faire paix ni accord au roi de France ni au roi de Castille sans le sçu et consentement du roi d’Angleterre et de ses gens, lequel devoit à ses coûtages faire garder la ville et le châtel de Chierbourch trois ans ; mais toujours demourroit au roi de Navarre la souveraineté et seigneurie. Et si le roi d’Angleterre ou ses gens par leur puissance pouvoient obtenir les villes et châteaux que le roi de Navarre avoit adonc en Normandie encontre le roi de France ou les François, elles demourroient Anglesches ; mais toujours retourneroit la souveraineté au roi de Navarre ; laquelle chose les Anglois prisoient moult, pour la cause de ce que ils pouvoient avoir une belle entrée en Normandie qui leur étoit trop bien séant ; et devoit le roi d’Angleterre envoyer en celle saison mille lances et deux mille archers par la rivière de Geronde à Bordeaux ou à Bayonne, et ces gens d’armes entrer en Navarre et faire guerre au roi de Castille ; et ne se devoient partir du roi de Navarre ni de son royaume tant que il eut point de guerre aux Espaignols ; mais ces gens d’armes et archers, eux entrés en Navarre, le roi de Navarre les devoit payer de tous points et étoffer ainsi que à eux appartenoit et que le roi d’Angleterre est d’usage de les payer. Plusieurs traités, ordonnances et alliances furent là faites, escriptes, scellées et jurées à tenir entre le roi d’Angleterre et le roi de Navarre, qui assez bien se tinrent ; et furent là nommés du conseil au roi d’Angleterre, lesquels iroient en Normandie et lesquels en Navarre ; et pourtant que le duc de Lancastre et le comte de Cantebruge n’étoient mie à ces traités, mais le duc de Bretagne y étoit, fut là dit et parlementé que on leur envoieroit ces traités tout scellés afin que ils se hâtassent de entrer en Normandie.

  1. Le roi de France eut beaucoup de peine à décider Henri de Castille, qui avait donné sa fille Léonore en mariage à Charles, fils du roi Charles de Navarre, à déclarer la guerre à son nouveau parent. Ce qui le décida fut le traité conclu en août 1377, entre Richard II et le roi de Navarre, par lequel Charles donnait aux Anglais le château de Cherbourg, à condition que le roi d’Angleterre lui donnerait cinq cents hommes d’armes et cinq cents archers, pour faire la guerre, dit le traité, au bâtard Henri, occupant à présent ledit royaume d’Espagne.