Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XXXIV

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CHAPITRE XXXIV.


Comment les Anglois recouvrèrent plusieurs forts châteaux sur les François au pays de Bordelois.


Quand ce vint à lendemain, le sire de Neufville et ces chevaliers d’Angleterre ordonnèrent que on iroit assaillir : si sonnèrent leurs trompettes d’assaut et départirent leurs livrées[1] et puis approchèrent le fort de Saint-Léger. Si commença l’assaut grand et merveilleusement. Ce fort de Saint-Léger siéd sur une roche que on ne peut approcher ; et au plus foible lez y a grands fossés qui ne sont mie à passer légèrement. Si se travailloient les assaillans grandement, et rien ne faisoient ; mais y en avoit des morts et des blessés grand’foison. Adonc cessa l’assaut, et fut avisé pour le mieux que on empliroit les fossés et puis auroient meilleur avantage d’assaillir. Si furent les fossés remplis à grand peine, et tellement que tout le monde y pouvoit passer. Quand les Bretons qui dedans le fort étoient virent ce, si se doutèrent plus que devant et raison fut, et entrèrent en traité. Ces seigneurs d’Angleterre qui avoient bien ailleurs à entendre, tant aux besognes du roi de Navarre, comme à délivrer plusieurs forts que Bretons tenoient en Bordelois, s’accordèrent légèrement à tous traités ; et fut le fort Saint-Léger rendu, parmi tant que ceux qui se tenoient s’en partiroient sans nul péril et sans nul dommage, eux et le leur, et seroient conduits là où ils vouloient aller. Ainsi demeura la forteresse de Saint-Léger Anglesche ; et vinrent les seigneurs au châtel de Mortaigne. Si trouvèrent le souldich de l’Estrade au parti que le héraut avoit dit. Si fut mis en arroy, ainsi comme à lui appartenoit, et le fort rafraîchi et ravitaillé et repourvu de nouvelles gens, et puis s’en retournèrent à Bordeaux par la rivière de Garonne le chemin que ils étoient venus.

  1. Soldats à leurs gages.