Les Cimetières de Paris

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Les Cimetières de Paris
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 2 (p. 812-851).
LES
CIMETIERES DE PARIS


LES SERVICES FUNEBRES.

Au cours de ces études, nous avons eu souvent occasion de faire remarquer la diversité des usages adoptés par les différentes classes du peuple parisien; cette diversité, nous la retrouvons jusque dans les choses de la mort. Lorsqu’une personne est décédée à Paris, on envoie à ses amis une lettre d’invitation pour les prier d’assister à son convoi; quelque temps après, on expédie des lettres de faire part à toutes ses connaissances pour leur donner avis de sa mort. A la seule inspection d’une lettre d’invitation annonçant le décès d’un homme marié, on peut reconnaître à quelle catégorie sociale il appartenait. Parmi les gens qui s’appellent exclusivement la bonne compagnie et restent enfermés dans les coutumes léguées par l’ancienne noblesse, la veuve n’invite jamais, car elle est censée dans les six semaines de retraite qui doivent inaugurer son deuil; dans la bourgeoisie au contraire et parmi les artisans, la veuve invite toujours, tenant à faire acte de présence au moment où elle perd celui dont elle a porté le nom et à constater ainsi que le lien qui l’unissait à lui était public et légitime, — nuance peu importante en elle-même, mais qui dénonce cependant des divergences profondes entre les divers groupes dont se compose notre société. Jadis c’était plus simple : on faisait « le cry des corps. » A toute heure du jour ou de nuit, « les crieurs-jurés » s’en allaient par les rues, agitant leurs clochettes :

Réveillez-vous, gens qui dormez,
Priez Dieu pour les trépassés!


Ils glapissaient le nom du mort, le lieu du décès, l’heure des funérailles. Vêtus d’une dalmatique blanche semée de larmes noires, ornée de têtes de squelettes posées sur des ossemens entre-croisés, ils épouvantaient les enfans, et, si l’on en croit le poète Saint-Amant, faisaient hurler les chiens. Leur costume, à force de vouloir être lugubre, fut trouvé ridicule, et on le remplaça par la longue robe noire des avocats. Lorsqu’ils suivaient le convoi funèbre d’une personne de qualité, ils portaient sur la poitrine un écusson de carton peint, représentant les armes du défunt, que l’on applique aujourd’hui sur les faces latérales du corbillard.

Leur nombre n’était pas considérable; ils furent douze au début, dans le XIIIe siècle, vingt-quatre sous Louis XIV; on en compte trente au moment de la révolution. Ils ne criaient pas que les corps : ils criaient le vin à vendre, les enfans égarés, les chiens perdus; ils criaient « les choses estranges, » dit la grande ordonnance de 1415. Petit métier, mais bon métier : 5 sous parisis par cri; en ce temps-là, c’était presque une somme. Cependant ils avaient d’autres ressources plus amples et plus certaines ; spéculer sur la douleur et sur la vanité des gens, c’est un sûr moyen de faire fortune; tous ceux qui l’ont employé en savent quelque chose. Depuis le XIIIe siècle, les crieurs-jurés, que le peuple de Paris appelait familièrement les « clocheteurs des trépassés,» étaient en possession de fournir ce que l’on jugeait nécessaire aux funérailles des particuliers, des seigneurs et des rois. Charles V détermine leurs privilèges, qui furent maintenus par Charles VI, par Henri II, par Louis XIII et par Louis XIV. L’ordonnance de 1672 confirma leurs attributions, spécifia leurs devoirs et leur imposa un tarif. Ils eurent souvent de vives contestations avec le clergé, qui, propriétaire des cimetières et maître d’accorder la sépulture dans les églises, revendiquait le droit de subvenir à tout ce qui concernait les cérémonies funèbres. C’était là un sujet de conflits renaissans qu’on ne parvenait pas toujours à éteindre; la part du clergé avait cependant été faite par un règlement très sage que Chamvallon, archevêque de Paris, publia le 30 mai 1693, et que le parlement homologua le 10 juin de la même année. Les crieurs-jurés relevaient directement de la prévôté des marchands, comme aujourd’hui l’administration des pompes funèbres, qui leur a succédé, relève du préfet de la Seine; mais nul des employés de celle-ci n’est forcé d’assister aux obsèques des personnes royales, en robe drapée et une sonnette d’argent à la main, ainsi que cela était impérieusement prescrit aux clocheteurs des trépassés. De même les allures du clergé ne sont plus à cette heure, aux enterremens, ce qu’elles étaient jadis; quelle que soit la qualité du personnage porté au cimetière, le clergé l’accompagne en voiture, ou, — dans de rares circonstances, — à pied en psalmodiant les hymnes sacrés. Autrefois, pour faire honneur à certains morts, les prêtres se transformaient en cavalière; on lit dans le Journal de Barbier, à la date du 10 février 1740 : « Le corps de M. le duc (de Bourbon) était dans un chariot à huit chevaux avec quatre aumôniers à cheval, qui portaient le poêle. »

Jusqu’au commencement de notre siècle, la plupart des corps, placés sur des brancards, étaient transportés à la main, comme nous voyons faire aujourd’hui pour les petits enfans; parfois même le cercueil, soutenu sur l’épaule d’un vigoureux semonneur[1], s’en allait ainsi chercher la demeure suprême. C’était là ordinairement toute la cérémonie que l’on faisait pour les petits bourgeois et les artisans; il n’en était plus ainsi dès qu’il s’agissait des gros financiers et des gens de la noblesse. On se servait en ce cas d’un corbillard surmonté d’un catafalque et traîné par un nombre de chevaux en rapport avec la fortune ou la qualité du défunt. Il se produisait alors un fait singulier auquel il serait assez difficile d’ajouter foi, si l’on n’avait le témoignage des écrivains contemporains. La machine funèbre était si lourde que l’on redoutait toujours un accident, et que, pour y parer, les jurés-crieurs emmenaient avec eux une escouade d’ouvriers selliers, bourreliers et charrons. Il fallait les avoir sous la main et cependant ne pas les mêler, en costume de travail, à la foule des invités; on les faisait donc monter dans le corbillard, sur le cercueil même, et ils étaient dissimulés par les amples draperies qui tombaient de l’impériale jusqu’aux plats-bords du char. Pendant le trajet, ils jouaient aux dés sur la bière, parfois même, entr’ouvrant les rideaux noirs, passaient la tête et faisaient la grimace aux aumôniers à cheval.

Les jurés-crieurs de corps furent dépouillés de leurs privilèges pendant la révolution, mais ils possédaient un matériel funéraire qui leur assurait le service de presque tous les enterremens; ils continuèrent donc, par la force même des choses et comme dans le passé, à pourvoir à ce premier besoin de la salubrité et de la décence urbaines; ils ne criaient plus, ils ne clochetaient plus, mais ils drapaient et portaient toujours jusqu’aux heures douloureuses où toute marque de supériorité sociale devint un motif à délation; les gens riches s’habillaient de carmagnole, et, pour n’éveiller aucun soupçon, l’on faisait enterrer ses morts très humblement. Les municipalités de Paris se chargèrent alors des inhumations, qui furent faites à prix débattu, jusqu’à ce qu’un arrêté du 18 thermidor an IV fixât à 10 francs la taxe des morts âgés de moins de sept ans et à 20 francs celle des adultes. Ce que furent les convois, on peut se le figurer. Tous les corps étaient portés à bras, et plus d’une fois les brancards stationnèrent à la porte des cabarets. Cela dura jusqu’à l’avènement de Frochot à la préfecture de la Seine : nul magistrat ne fit peut-être plus que lui pour la ville de Paris; mais il faut reconnaître que, lorsqu’il arriva, tout était à faire. Il remit d’abord le soin des cérémonies funèbres à un entrepreneur désigné dans chaque arrondissement, puis bientôt, dès l’an IX, à un entrepreneur-général qui devait centraliser le service. Le décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804), qui reconnaissait aux fabriques des églises catholiques, aux consistoires protestans et Israélites, le droit de faire « les fournitures d’enterrement, » amena un conflit entre le clergé et l’entrepreneur. De gros intérêts étaient en jeu, la querelle menaçait de s’aggraver; un homme qui aimait à être obéi intervint et mit fin à toute dispute. L’empereur accepta un entrepreneur unique, privilégié, responsable, mais il lui imposa un cahier des charges qui l’obligeait à remettre aux représentans des cultes reconnus une part considérable, plus de la moitié, de l’argent qu’il aurait à recevoir. L’affaire restait exceptionnellement fructueuse pour tous les ayant-droit, et chacun eut le bon esprit de se montrer satisfait. Cette affaire tenait au cœur de Napoléon, car il y revint plus tard, et la régla minutieusement lui-même par le décret du 18 août 1811, qui divisait tous les services funèbres en six classes; la première coûtait 4,282 francs, la sixième 16 francs.

L’organisation imaginée par Frochot, adoptée par Napoléon Ier, et qui n’était, sous une forme plus moderne et surtout plus démocratique, qu’un retour à la vieille institution des crieurs-jurés, subsiste encore. Tavernier raconte naïvement dans ses voyages qu’ayant été obligé de faire enterrer son frère, mort aux Indes, il s’était promis de bien soigner sa santé parce que cela coûtait fort cher d’être inhumé dans ces pays-là. Que dirait-il donc aujourd’hui à Paris? L’entreprise des pompes funèbres a tous les inconvéniens des monopoles, mais elle compense ceux-ci par des avantages où la ville, les cultes et les gens pauvres trouvent leur bénéfice. A y bien regarder, le service funèbre, constitué tel qu’il l’est aujourd’hui, est un impôt somptuaire très onéreux, mais levé seulement sur ceux qui s’y soumettent, beaucoup sans doute par respect pour les morts qu’ils regrettent, et un peu aussi, avouons-le, par vanité. Écoutez les curieux qui regardent passer un corbillard drapé, empanaché de plumes d’autruche, traîné par quatre chevaux caparaçonnés, tenus aux mains des valets de pied, suivi par des maîtres de cérémonie qui portent c les honneurs » sur des coussins de velours noir; que disent-ils? « C’est un bel enterrement! » Il est permis aux riches d’étonner les foules, de faire brûler des lampadaires à l’alcool sous la nef des églises, et d’avoir des cercueils capitonnés de satin blanc; ce n’est qu’une affaire d’argent. Tout se paie, jusqu’à la rosette en crêpe que l’on peut attacher au fouet du cocher; mais ce qu’il faut considérer, c’est que le pauvre ne paie rien. La dernière adjudication pour l’entreprise des pompes funèbres a eu lieu le 1er janvier 1860. Par le cahier des charges, le service est divisé en neuf classes : la première coûte 7,184 francs, et la neuvième 18 fr. 75 cent. ; entre ces deux extrêmes, il n’est si grosse vanité ou si mince situation qui ne trouve ce qui lui convient. Toutefois, si l’on permet à l’entreprise de faire des bénéfices excessifs, c’est à des conditions qu’il est bon de faire connaître. La ville, en vertu de ce contrat synallagmatique, paie à l’entrepreneur 5 francs par corps inhumé dans les cimetières de Paris ; de ce seul chef, l’administration des pompes funèbres a touché en 1873 la somme de 217,990 francs, représentant 43,578 inhumations; mais l’entrepreneur doit faire remise, aux représentans des cultes reconnus, de 56 pour 100 sur toute somme encaissée par lui. Or, pour 1873, cette remise équivaut à 1,709,350 fr. 38 c., dont 1,620,715 fr. 23 c. ont été versés au seul culte catholique. En outre les pompes funèbres sont tenues de faire gratuitement le convoi de tout individu indigent dont la famille ou la succession ne peut acquitter les frais portés au tarif d’une des neuf classes désignées. C’est là une charge pesante, car le nombre des inhumations gratuites est singulièrement plus élevé que l’on n’imagine, et en 1873 il a été de 25,017, tandis que celui des inhumations payantes n’a été que de 18,561. Dans le système adopté, les riches paient pour les pauvres, et l’impôt funèbre fournit aux besoins du culte dans les églises, les temples et les synagogues.

Pour subvenir d’une façon régulière aux exigences d’un service qui représente plus de cent enterremens par jour, les pompes funèbres possèdent un matériel important et un nombreux personnel. On doit avoir en provision prévue les tentures, les chevalets, les candélabres, les coussins, les bénitiers, en un mot tous le objets nécessaires à l’appareil usité; en outre 6,000 voliges, — bières en sapin, — sont en réserve à l’administration centrale, sans compter le dépôt obligatoire dans chacune des mairies de nos vingt arrondissemens, et le magasin de chênes ou cercueils de luxe qui peuvent être demandés pour des inhumations de classes supérieures. 585 agens de toute sorte, 570 voitures corbillards, chars, berlines de deuil, fourgons à tenture, 270 chevaux suffisent à parer aux éventualités d’une mortalité normale; si par hasard on manque de chevaux, on en loue à la Compagnie générale des petites voitures Cet outillage général est combiné de telle sorte que l’on a pu faire face aux nécessités exceptionnelles amenées par des épidémies; en 1849, en 1854, chaque mort eut son cercueil, son corbillard, son convoi, et l’on ne vit plus « rouler les tapissières » comme pendant le choléra de 1832. L’adjudication des pompes funèbres a pris fin le 1er janvier 1871; l’heure était mal choisie pour la renouveler, personne ne s’en souciait, ni l’entrepreneur, ni la préfecture de la Seine. On revint alors à la lettre des décrets impériaux; les fabriques, les consistoires, prirent l’affaire à leur compte et la confièrent en régie à l’adjudicataire sortant. En somme, il n’y eut rien de changé : la ville paie toujours 5 francs par inhumation, les cultes reçoivent toujours 56 pour 100, et les enterremens gratuits sont toujours à la charge de l’entreprise. Seulement la situation n’est plus très régulière; les responsabilités sont déplacées, et aujourd’hui le chef de ce service, qui a une importance municipale sur laquelle il serait puéril d’insister, semble dépendre beaucoup plus des fabriques que de la préfecture de la Seine. C’est là un fait anormal auquel il serait bon de mettre fin. Une difficulté se présentera peut-être lors de la future adjudication: la ville a construit à ses frais, rue Curial, un vaste établissement destiné à loger l’administration des pompes funèbres et toutes les dépendances qu’elle comporte. Les dépenses ont été considérables, et le bail sera élevé; mais cet inconvénient disparaîtra devant des avantages majeurs : aussi le premier article du prochain cahier des charges devra exiger du preneur un loyer rémunérateur représentant l’intérêt normal des sommes employées. Cette condition ne peut même pas donner lieu à un débat, car, malgré les servitudes financières sagement imposées à l’entreprise, celle-ci fait de tels bénéfices qu’ils sont de nature à éveiller de très sérieuses concurrences.

Dans les convois, le principal personnage n’est pas le maître des cérémonies qui, l’air grave et même légèrement attristé, comme il convient à la circonstance, prie « la famille et messieurs les invités » de le suivre : celui-là, il est vrai, mène le chœur funèbre des porteurs et indique avec précision, pendant le service religieux, à quelle minute il faut se lever, s’agenouiller ou s’asseoir; mais l’homme important, c’est l’ordonnateur, agent direct de la préfecture de la Seine, employé de l’état civil et délégué du maire de l’arrondissement que le défunt habitait. Il représente la municipalité prenant le corps d’un de ses administrés à la maison mortuaire, l’accompagnant à l’église, veillant à ce qu’on lui fasse place à travers nos rues encombrées, l’introduisant au cimetière et ne le quittant qu’après avoir vu tomber sur lui la dernière pelletée jetée par le fossoyeur. Il est reconnaissable à la cocarde tricolore maintenue par la gance de son tricorne et à la canne à pomme d’ivoire qu’il lui suffit de lever, sans avoir besoin d’invoquer l’ordonnance de police du 10 février 1848, pour arrêter toute voiture qui, dans le trajet de la maison au cimetière, pourrait couper et interrompre le convoi. Il est l’autorité et le contrôle; c’est lui qui s’assure que toutes les prescriptions émanées de l’entreprise des pompes funèbres ont reçu exécution, qui interdit aux porteurs, aux plombiers, aux tapissiers, de demander des pourboires, — qui recommande la bonne tenue aux divers agens de ces tristes choses et donne à tous l’exemple du respect dû à la douleur. Il a vécu trop mêlé au personnel qui fait le service des inhumations pour ne pas savoir que là aussi, comme dans tous les corps d’état, il y a un langage particulier légué par les corporations du passé; il connaît les termes en usage, mais il les regarde comme indignes de lui et ne les emploie jamais. Les porteurs ne se gênent guère entre eux malgré les mines piteuses qu’ils prennent volontiers lorsqu’ils se sentent sous les yeux des assistans. Très susceptibles pour eux-mêmes, ils le sont moins pour les autres. C’est les insulter gravement que de les appeler croquemorts, mais ils trouvent fort naturel de dire : J’ai fait un saumon, un hareng ou un éperlan, ce qui signifie : j’ai porté le corps d’un riche, d’un pauvre ou d’un enfant; cela ne les empêche pas d’être de fort braves gens et très dévoués à leur lugubre besogne. On pourrait penser que de vivre toujours au milieu des tentures noires et d’avoir pour fonctions spéciales de manier des cercueils dispose à la mélancolie; ce serait une erreur : la plupart de ces hommes sont gais, si gais que plusieurs figurent le soir dans les ballets-pantomimes de certains théâtres, et que l’un d’eux obtint une certaine notoriété aux bals masqués de l’Opéra.

La loi a déterminé le délai qui doit exister entre le décès et l’inhumation; l’article 77 du code civil dit expressément : « Aucune inhumation ne sera faite que... vingt-quatre heures après le décès, hors les cas prévus par les règlemens de police. » Ce laps de temps a paru nécessaire pour ne point confondre la mort apparente avec la mort réelle. Jadis on était moins prudent, et parfois on était enterré peu d’heures après avoir expiré. On trouve la preuve de ce fait dans l’acte de décès d’un homme dont Mme de Sévigné a bien déploré la mort : « Le 3 juillet 1690, à trois heures du matin, Michel Lasnier, maistre d’hostel de Mme la marquise de Sévigny, est décédé rue Couture-Sainte-Catherine, duquel le corps a été inhumé dans le cimetière de l’église Saint-Paul, sa paroisse, le même jour[2]. » Il faut des cas absolument exceptionnels pour que l’on abrège aujourd’hui le délai légal, et la préfecture de police, gardienne de la santé publique, a seule le droit, sous sa responsabilité, de prendre des mesures en conséquence. En comprenant le temps employé au service religieux et au trajet fort long et fort lent à travers Paris, on peut compter que le délai a toujours été dépassé lorsqu’un corps arrive au cimetière, où l’attendent une fosse préparée et les fossoyeurs chargés de l’inhumer.


II. — LES CHARNIERS.

Cimetière, en grec, c’est ϰοιμητήριον, l’endroit où l’on dort. — Le vieux Paris n’avait pas ménagé ces lieux de repos ; on enterrait partout, dans les églises d’abord, place d’honneur où l’on accordait sépulture en échange de quelque rente perpétuelle. Le donataire qui avait fait construire ou orner une chapelle à ses frais avait le droit de s’y faire inhumer et parfois même d’y admettre quelques amis, témoin cette chapelle dédiée à saint Vincent de Paul, dans l’église Saint-Paul de la rue Saint-Antoine, où les La Meilleraye avaient un tombeau qui reçut le corps de George Cadoudal en 1804 et le garda jusqu’en 1814. Nos églises actuelles sont pleines encore de monumens funéraires, datant des siècles passés et indiquant avec quelle ardeur on se portait vers les lieux saints pour y reposer près des reliques sacrées, dont on espérait que le contact ne serait pas inutile au salut éternel, et dans la foi touchante que l’âme participerait au bénéfice des prières récitées chaque jour. Il n’y avait guère que les gros personnages de la noblesse, du clergé, de la robe, de la finance ; le menu fretin des trois ordres et toute la population s’en allaient simplement en terre comme de petites gens qu’ils étaient. Aussi les cimetières abondaient, le plan de Gomboust est parsemé de groupes de croix cernés d’un trait qui les indiquent : cimetière Saint-Nicolas, proche la rue Troussenonnain, — cimetière Saint-Paul, où Rabelais fut enterré sous un noyer, — cimetière Saint-Séverin, d’où s’élevait une buée malsaine quand soufflaient les vents d’ouest, — cimetière Saint-Joseph, où nous avons fait un marché, — cimetière de la Trinité, près la rue Grenéta, d’où l’on enleva plus de quarante tombereaux d’ossemens en 1858, — cimetière Verd, près la rue de la Verrerie, — cimetière Saint-Médard, où les convulsionnaires se donnaient en spectacle, — cimetière aux carmes, aux capucins, aux chartreux, — cimetière aux Incurables, à la Charité, aux Petites-Maisons, — cimetière à tous les hospices, cimetière à tous les couvens. Les bourgades de morts étaient disséminées tout à travers la ville des vivans.

Aussi, lorsque l’on entreprit ces travaux d’amélioration qui ont modifié l’aspect de certains quartiers de Paris, on fut étonné de l’énorme quantité de sépultures que l’on mettait au jour; chaque coup de pioche pour ainsi dire faisait jaillir des ossemens. On les porta dans l’ancien cimetière de l’Ouest, fermé depuis 1825 et que l’on avait converti en un vaste ossuaire; on s’aperçut un jour qu’il contenait 1,110 mètres cubes d’ossemens trouvés en fouillant la voie publique. L’entassement devenait une gêne; un arrêté préfectoral pris en 1859 fit envoyer tous ces débris aux catacombes. Quelques-uns de ces restes éveillèrent l’attention. Au mois d’octobre 1864, en creusant un branchement d’égout pour la maison portant le n° 4 de la rue de la Paix, maison qui prenait la place de la caserne des pompiers, on trouva le cercueil en plomb contenant le corps de la duchesse de Guise, princesse de Joinville, veuve en premières noces du prince de Bourbon et décédée en 1656. Elle avait été inhumée au couvent des capucines, à travers les dépendances duquel la rue de la Paix avait été tracée.

Les différens cimetières que j’ai indiqués étaient réservés aux catholiques; avant la révocation de l’édit de Nantes, les protestans en possédaient un qui leur était officiellement consacré : il était situé rue des Saints-Pères, sur l’emplacement occupé aujourd’hui par l’École des ponts et chaussées; mais après le 22 octobre 1685, rejetés hors du droit commun, ils durent pourvoir à leur sépulture et cherchèrent dans Paris des lieux secrets, ignorés sinon inconnus, où ils purent inhumer leurs morts. Les enterremens se faisaient la nuit; on ne savait quelles précautions imaginer pour déjouer la surveillance; il y allait de la vie ou tout au moins des galères à perpétuité. De deux rapports que j’ai sous les yeux, l’un daté du 17 mai 1694 et adressé à La Reynie, l’autre du 7 mai 1696 et transmis au procureur-général, il résulte que l’on portait ces malheureux dans des jardins de propriétés particulières, où l’on pouvait. On recommande à la police, à la prévôté de Paris, aux juges du Châtelet, d’être très attentifs et de réprimer de tels scandales. Les plus grands personnages se mêlent de ce genre d’espionnage, et Monsieur, « frère du roy, » dénonce à Louis XIV « qu’il vit, il y a quelque temps, passer dans la rue Saint-Honoré pendant la nuit un chariot couvert de blanc, dans lequel on prétend qu’estoient les corps de ceux de la R. P. R., lesquels on va enterrer dans un cimetière près du Roulle. » Une autre dénonciation apprend qu’on les inhume aussi dans un jardin situé vers les Gobelins. La Hollande, le Danemark, l’Angleterre, réclamèrent diplomatiquement un lieu de sépulture pour les protestans de ces nations qui mouraient à Paris. On accorda 276 toises, dont 31 occupées par les bâtimens, rue de la Voirie, dans le haut du faubourg Saint-Martin. Pendant le XVIIIe siècle, on était plus tolérant, et les protestans regnicoles purent être inhumés auprès des protestans étrangers; mais une certaine crainte ou le besoin de mystère naturel à l’homme subsistait encore, car les réformés avaient un champ de sépulture secret au port au Plâtre, qui est devenu le quai de la Râpée. C’était un chantier dont l’emplacement est délimité aujourd’hui par le quai de la Râpée, la rue de Bercy, la rue Traversière et la rue Villiot. Ce cimetière semble avoir été réservé de préférence aux personnages importans et riches du protestantisme installés ou tolérés à Paris. Parmi les noms de ceux qui furent conduits au port au Plâtre, s’en trouvent qui ne sont ni oubliés ni éteints : de La Boulaye, Soubeyran, de Brissac, Say, Delessert, Mallet, Perrégaux, Necker, de Witt, Thelusson, Tronchin, de La Baumelle. Toutes ces distinctions entre communions hostiles n’ont heureusement plus aucune raison d’être aujourd’hui; les catholiques et les protestans, saint Pierre et saint Paul, dorment fraternellement côte à côte dans les mêmes enclos. Aussi tous ces petits cimetières, dispersés autrefois, cachés dans des jardins, dans des chantiers, dans des bosquets perdus au milieu des parcs, ont-ils disparu. Tous? Non; il en existe encore un. Celui-là n’a jamais reçu aucun protestant; il appartient aux israélites, a été fondé en 1780, et renferme une quinzaine de tombes. En le cherchant bien, on pourrait le découvrir du côté de La Villette.

Ces cimetières israélites, protestans, catholiques, n’ont point laissé trace dans les souvenirs de la population parisienne; un seul est resté légendaire et méritait de l’être ; c’est le cimetière, le charnier des Innocens. Longtemps il fut le lieu de sépulture aristocratique; c’était quelque chose pour une famille bourgeoise d’avoir ses ancêtres aux Saints-Innocens; puis il devint la fosse commune, le pourrissoir, comme l’on disait, où vingt-deux paroisses, où l’Hôtel-Dieu, où la basse geôle du Châtelet versaient leurs morts. Il fut, pendant des siècles, au milieu même de la cité, dans l’endroit le plus peuplé, le plus fréquenté, un foyer d’infection toujours entretenu, toujours alimenté, et auquel on doit plus d’une des «pestes» qui ont ravagé la ville. Dans l’origine, il appartenait à ce vaste terrain nommé les Champeaux, sur lequel on a construit les halles, et qui s’étendait jusqu’où finissent aujourd’hui les rues Croix et Neuve-des-Petits-Champs. Une tradition prétend qu’on y enterrait déjà à l’époque de l’occupation romaine ; le fait n’a rien d’improbable, car les Champeaux étaient traversés par la route qui allait de Lutèce vers les provinces du nord. Ce fut Philippe-Auguste qui en 1186 le fit enclore de murs; auparavant c’était un lieu vague, chacun y passait, et à certains jours de l’année on y vendait des chevaux. Une église dédiée aux saints Innocens fut édifiée, et peu après on éleva autour du cimetière des arcades supportant des greniers, — des galetas, c’était le mot, — qui servirent de charnier, c’est-à-dire d’ossuaire. On tenait à honneur d’augmenter et d’embellir le cimetière parisien par excellence; c’était là œuvre pie qui appelait l’indulgence de Dieu. Nicolas Flamel y fit construire deux arcades, l’une en 1389, l’autre en 1404. Guillebert de Metz, qui visita Paris sous Charles VI, dit : « Illec sont painctures notables de la danse macabre et aultres, avec escriptures pour esmouvoir les gens à dévotion. » Par le Journal d’un Bourgeois de Paris, on sait exactement à quelle époque furent faites ces compositions à la fois naïves et terribles, dont il restait trace encore à la fin du XVIIe siècle : commencées en août 1424, elles furent terminées pendant le carême de l’année suivante. Il y avait là une logette où l’on emmurait certains coupables qui n’avaient plus pour subsister que l’aumône des passans ; la porte, solide et armée de fer, s’ouvrait à deux clés, dont l’une était gardée par le marguillier de l’église des Saints-Innocens, et l’autre déposée au greffe du parlement; c’est là qu’en 1485 fut enfermée à toujours Renée de Vendomois, qui avait assassiné son mari.

Les caveaux de l’église étaient si pleins de cadavres que, dès le XVIe siècle, il n’était pas rare de voir des cercueils rangés le long des murs et attendant qu’on eût trouvé place pour les caser. Dans le cimetière, on voyait quelques sépultures particulières; mais le mode d’inhumation pour les petites gens était atroce : on creusait de grandes fosses dans lesquelles on enfouissait pêle-mêle, les uns par-dessus les autres, 1,200 et parfois 1,500 corps. Lorsque le terrain était comblé, ce qui arrivait souvent, on déterrait les plus anciens morts, et on jetait leurs ossemens dans les galetas qui surmontaient les arcades. La moyenne des inhumations était, dit-on, de 2,000 par an. L’espace était fort restreint; tout l’emplacement, y compris l’église, — enfermé par la rue de la Lingerie, la rue Saint-Denis, la rue de la Ferronnerie et la rue aux Fers, — contenait 1,700 toises carrées[3]. Le typhus régnait en permanence dans les maisons appuyées contre les murs mêmes du cimetière, qui, enveloppé de toutes parts de hautes constructions, ressemblait à un vaste puits dont le fond n’était en quelque sorte que de la pourriture humaine. Dès 1554, on s’émut de ce danger permanent. Deux très savans médecins de l’époque, Femel et Houillier, furent chargés d’étudier la question et d’en faire un rapport. Ils conclurent à la suppression immédiate et ne furent point écoutés. Le temps passe, le péril augmente, les habitans voisins poussent des cris de détresse : l’Académie des Sciences délègue en 1737 trois de ses membres, Lemery, Geoffroy, Hunauld; leurs conclusions sont conformes à celles de Fernel et ont le même sort.

Il faut dire, pour expliquer, sinon excuser de tels ménagemens envers ce lieu de putridité, que le peuple de Paris aimait son cimetière; on lui donnait là le spectacle de belles processions avec encens et psalmodies à certains jours de fêtes carillonnées. Il y venait volontiers, non pour évoquer les âmes des aïeux, mais pour faire sa prière en l’église des Saints-Innocens, populaire entre toutes, pour admirer les monumens funéraires, les chapelles d’Orgemont, de Villeroy, de Pommereux, la tombe Morin, le squelette d’albâtre[4], qu’il attribuait faussement à Germain Pilon, l’ancien prêchoir, où pendant la ligue il se fit de si belles harangues, la croix des Bureaux, la croix Glatine, la statue du Christ, que l’on nommait le Dieu de la cité, et la tour de Notre-Dame des Bois, où chaque soir on allumait une veilleuse qui servait de fanal à ce champ des morts. On y faisait le commerce; dans les galeries, les marchandes de modes et de lingerie vendaient leurs chiffons; contre les piliers des arcades, sous les greniers qui pliaient au poids des ossemens, les écrivains publics avaient installé leurs tables et fournissaient de la littérature épistolaire à prix fixe. En effet, les MM. de Villiers, qui visitèrent les charniers en janvier 1657, disent : « Si c’est du haut stile, la lettre vaut 10, 12 ou 20 sols; si c’est du bas stile, elle n’est que de 5 ou 6 sols. » La foule y circulait sans cesse; c’était un lieu de promenade, une sorte de contrefaçon des fameuses galeries du Palais. La nuit, les filles vagues le fréquentaient, comme les larves de l’amour vénal[5]. Tous les Parisiens étaient persuadés, sur la foi d’une légende ridicule, que la terre du cimetière des Innocens avait la propriété de dévorer les corps en vingt-quatre heures. C’était une croyance enracinée contre laquelle rien ne pouvait prévaloir. Les MM. de Villiers rapportent cette tradition, et ils ajoutent naïvement : « Mais nous n’en avons pas veu l’effet[6]. »

Voyant que l’autorité civile restait désarmée, et que l’église, à laquelle tous les lieux de sépulture ont appartenu en France jusqu’à la loi du 15 mai 1791, ne voulait pas fermer ce cloaque pestilentiel, le parlement intervint. Par un arrêt du 12 mars 1763, il avait prescrit aux paroisses de Paris, aux commissaires et aux officiers du Châtelet de faire une enquête sur le nombre des décès et les inconvéniens des modes de sépulture en usage. Cette question fort délicate, qui touchait à des habitudes invétérées et à des sentimens religieux très respectables, fut approfondie avec soin, et le parlement rendit le célèbre arrêt du 25 mai 1765, qu’il ne serait peut-être point inutile de consulter encore aujourd’hui. « La cour ordonne : 1° qu’aucunes inhumations ne seront plus faites à l’avenir dans les cimetières actuellement existans dans cette ville, sous aucun prétexte que ce puisse être;... 3° qu’aucunes sépultures ne seront faites à l’avenir ou accordées dans les églises;... 4° qu’il sera fait choix de sept à huit terrains différens, propres à recevoir et consommer les corps et situés hors de la ville... » L’arrêt portait que toutes ces prescriptions étaient exécutoires à compter du 1er janvier 1766. C’était net et clair; s’empressa-t-on d’obéir? Nullement; les sépultures dans les églises ne furent point interrompues, et l’on continua de « fossoyer » aux Innocens comme par le passé.

Au commencement de 1780, le cimetière durait toujours, — c’est le vrai mot, — et peut-être durerait-il encore, si un accident n’était venu épouvanter et convaincre les plus récalcitrans. La terre, bourrée de corps sur une profondeur de vingt-six pieds, ne les contenait plus; elle avait beau se soulever, chercher des points d’appui contre les piliers des arcades, s’exhausser de telle sorte qu’il fallait descendre pour entrer dans l’église, où l’on pénétrait jadis de plain-pied, elle était gorgée au-delà de toute mesure et vomissait sa putréfaction. Au mois de février 1780, un habitant de la rue de la Lingerie, ouvrant sa cave, fut repoussé par une odeur tellement insupportable qu’il se sauva et alla chercher ses voisins. On revint en nombre, on s’enhardit, on se mit sous le nez des mouchoirs imbibés de vinaigre, et l’on se trouva en présence d’un spectacle horrible. La terre, gonflée par des pluies récentes, avait fait ce que l’on nomme une poussée contre les murs mitoyens; elle y avait ouvert une large brèche par où s’était effondré un éboulement de cadavres. La police essaya de tenir l’aventure cachée : il fut interdit aux journaux d’en parler ; mais garder un secret dans le quartier des Halles n’est point chose facile, et tout Paris sut bientôt à quoi s’en tenir sur l’état de ce cimetière. Ce fut un cri qu’il fallut bien entendre : l’autorité civile se montra très ferme et adopta une décision péremptoire; elle y mit cependant le temps de la réflexion, car cet enclos consacré à la peste, comme disait Voltaire, ne fut définitivement fermé et pour toujours que le 1er décembre 1780[7]. Ce n’était pas tout de l’avoir interdit, il fallait le supprimer, et ce fut seulement au commencement de 1786 que l’archevêque accorda son autorisation. On ne l’avait pas attendue; de Crosne, récemment nommé lieutenant-général de police, avait voulu payer sa bienvenue au peuple de Paris en lui donnant un marché qui lui manquait, un marché aux légumes, et, avec un discernement où l’on peut trouver quelque habileté politique, il avait choisi l’emplacement du cimetière des Innocens. On dut l’approprier à sa nouvelle destination, abattre l’église, enlever les monumens funéraires, jeter bas les cent soixante-cinq arcades et les charniers qu’elles supportaient, déplacer les ossemens, enlever les terres pourries et fouir le sol assez profondément pour éviter tout danger futur. La Société royale de médecine délégua une commission dont Thouret fut le rapporteur. Celui-ci fut chargé de surveiller et au besoin de diriger l’opération. On ne perdit pas de temps; la commission, nommée en octobre 1785, était à l’œuvre dès le mois de décembre. Les escouades d’ouvriers se relayaient, car on était à la besogne jour et nuit. Pour recueillir les ossemens qu’on allait exhumer, on imagina de créer ce que l’on nomma alors un cimetière souterrain ; on utilisa les longues carrières d’où sont sorties la plupart des constructions du vieux Paris et dont l’entrée était à la Tombe-Issoire. Cette nouvelle nécropole fut consacrée par le clergé dans la journée du 7 avril 1786; ce sont les catacombes. C’est là que l’on transporta tout ce que l’on ramassa alors aux Innocens; les prêtres accompagnaient les chariots funéraires, qui partaient ordinairement du quartier des Halles vers la fin du jour, et arrivaient, la nuit tombée, à l’emplacement indiqué. Le rapport de Thouret nous dit dans une phrase un peu prétentieuse comment on procédait pour installer les morts dans la demeure qu’on leur avait choisie : « L’aspect de ce lieu souterrain, les voûtes épaisses qui semblent le séparer du séjour des vivans, le recueillement des assistans, la sombre clarté du lieu, son silence profond, l’épouvantable fracas des ossemens précipités et roulant avec un bruit que répétaient au loin les voûtes, tout retraçait dans ce moment l’image de la mort et semblait offrir aux yeux le spectacle de la destruction. » Cela signifie que l’on versait les ossemens comme l’on verse un chargement de sable, en faisant basculer le tombereau.

L’emplacement du vieux cimetière, nettoyé, pavé, orné de la fontaine de Pierre Lescot et de Jean Goujon, devint le marché aux légumes que nous avons connu. Les ouvriers qui travaillèrent sous la direction de Thouret n’ont pas enlevé, tant s’en faut, tous les débris humains que la terre recelait. Diverses constructions faites sur le marché en 1808, en 1809, en 1811, nécessitèrent des fouilles qui amenèrent la découverte d’une quantité considérable d’os dénudés. En 1830, pendant la révolution de juillet, il y eut aux Halles un combat assez meurtrier. Le peuple, mû, par la tradition des anciens jours et voulant inhumer les morts, creusa les terrains voisins de la fontaine : au premier coup de pioche, des fragmens de squelette apparurent; lorsqu’au début du second empire on reconstruisit sur un nouveau modèle les pavillons des Halles, on retrouva des ossemens; on peut fouiller encore, on en extraira toujours. Six siècles consécutifs de sépulture laissent des traces qui ne disparaissent pas facilement.

La suppression du cimetière des Innocens fit naître un projet qui ne reçut pas exécution, mais qui mérite de n’être point passé sous silence, car nous l’avons vu reparaître de nos jours. Un architecte du comte d’Artois, nommé Labrière, proposa d’établir un champ de sépulture unique pour Paris; son mémoire, adressé à Galonné, fixe par cela même la date entre 1783 et 1787 : 90 arpens, pris entre La Villette et Aubervilliers, auraient été convertis en nécropole; on y eût construit un temple pour les tombeaux des rois, une galerie pour ceux des princes du sang et des principaux seigneurs du royaume, une enceinte réservée aux hommes illustres; on y eût trouvé en outre six pyramides, deux mille chapelles pour des concessions à perpétuité, treize fosses publiques et un terrain « en forme de champs élysées » où l’on aurait pu faire élever des tombes « pittoresques. » Labrière offrait aussi d’édifier auprès de ce cimetière « un chartrier considérable, voûté, bâti en pierre de taille et en briques, précédé de trois portes de fer de distance en distance pour empêcher que le feu, quelque terrible qu’il pût être, n’y pénétrât jamais. » C’est dans cette construction incombustible que l’on eût réuni les papiers de famille et les actes de l’état civil, singulière prévision que les incendies du mois de mai 1871 ont justifiée. Le projet de Labrière fut repoussé, et, quand bien même il eût été adopté, la chute de la royauté l’aurait mis à néant[8].

La révolution, en dépossédant l’église, lui enleva les cimetières, dont la propriété fut transférée à l’autorité municipale. Les cimetières, considérés comme biens du clergé, furent décrétés biens nationaux et mis en vente; mais la loi du 15 mai 1791 prend à cet égard des précautions indiquées par les plus simples notions d’hygiène, et avec une expression brutale elle dit : « Les cimetières ne pourront être mis dans le commerce qu’après dix années à compter des dernières inhumations. » On arrivait pourtant à cette heure de fièvre chaude où la guillotine, en permanence sur nos places publiques, allait exiger pour elle seule la création de cimetières supplémentaires, dont l’un est devenu la propriété indivise de plusieurs familles qui s’y font encore enterrer. Les exécutions avaient lieu à l’est et à l’ouest de la ville. La commune, prévoyante et voulant éviter un trop long trajet aux suppliciés, fit ouvrir deux cimetières, l’un au levant, près de la place du Trône, hors des murs, derrière les jardins de l’ancienne maison des dames chanoinesses de Picpus, l’autre au couchant, près de la place de la Concorde, qui était devenue la place de la Révolution, dans un grand terrain dépendant de l’ancienne paroisse de la Madeleine et servant de potager aux religieuses bénédictines de la Ville-l’Évêque.

Le cimetière de Picpus n’est point fermé; il est situé au bout du jardin des dames de l’adoration perpétuelle; c’est là que fut enterré le général Lafayette. Il a été acheté par des familles qui ont voulu être réunies après la mort à ceux de leurs parens que la révolution avait inhumés là après les avoir tués[9]. La partie du cimetière de la Madeleine où l’on a cru retrouver les restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette est occupée par la chapelle expiatoire entourée d’un square ; des constructions couvrent les terrains, qui, prenant façade sur la rue de la Ville-l’Évêque, longeaient toute la rue de l’Arcade, et étaient séparés de la rue d’Anjou par une suite de maisons non interrompue. On a dit que l’on avait été obligé d’abandonner ce cimetière parce qu’il était plein. C’est inexact : la place n’y manquait pas; seulement il était fort mal situé, au milieu d’un quartier peu peuplé, mais riche; il était en outre « le sujet des diatribes des aristocrates et des contre-révolutionnaires; » on résolut de le déplacer. On fit choix d’une sorte de désert qui, s’appuyant contre les murs mêmes de la Folie-Chartres, c’est-à-dire du parc Monceau, était bordé par le mur d’enceinte, la rue de Valois et la rue du Rocher, qui à cet endroit s’appelait la rue des Errancis. Ce fut le cimetière de Mousseaux, comme l’on disait administrativement ; mais pour le peuple de la petite Pologne le vieux mot avait persisté, et ce fut toujours le cimetière des Errancis. Il dominait et pouvait regarder la voirie établie au bas de la butte, sur les lieux où la place Delaborde s’étale actuellement. Il dut être « inauguré » en juillet 1793, car le corps de Charlotte Corday fut un des premiers que l’on y transporta. Il reçut les fournées de thermidor; ces durs hommes de la montagne y furent rejoints plus tard par Bourbotte, Romme, Goujon, Duquesnoy, Duroy et Soubrany. Le cimetière a été promptement clos et mis hors d’usage; avant le 18 brumaire, on n’y enterrait plus, et l’existence en semblait ignorée. J’y ai connu un jardin à musique; on y buvait, on y dansait, on y chantait; l’annexion de la banlieue a fait disparaître ce « petit Tivoli. » Le boulevard Malesherbes, le prolongement de la rue Miroménil ; ont morcelé l’ancien cimetière; les ossemens trouvés ont été versés aux catacombes. Ce qui en reste est enfermé de murs, et quelques joueurs de boules s’y réunissent pour viser le cochonnet. Picpus, la Madeleine et les Errancis furent donc les trois dépôts de la guillotine. Dans certains cas de mort naturelle frappant des prisonniers importans, on avait recours aux anciens cimetières de paroisse. Le 10 juin 1795, à la nuit tombante, le corps de Louis XVII fut conduit et inhumé au vieux cimetière Sainte-Marguerite-Saint-Antoine. Aux premiers jours de la restauration, on bouleversa le terrain sans pouvoir découvrir le corps; celui-ci, déterré furtivement par suite d’ordres supérieurs, dans la nuit qui suivit l’inhumation, avait été transporté à Sainte-Catherine. L’état dans lequel on retrouva le sol où l’on chercha les restes de Louis XVI à la Madeleine fait supposer que le cadavre avait été aussi enlevé ou tout au moins changé de place.

Deux cimetières, ou peu s’en faut, suffisaient à tout Paris; l’un, que l’on nommait indifféremment le cimetière de l’Ouest ou de Vaugirard, occupait extra muros l’espace compris entre les barrières de Vaugirard et de Sèvres, non loin de la barrière de la Voirie, qui est aujourd’hui la barrière des Fourneaux; La Harpe y fut inhumé en 1803. Après avoir servi d’ossuaire et recueilli momentanément les ossemens mis à découvert par les fouilles de la voie publique, il a été coupé en partie par le prolongement de l’ancien boulevard extérieur; ce qui en subsiste fait office de dépôt pour les pavés de la ville. L’autre cimetière a une double histoire qui se mêle et se confond si bien qu’il est parfois difficile de la débrouiller; plus d’un écrivain s’y est laissé prendre. Il avait un renom assez sinistre dans la population parisienne, car longtemps on y porta les corps des suppliciés. L’Hôtel-Dieu et l’hôpital de la Trinité possédaient dans le faubourg Saint-Marcel un terrain composé de deux lopins achetés en 1672. Cet enclos s’appelait Clamart du nom de l’hôtel de Crouy-Clamart, qui avait subsisté auprès de la maison Scipion jusqu’en 1646. Ce terrain était situé sur la ruelle de la Muette, qui servait de point de jonction à la rue Poliveau et à la rue du Fer-à-Moulin. La Trinité, dont le cimetière particulier était trop étroit, l’Hôtel-Dieu, qui renonçait à déposer ses morts aux Innocens, ouvrirent là une sorte de cimetière supplémentaire vers le milieu du XVIIIe siècle. La petite nécropole était déjà presque comblée aux premiers jours de la révolution, et c’est tout au plus si l’on y trouva place pour les victimes des massacres de septembre. A la fin de 1793, le cimetière fut définitivement fermé. Cependant jusqu’en 1814 tous les historiens parlent du cimetière Clamart, confusion facile à comprendre et facile à expliquer. L’hôpital Sainte-Catherine avait, le 31 mai 1783, acheté trois jardins contigus à Clamart, dont ils n’étaient séparés que par un mur, pour y créer un cimetière, qui fut béni le 2 octobre de la même année par le curé de Saint-Gervais. Lorsque Clamart fut fermé, Sainte-Catherine continua de rester ouvert. Le peuple n’y regarda pas de si près, le nom auquel on était habitué se substitua naturellement à un nom plus nouveau, et pour tout le monde le cimetière Sainte-Catherine fut le cimetière Clamart. C’est à Sainte-Catherine que Mirabeau entra en sortant du Panthéon; enfoui à 2 mètres de profondeur, son cercueil y est encore, et l’on pourra le reconnaître à la plaque de cuivre rouge sur laquelle sont inscrits les noms et titres du grand tribun. C’est à Sainte-Catherine que les suppliciés de nivôse furent inhumés; une grille de fer placée dans la fosse même autour de leurs corps permettra de les retrouver. Bichat y fut porté en 1802; le 16 novembre 1845, on l’en retira pour le conduire au Père-Lachaise ; le 5 avril 1804, on y plaça le général Pichegru, dont les restes, exhumés en 1861, reposent maintenant à Arbois. Clamart a complètement disparu aujourd’hui sous les vastes constructions de l’École d’anatomie de l’assistance publique; un réservoir a été élevé sur le tumulus qui couvrait les massacrés de septembre. Le cimetière Sainte-Catherine, coupé par le boulevard Saint-Marcel, garde encore quelques tombes qui penchent et s’effritent à l’ombre des sureaux et de quelques cyprès, survivans d’un autre âge. Bientôt sans doute il sera envahi par une école communale qu’il faut agrandir.

Ce ne fut qu’aux premières années du XIXe siècle que Paris fut doté d’un système de nécropoles qui parut très large dans le principe et qui est devenu absolument insuffisant aujourd’hui. Le véritable créateur des cimetières parisiens fut Frochot. Lorsqu’il arriva à la préfecture de la Seine, tout était à créer en cette matière, car ce qui existait était un objet d’horreur et de dégoût. Le 2 ventôse an IX (12 mars 1801), il arrête que « trois grands enclos de sépulture seront établis hors de la ville de Paris : le premier au nord, le second à l’est, le troisième au sud. » Des fonds nécessaires aux acquisitions furent votés dans la session du conseil-général de l’an X, et la loi du 17 floréal an XI (7 mai 1803) autorisa l’achat de jardins situés près du boulevard d’Aulnay et que l’on nommait le Mont-Louis. Le décret impérial du 23 prairial an XII (12 juin 1804), qui règle la matière et qui a encore force de loi, épousait et complétait libéralement les idées de Frochot : il renouvelait l’interdiction de faire des sépultures dans les églises, les hospices et les hôpitaux ; il décidait qu’à l’avenir tout cimetière serait placé hors de l’enceinte des villes, et il mettait à la disposition de Paris quatre cimetières : deux anciens, celui du sud-est, Sainte-Catherine, celui de l’ouest, Vaugirard, et deux nouveaux, celui du nord, Montmartre, celui de l’est, le Père-Lachaise ou Mont-Louis.

Sainte-Catherine et Vaugirard ont été remplacés par le cimetière du sud, qui est Montparnasse; celui-ci, Montmartre et le Père-Lachaise ont été pendant longtemps les seuls champs des morts réservés à Paris, mais au 1er janvier 1860 l’annexion de la banlieue a fait entrer quinze cimetières dans Paris ; de plus les nécessités ont été si pressantes qu’il a fallu en ouvrir deux nouveaux pour éviter un encombrement qui devenait un danger public[10]. Paris est donc desservi par vingt nécropoles, auxquelles il faut ajouter Picpus et le cimetière spécial des hôpitaux, qui a gardé, parmi la population parisienne, son vieux nom de Champ-des-Navets ; j’ai eu occasion d’en parler dans une étude précédente.


III. — LES INHUMATIONS.

La ville de Paris est propriétaire des terrains consacrés aux sépultures; elle les vend, les loue, les prête; c’est ce qui constitue les concessions perpétuelles, les concessions temporaires, les inhumations gratuites. Moyennant une somme déterminée, elle aliène à toujours un certain nombre de mètres à ceux qui veulent creuser un caveau, élever un monument et donner aux choses de la mort un caractère de perpétuité que tout condamne, la fragilité de la postérité humaine aussi bien que la fragilité des sentimens humains; ce fut là une erreur de Frochot, erreur qui causera dans l’avenir de nombreux embarras à la municipalité parisienne, car le contrat survivra aux ayant-droit ; certains terrains immobilisés par le fait même de l’acte de vente ne pourront jamais être repris et resteront sans cesse inutilisés parce qu’ils contiendront la dépouille de familles éteintes depuis longtemps. Une emphytéose de quatre-vingt-dix-neuf ans renouvelable suffisait à tous les besoins, et aurait permis à la ville de rentrer dans une propriété qui, un jour donné, peut devenir fort importante. Du reste le nombre des concessions perpétuelles n’est pas grand à Paris, car au 1er janvier 1874 il ne s’élevait qu’au chiffre de 67,216 pour tous nos cimetières.

Les concessions temporaires donnent droit d’occuper, pendant cinq ans, une fosse isolée de toute tombe voisine « de trois ou quatre décimètres sur les côtés, et de trois à cinq décimètres à la tête et aux pieds, » selon les termes du décret de prairial. Il est inutile d’en dire le nombre, qui varie incessamment, puisque la ville ressaisit les terrains à l’expiration du bail et les approprie à d’autres sépultures. Les morts se pressent tellement dans nos cimetières que l’on n’a pas le temps d’attendre ; il faut se hâter de faire place aux survenans qui à chaque heure du jour frappent à la porte funèbre. Les inhumations gratuites ont lieu dans ce que l’on nommait jadis la fosse commune, et dans ce que l’on appelle aujourd’hui la tranchée gratuite; ce n’est pas un simple euphémisme administratif comme on pourrait le croire, ce sont deux opérations absolument différentes. Autrefois l’insuffisance des terrains avait fait adopter une mesure dont souffrait l’hygiène publique, aussi bien que le respect dû aux morts. Les bières, entassées les unes par-dessus les autres et pressées côte à côte, formaient un vaste foyer d’infection que l’on recouvrait de 50 centimètres de terre environ; cette promiscuité de cadavres révoltait tous les cœurs, et les pauvres gens avaient quelque raison de dire : « On nous jette à la voirie comme des chiens. » Des achats de terrain successifs ont permis d’agrandir les cimetières, sinon de leur donner l’ampleur indispensable, et l’on a pu alors procéder avec plus d’humanité. Un règlement du 14 décembre 1850 a déterminé le mode des inhumations gratuites. Dans les longues tranchées ouvertes à 1m, 50 de profondeur, les cercueils sont placés à une distance de 20 centimètres les uns des autres, mesurés à la plus large saillie, c’est-à-dire aux épaules. Si chacun n’est pas absolument chez soi, comme dans le caveau des concessions perpétuelles ou dans la fosse des concessions temporaires, on est du moins à peu près isolé, et l’on peut être retrouvé avec certitude en cas d’exhumation ; l’on a au-dessus de sa dépouille une croix qui ne s’égare pas sur une autre, et le ci-gît n’est plus menteur comme au temps de la fosse commune. On comble la tranchée gratuite à mesure qu’elle reçoit sa sinistre pâture; lorsqu’elle est pleine, on la laisse reposer pendant cinq ans au moins : c’est le laps de temps que l’on juge nécessaire pour qu’un corps soit réduit à l’état inoffensif de squelette; puis on la retourne, on l’ouvre de nouveau, on la creuse dans les dimensions réglementaires, et elle recommence à être ce que les Grecs appelaient sarcophage, — la mangeuse de chairs. Les tranchées gratuites doivent être toujours prêtes, attendant la proie qui ne leur manque pas, car on a calculé que, sur 100 inhumations, 10 ont lieu dans les concessions perpétuelles, 27 dans les concessions temporaires, et 63 dans ce que la tradition du peuple nomme encore la fosse commune.

Paris a beau avoir de nouveaux cimetières à Ivry et à Saint-Ouen, il a beau s’être approprié ceux des communes qui jadis composaient sa banlieue, il croit toujours qu’il n’a que trois cimetières, l’Est, le Sud et le Nord; ces termes administratifs lui sont peu familiers, et n’éveillent aucun écho dans sa pensée; mais parlez-lui du Père-Lachaise, de Montmartre, de Montparnasse, il saura à quoi s’en tenir. Le Père-Lachaise surtout a grand renom, et il est aussi populaire aujourd’hui que le cimetière des Innocens le fut autrefois. Il domine notre ville, il a reçu nos grands hommes, il est ombragé par de vieux arbres magnifiques, il est un lieu de promenade et de pèlerinage; Paris en est fier et le montre avec orgueil aux étrangers. Ce cimetière n’a pas toujours eu les dimensions qu’on lui voit aujourd’hui : les premières acquisitions, faites par Frochot en l’an XI, comprenaient 17 hectares et avaient coûté 160,000 francs; les terrains, on le voit, étaient moins chers qu’à présent. A peine fut-il livré au public, le 21 mars 1804, qu’on sentit la nécessité de le rendre plus vaste, et la contenance en fut portée à 26 hectares 50; des agrandissemens faits en 1849 et en 1850 lui donnent aujourd’hui une superficie de 43 hectares 95 ares 56 centiares. C’est le plus grand cimetière de Paris. L’origine en est intéressante. Toute cette colline, autrefois couverte de vignes et de cultures, était une propriété de l’évêché de Paris, et s’appelait le Mont-l’Evêque. Un épicier enrichi en acheta une partie, et y fit construire en 1547 une maison de plaisance admirablement située pour découvrir Paris, et que l’on nomma la Folie-Regnault; une rue voisine en garde le souvenir. Les jésuites de la rue Saint-Antoine l’acquirent en 1615, et y établirent une « maison des champs » où ils allaient faire retraite à certaines époques de l’année. On dit que, le 2 juillet 1652, Louis XIV enfant assista d’une fenêtre de cette maison au combat dont Mademoiselle décida l’issue en faisant tirer le canon de la Bastille. La flatterie ne manqua pas une si belle occasion de s’affirmer, et de ce jour ce fut le Mont-Louis. En 1676, le roi en fit don au père Lachaise, son confesseur; la Folie-Regnault fut démolie et remplacée par une maison qui subsista jusqu’en 1820; celle-ci était assez laide et composée de deux étages de style commun surmontés d’un belvédère à trois fenêtres qui prenaient vue sur la ville. Elle occupait l’emplacement de la lourde chapelle centrale qui fut inaugurée en 1834[11]. Le nom du confesseur seul a subsisté, et Mont-Louis n’est plus connu. La partie ancienne du cimetière, c’est-à-dire celle qui est antérieure aux agrandissemens de 1849 et de 1850, est admirable. Il faut la voir au printemps, lorsque les arbres verdissans sont couverts d’oiseaux, que les primevères, les violettes, les ciguës, frissonnent aux premiers rayons du soleil ; c’est là une antithèse dont il est difficile de n’être pas frappé entre ces sépulcres recouvrant des êtres immobiles à toujours et cette nature insouciante qui verse la vie à pleins flots. Il y a surtout une sorte d’allée courte et large, assez ignorée des curieux, et qui forme le Bosquet-Delille, car dans cette ville des morts chaque boulevard, chaque rue, chaque ruelle, a son nom. Le tombeau du poète aveugle, lézardé par l’âge, dévoré de mousses qui lui font des taches joyeuses, regarde la sépulture de Talma; entre eux s’allonge une rangée de tombes timbrées de noms qui eurent leur minute de célébrité : des buissons, des arbres, enveloppent d’une verdure mouvante cet « endroit où l’on dort. » Nul bruit, c’est à peine si le murmure de la grande ville pénètre jusqu’à ces demeures silencieuses; cela est si calme, si doux, si profondément assoupi, que l’on répète involontairement le mot de Luther dans le cimetière de Worms : invideo quia quiescunt ! je les envie, parce qu’ils reposent.

Tout n’est point ainsi au Père-Lachaise. Le temps, qui sème les folles herbes à pleines mains, qui épaissit les feuillages, grandit les arbres, revêt les pierres de sa sombre patine, le temps seul fait les beaux cimetières : il leur donne je ne sais quel recueillement mystérieux dont l’âme la plus sceptique est atteinte, et qui saisit le voyageur d’une émotion profonde dans les champs des morts de Constantinople et de Scutari; mais, lorsqu’il n’a pas fait son œuvre, le cimetière apparaît dans sa laideur et dans son insupportable vanité. La partie nouvelle du Père-Lachaise, où les tombes emphatiques affectent toute sorte de formes prétentieuses et stériles, ressemble à une ville improvisée dont les habitans ne sont point encore arrivés. C’est déplaisant à voir. Tout est neuf, les monumens, les épitaphes, les grilles, les couronnes, les noms même que nul n’a entendu prononcer; on dirait les petits palais d’un peuple de parvenus qui ont cherché à se surpasser mutuellement. Eternité de l’amour de soi-même qui veut se prolonger au-delà du néant! Qui fait le plus d’efforts pour échapper à l’oubli ? Est-ce la gloire, est-ce la noblesse, est-ce l’argent? C’est l’argent. Trois monumens semblent au Père-Lachaise vouloir écraser les autres, tous les trois recouvrent les dépouilles d’hommes qui ont fait fortune dans l’industrie. Les curieux les regardent, et s’en vont ailleurs en quête de tombes plus humbles, mais qui sont restées populaires comme le nom de ceux qu’elles renferment.

Il en est pour les morts comme pour les vivans, la célébrité les abandonne et toute popularité s’en éloigne. Qui s’occupe aujourd’hui de la tombe du jeune Lallemand, tué le 3 juin 1820 dans une échauffourée de libéraux, comme l’on disait alors? Ce fut un lieu de pèlerinage pendant bien des années; les gardes du cimetière, les hommes de police, étaient sur les dents, et suffisaient à peine à la surveillance ordonnée : ils avaient beau ouvrir les yeux, ils ne parvenaient pas à empêcher les dévots à la politique d’opposition de tracer sur la pierre des inscriptions menaçantes. J’ai lu les rapports relatifs à cette affaire ; les agens intéressés perdent la tête, ils ne peuvent saisir les coupables sur le fait, et chaque jour « on sape le trône et l’autel. » Les inscriptions, j’en conviens, n’étaient point positivement bienveillantes : — « nous te vengerons, — mort au tyran, — tout Bourbon doit finir comme Capet, » — et celle-ci, qui avait exaspéré le conservateur du cimetière, et dont je renonce à pénétrer le sens : «puisque le Mexique est une terre fertile, il faut saigner les gendarmes. » Le tombeau de Manuel, dont la mort causa tant d’émotion, est visité encore avec quelque curiosité parce que Béranger y a été inhumé, non loin de Judith Lepère, sa Lisette, dont la pierre tumulaire fléchit déjà. On passe avec indifférence devant la statue du général Foy, on ne demande plus où est La Bédoyère, et si l’on rencontre un jardinet carré entouré d’une grille, planté de pensées et de violettes, sans qu’il y ait là un nom, un emblème, pour indiquer celui qui dort sous cette terre anonyme, on ne se doute guère que l’on est devant la sépulture de Michel Ney, duc d’Elchingen et prince de la Moskova. Les passions qui poussaient les foules vers les cimetières se sont éteintes et ont été remplacées par d’autres ; la politique n’est pas immuable, elle change souvent d’objets et de principes. La chute d’un gouvernement donne le repos à bien des tombes. Depuis la révolution de juillet, on ne pense plus à Lallemand; depuis la révolution de février, on ne pense plus à Godefroy Cavaignac ; depuis la révolution de septembre, on ne pense plus à Baudin.

Un tombeau, un seul attire toujours les curieux, c’est celui d’Héloïse et d’Abeilard; la grande construction gothique, la prétendue statue des deux amans, le petit parterre très bien entretenu par l’administration, sont entourés de gens réellement émus, qui ouvrent de grands yeux, se racontent la légende et déposent des fleurs. Les jeunes mariés y viennent et les amans aussi : se tenant par la main, ils font serment de s’aimer toujours, et la couronne qu’ils jettent au pied du mausolée est une oblation à ces deux victimes de l’amour sincère. Le tombeau est isolé du public par une grille, sage précaution, car la pierre disparaissait sous les noms inscrits au couteau. On sera peut-être forcé d’en faire autant pour la tombe de Rachel, qui est debout à l’entrée du cimetière exclusif réservé aux israélites. C’est une sorte de monument rappelant la baie des spéos égyptiens; les pieds-droits et le linteau de la porte, les parois extérieures, sont couverts d’inscriptions. Tous les admirateurs, tous les amoureux posthumes de celle qui galvanisa un moment la tragédie française, sont venus et ont voulu laisser trace de leur passage; ils se sont écrits, ils s’écrivent à la porte, comme l’on fait chez les malades. Bien plus, à travers les barreaux de fonte, j’ai aperçu au fond de la crypte un grand nombre de couronnes fraîchement déposées sur une sorte de tablette qui forme autel ; l’une de ces guirlandes en verroterie noire et blanche supportait une carte de visite cornée où j’ai lu le nom d’un homme connu dans le commerce parisien !

Il est encore au cimetière de l’Est une tombe qui excite un vif intérêt, c’est celle de la famille Lesurques; j’en ai été surpris, un garde-brigadier auquel je faisais part de mon étonnement m’a répondu un mot de haute portée : « c’est à cause du Courrier de Lyon. » Le corps de Lesurques n’a jamais été exhumé de Sainte-Catherine où il a été porté ; mais le tombeau élevé par sa famille dans ce que l’on nomme le quartier de l’Orangerie lui a été dédié : « à la mémoire de Joseph Lesurques, victime de la plus déplorable des erreurs humaines, 31 octobre 1796, sa veuve et ses enfans. » Sur le marbre blanc, bien des noms sont écrits au crayon; ils furent si nombreux pendant un moment et accompagnés de phrases si étranges que l’on s’en émut; on agita la question de savoir si cette sorte d’épitaphe commémorative d’un fait très douloureux, mais que la justice n’a pas encore reconnu, ne constituait pas une attaque directe à la chose jugée. Un rapport fut demandé à un haut fonctionnaire. Ce rapport, je le copie; il est bref et d’une brutalité administrative singulière. « La loi répond elle-même à la question qui m’est posée : ordonnance royale du 6 décembre 1843, titre III, article 6 : aucune inscription ne pourra être placée sur les pierres tumulaires ou monumens funèbres sans avoir été préalablement soumise à l’approbation du maire. — Code pénal, livre Ier art. 14 : les corps des suppliciés seront délivrés à leurs familles, si elles les réclament, à la charge par elles de les faire inhumer sans aucun appareil. — Il résulte de ces deux articles que l’inscription désignée ne peut subsister. » Elle subsiste cependant, et on a bien fait de ne point l’effacer. Si excellente que soit l’institution du jury, il est bon de lui rappeler parfois qu’elle peut n’être pas infaillible. Quelques tombeaux appartiennent à cette « architecture parlante » dont Ledoux fut l’apôtre fervent. Celui de Chappe est un amoncellement de rochers minuscules surmontés d’un télégraphe aérien ; une des ailes de celui-ci a été enlevée par un coup de vent; il serait convenable de la réparer. Une autre tombe « parlante » est celle d’un orateur de l’opposition qui eut du renom sous le règne de Louis-Philippe ; elle représente une tribune sur laquelle on a déposé une couronne d’immortelles ; le tout est en marbre blanc et ressemble à un fauteuil de bureau dont le « rond » s’est dérangé. Le sépulcre de Parmentier est charmant, d’un style un peu grêle, mais très fin. Je l’ai visité pendant une journée d’avril tiède et lumineuse, le printemps soulevait toute la nature, les bourgeons éclataient et les oiseaux étaient fous, une fourmilière s’était établie sous l’entablement et travaillait, abritée par la tombe de ce grand homme de bien; mais, puisque sur les parois funéraires on a sculpté des alambics, des seigles, des maïs, pourquoi n’a-t-on pas gravé le sphinx atropos, qui est un emblème de mort et qui a traversé les océans pour suivre la pomme de terre dont il se nourrit?

Au Père-Lachaise, comme à tous les autres cimetières, les Israélites ont un champ de sépulture, enclos de murailles, absolument isolé, précédé d’une salle où l’on fait les purifications prescrites et où tous les rites religieux peuvent être accomplis loin des yeux profanes; dans la mort comme dans la vie, les descendans d’Abraham ont tenu à rester un peuple à part. C’est seulement au Père-Lachaise que l’on trouve un cimetière musulman; sur la demande de l’ambassadeur de la Sublime-Porte, le préfet de la Seine prit un arrêté, en date du 29 novembre 1856, qui fixait l’ouverture au 1er janvier 1857. Ce lieu est triste, envahi par les herbes; une prétendue mosquée, qui n’est qu’une chambre d’ablutions, quelques stèles couronnées de turbans, rappellent seules que c’est un lieu funèbre. La pauvre reine d’Oude y repose sous ce climat froid qui l’a tuée: sa tombe, d’énorme dimension, est un quadrilatère aplati formé de dalles juxtaposées; mais dans les interstices la poussière s’est accumulée, les grains semés par le vent y ont pris racine, les herbes y poussent; l’invincible force de la végétation disjoint les pierres et disloque ce vaste sépulcre.

Le Père-Lachaise est réellement le cimetière de la population parisienne; il contient 29,371 concessions perpétuelles, et du 21 mars 1804 jusqu’au 1er janvier 1874 il a reçu 688,477 corps. Malgré son renom aristocratique, c’est le vrai pays de l’égalité; la mort ne demande pas le mot de passe, elle accueille tout le monde et donne à chacun sa place dans la nuit. Voilà, dans l’avenue centrale, le monument que l’on dresse aux généraux Lecomte et Clément Thomas; plus loin, vers la droite, voici la tranchée où 878 fédérés dorment d’un sommeil que ne troubleront plus ni le meurtre, ni l’incendie; soldats bleus ou rouges, héros du devoir ou fanatiques du pétrole, tous ont eu les six pieds de terre auxquels ils avaient droit. Qu’ils reposent en paix !

Le cimetière le plus important après le Père-Lachaise est celui du Nord, Montmartre, qu’on a longtemps appelé le Champ du repos. Il existait avant 1804 et fut utilisé par Frochot. Des agrandissemens nécessaires en ont augmenté la superficie en 1819, 1824, 1849, 1850 et lui ont donné une contenance de 19 hectares 47 ares 82 centiares. L’entrée en est hideuse, et il est impossible de comprendre que les différentes administrations qui se sont succédé à la préfecture de la Seine depuis soixante-dix ans n’aient pas donné un aspect convenable aux abords d’un cimetière où l’on compte 20,100 concessions perpétuelles et où, jusqu’au 1er janvier 1874, on a fait 382,937 inhumations. Jadis, au temps où bruissaient les Porcherons, il y avait là une sorte de ferme doublée d’un cabaret; les ouvriers venaient s’y amuser le dimanche. On n’était pas difficile alors sur les constructions de plaisance : on buvait du lait dans une masure, on buvait du vin dans une autre. Ces deux baraques existent encore : l’une sert de loge au concierge, l’autre est le bureau du conservateur. Ces deux chaumières, qui dépareraient le dernier village des Abruzzes, sont à jeter bas et à remplacer immédiatement. Le prix des concessions à perpétuité et des concessions temporaires est assez élevé pour que l’entrée d’un de nos grands cimetières, de celui qui dessert des arrondissemens payant de très lourdes contributions, ne ressemble pas à un cabaret de joueurs de quilles.

Autrefois, dès que l’on avait franchi la porte du cimetière, on trouvait à droite une sorte de précipice semblable à un petit cratère éteint et rempli d’une végétation magnifique; je me le rappelle très nettement, car je l’ai admiré maintes fois lorsque, tout enfant, j’allais visiter « mes pauvres morts, » comme disent les Italiens. Des cyprès énormes montaient au-dessus des mélèzes et des saules pâlissans; les tombes renversées gisaient sur le sol avec des attitudes désespérées; des clématites, des aubépines, des chèvrefeuilles, des rosiers qu’on n’avait jamais taillés, s’allongeaient sur les pierres disjointes; des ramiers roucoulaient sur les branches, des lézards couraient à travers les racines. La nature avait repris possession de ce coin abandonné et en avait fait une sorte de bosquet vierge mêlé à des ruines. Une concession perpétuelle dont on ne parvenait pas à retrouver le titulaire empêchait que l’on ne comblât ce ravin magnifique. Le propriétaire fut malheureusement découvert en Amérique; il autorisa l’exhumation qu’on lui demandait, et la ville redevint maîtresse de ce lieu charmant. Vers 1839 ou 1840, on déracina les arbres, dans le trou on versa quelques charretées de gravois, et maintenant c’est un terrain attristé de tombeaux uniformément laids et entourés de buis. Le cimetière est froid d’aspect, coupé par de grandes allées ombreuses; près de la croix, le tombeau de Godefroy Cavaignac montre l’admirable statue qui fut modelée par Rude et par Christophe; l’eau des pluies s’accumule dans les plis de la draperie en bronze, et les petits oiseaux y vont boire. Il y a là aussi, plus loin, au milieu d’un dédale de tombes, une autre statue couchée et si élevée sur le piédestal qu’il est difficile de la voir. On l’a inaugurée en grande pompe, et elle a entendu plus d’un discours. C’est là un mauvais reste de nos haines et un appel à des sentimens néfastes. Si l’oubli du mal et cette fraternité dont on a volontiers le mot à la bouche doivent être prêches, c’est sur les tombeaux. Les monumens expiatoires, les sépulcres commémoratifs ne sont bons qu’à raviver des souvenirs qu’il faut laisser éteindre. Dans nos temps troublés, quel est l’homme politique qui peut se glorifier de n’avoir jamais rêvé l’appel à la violence? Le culte des morts n’est sacré qu’à la condition de rester abstrait.

Après la grande bataille de mai 1871, l’on a porté au cimetière du nord 783 fédérés, qui ont été inhumés côte à côte, dans leurs vêtemens sanglans, au fond d’une tranchée longue de près de 100 mètres. La folle avoine a poussé sur leurs corps et a nivelé le terrain; mais un jour une vieille femme vint qui se mit à arracher les herbes, à préparer la terre et à planter quelques fleurs sur un coin de cette vaste fosse. Il semble qu’elle se soit donné une tâche à laquelle elle ne veut faillir. Chaque matin, elle arrive dès que les portes du cimetière sont ouvertes, et tout le jour elle est là, agenouillée, fouissant la terre et la rendant plus meuble; elle apporte des plantes dont quelques-unes sont rares et belles. Les gardes ne la dérangent jamais; elle s’entend au jardinage et y met une vive ardeur. Dans peu de temps, si elle continue, elle aura changé ce terrain désolé en une plate-bande ruisselante de fleurs. A-t-elle fait un vœu? est-elle payée pour cette rude besogne? Je me suis bien gardé de le demander.

Le cimetière du sud, Montparnasse, n’a été ouvert que le 25 juillet 1824 ; destiné d’abord aux hôpitaux, établi dans des terrains vagues que l’on nommait le champ d’asile, il fut agrandi en 1846, et contient actuellement 18 hectares 44 ares 53 centiares. On comprend bien difficilement que l’on ait eu l’idée d’établir un cimetière dans un endroit pareil, précisément au-dessus des catacombes. Ce terrain est un écumoir, il n’y a que des fontis; les arbres descendent tout seuls dans les carrières et parfois les tombes aussi; quelques-uns des monumens couvrant les 12,800 concessions perpétuelles qu’il renferme ont exigé de sérieux travaux pour s’appuyer sur des fondations solides[12] ; il n’en est pas moins très peuplé, et depuis l’inauguration a reçu 422,506 cercueils. C’est là que dort Dumont-d’Urville, sous une sorte de colonne dont la forme étrange évoque le souvenir des cultes phéniciens. Au sommet d’un tertre se dresse une colonnette brisée; la pierre, engravée d’inscriptions, usée par les couteaux, laisse à peine lire des noms et une date : Bories, Goubin, Pommiers, Raoulx, — 21 septembre 1822. Ce son les quatre sergens de La Rochelle, retrouvés après 1830 dans la partie du cimetière des hôpitaux réservée aux suppliciés. On leur a élevé ce tombeau, qui paraît entretenu encore avec quelque soin.

Sous un fouillis d’arbres, à côté de tombes nombreuses, on aperçoit une pierre, — une borne plate, — pas un nom, pas une date, pas un mot. Dans la nuit du 24 août 1847, à une heure et demie du matin, on apporta un cadavre mystérieux qui fut enterré là; nul ne l’avait suivi, si ce n’est un des plus hauts personnages du temps. Un prêtre récita les prières, à la clarté douteuse des lanternes, et donna l’absoute à ce corps, dont les gardiens mêmes ignoraient le nom. On combla la fosse et l’on refoula la terre sur celui que l’on eût qualifié jadis de très haut et très puissant seigneur, mais qui n’était en réalité qu’un criminel vulgaire et maladroit : le duc de Choiseul-Praslin. Cette tombe inspire grande pitié; elle est plus qu’abandonnée, elle est maudite, il n’y pousse même pas les vertes herbes que je vois sur les immenses tranchées où l’on a enfoui 1,634 fédérés après la défaite de la commune par l’armée française.

Nos cimetières sont tranquilles et respectés. Des gardiens, qui sont tous d’anciens militaires, s’y promènent jour et nuit, surveillent les promeneurs et savent bien voir. A peine, par-ci par-là, signale-t-on quelque vol de couronnes, et souvent celles-ci sont enlevées par de pauvres gens qui veulent honorer la tombe de leur enfant, de leur femme, et qui n’ont pas de quoi acheter ce que leur langage prétentieux appelle « un emblème de douleur. » Cependant, il y a vingt-six ans, tous les cimetières de Paris furent en rumeur, et les gardes armés faisaient des rondes nocturnes pour saisir un être insaisissable que l’on n’apercevait jamais, mais dont le passage laissait des traces aussi épouvantables qu’extraordinaires. Des sépultures étaient violées, et des cadavres étrangement lacérés gisaient au milieu des avenues. Des faits que l’on ne peut raconter firent reculer d’horreur les gardes du cimetière du Sud dans les matinées du 16 novembre et du 12 décembre 1848. Les bruits les plus invraisemblables se répandaient dans Paris; la légende grossissait: les cimetières étaient visités par un vampire invisible qui déterrait les morts et les mangeait. On avait beau redoubler de vigilance, renforcer les gardiens par des agens de police, lâcher des chiens formidables, les hommes n’apercevaient personne, les chiens n’aboyaient pas ; cependant un matin on trouva onze corps exhumés, dépecés, répandus par morceaux sur une large surface, et jusque parmi les branches des arbres. Ces monstruosités semblaient s’être concentrées dans le cimetière Montparnasse. On y prépara une façon de machine infernale composée d’un petit mortier chargé de toute sorte de projectiles, et à la détente duquel aboutissaient de nombreux fils de fer, tendus vers plusieurs directions. Dans la nuit du 15 au 16 mars 1849, la machine fit explosion, et l’on apprit que le lendemain un sergent-major d’infanterie, nommé François Bertrand, était entré à l’hôpital du Val-de-Grâce pour se faire soigner de blessures singulières qu’il avait reçues dans la région dorsale ; c’était le vampire.

Il eût dû répondre à un tribunal d’aliénistes, et il comparut devant un conseil de guerre le 10 juillet 1849. C’était un fort bon sujet, très doux, excellent soldat, ayant fait de suffisantes études dans un séminaire. Loin d’essayer de nier, il avoua avec une franchise et une humilité très sincères. Lorsque « sa frénésie » le prenait, il s’échappait de la caserne, sautait d’un bond par-dessus les murs du cimetière; il savait qu’on avait installé une machine infernale; il y courait et « la démantibulait d’un coup de pied, » les chiens s’élançaient vers lui, il marchait contre eux, et les chiens se sauvaient. Il parvenait à cette inexplicable puissance surhumaine qui n’est pas très rare dans certains cas d’affection nervoso-mentale. Sa force dépassait tout ce que l’on peut imaginer : à l’aide de ses seules mains, il enlevait la terre qui recouvrait le cercueil, brisait celui-ci et déchirait le cadavre, qu’il hachait aussi quelquefois à coups de sabre. Était-ce tout? Non, mais il est des atrocités que l’on doit se refuser à écrire. Ce possédé se sauvait ensuite des lieux de repos qu’il avait souillés, puis se couchait n’importe où, — dans un fossé, au bord d’une rivière, sous la neige, sous la pluie, — et dormait d’un sommeil cataleptique qui lui permettait de percevoir tout ce qui se faisait autour de lui. A la suite de ces accès, il se sentait « brisé et comme moulu pendant plusieurs jours. » C’était un monomane emporté par des impulsions irrésistibles et fort probablement atteint d’épilepsie larvée. Il fut condamné à un an d’emprisonnement, maximum de la peine édictée par l’article 360 du code pénal. Cet homme vit toujours; il est guéri, et c’est un modèle de bonne conduite.

Ce n’était pas, on le pense bien, aux concessions perpétuelles qu’il s’adressait, car elles sont enveloppées de monumens en pierre qu’il n’aurait pu desceller malgré la vigueur morbide dont il était animé; son aberration ne lui ôtait pas toute lucidité d’esprit, et il allait fouir les concessions temporaires ou les inhumations gratuites. Celles-ci en effet sont couvertes par une terre si souvent remuée qu’il est relativement facile de les atteindre. Le lieu qui leur est réservé est d’un aspect étrange; les immenses terrains séparés par de petites barrières en bois, piqués de croix noires, disparaissent sous la masse des emblèmes funèbres qui les couvrent. Quoique nul bruit ne s’y agite, cela donne l’idée d’une foule énorme dont tous les individus seraient enfermés dans un cachot cellulaire. Là on voit bien la puissance de la mort, et l’on comprend que sa force de production est incessante. On entend tinter une cloche, c’est le signal qu’un mort vient prendre possession de sa demeure; le corbillard, longeant les avenues, s’approche le plus près possible du terrain désigné; le corps est descendu, porté jusqu’au bord de la tranchée et remis aux fossoyeurs; l’aumônier des dernières prières, dont l’institution démocratique et généreuse remonte au 21 mars 1852, vient réciter les paroles consacrées et jeter l’eau bénite; les assistans, le chapeau à la main, très recueillis, s’associent à la cérémonie lugubre; les femmes, qui depuis quelques années suivent les convois, surtout dans les classes populaires, restent à l’écart, pleurant et tenant des couronnes d’immortelles. La première pelletée de terre jetée par le prêtre retentit sur le cercueil sonore; la fosse est comblée, et chacun s’éloigne.

Le prêtre n’apparaît pas toujours aux inhumations, et, pour éviter tout scandale, il est bien recommandé aux aumôniers des dernières prières de ne venir que s’ils sont appelés. Quelques-uns, mus par un zèle trop ardent, se sont trouvés en présence de « libres penseurs, » et des paroles regrettables ont été échangées. On fait quelque bruit, depuis un an ou deux, autour de ces enterremens où la libre pensée s’affirme par un appel au néant. Ce mode de manifestation politique n’aura d’autre importance que celle qu’on lui accordera; il prendra fin tout naturellement, si on n’y fait pas attention. Il ne date pas d’hier : déjà à la fin du second empire on croyait faire acte d’opposition au gouvernement en éloignant le prêtre des abords d’une tombe; déjà cela s’appelait « un enterrement civil. » On prononçait de violens discours, et, comme d’ordinaire les assistans avaient fait de copieuses libations, la parole trahissait la pensée des orateurs. Les enterremens exclusivement civils sont aujourd’hui dans la proportion de 4 à 5 pour 100, ce qui ne semble pas excessif lorsque l’on se rappelle la propagande qui a été entreprise à cet égard. Quel emblème place-t-on sur la tombe d’un libre penseur pour la reconnaître? Invariablement une croix. On tente parfois de se rabattre sur l’épitaphe et d’en faire une déclaration de principes; mais cela n’est pas facile. L’ordonnance de 1843 est péremptoire, toute inscription est soumise au visa de l’autorité municipale. Au premier abord, cela paraît intempestif, et l’on estime que chacun a le droit d’honorer à sa guise la mémoire des morts. C’est là une opinion dont on revient promptement lorsque l’on a entre les mains la copie des épitaphes refusées. Il est impossible de se figurer un tel ramassis de niaiseries et de sottises. Je laisse de côté celles qui cachent un sens répréhensible au point de vue de la morale; à ne s’occuper que des phrases qui donneraient à rire, que doit-on penser de ceci : « ici repose le deuil de la couronne de Henri IV et le deuil de la couronne de Louis XVIII; gloire au vieux soldat et au jeune. » — « Elle aurait donné pour son mari ce que le pélican donne à ses petits. » — « X, décédé à l’âge de trois mois; sa vie ne fut qu’abnégation et sacrifice. » C’est à l’infini que je pourrais multiplier de telles citations. De braves gens mus par un sentiment sérieux ne se doutent pas qu’ils font une chose ridicule en voulant écrire sur la tombe d’un homme âgé de soixante-quatorze ans : « Le ciel compte un ange de plus !» On a grand’peine à leur faire comprendre que leur intérêt même exige qu’on ne se moque pas de l’expression de leurs regrets; ils maugréent et accusent l’autorité de despotisme.

Les épitaphes qui sont tant soit peu singulières excitent une curiosité excessive. Dans un de nos trois grands cimetières, sur une tombe fort modeste, on a gravé une inscription qui relate un fait pathologique rare, mais non point sans exemple. Lorsque la foule envahit les cimetières au jour des trépassés, on est obligé de placer des agens près de ce tombeau, parce qu’il est tellement environné de curieux que les sépultures mitoyennes ont à en souffrir ; on se presse, on s’entasse pour mieux voir, et, sans y prendre garde, on brise les grilles ou les clôtures voisines. Les inscriptions qu’on lit sur les dalles tumulaires sont bien peu variées et le plus souvent d’une vulgarité désespérante. Il y a longtemps que l’on a dit : menteur comme une épitaphe. Regrets éternels, éloges de toute vertu, espérance de bientôt se rejoindre, on tourne toujours dans le même cercle de phrases toutes faites et de sentimentalités banales. Chez les gens d’éducation médiocre, l’épitaphe n’est plus l’expression de regrets éprouvés; elle semble n’être qu’un acte de politesse pour les survivans. On tâche de n’oublier personne afin de ne point faire de mécontens : « regretté de son père, de sa mère, de sa tante Ursule, de sa cousine Anna, des amis et de toutes les connaissances en général de sa famille; » on peut lire cela sur le tombeau d’un enfant, dans un des cimetières de notre ancienne banlieue. Cela semble de rigueur dans un certain monde et se renouvelle à chaque tombeau, surtout aux tranchées gratuites et aux concessions temporaires. Cette vieille rhétorique funéraire est bien entrée dans nos mœurs, et elle y régnera longtemps encore. Un nom, une date, pourraient suffire; des hommes de génie s’en sont contentés, Cuvier entre autres. L’épitaphe remarquable est ce qu’il y a de plus rare; l’antiquité, qui excellait à enfermer une pensée gracieuse dans une forme exquise, ne nous en a légué que deux dignes d’échapper à l’oubli, et toutes deux rappellent des danseuses. L’une vient de Grèce : « O terre, sois-lui légère, elle a si peu pesé sur toi ! » L’autre est du Latium : Saltavit biduo, et placuit ; elle dansa deux jours et plut! — Parmi toutes celles que j’ai lues dans nos cimetières, laquelle pourrais-je citer? Celle de Boufflers peut-être : « mes amis, croyez que je dors. » Au temps de mes voyages, j’ai trouvé dans le champ des morts d’une ville de la Cœlé-Syrie le tombeau d’un homme qui était né sur les bords du Gange; j’ai relevé l’inscription déroulée sur le cippe funéraire, la voici : « soumise à la vieillesse et aux chagrins, affligée par les maladies, en proie aux souffrances de toute nature, unie à la passion, destinée à périr, que cette demeure humaine soit abandonnée avec joie. » C’est un verset des lois de Manou.


IV. — MÉRY-SUR-OISE.

Tous les cimetières contenus dans l’enceinte de Paris sont actuellement fermés, c’est-à-dire que l’on n’y permet plus les inhumations que dans les concessions perpétuelles; les concessions temporaires et les tranchées gratuites sont closes; les morts ont saturé la terre, et la place manque pour en recevoir de nouveaux; on n’en sera pas surpris, si l’on se rappelle que le Père-Lachaise, Montparnasse et Montmartre ont seuls reçu 1,493,920 morts depuis qu’on les a ouverts. L’hygiène publique aussi bien que le respect dû aux trépassés ne s’accommode guère d’un tel entassement; par cette accumulation de matières en décomposition, nous avons jeté un défi à la peste; c’est miracle qu’elle n’y ait point répondu. Pour faire face à des exigences que chaque jour renouvelle et rend plus poignantes, la ville a été obligée d’établir deux nouveaux cimetières hors de Paris, l’un à Ivry, l’autre à Montmartre-Saint-Ouen. Le premier, situé en face de Bicêtre, qui le regarde du haut de sa laide colline, a été ouvert le 1er janvier 1874; il longe la route de Choisy, déjà bordée de petites maisons où s’installent les marbriers, les fabricans de croix et les marchands de couronnes. Le pays qui l’entoure est désolé et sent fort mauvais; des fabriques de colle animale, de chandelles, de poudrette, le dominent aux quatre points cardinaux; de quelque côté que souffle le vent, il est empesté. Près de là verdoient les cyprès de l’ancien cimetière d’Ivry et se dressent les clôtures en planches qui environnent le Champ-des-Navets. Ce cimetière a une étendue qui atteint presque 14 hectares : dans trois ans, il sera épuisé, et il faudra le fermer. Au milieu bâille une vaste excavation qui est une carrière; on en tire des moellons pour construire l’enceinte, dont la solidité apparente n’a rien de rassurant. Le terrain sablonneux est propice aux inhumations, mais il est mêlé à de gros silex qui sonnent sinistrement sur les bières. Pourquoi M. le directeur des travaux de Paris, qui a charge d’aménager la surface des cimetières et d’y ordonner les plantations, ne fait-il pas enlever ces cailloux? Il pourrait s’en servir avantageusement pour réparer le macadam de nos grandes voies publiques, qui, en tant d’endroits, est singulièrement défectueux.

Le cimetière de Saint-Ouen, que les gens du métier ont surnommé Cayenne, est un peu plus grand qu’Ivry : 14 hectares 1/2 ; il fonctionne depuis le 1er septembre 1872, et l’on calcule qu’il pourra durer encore trois ans. Il est, lui aussi, placé à côté d’un vieux cimetière devenu insuffisant; on y arrive par la route départementale N° 20, qui prend naissance à la porte de Clignancourt. Tout ce large chemin est embarrassé des deux côtés par des constructions en bois, en pisé, en feuilles de zinc provenant des démolitions, — embryon d’un village qui se fonde, — cabarets, tonnelles, jeux de boules, jeux de siam, jeux de quilles, balançoires. C’est d’une gaîté étourdissante; les gens qui se rassemblent là sont bien vivans et ne se dérangent guère lorsque passent les corbillards; peut-être, en temps d’épidémie, feraient-ils comme ces ouvriers dont parle Chateaubriand et qui en 1832, assis aux barrières, regardant défiler les convois, levaient leur verre plein et s’écriaient : « A ta santé, Morbus ! » Un peu plus haut que ces masures à ivresse, le cimetière étale ses tombes nouvelles ; elles se pressent, elles dévorent l’emplacement, et bientôt il faudra laisser reposer la terre. Saint-Ouen, Ivry, les 28 hectares qu’ils représentent, ce n’est que de l’empirisme qui coûte fort cher, ne remédie à rien et ne touche même pas au problème. En réalité, Paris n’a pas de cimetière ; ceux où il a versé ses morts depuis soixante ans ne sont plus qu’une cause d’insalubrité. On a acheté les terrains d’Ivry et de Saint-Ouen pour inhumer les corps, mais surtout pour gagner du temps, pouvoir raisonner à loisir sur un parti à prendre et qui aurait dû être pris depuis plusieurs années, car le péril ne date pas d’aujourd’hui.

Il faut d’abord faire remarquer que, d’après le décret de prairial, il est rigoureusement interdit d’établir un cimetière dans l’intérieur des villes; or Paris en renferme quatorze[13]; je sais que la loi d’annexion a réservé la question, mais tout commande de la résoudre au plus tôt. La totalité de la superficie des champs de sépulture réservés exclusivement à Paris est d’un peu moins de 140 hectares. Dans cette étendue, l’on a donné aux tombes tout l’espace qu’on pouvait leur accorder, on a même été forcé de ne plus tenir compte des règlemens et d’envahir les avenues. En effet, pendant la période d’investissement, la mortalité s’étant accrue dans des proportions extraordinaires, il n’était pas possible d’aller chercher un nouvel asile pour les morts au-delà des fortifications; faute de mieux, on a pris les allées : dans plus d’un cimetière, les sépultures se sont étendues jusque sur les chemins. En retirant de ces 140 hectares ce qui est occupé par les bâtimens d’administration, les routes indispensables, les concessions perpétuelles, les concessions temporaires, les tranchées gratuites, qu’on ne peut rouvrir sans danger, on s’aperçoit avec stupeur que l’on reste en présence d’une superficie disponible équivalant à 34 hectares 1/2. Or, pour satisfaire aux besoins normaux de Paris pendant sept ans et en admettant qu’aucune cause fortuite ne vienne modifier la moyenne de notre mortalité ordinaire, si l’on veut supprimer l’insupportable fosse commune et accorder une durée double aux concessions temporaires, il faut 143 hectares au moins; mais en réalité il en faudrait 170, car on doit toujours se mettre en mesure de parer à des éventualités possibles, et encore n’aurait-on aucun emplacement réservé pour les concessions perpétuelles, dont les exigences représentent 1 hectare par année. Il nous manque donc quatre fois ce que nous avons. Si l’on n’avise pas, il sera nécessaire de rendre aux sépultures banales des terrains saturés outre mesure, et qui vont bientôt rappeler les Innocens.

On demande à la terre un travail qu’elle ne peut fournir : on veut que les tranchées gratuites, — où 20 centimètres seulement séparent les bières, — dévorent une énorme masse de corps en cinq ans. Cela est normal pour la première période; pour la seconde, c’est déjà difficile ; à la troisième, c’est impossible : la terre, repue de matières animales, refuse de faire son œuvre. Lorsqu’une fosse commune est retournée pour la troisième fois, on est presque certain d’y retrouver les corps entiers : ils se sont saponifiés. En 1851, on fit des fouilles dans la partie du cimetière du Sud abandonnée aux hôpitaux; les fosses, qui avaient 7 mètres de profondeur, renfermaient des corps superposés ; les cadavres des couches supérieures étaient des squelettes, ceux des couches inférieures étaient conservés : Thouret avait constaté le même fait lors de la translation des restes recueillis aux Innocens. Le vent passant sur ces terres imprégnées de gaz méphitiques ne nous apporte pas précisément la santé. Rien n’est plus redoutable que les exhalaisons qui parfois s’échappent des tombeaux. Le 27 septembre 1852, trois fossoyeurs faisant une exhumation et n’ayant, selon l’usage invariable des ouvriers, pris aucune précaution, crèvent d’un coup de pioche un caveau voisin et tombent morts foudroyés. Si l’air que nous respirons nous arrive chargé de miasmes impurs, que dirai-je de la nappe d’eau souterraine qui alimente bien des puits encore et se mêle à la Seine? La pluie qui tombe sur la surface des cimetières pénètre le sol, rencontre les corps, aide à la désagrégation, se charge de molécules méphitiques, glisse sur les couches d’argile ou de marne et va empoisonner les puits. Parfois même elle se fraie une route invisible et aboutit subitement au jour. C’est une source. On y goûte; elle a une saveur singulière qui rappelle le soufre; si on l’analyse, on y rencontre le sulfure de calcium, invariablement produit par la décomposition des matières organiques. Il y en a plus de dix à Paris qui proviennent tout simplement de l’écoulement des eaux pluviales filtrées à travers les cimetières. Une de ces sources est exploitée; j’en lis le prospectus : « eau suif hydratée, hydrosulfurique calcaire. » Elle guérit toute sorte de maladies; à deux sous le verre, on peut aller boire cette putréfaction liquide : c’est pour rien.

Le moyen le plus simple de remédier à tous ces inconvéniens, à l’entassement irrespectueux des corps, à l’air vicié, à l’eau putride, ce serait de retourner aux usages des Romains de l’antiquité et d’élever des bûchers au lieu de creuser des fosses. On a entrepris une longue campagne en faveur de la crémation, elle a échoué devant l’indifférence publique et la résistance de beaucoup de fonctionnaires. On a fait des tentatives individuelles qui n’ont point été heureuses. Le 31 mai 1857, une personne demanda l’autorisation d’exhumer le corps de son père, mort depuis neuf ans, et de l’incinérer, il lui fut répondu que la loi de prairial s’opposait à ce que l’on condescendît à son désir. L’idée est dans l’air cependant, elle finira par se formuler d’une façon pratique. L’Autriche, dit-on, ne refuse pas d’y accéder, et la Suisse la préconise. Il ne s’agit pas d’imposer la crémation, il suffira de la laisser facultative. L’église s’y oppose, et ne s’appuie cependant sur aucun décret ecclésiastique; nul texte en effet n’interdit l’incinération des corps, — et in pulverem reverteris, disent les livres saints. Elle obéit sans doute à la tradition de ses propres origines. Les premiers chrétiens furent des Juifs convertis par les apôtres et des Grecs convertis par saint Paul. Or les Grecs ne brûlaient les cadavres qu’en temps de peste ou après les batailles, et la vallée de Josaphat nous prouve que les Hébreux enterraient leurs morts. L’église a respecté et consacré par l’usage les coutumes de ses premiers enfans, coutumes auxquelles ceux-ci devaient d’autant plus tenir qu’elles étaient en contradiction avec celles des Romains, qui les ont si durement persécutés, — et puis saint Paul a dit que nos corps sont les membres de Jésus-Christ et les temples saints de l’esprit de Dieu. Cela fait comprendre l’opposition de l’église, comme les nécessités des investigations pour faits criminels expliquent celle de la magistrature. Ce serait cependant un mode de disparaître supérieur à celui qui nous est imposé. Il vaut mieux s’en aller en fumée, devenir un peu de cendres, que de finir par être cette chose sans nom que la science elle-même ne sait comment désigner.

Puisque l’incinération est interdite, et que nos cimetières gorgés, trop étroits, mal situés, en contradiction flagrante avec la loi, sont insuffisans, il faut courir au plus pressé et se débarrasser de nos morts, qui vont être un danger public, si l’on ne se hâte pas de leur créer la nécropole dont nous avons besoin. Si, au commencement du siècle, des moyens de transport et de locomotion imparfaits ont contraint l’administration municipale à ouvrir les cimetières à la porte même de Paris, il n’en est plus ainsi de nos jours : un chemin de fer fait dix lieues pendant qu’un corbillard franchit la distance qui sépare la Madeleine de Saint-Ouen. En outre Paris n’a pas de territoire, il ne possède que lui-même; les terrains qui l’entourent sont, pour la plupart, couverts de maisons de campagne et ont une valeur excessive. C’est donc au loin et à l’aide d’un railway qu’il faut aller chercher notre cimetière futur. Cette idée a déjà été émise ; elle a fait du bruit en son temps ; M. Haussmann avait voulu la mettre à exécution, mais les modifications survenues dans le gouvernement l’empêchèrent de suivre son projet jusqu’au bout, et les administrateurs qui ont passé à la préfecture de la Seine ont été empêchés de le reprendre par suite des circonstances douloureuses que l’on sait. La résistance soulevée par la translation de nos cimetières fut sans mesure et dépassa le but. C’était une arme d’opposition; chacun s’en empara. Sur cette question, où il est si facile de faire de la sentimentalité, on cria au sacrilège, et sous prétexte de respecter les morts on se souciait fort peu du salut des vivans. La politique saisit l’occasion avec empressement, et beaucoup de provinciaux dont les parens étaient inhumés dans les départemens déclarèrent solennellement qu’en touchant au Père-Lachaise, à Montparnasse et à Montmartre, on allait violer la sépulture de leurs familles. L’ancien préfet de la Seine avait conçu un projet grandiose. Il voulait doter Paris d’un champ de sépulture très vaste placé parmi des terres sablonneuses propres au rapide anéantissement des corps, exposé au vent du nord, qui est celui dont nous recevons le moins les atteintes; la ville aurait été reliée à sa nécropole par un chemin de fer spécial qui, pour ne point déranger les habitudes de notre population, aurait eu trois gares, une dans chacun de nos trois grands cimetières. La tranchée gratuite, la fosse commune, — cette horreur du pauvre, — était supprimée à jamais. Au lieu de ces inhumations dont 20 centimètres de terre ne dissimulent qu’imparfaitement l’humiliante promiscuité, il donnait à chacun sa sépulture individuelle, semblable à celles que l’on trouve aujourd’hui dans les concessions temporaires, et il ne la reprenait qu’au bout de trente ans. Pour bien des gens, c’était la perpétuité. Il vendait aux riches, à beaux deniers comptans, autant de mètres de terrain qu’ils en auraient voulu pour dresser des mausolées; aux pauvres, il accordait gratuitement la place fixe, déterminée, nominative, qui constitue l’authenticité du tombeau. Vraiment un tel projet ne méritait pas tant d’anathèmes. Après des études approfondies et très sérieusement conduites par un ingénieur tel que M. Belgrand, il fit des acquisitions près de la vallée de Montmorency au territoire de Méry-sur-Oise, et la ville possède maintenant sur ce plateau exceptionnellement bien situé 514 hectares de terrain.

Que va-t-on faire ? La mort sans répit nous pousse à prendre une détermination définitive. Le provisoire actuel est ruineux : on a acheté des champs à Ivry, des champs à Saint-Ouen, on sait quand ils seront saturés; en prévision de nécessités inéluctables, dans la crainte que le projet de la grande nécropole centrale de Méry-sur-Oise soit abandonné, on a fait des études sur différens points pour y établir encore des cimetières transitoires. Ce serait aggraver le mal au lieu de le détruire, ce serait reculer la solution d’un problème qui s’impose comme un devoir aux soucis de l’administration. Il y aurait une généreuse hardiesse à exécuter le plan de M. Haussmann, et à doter notre futur cimetière de l’ampleur suffisante aux besoins d’une population qui tend toujours à s’accroître, et qui dépassera 3 millions d’habitans lorsque les espaces vides subsistans entre nos anciens boulevards extérieurs et les fortifications seront bâtis. De travaux exécutés par des géomètres, de calculs faits par des gens compétens, il résulte que, pour ne point léguer à l’avenir les difficultés qui nous assaillent, la nécropole unique d’une ville comme Paris doit couvrir 827 hectares, dont 277 absorbés par les constructions administratives et religieuses, par les avenues, par la gare d’arrivée, et 550 réservés aux sépultures. En se conformant au projet originel et en ne faisant les reprises des terrains employés qu’au bout de trente années, la durée du cimetière serait de cent quarante et un ans; elle serait au contraire de quatre siècles, si les tombes étaient rouvertes au bout de dix ans. Pour parvenir à ce résultat, qui fonderait une ville des morts en proportion avec notre ville des vivans, il manque 313 hectares; il est facile de les acheter. En se mettant à l’œuvre aujourd’hui même, il faudra au moins trois ans pour approprier les terrains de Méry-sur-Oise, y établir les bâtimens, les plantations indispensables, construire le chemin de fer, et nous savons que dans trois ans nos cimetières ne pourront recevoir un mort de plus.

Le trajet de Paris à Méry-sur-Oise ne durera pas une heure, et l’administration devra décider si elle fera elle-même un chemin de fer rigoureusement réservé aux convois funèbres, ou si elle aura avantage à prendre des arrangemens avec une compagnie déjà existante. On ira plus loin qu’aujourd’hui, mais les déplacemens seront moins longs, et les « services » gratuits seront gratuitement transportés. La population finira par s’accoutumer à ce déplacement, que la force des choses rend nécessaire; le texte de la loi, la salubrité de Paris, le respect des morts, l’exigent; toute autre mesure ne serait qu’un expédient. Cependant il est bon de prévoir une difficulté et d’aviser aux moyens de la vaincre. Comment transportera-t-on à 22 kilomètres de Paris et ramènera-t-on ici dans la même journée la foule qui visite pieusement nos cimetières? Les diverses administrations de nos voies ferrées nous ont souvent accoutumés à des tours de force, et nous ne devons pas douter qu’en cette circonstance elles ne satisfassent à l’une des coutumes les plus respectables et les plus touchantes de la population. Celle-ci aime ses morts et va les voir; si elle ne trouve pas toute facilité à cet égard, elle sera mécontente, et aura raison de l’être. On a fait des relevés très instructifs. Du 1er au 7 décembre 1873, on a compté le nombre des convois et des individus qui sont entrés dans les cimetières parisiens : 752 convois escortés par 21,418 personnes en ont franchi les portes, et 46,617 visiteurs isolés sont venus près de la tombe de ceux qu’ils ont perdus. Les cinq premiers jours ont été brumeux, le lundi cependant accuse 6,837 visiteurs; le temps se met au beau le samedi, se maintient le dimanche, et ce dernier jour donne un total de 24,320. Il faut compter qu’en moyenne le nombre des visiteurs quotidiens est de 8,964 en hiver et de 11,245 en été; mais cette moyenne est dépassée dans d’énormes proportions à certaines époques solennelles : à la fête de la Toussaint par exemple, et au jour des Trépassés qui la suit. Dans la même année 1873, il plut pendant ces deux journées, et le chiffre des personnes qui visitèrent les morts de nos cimetières a dépassé 370,000. Le danger d’un tel encombrement d’individus s’entassant dans une gare à la même heure, voulant tous partir par le même train, a de quoi effrayer les employés les plus actifs ; ce danger ne se produira pas immédiatement, car le nombre des visiteurs est en rapport avec celui des morts enclos dans les cimetières, et Méry-sur-Oise ne « se peuplera » que lentement ; mais le meilleur moyen de n’être pas pris au dépourvu en présence d’une telle foule possible, c’est de savoir dès à présent comment on pourra lui faire place dans les wagons, la conduire jusqu’à la nécropole et l’en ramener.

Ce respect pour les morts, cette sorte de culte que l’on rend à leur mémoire est un des caractères distinctifs du peuple de Paris. Coutume léguée par l’antiquité, croyance religieuse, souvenir de tendresse pour des êtres chéris, tout cela sans doute se réunit pour former ce sentiment qu’il est impossible de ne pas remarquer lorsque l’on parcourt nos cimetières, où les tombes délaissées sont si rares qu’on pourrait les compter. On dirait que la mort n’est pas comprise, et que nul ne veut admettre l’idée de l’anéantissement matériel. On veut plaire à un mort, comme l’on plairait à un vivant. Cela apparaît surtout très nettement dans les cimetières où il existe un point de vue, au Père-Lachaise par exemple, dont certaines parties découvrent la ceinture de collines qui entourent Paris. Là, les sépultures, ornées de petites terrasses, sont disposées de telle sorte que, si le mort se levait tout à coup du fond de son tombeau, il verrait un paysage magnifique se dérouler sous ses yeux. Ce n’est pas l’effet du hasard : souvent l’architecte a été forcé à des combinaisons singulières pour donner au monument l’orientation voulue. On place sur les tombes les fleurs que les morts ont aimées, comme si le parfum pouvait en descendre jusqu’à eux. Un jour, — il y a longtemps, — au cimetière Montmartre, j’ai été très ému, A quelque distance d’une tombe que j’allais visiter, j’aperçus une jeune femme agenouillée, les deux mains posées sur une dalle sépulcrale et la tête appuyée sur les mains. Elle chantait d’une voix très pure et mouillée de larmes l’air de la Casta diva. Je m’arrêtai, croyant être en présence d’une folle et ne devinant guère ce qu’une invocation à la lune signifiait en pareil lieu. La femme se releva, essuya ses paupières, m’aperçut et comprit sans doute mon étonnement à l’expression de mon visage ; alors elle me montra d’un signe de tête la tombe où elle s’était inclinée, me dit : « C’est maman ; elle aimait cet air-là, » et s’éloigna en sanglotant.

Les familles propriétaires de concessions à perpétuité et même de concessions temporaires prennent « un abonnement » chez un marbrier qui, moyennant une somme fixe, fait « entretenir » la sépulture par un jardinier. Les pauvres gens, — ceux de la tranchée gratuite, —ne peuvent se passer un tel luxe, et ils soignent eux-mêmes les quelques pieds de terrain entouré d’une barrière où dorment leurs morts. Ils viennent le dimanche, apportant des fleurs achetées à bas prix, tenant en main un petit arrosoir rempli à la borne-fontaine, et ils restent des heures entières à cultiver le jardinet funèbre. Parfois, au pied de la croix de bois, ils mettent des choses étranges : des statuettes de plâtre qui n’ont aucune signification allégorique, de gros coquillages, des fragmens de pierres meulières qui figurent un rocher factice; dirai-je que j’ai vu une pipe enveloppée dans un bouquet d’immortelles? C’est aux tombes des enfans qu’il faut aller regarder surtout; là c’est du fétichisme. Auprès du héros scandinave, on enterrait son cheval et ses armes, afin qu’il pût faire bonne figure en entrant chez Odin; dans le sarcophage des jeunes filles grecques, on jetait leurs bijoux favoris; ces vieilles coutumes des peuples encore jeunes ont traversé les âges, les religions, les philosophies, et sont restées parmi nous. A la place où repose la tête du pauvre petit, on a installé une cage vitrée qui se ferme à clé. Dans cette sorte d’armoire, on réunit les joujoux qu’il aimait : des soldats en plomb, des poupées, des bilboquets, un jeu de quilles, des petits souliers comme celui que la Sachette baisait dans le trou aux rats. Sur la tombe d’un enfant de quatorze mois au cimetière du Sud, j’ai aperçu une gravure de modes représentant deux femmes et une fillette jouant avec un perroquet; sans doute on en amusait l’enfant lorsque la maladie l’accablait dans son berceau. Il est facile de lever les épaules en passant devant ces témoignages de douleur, devant ces offrandes destinées à apaiser des mânes ou à les réjouir, mais il est plus facile encore de comprendre le sentiment profond qui parfois a si étrangement orné toutes ces tombes, et d’en être attendri.

C’est là une contradiction très singulière chez la population parisienne. S’il est au monde un peuple sceptique et irrespectueux, certes c’est celui-là. Il a toujours peur de croire que « c’est arrivé; » c’est son mot. Il n’a que du dédain pour toutes les gloires, de l’ironie pour toutes les supériorités, un mépris hautain et peu justifié pour tout ce qui n’est pas lui. Il ne tient ni à la vie, ni aux vivans. Il est indifférent à son passé, qu’il ne connaît guère, et se soucie peu de son avenir, qu’il ne prévoit pas. Ses amours d’hier sont ses haines d’aujourd’hui : les mains qui ont jeté Marat à la voirie sont celles qui l’avaient porté au Panthéon ; il est mobile comme le vent et perfide comme la mer; il est violent à ses heures, ingrat, infidèle, mais il est immuable en ceci : il regarde les cimetières comme des lieux sacrés, il révère ses morts et leur rend un culte qui ressemble bien à de l’idolâtrie.


MAXIME DU CAMP.

  1. C’était le nom que l’on donnait aux employés des crieurs-jurés chargés d’aller inviter, — semondre, — à domicile ; ils faisaient aussi fonctions de porteurs.
  2. Voyez Lettres de Mme de Sévigné, t. IX, p. 531, édit. Hachette.
  3. La contenance exacte du cimetière était de 7,160 mètres carrés, celle de l’église de 1,798 mètres : total, 8,958 mètres carrés.
  4. Actuellement au Louvre, dans les salles des sculptures de la renaissance.
  5. Voyez le manuscrit attribué à Sauval. Bibl. nat., manuscrits fr. 13,635.
  6. Evelyn avait déjà signalé le fait en 1644 : « De là, je suis allé faire un tour au cimetière des Innocens, où je passai pas mal de temps à ouïr les récits qu’on me fit de la rapidité avec laquelle ce terrain dévore les corps qu’on y enterre; vingt-quatre heures suffisent, me disait-on. » Voyage de Lister à Paris, supplément, p. 257.
  7. Il convient d’ajouter que le cimetière était entouré d’un ruisseau profond où les riverains jetaient leurs immondices.
  8. Mémoire sur la nécessité de mettre les sépultures hors de la ville de Paris, par le sieur Labrière, architecte de monseigneur le comte d’Artois. S. L. N. D. — Pièce de huit pages et deux planches gravées.
  9. Voyez, dans Anne-Paule-Dominique de Nouilles, marquise de Montaigu. in-8o, Rouen, 1859, le chapitre intitulé l’Œuvre de Picpus, p. 208 et seq. C’est l’histoire de la création de ce cimetière.
  10. Ces vingt cimetières sont Est, Nord, Sud, Auteuil, Batignolles, Belleville, Bercy, Charonne, La Chapelle, Grenelle, Ivry ( ancien ), Ivry (nouveau), La Chapelle (Marcadet), Montmartre (Calvaire), Montmartre-Saint-Ouen (ancien), Montmartre-Saint-Ouen (nouveau), Montmartre-Saint-Vincent, Passy, La Villette, Vaugirard.
  11. « De la butte du Jardin (du Roi), j’ai vu de l’autre côté de la rivière, sur la pente d’une chaîne de collines, le palais ou la maison de campagne du père de Lachaise, confesseur du roi ; elle est dans une belle exposition au midi et bien boisée à droite et à gauche. C’est une demeure fort convenable pour un esprit contemplatif, » Voyez Voyage de Lister à Paris en 1698, p. 168.
  12. Il est absolument indispensable d’asseoir les cimetières sur des terrains placés loin de toute excavation; l’accident qui s’est produit récemment au Père-Lachaise en est la preuve. Dans la nuit du 7 au 8 février dernier, la voûte du tunnel du chemin de fer de ceinture s’est effondrée dans la partie qui passe sous le cimetière. Malgré le zèle que l’inspection générale des cimetières et l’administration du chemin de Ceinture ont déployé, dix-neuf corps ont disparu; il faudra attendre pour les retrouver que les travaux de reconstruction du tunnel soient fort avancés.
  13. Quatorze cimetières intérieurs, six extérieurs.