Les Cinquante (Ivoi)/p01/ch12

La bibliothèque libre.
sous le pseudonyme de Paul Éric
Combet & Cie, Éditeurs (Ancienne Librairie Furne) (p. 102-111).


CHAPITRE XII

Où la défunte Raucourt est embauchée contre Napoléon


Il y avait à peine une heure que Sa Majesté s’était traînée jusqu’à son balcon. Étendu sur une chaise longue, deux valets oignant ses jambes nues, gonflées de goutte, le roi pestait contre la noblesse, le peuple et le clergé, qui ne pouvaient se résoudre à le laisser tranquille. On l’avait obligé à un effort, à présent il l’expiait par une recrudescence de douleurs.

Cependant la friction à l’onguent engourdissait peu à peu le mal. Des bandes de flanelle, d’ouate, imprégnées de solutions aromatiques, s’enroulèrent de nouveau autour des membres. Puis le roi congédia ses serviteurs et reprenant son Horace, essaya d’oublier la goutte dans la lecture de son auteur favori.

Dodelinant de la tête, avec un plaisir indiscutable, il lisait, scandant les vers, l’épode In Inimicum à un ennemi, à un détracteur :

— Quid immerentes hospiles vexas, canis
Ignavus adversum lupos ?
Quin huc inanes, si potes, vertis minas,
Et me remorsurum petis ?

— Dire, murmura-t-il pensif, que cette apostrophe, adressée par Horace à un adversaire, je pourrais l’appliquer à mes amis, aux plus fermes soutiens de mon trône.

Et se reportant à sa traduction, écrite au crayon dans la marge.

— Ô chien, lâche devant les loups
Que menaces-tu le passant innocent ?
Que ne tournes-tu tes vaines menaces
Contre qui te châtierait ?

Avec colère, il reprit :

— Mais non, moi, ils me flattent… et sous couleur de me servir, ils agrandissent sans cesse le fossé creusé par leur sottise entre mon peuple et moi.

À ce moment, on gratta doucement à la porte de la salle.

— Qu’est-ce, murmura Louis ?

La tête mutine d’un page parut.

— Ah ! c’est toi, Rohan. Pour qui me déranges-tu ? Je te préviens que si ce n’est pas pour un ami cher, je te ferai donner des étrivières.

Le page sourit et avec une feinte humilité :

— Je m’inclinerai devant le bon plaisir du roi.

— Mais enfin qui m’annonces-tu ?

— M. de Blacas, Sire.

— Que ne le disais-tu de suite ?

— C’est qu’il n’est pas seul.

— Qui l’accompagne ?

— Un gentilhomme que Votre Majesté a déjà daigné recevoir, en décembre, à son arrivée de Vienne.

— De Vienne, gronda le roi en se soulevant à demi sur son siège ? Ah j’y suis ; cet envoyé de Talleyrand sans doute. Qu’attends-tu pour les introduire, petit drôle ?

Le page ne jugea pas à propos de répondre. Il s’effaça pour annoncer d’une voix de fausset :

— M. le duc de Blacas ! M. le comte de Rochegaule d’Artin !

Les deux gentilshommes entrèrent. La porte se referma derrière eux.

Louis tendit affectueusement les mains à son favori :

— Te voilà, mon Duc, qu’est-ce qui t’amène ?

— M. de Rochegaule que M. de Talleyrand rappelle à Vienne, m’a supplié de lui fournir l’occasion de présenter ses adieux à Votre Majesté.

— Ah ah ! M. de Rochegaule, nous quitte.

Le ton léger du roi ne parut pas troubler l’interpellé. Baissant les yeux, mais la voix mordante, celui-ci prit la parole, après une respectueuse inclination :

— Votre Majesté se rappelle sûrement que ce nom est celui d’un gentilhomme, qui a sacrifié sa fortune et son honneur pour chasser l’usurpateur.

Le roi tressaillit ; il porta les yeux sur le comte. Il détailla son regard dur, ses lèvres minces et cruelles, et d’un ton étrange :

— Je me soutiens, en effet ; c’est M. de Rochegaule qui contraignit sa sœur à épouser un marchand d’or allemand.

— Enrik Bilmsen, ajouta vivement le compagnon du duc.

— Précisément, lequel avait volé des lettres…

— Qui permirent à M. de Metternich d’entraîner son souverain hésitant, et de faire peser la balance en faveur des Alliés.

Ceci fut dit avec une certaine sécheresse.

Le roi ne releva pas la phrase, mais s’adressant à Blacas :

— Eh bien, mon Duc, l’audience a été accordée. J’offre d’ailleurs à M. de Rochegaule, le plus sincèrement du monde, mes souhaits de bon voyage. Je le prie en outre d’assurer M. de Talleyrand de ma satisfaction.

Puis comme un homme qui craint un entretien embarrassant et veut rompre les chiens.

— Et toi, mon Duc, n’as-tu rien à me conter. Je m’ennuie et j’ai grand besoin d’être distrait.

Mais ses auditeurs ne se prêtèrent pas à ce jeu.

— Oh ! moi, Sire, répliqua le favori, je n’ai rien. Mais M. de Rochegaule arrive de Vienne à franc étrier, pour vous apporter les paroles de M. de Talleyrand…

— Les paroles ? Beaucoup de peine pour rien, Talleyrand n’a-t-il pas le loisir d’écrire ?

— Ce n’est point cela, Sire.

— Quoi donc alors ?

— Une mesure de précaution.

Louis fronça le sourcil et avec majesté :

— Que signifie ce mot ? L’ambassadeur de France n’aurait-il plus licence de correspondre librement avec son gouvernement ?

Blacas détourna la tête. Quant à M. de Rochegaule, il ne sourcilla pas. Parvenu à Paris depuis plusieurs semaines, repoussé par le roi, lors de sa première entrevue, il voulait cette fois triompher des dernières résistances du souverain. Sans doute, il avait étudié soigneusement les paroles qu’il prononcerait quand il lui conviendrait de se présenter devant Louis XVIII. Cet instant venu, il allait avec la sécurité d’un homme auquel le terrain est connu.

— Eh bien, j’ai interrogé, je crois, prononça le roi avec hauteur ?

D’Artin se courba en deux en une révérence respectueuse :

— M. de Talleyrand a préféré un messager tel que moi, parce que la route était longue. Un accident de cheval, une mauvaise rencontre, et un messager ordinaire reste étendu sur le chemin, ses dépêches à la merci du premier passant venu. Une communication verbale au contraire s’éteint avec son porteur.

Cette réponse, dont tous les mots semblaient calculés par la prudence, fit tressaillir Louis.

— En sommes-nous donc là, que la correspondance de la Couronne de France puisse être impunément violée, que les serviteurs de la Couronne admettent la possibilité de cette honte ?

Louis XVIII qui, en dépit de sa lourdeur provenant des ans et de la maladie, avait le sentiment très vif de la dignité royale, reparaissait tout entier dans cette amère réflexion.

Ce furent, l’impartialité historique fait un devoir de le répéter, la jeunesse, la vigueur physique, qui manquèrent à ce monarque pour réaliser ce que rêvait son esprit vif et pénétrant.

Déjà, il avait osé résister naguère aux souverains alliés, alors qu’ils prétendaient parler en maîtres dans Paris envahi. Profitant de leurs dissensions, de la lassitude générale laissée par quinze années de guerre, il avait réussi alors à les éclipser derrière sa personne.

Le peuple exigeant une charte, consacrant de façon définitive les libertés conquises, le roi, auquel il eût été impossible de la refuser, était parvenu avec habileté à paraître l’octroyer de son plein gré.

Toujours il avait voulu sauver l’honneur.

Et à cette heure trouble, où les républicains, unis aux bonapartistes, conspiraient contre sa couronne ; où l’Europe triomphante s’évertuait à diminuer le prestige de la France abattue, c’était la même préoccupation qui le hantait.

Ce monarque lettré avait appris dans les lectures du passé qu’une nation, qu’un régime, qui conservent l’honneur, peuvent aussi garder l’espérance légitime des revanches futures. Les peuples sont effacés de la carte du monde, non pas par la défaite, mais par l’abandon de leur gloire, de leur tradition héroïque, par la trahison de tout ce qui les fit grands et respectés.

Louis avait au plus haut degré la perception de ces vérités.

Soudain son visage changea. Dans ses yeux, dont les paupières lourdes se relevèrent avec vivacité, brilla une flamme.

— M. de Rochegaule, fit-il d’une voix tranchante. Vous avez parlé trop ou pas assez. Veuillez vous expliquer sans ambages. Souvenez-vous que c’est le roi de France qui vous écoute.

Pour un instant, le monarque podagre oubliait la goutte. Pour un instant il apparaissait tel qu’il aurait dû être pour la pacification des partis, tel qu’il aurait été si l’exil n’avait usé sa jeunesse et sa vie.

Troublé par ce nouvel aspect, Rochegaule parla :

— Sire, dit-il d’un ton mal assuré, S. M. l’Empereur des Russies a proposé au Congrès de Vienne de rétablir un grand-duché de Pologne indépendant.

— Ah ! c’est généreux. Les Polonais ont été de fidèles alliés de la France. Ils ont combattu, il est vrai, pour Napoléon. N’importe, je serais heureux de les voir récompenser de leur loyauté.

— Ah ! mon roi, interrompit de Blacas d’un ton pénétré. Pourquoi toute la nation n’est-elle pas admise à entendre parler votre cœur ?

— Tu trouves que j’ai raison, toi, mon ami, toi qui seul es raisonnable dans mon entourage. Mais continuez, comte, continuez, car, par la sambleu, comme disaient mes aïeux, je ne vois pas où vous voulez en venir.

Derechef d’Artin salua :

— Une Pologne puissante est un avantage pour la France, a répondu S. M. le roi de Prusse. Loin de moi cependant la pensée de contrecarrer les desseins de mon bien-aimé cousin de Russie, j’estime seulement qu’il importe de détruire… moralement, le succès que ne manquerait pas de s’attribuer dans cette affaire la diplomatie française.

— Ah ! ce roi de Prusse, grommela Louis, comme je le reconnais bien là.

Mais son visage se décomposa, sa bouche s’ouvrit pour un cri d’angoisse qu’il retint à grand’peine. La douleur, un instant domptée, tenaillait de nouveau le pauvre corps obèse du monarque.

— Et qu’a-t-il imaginé à cet effet, continua le comte sans paraître s’apercevoir de la torture de son royal interlocuteur ? Ceci. Faire assassiner Napoléon dans son île d’Elbe, certain que ce meurtre sera imputé aux Bourbons et déterminera l’éclosion de la guerre civile en France. L’émeute occasionnée, cet après-midi même, par les obsèques de la Raucourt, démontre qu’il ne se trompe pas dans ses appréciations.

— Eh ! que veut-on que j’y fasse ? gémit le roi. Tout se ligue contre moi.

— Lors d’une première entrevue, où le respect, l’émotion ont paralysé ma langue, j’ai exposé au Roi la situation. Je le supplie de me permettre de revenir sur ce sujet. Courrier de M. de Talleyrand, à l’instant où je vais avoir le grand honneur de lui rapporter les paroles de Votre Majesté, je souhaite n’épargner rien pour éviter tout malentendu, entre qui ordonne et qui obéit pour la grandeur de la France.

Le visage du souverain exprima la contrariété, mais M. de Blacas répéta :

— Pour la grandeur de la France.

Et Louis XVIII murmura :

— Parlez donc, car, moi non plus, je ne veux être cause d’un malentendu.

— J’obéis, Sire. M. de Talleyrand a remarqué que l’Autriche et l’Angleterre préféreraient à un meurtre un exil en un point plus éloigné des côtes d’Europe. Ces États seraient d’avis d’enlever Napoléon et de le transférer, soit dans l’une des îles Açores ou du Cap-Vert, soit dans l’îlot de Sainte-Hélène, perdu au milieu des flots du golfe de Guinée[1].

— Eh bien, qu’ils fassent valoir leurs désirs.

— L’opinion de Votre Majesté leur donnerait une grande force.

— Mon opinion ?

— Si Votre Majesté consentait à écrire à M. de Talleyrand qu’elle se rallierait volontiers à la dernière combinaison…

Le roi frappa rageusement les bras de son fauteuil :

— Encore. Talleyrand veut-il que je me compromette ? Non, l’Europe a décidé d’interner Napoléon à l’île d’Elbe. Elle ne m’a pas admis à discuter ce point. Qu’elle agisse à sa fantaisie, je m’en lave les mains. Je ne veux, à aucun titre, m’immiscer dans cette affaire… Que l’on m’accuse, si l’on ose ; l’avenir dira que Louis le dix-huitième a voulu rester et est resté étranger à toutes les mesures prises contre son prédécesseur…, à toutes, sans exception.

Le comte eut un sourire contraint :

— Le respect scelle mes lèvres.

— Le respect, s’écria Louis mis hors des gonds, le respect. Dites-moi toute votre pensée. Il n’est plus temps de vous arrêter. Je vous ordonne de traiter la question à fond, m’engageant à vous pardonner toute erreur de langage, car, je n’en doute pas, le patriotisme et l’amour du trône seuls vous guident.

— Votre Majesté me juge bien.

— Parlez donc, en ce cas.

D’Artin s’inclina profondément. Ses paupières se baissèrent pour dissimuler un éclair triomphant. Ayant licence de parler, il sentait qu’il avait partie gagnée. Louis XVIII, sceptique mais timoré, s’inquiétait beaucoup du jugement de la postérité. C’est par là qu’il allait l’attaquer.

— Sire, reprit-il après un court silence. Croyez-vous réellement que Napoléon ait été le batailleur impitoyable que l’on représente aux peuples.

— Certes, non.

— Il a été entraîné, n’est-ce pas, dans l’engrenage logique de la lutte entre les idées nouvelles et celles du passé ?

— Tout esprit réfléchi le jugera ainsi.

— Vous ne le jugez pas non plus avide, sans cœur, sans scrupules, sans honneur ?

— Non. Mais quel rapport ?

— J’y arrive, Sire, Napoléon est généralement reconnu coupable d’une quantité de fautes qu’il n’a pas commises, mais que ses ennemis ont eu intérêt à lui attribuer.

— Eh bien ?

— Et savez-vous pourquoi, Sire, ces calomnies systématiques trouveront toujours un écho dans l’esprit des foules ?

— Je vous serai obligé de me le dire.

— Pour deux raisons. D’abord Napoléon était un être supérieur, d’où plaisir intense pour tous les inférieurs à dauber sur lui.

Le roi se prit à rire :

— Ah çà ! monsieur de Rochegaule d’Artin, seriez-vous bonapartiste ?

Le gentilhomme secoua la tête :

— À Dieu ne plaise. Je répète humblement, tel un élève studieux, les explications que M. de Talleyrand a daigné parfois me donner, afin de m’éclairer sur les causes et les effets des événements.

— Et quelle est la seconde raison qui condamne l’exilé de l’île d’Elbe ? questionna le roi intéressé malgré lui.

— La seconde est un axiome de police, Sire.

— Voyons l’axiome.

— Pour connaître le criminel, cherche à qui profite le crime.

— Je ne saisis pas bien la pensée de M. de Talleyrand, sans doute ; mais cette deuxième raison ne m’apparaît pas clairement.

D’Artin salua derechef. De nouveau, une flamme mauvaise flamba dans son regard, aussitôt éteinte par un brusque effort de volonté.

— Le peuple, fit-il d’une voix sifflante, ne considère-t-il pas comme le plus enviable des bonheurs d’être souverain ?

— Évidemment…

— Dès lors, ne pense-t-il pas que l’homme qui occupe le trône doit concentrer toutes ses facultés sur un but unique : Conserver sa situation.

— Je l’admets encore.

— Par suite, tous les crimes qui consolident cette situation profitent au seul souverain. Et, en vertu de l’axiome policier que je citais tout à l’heure, pour l’universalité des mortels, le criminel, le coupable, est ce monarque dont la faute consolide la fortune.

Il y eut un instant de silence :

Le roi avait baissé la tête, sa main se crispait sur son front en un geste de souffrance. Soudain, il regarda de Blacas, d’Artin, bien en face, et le cri de son esprit philosophique se faisant jour presque malgré lui :

— Alors, d’après vous, Napoléon innocent, Napoléon victime, sera réputé coupable de toute éternité, parce que les circonstances ont paru le favoriser ?

Il y avait une angoisse dans son accent.

D’Artin mit un genou en terre, et d’un ton vibrant, où un homme de sang-froid eût senti palpiter le calcul plus que la foi :

— Oui, Sire. Et c’est pour cela, c’est pour que l’avenir ne voie pas en Louis XVIII un assassin, que M. de Talleyrand vous supplie de sauver la vie du roi d’Elbe, en déclarant votre désir de le voir transporté aux Açores ou à Sainte-Hélène.

En dépit de la goutte, de sa souffrance, Louis s’était dressé sur ses pieds.

Une pâleur livide couvrait ses traits ; des gouttes de sueur se montraient, telles des perles morbides, sur son front blême.

Le roi, comme tous ses pareils, jouet décoratif de son entourage, symbolisait bien à cette heure la royauté, fantôme mû par des ambitions subalternes.

Il eut un long soupir. Son mouvement avait ravivé sa souffrance.

Il se laissa retomber sur son siège, et vaincu, sans forces pour résister davantage :

— Oui, oui, balbutia-t-il, l’avenir… ! Louis XVIII assassin, vous avez raison. Tout, plutôt qu’une tache de sang sur ma couronne. Dites ce que souhaite M. de Talleyrand.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le soir même, les conspirateurs tenaient conseil dans l’appartement de la rue Saint-Honoré que M. de La Valette avait loué sous le nom de M. Langlait.

Il fut décidé[2]

1° Qu’il fallait s’emparer d’une lettre autographe du roi confiée à d’Artin pour M. de Talleyrand, afin de la mettre sous les yeux de Napoléon, et lui montrer ainsi ce qu’il avait à redouter de ses ennemis ;

2° Que cette lettre lui serait portée par la seule personne ayant assez d’influence sur lui pour le décider à sortir de l’apathie résignée où l’avaient plongé les désastres de la France. D’une commune voix, les conjurés désignèrent Mme la comtesse Walewska, alors à Vienne, où son mari, M. le comte Walewski, défendait, devant le Congrès, les intérêts de la Pologne ;

3° Qu’Espérat, Bobèche et Henry auraient mission de capturer le vicomte d’Artin, se disant comte de Rochegaule, lequel partait le lendemain comme courrier du roi ;

4° Enfin qu’aussitôt la chose terminée dans le sens du succès, Bobèche rentrerait à Paris afin d’aviser les Cinquante ; ceux-ci devant aider de tout leur pouvoir au triomphe des combinaisons de S. M. l’Empereur, seul souverain reconnu en France.

Après quoi, on s’alla coucher.

Seulement le 19, au point du jour, trois cavaliers sortirent de Paris, les sabots de leurs chevaux sonnant sur le pavé.

C’étaient le pitre Bobèche, Espérat Milhuitcent et Henry Pandin, qui s’en allaient préparer la plus étrange, la plus incroyable révolution que relate l’histoire.

Deux jeunes gens, presque des enfants, et un comédien, se proposaient de changer la face du monde. Confiance aveugle des prédestinés, aucun ne doutait du succès.

La porte de Paris franchie, Espérat tendit la main vers la grande ville.

— Adieu, Paris, ou au revoir, dit-il gravement.

Et comme ses compagnons lui demandaient l’explication de ces paroles, il répondit tranquillement :

— Je viens de faire vœu de ne rentrer dans Paris qu’à la suite de l’Empereur. Si nous échouons, plus jamais mes pieds ne fouleront les trottoirs de la capitale.

Sur ce, il rendit la main. Sa monture accéléra son allure, et bientôt, la silhouette de Paris se perdit dans la brume glacée du matin.

  1. Souvenirs diplomatiques de Lord Castlereagh, délégué britannique au Congrès de Vienne.
  2. Procès-verbal du 18 janvier 1815. Papiers confidentiels de M. de La Valette, soumis au tribunal, lors de son procès après les Cent Jours.