Les Colons de l’Algérie/02

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LES COLONS DE L’ALGÉRIE

II[1]
LA COLONISATION OFFICIELLE ET SES RÉSULTATS. — LE MEILLEUR MODE DE COLONISATION


I. — PREMIERS ESSAIS DE COLONISATION OFFICIELLE. DÉPEUPLEMENT ET RUINE DES PREMIERS CENTRES CRÉÉS

L’insurrection d’Abd-et-Kader eut pour résultat de mettre fin aux hésitations et aux incertitudes de la politique gouvernementale en ce qui concernait l’étendue à donner à nos possessions en Algérie. Devant les attaques de l’émir, force fut bien d’abandonner le système de l’occupation restreinte qui avait prévalu jusqu’alors. Pour se mettre à l’abri des incursions de ce dernier, il fallut se décider à aller de l’avant, à suivre l’ennemi sur son territoire, à prendre possession du pays dont on le délogeait. Au système de l’occupation restreinte succéda donc par la force des choses le système de l’occupation totale et complète du pays. C’est ainsi qu’en 1840, nous fûmes amenés à occuper Médéah et Miliana dans la province d’Alger, qu’en 1841 et 1842, Tlemcen et Mascara dans la province d’Oran ainsi que Tébessa dans la province de Constantine tombèrent en nos mains. Cette année-là même, le Sahel d’Alger et la Mitidja furent purgés des bandes de brigands qui l’infestaient depuis douze ans. Le Tell soumis, nous nous enfonçâmes dans l’intérieur : des garnisons furent installées dans la région montagneuse et sur les Hauts-Plateaux à Boghar, Téniet-et-Haad, Tiaret, Sidi-bel-Abbès, et en 1847, nous commençâmes la conquête du Sahara par l’occupation de Biskra, que suivirent, en 1849, la prise de Zaatcha et, en 1852, celle de Laghouat. La Kabylie succomba à son tour, en 1857, et tout le pays de la mer aux extrêmes contins désertiques se trouva obéir à nos lois.

En même temps qu’il procédait à la conquête progressive et générale du pays, le gouvernement modifia ses vues en matière de colonisation. Il finit par comprendre que l’installation de colons sur le sol algérien pouvait avoir du bon, que notamment rétablissement d’agglomérations françaises dans un pays où il y avait si peu d’habitans et si peu de ressources devait faciliter le ravitaillement des troupes et contribuer à la défense du pays. Une ère nouvelle se trouva ainsi ouverte à l’œuvre de la colonisation algérienne.

Deux moyens s’offraient au gouvernement pour peupler l’Algérie de colons. Il pouvait laisser tout simplement les particuliers agir à leur guise en se bornant à les seconder ou à remplir à leur égard ses devoirs les plus stricts et les plus élémentaires comme, par exemple, de leur assurer la sécurité : dans ces conditions, la colonisation algérienne aurait suivi son évolution normale et naturelle ; des villages se seraient formés aux endroits choisis par les colons eux-mêmes et l’administration aurait limité son rôle à l’exécution des grands travaux d’utilité publique, aux routes, aux desséchemens, à la régularisation des cours d’eau : c’est ce qui s’était passé de 1830 à 1841. Ce système de colonisation libre avait fait ses preuves et réalisé alors des merveilles ; il avait de plus l’avantage de coûter très peu et de décharger l’administration de toute responsabilité et de tous tracas, soit vis-à-vis des colons, soit vis-à-vis des indigènes. Mais les pouvoirs officiels qui présidaient alors aux destinées de l’Algérie se laissèrent entraîner par d’autres considérations. Ceux-ci conservaient encore une certaine défiance à l’égard des colons indépendans : avoir à côté d’eux des gens vivant par leurs propres ressources, n’ayant nul besoin de recourir à eux, puisant dans leur indépendance la liberté de parler à leur guise et pouvant critiquer les actes de l’administration, n’était pas pour leur plaire ; ils étaient séduits, au contraire, par la perspective d’avoir des colons qu’ils tiendraient dans leurs mains, qui seraient leurs hommes à eux, qui seraient installés dans des villages comme autant de garnisons civiles pouvant au besoin appuyer les mouvemens de l’armée. Bref, on voulait non que l’administration fût faite pour les colons, mais bien que les colons fussent faits pour l’administration.

Le gouvernement prit donc à son compte l’œuvre de la colonisation. Il voulut lui-même déterminer l’emplacement des villages, faire le lotissement des terrains urbains et ruraux, désigner les colons auxquels il les concéderait sous certaines clauses et réserves. Le système de la colonisation officielle fut alors inauguré et a continué, appliqué avec plus ou moins d’activité, jusqu’à nos jours.

Tout aussitôt, un des vices fondamentaux de ce système, appliqué à l’Algérie, éclata : le manque de terres nécessaires à l’installation de villages et à l’établissement de colons. Lors de la conquête, nous nous étions bien adjugé les domaines appartenant on propre au dey. Mais ces domaines étaient trop peu considérables pour suffire à faire vivre une population nombreuse installée dans les conditions arrêtées par les pouvoirs officiels. D’autre part, il ne fallait guère songer à acheter de grands espaces de terrains aux indigènes, en raison de l’organisation sociale du pays. En effet, en Algérie, règne d’une manière générale le régime de la propriété collective et l’on sait que ce régime rend l’acquisition de terres par voie d’achat fort difficile. Ce procédé avait en outre aux yeux de l’administration le tort d’être trop lent et dispendieux. Cette dernière trouva plus commode et moins onéreux de déposséder en bloc les tribus indigènes dont les territoires étaient à sa convenance, et notamment les tribus du Sahel et de la Mitidja qui occupaient les terres d’Algérie ayant la plus grande valeur. A la vérité, ces tribus nous avaient été fidèles jusqu’à l’insurrection d’Abd-et-Kader. Elles avaient même, au début de l’insurrection, défendu nos colons, escorté nos convois et étaient venues à Alger solliciter notre appui pour la défense de leurs territoires, et c’était nous qui les avions abandonnées à leur triste sort, en alléguant l’insuffisance de nos forces pour assurer à la fois la protection d’Alger, du Sahel et de la Mitidja. Rentrées dans leurs foyers, elles avaient dû, contraintes et forcées, accepter d’Abd-et-Kader l’appui que nous leur avions refusé, mais, même rangées sous ses lois, plusieurs avaient continué à rester de cœur avec nous et nous avaient fait parvenir de précieux renseignemens. D’ailleurs la confiscation de leurs terres ne fut pas seulement une mesure inique ; ce fut une mesure impolitique au premier chef. Dès lors fut créé chez les Arabes un esprit de haine et de vengeance contre la France et fut creusé le fossé qui sépare encore aujourd’hui les indigènes et leurs vainqueurs.

Un grand nombre de propriétés étant tombées ainsi en la possession du Domaine, le général Bugeaud lança, le 18 avril 1841, le premier arrêté sur les centres agricoles militaires de l’Etat. De par cet arrêté, le général se réservait la haute main sur toutes les créations de villages nouveaux ; tous les plans devaient être adoptés et exécutés par lui ; tout le service de la colonisation était sous sa direction exclusive. L’Algérie ayant été divisée en territoire civil et territoire militaire, il y eut deux modes de colonisation officielle : la colonisation militaire et la colonisation civile, c’est-à-dire des villages fondés en territoire militaire et administrés par l’autorité militaire et des villages fondés en territoire civil et administrés par l’autorité-civile. Dans ces derniers, l’administration était confiée à des municipalités, à des commissaires civils et à des sous-directeurs d’arrondissement qui étaient des sortes de sous-préfets. Dans les villages militaires, l’administration était confiée aux autorités militaires, qui remplissaient à la fois les fonctions civiles et judiciaires. Les commandans de place avaient tous les pouvoirs ; ils étaient à la fois maires, juges de paix et notaires ; les gendarmes y jouaient le rôle d’officiers ministériels ; les officiers du génie y remplissaient les fonctions d’ingénieurs des ponts et chaussées et d’architectes ; ceux d’état-major y étaient chargés des arpentages et des forêts ; enfin les conseils de guerre y remplaçaient les cours d’assises. Le premier village qui fut fondé par l’autorité militaire fut, en 1841, celui d’Aïn-Fouka, entre Kouba et la mer. Le général Bugeaud estimait qu’une société commençante ne pouvait prospérer si elle n’était astreinte à une discipline rigide, à une unité de direction absolue, et qu’en conséquence, le meilleur colon était le soldat. Conformément à ces idées, une compagnie de 147 colons ayant à sa tête officiers et soldats alla prendre possession, tambour battant, d’Aïn-Fouka et s’y installa pour cultiver le sol. On commença par distribuera ces colons improvisés des lots urbains et des lots ruraux, puis l’avisé général, qui avait l’œil à tout, songea à les doter de compagnes qui assureraient la durée de son œuvre.

Des lettres furent écrites par lui au Conseil municipal de Toulon, dans lesquelles il demandait s’il ne serait pas possible de trouver dans la ville des jeunes filles qui consentiraient à épouser ses colons, et, pour encourager les unions, sept cents francs furent donnés en cadeau de noce aux futurs époux. À ce prix, on trouva des jeunes filles qui consentirent à s’unir aux colons de Fouka. Mais, aussitôt mariés, les époux se mirent de concert à manger la dot, et, quand il n’y eut plus rien, les querelles commencèrent. Les jeunes mariées, l’une après l’autre, s’évadèrent ; des célibataires les suivirent. Un an après sa fondation, la population de Fouka ne comptait plus que 40 personnes ; les deux tiers s’étaient enfuis. Deux autres expériences tentées avec les mêmes élémens et dans des conditions semblables, à Mabelma et à Béni-Méred, ne réussirent guère mieux.

A la fondation des trois villages de Fouka, de Béni-Méred, et de Mahelma, se borna toute la participation de l’autorité militaire à l’œuvre de la colonisation officielle au cours de huit années, de 1840 à 1848. Et cependant cette autorité possédait des moyens d’action très puissans : elle avait à sa disposition toutes les ressources de l’armée et, n’empruntant à aucune autre administration son personnel et son matériel, se suffisait à elle-même. Cette inertie fut d’autant plus singulière que, pendant la même période, l’administration civile, quoique moins bien outillée, déployait une activité pour ainsi dire fébrile. Dès la fin de 1841, la direction de l’intérieur du gouvernement général de l’Algérie qui était chargée du service de la colonisation civile, créait un village à Kadous, aux portes d’Alger. Au cours des années qui suivirent, elle fondait El-Achour, Draria, Cheraga avec neuf autres centres dans le Sahel ; elle s’occupait en même temps de repeupler d’Européens la Mitidja et fondait dans cette plaine les villages de Montpensier, de Dalmatie et de Joinville, dans la banlieue de Blidah, et ceux de la Chiffa, du Fondouk et de la Souma. D’autres créations avaient également lieu par ses soins dans les provinces d’Oran et de Constantine. C’est ainsi que, de 1840 à 1845, vingt-cinq villages furent fondés. Mais alors apparut encore un nouveau vice de la colonisation officielle : le manque de colons. Il ne suffisait pas en effet de créer hâtivement des villages, il fallait les peupler. L’administration, qui avait fait appel à des cultivateurs de France et qui ne voyait pas ceux-ci trop s’empresser de venir habiter ses concessions, dut se résigner à accueillir tous ceux qui se présentaient, à quelque nationalité et à quelque condition qu’ils appartinssent. Elle alla même jusqu’à chercher partout des gens de bonne volonté. C’est ainsi que près de huit cents Prussiens furent installés à la Stidia et à Sainte-Léonie dans la province d’Oran, des Wurtembergeois et des Suisses dans la province de Constantine. L’étendue des sacrifices consentis par l’administration en faveur des colons installés par elle fut d’ailleurs considérable. La concession comprenait une maison de soixante mètres de superficie d’une valeur de cinq mille francs environ, plus douze hectares de terres cultivables, dont quatre hectares défrichés et en partie plantés d’arbres, le tout moyennant le prix minime de quinze cents francs.

Il se passa alors un phénomène singulier. La vue de tous ces centres surgissant comme d’une manière féerique du sol fit tourner toutes les têtes algériennes. Une véritable épidémie de folie perturba les esprits. Dans les villes, les maisons manquaient pour la population européenne qui affluait sans cesse depuis la conquête ; les locations étaient à un prix fabuleux ; la spéculation sur les logemens et les terrains y battait son plein ; on construisait de tous côtés ; d’Alger, d’Oran et de Constantine, la spéculation gagna les campagnes. Ce fut à qui, parmi les colons ruraux, défricherait le plus possible d’hectares, étendrait le plus ses constructions ; et, pour arriver plus vite à leur but, ils n’hésitaient pas à emprunter à 24 pour 100. Qu’importait d’ailleurs le taux de l’intérêt à payer ? Cette terre de promission n’allait-elle pas rendre bien au-delà du 100 pour 100 ? Dans leurs rêves, les colons voyaient les étrangers affluer par centaines dans les villages et se disputer à prix d’or les concessions qu’ils avaient obtenues du gouvernement. La folie dura peu. Les étrangers rêvés ne vinrent pas. Ce fut la débâcle qui survint. Les débiteurs furent expropriés par leurs créanciers, maisons et champs furent désertés. Privés de la plus grande partie de leurs habitans, les villages eurent l’aspect de ruines abandonnées, et dans certaines localités, comme à Douéra, qui pourtant était alors le centre le plus important du Sahel, l’administration en arriva à ordonner la démolition des maisons qu’elle-même avait fait construire pour les colons. Cette crise fut fatale non seulement aux colons officiels, mais encore à la cause de la colonisation elle-même. En 1844, 1 780 familles avaient demandé des concessions, et, en 1845, le nombre des demandes avait atteint le chiffre de 2 918. On avait dû cette année-là même refuser des permis de passage à la plupart de ceux qui en avaient fait la demande. Or, l’année suivante, le nombre des demandes tomba à 1 663. D’autre part, en 1846, 715 colons déjà installés abandonnaient leurs exploitations, et, comme les villages ne reçurent cette année-là que 689 nouveaux arrivans, le bilan de la colonisation officielle se chiffra par la perte de 27 colons. La crise eut en outre pour résultat d’entraver le courant de l’émigration libre en Algérie. À ce moment régnait en France un véritable engouement pour ce pays. L’émigration volontaire avait pris des proportions qu’elle n’a plus connues depuis. Dans le courant de la seule année 1846, quarante-cinq mille personnes avaient débarqué dans les ports de l’Algérie. La vue des villages abandonnés et le sort lamentable des colons officiels fit tomber l’enthousiasme, et la plupart se montrèrent aussi empressés à demander leurs passeports pour la France qu’ils l’avaient été à solliciter leur passage pour l’Algérie.

Cet échec de l’administration civile, survenant après l’insuccès éprouvé en pareille matière par l’administration militaire, fit ouvrir les yeux en France. La Chambre, suffisamment éclairée par les résultats obtenus, rejeta, en 1847, un crédit de trois millions demandés par le maréchal Bugeaud en faveur de la colonisation, et ce dernier résigna son commandement et quitta l’Algérie. On calculait que chaque famille de colon installée dans ce pays revenait à 6 000 francs environ, et l’on ne pouvait s’empêcher de trouver que la colonisation officielle coûtait cher. On se demandait où l’on allait avec cette manière d’agir, et M. de Tracy se faisait à la Chambre l’interprète de cette anxiété : « Il est dur pour la nation, disait-il, qu’après avoir dépensé beaucoup pour la conquête, on soit obligé de sacrifier encore peut-être un milliard pour y établir le peuple qui doit l’utiliser. » Et peut-être, étant donné cet état des esprits dans la métropole, aurait-on renoncé dès lors au système de la colonisation officielle, si des événemens imprévus n’eussent amené les hommes politiques à envisager la question de colonisation sous un jour tout nouveau. La révolution de 1848 avait éclaté ; la stagnation était partout dans les affaires et la fermeture des ateliers nationaux avait jeté sur le pavé de Paris bon nombre d’ouvriers inoccupés. Exporter une partie de ces derniers en Algérie parut être à plusieurs une solution partielle de la question sociale en même temps qu’une manière commode de se débarrasser d’élémens turbulens et dangereux. La colonisation devenait ainsi un expédient propre à assurer la sécurité du pouvoir. Dans cet ordre d’idées, on convint d’envoyer en Algérie le trop-plein d’ouvriers que renfermait la capitale, et, à cet effet, un crédit de 50 millions fut voté par l’Assemblée nationale, le 19 septembre 1848. Il ne s’agissait de rien moins que d’installer d’un coup 15 000 colons et de fonder 42 villages. Ces chiffres furent encore augmentés par la loi du 19 mai 1849, qui ordonna la création de 14 nouveaux villages et l’installation de 6 000 colons. Le territoire civil étant couvert de nombreuses agglomérations, il fut décidé que les créations nouvelles auraient lieu en territoire militaire, où l’on n’avait pas encore permis aux colons autres que les soldats de s’établir.

C’est ainsi que dix-sept de ces villages furent créés dans le territoire de la province d’Alger, vingt-six dans celui de la province de Constantine, treize dans la province d’Oran. Des officiers du génie furent chargés de la conduite des travaux, et, quand les villages turent achevés, les officiers de toutes armes se partagèrent la direction de chacun d’eux avec les attributions de commandans de place.

Cependant les ouvriers parisiens, grisés par les discours pompeux qu’on leur débitait dans les clubs et par les promesses alléchantes des organes officieux du gouvernement, répondaient avec empressement à l’appel qui leur était adressé. Ils se sentaient tout heureux à l’idée d’aller coloniser l’Algérie et se considéraient volontiers comme des héros de la civilisation. Et l’on vit ces dévoués patriotes, s’enivrant aux accens de la Marseillaise et du Chant du Départ, la cocarde tricolore au chapeau, s’embarquer sur la Seine et descendre le cours de la Saône et du Rhône, salués au passage par les vivats des populations accourues. Portés sur des bâtimens de l’Etat, ils traversèrent la Méditerranée et abordèrent aux ports africains. Au spectacle d’une nature nouvelle, tous étaient émerveillés et jetaient aux échos de l’Atlas les refrains joyeux de leur enthousiasme. Tous étaient certains d’aller cueillir la fortune. Tels les Argonautes à, la recherche de la Toison d’or.

A son arrivée à destination, chaque famille reçut une maison d’habitation construite en maçonnerie et divisée en deux pièces, un lot de terres de huit à dix hectares, des instrumens aratoires, des semences et quelques têtes de bétail. Elle devait en outre recevoir des rations journalières de vivres pour chaque personne au-dessus de sept ans, et des demi-rations pour les enfans de cet âge. Ces distributions d’alimens devaient être continuées pendant trois ans jusqu’au 31 décembre 1851.

Il semble que les nouveaux colons eussent dû être stimulés par de tels avantages et mener à bien l’œuvre entreprise ; il n’en fut rien. Au bout de quelques semaines, leur moral était entamé. Les fièvres palustres amenées par les premiers défrichemens, la dysenterie due aux eaux employées comme boisson, firent parmi eux de cruels ravages. La nostalgie les gagna. Dans la province de Constantine, le plus grand nombre d’entre eux succomba sans presque avoir mis la main à la pioche ou à la charrue. Dans tous les centres créés pour eux, les Parisiens avaient ouvert des clubs où retentirent les récriminations les plus amères contre le gouvernement et l’administration militaire. De ces centres, les agitateurs se répandirent dans les anciens villages, peuplés par les soins de l’administration civile, et cherchèrent, comme ils disaient, à éclairer l’opinion publique et à prouver aux esprits arriérés les avantages de la république démocratique et sociale. Les habitans de ces villages, tombés eux-mêmes dans la détresse, ne demandaient pas mieux que de prêter l’oreille aux discours des déclamateurs, et partout furent organisés des banquets de protestation et des conférences. Bientôt, il fut rendu évident aux yeux de tous que les nouveaux immigrans n’avaient pas grand-chose à faire en Afrique. Les plus avisés furent ceux qui demandèrent leurs passeports pour rentrer en France : ce que l’administration militaire, d’ailleurs, trop heureuse de se débarrasser d’élémens à tel point turbulens et dangereux, leur accorda avec empressement. 12 666 colons étaient arrivés en 1848 avec les premiers convois ; 7 836 avaient été fixés ensuite en Afrique, au cours des années 1849 et 1850, soit un total de 20 502 colons. Deux ans après, au 31 décembre 1850, 3 359 étaient morts, et 7 038 avaient abandonné les concessions et étaient rentrés en France. D’après les documens officiels publiés par le ministère de la Guerre, la population des 42 colonies agricoles, qui aurait dû, au 31 décembre 1850 être normalement de 20 500 âmes, ne comptait plus que 10 000 colons, la plupart installés de l’année même. Au cours des années qui suivirent, à peu près tous disparurent. Des villages entiers, nombreux surtout dans la province de Constantine, furent abandonnés faute d’habitans. D’autres, comme Guyotville, aux portes d’Alger, ne comptaient, en 1851, qu’un habitant, qu’on avait surnommé le garde des ruines. La valeur vénale du sol fut réduite à rien. Des concessions qui revenaient à six et sept mille francs à l’Etat, et qui avaient coûté aux colons en journées de travail et en frais d’installation et d’amélioration une somme à peine inférieure, ne trouvèrent pas preneur, mises en vente à sept et huit cents francs.

La crise agricole eut sa répercussion sur la propriété urbaine. Jusqu’alors, Alger, Oran, Constantine s’étaient maintenues dans une prospérité factice, grâce aux nombreux effectifs qui tenaient garnison dans leurs murs, au flot des immigrans, au trafic avec les campagnes et au mouvement commercial que nécessitait la construction simultanée et, sur tous les points, de nombreux villages. Privé de ce qui le faisait vivre, le commerce dépérit ; il n’y eut partout que faillites. Les villes se dépeuplèrent tout comme les campagnes. A Alger, la population tomba de 50 000 âmes à 30 000. Dans la province de ce nom, le nombre des habitans européens qui, en 1846, atteignait 73 075 habitans, n’en avait plus, en 1849, que 57 810 et 56 784 en 1850, malgré la fondation des 56 colonies agricoles en territoire militaire et l’importation des 20 000 ouvriers parisiens. A côté du dommage matériel que tous ces départs causèrent à la colonie, il y eut aussi le dommage moral. Tous les gens qui quittaient l’Algérie pour rentrer en France se répandaient en plaintes amères et contre ; l’administration et contre le pays lui-même où ils avaient laissé leurs illusions. La vue de tous ces malheureux, qui avaient perdu là-bas, avec leur santé, toutes leurs ressources et leurs capitaux, fit naître en France une impression défavorable à l’égard de la colonie. Un discrédit général fut jeté sur le pays et ce discrédit lui fut plus fatal que la reprise des hostilités qui avaient ruiné les premiers colons de la génération de 1830. On avait pu à la rigueur expliquer les désastres de ceux-ci par la guerre, mais comment expliquer que leurs successeurs eussent pu, en pleine paix, essuyer des désastres plus grands encore ? L’Algérie, qui dévorait tant d’existences et qui ruinait tout le monde, paysans et citadins, cultivateurs et négocians, emprunteurs et prêteurs, était-elle donc colonisable ? Tout ce qu’on avait dit de sa fertilité, n’était-ce pas un leurre ou une pure illusion ? Qui donc serait dorénavant assez inconscient pour aller chercher la fortune sur cette terre de déconfiture et de mort ?

Ainsi, système de colonisation militaire avec élémens militaires à l’exclusion de l’élément civil ; système de colonisation civile avec des immigrans débarqués de France et de l’étranger ; système de colonisation mixte avec élémens civils, mais placés sous la direction de l’autorité militaire ; tout avait échoué ou n’avait donné que des résultats fort médiocres et nullement en rapport en tous cas avec les efforts et les dépenses effectuées. On avait fondé des villages, et on n’avait pu leur assurer des habitans. On avait voulu donner de l’impulsion à l’agriculture, et la colonisation avait été arrêtée dans son essor ; l’émigration volontaire et libre avait été à peu près tarie ; on avait amené même la dépopulation du pays ; la propriété avait été avilie ; le colon avait été ruiné ; un discrédit général planait sur la colonie. Tel est le bilan de la colonisation officielle qui fut pratiquée de 1840 à 1851, soit dans les territoires civils, soit dans les territoires militaires. Devant de pareils résultats, administration et colons firent entendre un concert de récriminations, rejetant l’un sur l’autre la responsabilité du désastre. L’administration reprochait à ces derniers leur ignorance des choses de l’agriculture, leur paresse, leur turbulence, surtout leur avidité à solliciter sans cesse les secours de l’Etat et leur manque d’initiative à tenter quelque chose par eux-mêmes. Les colons reprochaient à l’administration le mauvais emplacement de bon nombre de centres de colonisation, soit au point de vue de l’hygiène, soit au point de vue du trafic, le peu de solidité des constructions, l’insuffisance des instrumens aratoires et du cheptel mis à leur disposition, le manque de voies de communications, l’absence de toute liberté politique ou municipale, etc. Les causes multiples de l’échec de la colonisation officielle furent d’ailleurs résumées à l’Assemblée nationale par M. Lestiboudois, rapporteur de la commission chargée, en 1851, de l’examen d’un projet de loi relatif à l’achèvement de l’installation des colonies agricoles. « Indépendamment de l’inaptitude de la majorité des colons pour les travaux agricoles, disait-il dans son rapport, la difficulté des défrichemens, les inconvéniens inhérens à l’administration militaire, les maladies, le travail en commun rendu souvent nécessaire par la situation d’établissemens nouveaux, le dénuement d’une population qui n’avait pas de ressources par elle-même et à laquelle l’Etat donnait difficilement tout ce qui est nécessaire à la vie civilisée, enfin tous les maux qui résultent d’entreprises trop hâtées par des circonstances impérieuses, ont paralysé les efforts du gouvernement et sont venus montrer tous les obstacles que rencontre une colonisation faite aux frais de l’Etat. Une telle entreprise n’est sérieuse qu’autant qu’elle est tentée par des hommes qui savent et veulent travailler, qui poursuivent la création d’un établissement à leurs risques et périls. On ne peut obtenir de succès que par les efforts de la liberté et de l’intérêt individuels. »

A une situation si déplorable, l’administration crut trouver remède en modifiant le système des concessions employé jusqu’alors. Elle ne voulut plus de colons auxquels il fallait livrer des maisons construites et des terres défrichées, donner des bestiaux et des instrumens aratoires, fournir des semences, assurer la nourriture pendant des années, et elle résolut de peupler les villages nouveaux « avec des colons jouissant de ressources suffisantes pour pourvoir à leur installation. » Le régime de la concession gratuite à tout venant inauguré par le général Bugeaud cessa donc d’être en vigueur en 1851 ; et on lui substitua le système de la concession avec promesse de propriété sous condition de remplir certaines clauses contenues dans un cahier des charges. En même temps, l’autorité militaire et l’autorité civile, devenues prudentes, n’apportèrent plus la même hâte fébrile à édifier de nouveaux centres. De 1840 à 1851, on avait implanté administrativement en Algérie trente mille colons, dix mille dans les villages du territoire civil, vingt mille dans les villages du territoire militaire, et créé cent dix centres. Près des deux tiers des colons avaient déjà disparu en 1851. Dans la période décennale qui suivit, de 1851 à 1860, il n’en fut installé que 14 957 et 85 centres seulement furent créés. Mais cette génération nouvelle de colons officiels ne répondit guère mieux aux espérances de l’administration que les générations antérieures. Bon nombre de ces concessionnaires d’un nouveau genre se contentaient de se rendre sur le territoire où se trouvait leur lot et entraient en arrangemens avec les indigènes pour leur louer leurs terres jusqu’au moment où, ayant obtenu leur titre définitif de propriété, ils pouvaient aller jouir n’importe où de la rente que l’Etat leur avait bénévolement constituée. D’autres, à peine installés, quittaient la localité, sauf à y faire des apparitions à des intervalles plus ou moins éloignés, mais suffisamment rapprochés pour éviter la déchéance, et, les conditions du cahier des charges étant ainsi éludées, revendaient leur concession à beaux deniers comptans aux étrangers. Ce fut un beau temps pour les spéculateurs et les colons en chambre, qui trouvaient ainsi le moyen de se créer des rentes ou de se faire une fortune sans travail et sans bourse délier. L’installation de la plupart des colons pendant cette période ne fut donc que fictive ; bon nombre, d’ailleurs, furent déclarés déchus de leurs droits par l’administration, et cette dernière se vit forcée d’abandonner le système des concessions à titre conditionnel tout comme elle avait dû abandonner le système des concessions à titre gratuit. Un décret du 25 juillet 1860 ordonna que désormais les terres domaniales seraient vendues à prix fixe et à bureau ouvert et l’on recourut concurremment à un autre mode qui avait fait ses preuves en Australie : à la vente aux enchères. Mais l’administration ne se faisait plus d’illusion sur son œuvre et se désintéressait de plus en plus de la colonisation officielle. Pendant la période de 1860 à 1871, sous ce régime des ventes, elle se contenta de créer onze villages et n’y installa que 4 582 colons. Un découragement profond avait gagné les sphères gouvernementales en ce qui concernait les hommes et les choses d’Algérie. On ne savait plus quel parti prendre, quelle politique adopter. Après trente ans d’occupation, tout était remis en question. Au Sénat impérial, le général Daumas, qui avait été frappé du peu d’étendue des terres de culture disponibles en Algérie et des échecs successifs éprouvés par la colonisation officielle, demandait qu’on voulût bien mettre à l’étude la question de savoir « s’il y avait assez de terres en Algérie pour la colonisation ; si cette dernière louchait bien à l’intérêt français et par quels points ; si enfin elle devait être civile, militaire, mixte, européenne, française ou arabe. » C’est dans cet état de doute et de lassitude générale que vit le jour le sénatus-consuite de 1863 relatif à la constitution de la propriété indigène et que prit naissance l’idée du « royaume arabe. » On aurait alors donné l’Algérie au chah, comme disait un haut personnage officiel, si le chah de Perse en eût lui-même voulu.


II. — DEUXIÈME PHASE DE LA COLONISATION OFFICIELLE. NOUVEL INSUCCÈS DE L’ADMINISTRATION

Au commencement de 1871, il ne restait plus guère de terres domaniales propres à la colonisation officielle. Les terres provenant de l’ancien domaine du dey et du territoire confisqué sur les tribus du Sahel et de la Mitidja, après l’insurrection de 1840, se trouvaient aliénées. Et de nouveau surgissait le grand obstacle à la colonisation terrienne officielle : la pénurie et l’épuisement du domaine. Ce système de colonisation, qui allait se mourant depuis une vingtaine d’années, allait être définitivement abandonné, faute de terres disponibles, quand l’insurrection de 1871 vint, on ne peut plus à propos, procurer au gouvernement une occasion de reconstituer une réserve de terres domaniales aux dépens des indigènes. A la suite de cette insurrection, trois cent seize tribus ou fractions de tribus et, en outre, 3 243 familles ou individualités indigènes furent dépouillées de leurs biens. Trois cent mille hectares furent ainsi mis à la disposition du Domaine. Peut-être eût-il mieux valu, au point de vue d’une politique soucieuse de l’avenir, imposer aux indigènes une contribution de guerre élevée que de leur enlever leurs terres, car cette mesure, en les privant de leurs moyens de subsistance, ne pouvait qu’entretenir et attiser entre indigènes et colons les germes de haine et de discorde que déjà avaient fait naître les confiscations de 1840 ; mais on ne s’arrêta pas à cette considération. On dirait d’ailleurs que l’administration, à laquelle cependant auraient dû profiter les leçons du passé, voulut à cette époque renouveler comme à plaisir la série des fautes commises depuis 1840. Comme si elle n’avait rien appris et avait tout oublié, elle abandonna, en 1871, le système de la vente des terres et en revint au système de la concession gratuite et à celui de la concession conditionnelle avec clause de résidence obligatoire fixée à cinq ans. Sous la durée de ce double régime, on construisit, de 1871 à 1882, cent quatre-vingt-dix villages nouveaux et on en agrandit quarante-sept autres, le tout sur une étendue de 475 804 hectares et moyennant une dépense de 43 261 991 francs : 9 858 familles furent alors installées. Ce grand effort ayant eu pour résultat de diminuer considérablement les ressources du Domaine, encore une fois se posa la question de l’insuffisance des terres nécessaires au fonctionnement de la colonisation officielle. En 1882, le domaine se trouva ne plus posséder, à part 1 500 000 hectares de forêts et d’immeubles affectés au service public, que 848 448 hectares, consistant pour la très grande partie en non-valeurs. On estimait alors qu’il ne restait plus que 91 550 hectares, susceptibles d’être affectés directement à la colonisation et qu’une étendue à peu près égale seulement pourrait fournir à des échanges et à des compensations. C’était la nécessité imposée de renoncer à bref délai à la colonisation officielle. L’administration algérienne imagina alors une combinaison qui devait lui fournir en peu d’années les moyens de se procurer les terres dont elle jugeait avoir besoin. Il s’agissait de créer 175 nouveaux centres, susceptibles de recevoir 9 649 familles et comprenant une superficie totale de 380 668 hectares. Le domaine fournissait 81 009 hectares ; le surplus, soit près de 300 000 hectares, serait acquis des indigènes, soit de gré à gré, soit, de préférence, par expropriation. L’opération devait coûter au Trésor 50 millions. Mais une vive opposition se manifesta dans la métropole à l’annonce du projet. Ses adversaires s’attachèrent à démontrer qu’en le réalisant, on atteindrait les indigènes dans leurs droits et leurs intérêts, qu’au surplus 50 millions avaient déjà été dépensés depuis dix ans pour installer 30 000 personnes ; que beaucoup de colons attirés par l’appât des concessions gratuites avaient encouru la déchéance ou aliéné leurs lots pour s’en retourner ruinés et mécontens ; et la Chambre, obéissant à des considérations d’équité et d’économie, rejeta la proposition. Malgré ce contretemps, la colonisation officielle n’en a pas moins continué à fonctionner jusqu’à aujourd’hui, quoique d’une manière de plus en plus ralentie, il est vrai. C’est ainsi que, de 1882 à 1890, on a installé ou agrandi 46 centres comprenant 96 000 hectares sur lesquels on a établi 11 000 personnes, moyennant 8 millions et demi de francs, et que, de 1890 à 1896, on a ouvert 24 centres et agrandi 45 ; 94 117 hectares ont été concédés à 4 022 personnes ; les dépenses n’ont été que de 4 982 540 francs.

Mais les mêmes erremens ont produit les mêmes résultats, et l’on a vu pendant la dernière phase de la colonisation nouvelle, qui va de 1870 à 1896, se produire dans les fluctuations de la population le même phénomène qui avait déjà eu lieu dans la période de 1840 à 1870. Les évictions, les déchéances, les abandons de concessions ont été des plus nombreux. C’est ainsi que de 1871 à 1881, sur les 9 858 familles installées, 3 198 familles étaient évincées ou déchues dès 1881 ; un peu plus tard, il en succombait encore 2 671. En d’autres termes, sur 9 858 familles installées à l’origine, 5 879, près des deux tiers, avaient disparu, et l’Etat se trouvait avoir fait des dépendes en pure perte pour les deux tiers des colons qu’il avait installés.

Déjà, dès 1890, M. Burdeau signalait le dépérissement d’un certain nombre de ces nouveaux centres. « Si l’on veut se rendre compte de la prospérité des centres créés, disait-il dans son Rapport sur le budget de l’Algérie, on constate que, sur les 218 centres qui ont été créés de 1871 à 18860, 135 se sont développés, 80 sont restés stationnaires ou même ont reculé, 10 ont perdu plus de 50 pour 100 du chiffre initial de leur population. Strasbourg était tombé de 420 à 180 habitans, Sidi-Embarek, de 539 à 91, Bou-Malek de 112 à 33, Blad-Youssef, de 192 à 32, Aïn-Melouk, de 105 à 42. La plupart des insuccès marqués s’étaient produits dans la province de Constantine, où 15 villages avaient à peu près avorté. » Depuis que M. Burdeau écrivait ces lignes, l’établissement des villages créés dans ces dix dernières années n’a guère donné de meilleurs résultats. En 1891, on envoie à Stora, en deux fois, 85 personnes ; en 1899, il en restait une seule, et c’était le garde champêtre. Combien y a-t-il encore d’ouvriers de la première heure dans les villages de pêcheurs qu’on a voulu créer il y a quelques années ? Tout dernièrement, un homme notable de Constantine, faisant des tournées dans le département, a voulu noter dans les villages le nombre des familles de la colonisation officielle qui sont restées sur leurs concessions, et il a constaté que cette couche d’immigrans a presque totalement disparu. A El-Mader et à Mac-Mahon, il en a retrouvé quelques-unes ; à Aïn-Touta, 6 sur 30 ; à Lambessa, aucune sur 100. Et il en est de même dans tous les autres centres. Ce qu’il y a de plus étonnant encore, c’est que quelques-uns de ces derniers ont même totalement disparu. A Fontaine-Chaude et à Aïn-el-Ksar, on chercherait vainement une construction et un colon. Tout a disparu. Et de ces villages de la création officielle on peut dire : etiam periere ruinæ, les ruines elles-mêmes ont péri.


III. — LES COLONS LIBRES SE SUBSTITUENT PARTOUT AUX COLONS OFFICIELS

L’Algérie, en dehors des ports du littoral et de quelques grandes cités de l’intérieur, ne serait plus qu’un amas de ruines et un pays à peu près vide d’Européens, si des colons autres que ceux établis par l’administration n’étaient venus repeupler le pays et combler les vides dus à la colonisation officielle. A peine l’insurrection de 1840 était-elle terminée qu’on vit des immigrans libres de toute attache officielle venir en Algérie. Les uns commencèrent par s’établir dans les villes et devinrent des ouvriers, des chefs d’ateliers, des négocians et des industriels. Les autres s’établirent dans les campagnes et rachetèrent les fermes et les établissemens qui avaient été ruinés et incendiés pendant la guerre et que leurs premiers possesseurs avaient dû abandonner. Dans le Sahel, les villages fondés par les premiers colons, comme ceux de Birkadem, d’Hussein-Dey, furent repeuplés par les nouveaux immigrans. Dans la Mitidja, ils relevèrent les anciennes fermes de leurs ruines et les restaurèrent ; puis ceux qui le purent se mirent à acheter des propriétés aux indigènes. Et, dès le début, ces colons parurent se trouver, pour la mise en œuvre de défrichement et de culture du sol, dans une situation meilleure que celle des concessionnaires de l’Etat, parce qu’ils n’étaient soumis à aucune obligation et à aucune charge. Ils pouvaient choisir leurs terres et ne pas trop s’écarter des villes et des routes ; ils trouvaient sur les anciens haouchs des maisons qu’il suffisait de réparer pour avoir un premier abri. S’ils avaient des bois, ils pouvaient les conserver ; s’ils n’avaient pas d’arbres, ils n’étaient pas obligés d’en planter. Ils n’étaient pas tenus de convertir leurs prairies en champs de blé, ni de défricher à tout prix ; ils pouvaient réserver aux pâturages une grande partie de leurs terres, ne cultiver que les meilleures et laisser le reste aux Arabes. En un mot, ils étaient libres de tirer de leurs domaines le parti qui leur semblait le plus avantageux.

Mais, par-dessus tout, ce qui assura leur succès, ce furent leurs qualités personnelles : leur esprit d’initiative, la confiance en eux-mêmes et la ferme volonté d’aboutir. Ils eurent dès le début la compréhension nette de ce qu’il fallait faire. Dans les haouchs qu’ils avaient achetés aux indigènes et qu’ils voulaient transformer en fermes d’exploitation, ils commencèrent par approprier le sol, creusant des puits là où l’eau faisait défaut, drainant et desséchant là où la terre était humide, et plantant partout des cyprès, des acacias et des mûriers. On reprit les anciennes cultures du pays, blé et orge ; on y ajouta la culture des plantes industrielles, comme le tabac et le coton ; les vieux oliviers furent greffés. Les charrues arabes furent proscrites et remplacées par des instrumens perfectionnés. Suivant en cela l’exemple que leur avaient laissé les colons de la génération de 1830, ils eurent le respect de l’indigène et entourèrent de leur sollicitude ceux d’entre eux qui travaillaient chez eux ; ils les associaient à leurs travaux, leur enseignaient la culture française et propageaient les procédés européens chez les indigènes eux-mêmes. En même temps, ils appelaient ou accueillaient dans leurs domaines ceux des immigrans de France qui ne pouvaient ou ne voulaient obtenir des concessions officielles et leur louaient des terres ainsi qu’aux indigènes, et tous avaient trouvé le moyen, sans le chercher, de vivre côte à côte dans le meilleur accord. Peu à peu, les métayers se multiplièrent, achetèrent du terrain, élevèrent des constructions ; la grande ferme put être morcelée et se transforma en hameau, qui fut souvent plus peuplé que le village voisin. Telle de ces exploitations, comme celle de Soukaly, près de Boufarik, que dirigeait M. Borelli La Sapie, comptait, en 1856, une population de 260 ouvriers ou métayers, dont un tiers indigène. A la même époque, on comptait, dans le seul arrondissement d’Alger, 167 fermes comprenant une superficie de 24 800 hectares et occupant un personnel de 1 450 employés, 195 fermes dans l’arrondissement de Blida, 263 dans celui d’Oran, avec une superficie de 37 000 hectares, 220 dans celui de Mostaganem, etc. Tandis que dans la banlieue de Constantine, on ne comptait, en 1856, que quatre villages qui, sur un territoire d’environ 4 000 hectares, n’avaient guère ensemble plus d’une centaine d’habitans, 200 exploitations particulières disséminées sur un territoire de 20 000 hectares formaient une population de 1 034 âmes. Sur l’ensemble du territoire, on ne comptait pas moins de 1 398 fermes, ayant une surface totale de 175 377 hectares. Ce travail d’accaparement pacifique et de morcellement du sol n’a cessé de croître d’une manière continue et régulière, et c’est aujourd’hui au chiffre énorme de 8 229 fermes que s’élève le nombre des exploitations rurales isolées en Algérie. On en trouve partout disséminées dans le pays : dans le Sahel et la Mitidja, où, nombreuses et échelonnées, elles servent de liaison entre les villages ; sur les Hauts-Plateaux, où, rares, elles apparaissent dans l’immensité comme autant de sentinelles avancées de notre civilisation ; dans le Sahara même, où on les voit mêlées côte à côte aux propriétés indigènes. Et même on peut distinguer encore aujourd’hui les villages créés par la colonisation libre et ceux qui doivent leur origine à la colonisation officielle. Les uns et les autres ont un aspect particulier qui les fait reconnaître au premier coup d’œil. Tandis que ceux-ci, où l’on a tout sacrifié à l’amour de l’ostentation et du grandiose, montrent de larges avenues, de vastes places et sont autant de petits Versailles et de Marly, ceux-là sont plutôt des réunions de petites exploitations rurales que des villages proprement dits. Ils ne se révèlent que par leurs églises, autour desquelles sont groupés quelques industriels, tout le reste des habitans étant dispersés dans de petites propriétés de trois à quatre hectares et souvent plus petites encore. Autant les villages créés artificiellement par l’administration sont largement ouverts aux rayons d’un soleil implacable, dénués d’arbres et paraissent mornes, désolés, et d’une désespérante monotonie, autant les villages dont l’origine est due à l’immigration libre sont ombreux, verdoyans et pittoresques. Que l’on compare à ce point de vue les créations spontanées de Birkadem et d’Hussein-Dey et les créations officielles de Staouéli et de Zéralda dans la banlieue d’Alger.

Mais la colonisation libre n’a pas seulement créé les exploitations rurales isolées en Algérie et transformé spontanément nombre d’entre elles en villages et hameaux, c’est elle aussi qui a repeuplé les villages officiels devenus déserts. Au fur et à mesure que ces derniers ont été abandonnés par les colons qu’y avait placés l’administration, d’autres immigrans sont survenus, petits cultivateurs de France et d’Algérie, ou encore ouvriers ou petits débitans ayant acquis quelque pécule par leur labeur dans les villes du littoral algérien, et, quel qu’ait été le mode d’aliénation des terres domaniales adopté par l’administration, ils ont su en devenir en définitive les acquéreurs. Sous le régime de la concession gratuite, de 1840 à 1851, ils achetaient aux concessionnaires les lots qu’ils abandonnaient ; sous celui de la concession conditionnelle, ils acquéraient des colons officiels leurs lots ruraux, dès que les titres de propriété définitifs leur avaient été délivrés ; sous le régime de la vente, de 1860 à 1871, ils se portaient adjudicataires des lots mis aux enchères. Ce sont eux encore qui, depuis 1871, ont remplacé les colons évincés ou déchus dans les nouveaux centres créés par l’administration. La prospérité des villages officiels n’a daté que du jour où les malheureux concessionnaires officiels ont fait place à d’autres, et où la colonisation libre s’y est implantée. Le fait était reconnu dès 1800 par les colons algériens eux-mêmes. « Los colons indépendans réussissent toujours là où les colons officiels se ruinent. Plus la colonisation est libre, plus on la voit prospérer, » écrivait alors M. de Baudicour[2], et dès cette époque l’administration, qui voyait la métamorphose accomplie dans les villages à la suite de l’arrivée des colons libres, cherchait à s’en faire un titre de gloire, alors cependant que cette métamorphose était la condamnation même du système suivi jusqu’alors. Personne d’ailleurs ne se méprenait en Algérie sur le bien-fondé des éloges que l’administration bénévolement s’attribuait. On avait trop sous les yeux le spectacle de la misère générale des colons implantés par l’administration ; et si un certain nombre de villages officiels se relevait, on en reportait tout l’honneur à ceux qui, sans attaches officielles, sans avoir aucune part et sans en demander aucune aux crédits de la colonisation, par leur énergie tenace et leur intelligence avisée, étaient bien les réels auteurs de ce relèvement. Et, depuis 1860, ce qu’on a vu dans les nouveaux centres créés pendant la dernière phase de la colonisation officielle, de 1871 à nos jours, n’est pas de nature à pouvoir modifier ce jugement. Les choses ne se sont pas passées autrement pendant cette période, et partout la disparition à peu près totale des colons officiels, quelques années après leur installation, a amené leur remplacement par d’autres cultivateurs et d’autres immigrans.


IV. — ENTRAVES APPORTÉES PAR LA COLONISATION OFFICIELLE AU PEUPLEMENT FRANÇAIS DE L’ALGÉRIE

Telle est l’histoire de la colonisation de l’Algérie. Elle nous montre que, dès l’origine de la conquête jusqu’à nos jours, deux procédés de colonisation ont agi concurremment pour amener la population française à émigrer en ce pays : l’un, caractérisé par la concession gratuite des terres, la création artificielle des villages et par l’insouciance du choix des colons, l’autre par l’achat des terres, la création spontanée des villages et la sélection naturelle des immigrans. Et dès maintenant, par la constatation des résultats auxquels l’un et l’autre procédés ont abouti, cette histoire nous permet de répondre à la question si souvent agitée dans la presse algérienne et métropolitaine, à savoir ; quel a été le résultat de l’intervention directe de l’Etat dans la mise en valeur et le peuplement de l’Algérie ? Longtemps on a cru que c’est à cette intervention que l’on devait l’installation des colons ruraux dont les statistiques relèvent la présence en ce pays. La métropole a consenti d’énormes dépenses pour faciliter l’immigration de ces colons ; 50 millions en une fois comme en 1848, 50 autres millions en 1871, et, chaque année depuis 1840, une somme plus ou moins élevée ; les calculs les plus modérés estiment la somme totale à environ 200 millions ; d’un autre côté, la population rurale s’élève aujourd’hui au chiffre de 210 000 âmes ; et quand on constate d’une part cette grosse dépense et d’autre part la présence sur le sol algérien de ces 210 000 colons ruraux, il paraît naturel à beaucoup de supposer que ces deux faits sont intimement liés et que le second est la conséquence du premier. Même, à entendre certains, non seulement la colonisation officielle aurait doté l’Algérie de sa population rurale, mais encore elle aurait fourni et fournirait encore aujourd’hui à la population entière de ce pays des sortes de cadres que viendrait ensuite remplir la colonisation libre. A l’appui de leurs dires ceux qui ont adopté cette manière de voir invoquent des statistiques anciennes, dressées par les soins du gouvernement général de l’Algérie, d’où il résulterait que les périodes où l’intervention de l’Etat a été le plus énergique ont été aussi celles où la colonisation libre s’est le plus développée. On cite, à titre d’exemple, la période de 1840 à 1851, où le général Bugeaud pratiqua le système de la concession gratuite et où l’Assemblée législative donna aux ouvriers parisiens un lot de terres en Algérie ; au cours de ces onze années, la population rurale implantée dans des centres autres que les villages officiels s’accrut de 29 088 unités. On ajoute aussi que, pendant la période de 1860 à 1871, la concession gratuite ayant été un moment abolie, il ne fut créé que onze nouveaux villages avec 4 582 habitans, tandis que, entre 1871 et 1878, grâce aux crédits et aux terrains accordés en faveur de l’immigration par l’Assemblée nationale, la population rurale française se serait augmentée de 43 500 personnes.

Mais les faits précis de l’histoire de la colonisation algérienne que nous avons exposés nous autorisent à émettre des conclusions diamétralement opposées à l’opinion que l’Algérie doit sa population rurale à la colonisation officielle. Ils nous permettent de nous rendre compte que les dépenses faites par la métropole pour appliquer ce procédé de colonisation n’ont contribué que dans une proportion insignifiante au peuplement de l’Algérie, les colons officiels ayant été presque tous évincés et déchus et remplacés par les colons libres, qui ont, eux, mis en valeur des terres dont les détenteurs de concessions gratuites n’avaient su que faire. En réalité, l’effet utile que la colonie a retiré de ces 200 millions dépensés a été à peu près nul, la colonisation officielle ayant été, depuis l’inauguration du système et malgré les applications variées qui en ont été faites, frappée toujours de stérilité.

Il n’est pas même exact de dire que l’intervention directe du gouvernement, si elle n’a pas abouti à fixer au sol les détenteurs de concessions gratuites, a du moins servi de cadre à la colonisation libre et l’a favorisée. Les chiffres que l’on a vu citer plus haut à l’appui de cette opinion sont erronés et aussi l’interprétation qu’on avait cru pouvoir en tirer. Sur ce point de la discussion, M. Burdeau, dans son rapport sur l’Algérie, a jeté la lumière. Si, de 1840 à 1851, au moment le plus actif de la colonisation officielle, la population agricole indépendante augmenta considérablement, cela tient non à ce que l’administration implantait de nombreux colons dans les centres nouvellement créés, mais bien à la force d’attraction qu’exerçait alors la colonie sur la métropole. Pendant cette période, il y eut un moment, de 1844 à 1847, où l’Algérie jouit d’une grande vogue en France. Des flots d’immigrans, à destination de la colonie, se pressaient dans les ports de l’Océan et de la Méditerranée ; ce n’était certainement pas l’appât des concessions gratuites qui les attirait, et ils le prouvèrent en dédaignant les faveurs officielles et en fuyant la tutelle de l’administration. Tandis que cette dernière avait toutes les difficultés à peupler les nouveaux centres qu’elle créait et était obligée, en définitive, d’avoir recours à la transplantation en masse d’ouvriers de Paris, les nouveaux débarqués allaient s’entasser à flots pressés dans les anciens centres créés par les premiers colons ou achetaient des terres aux indigènes et fondaient à leurs frais de nouveaux établissemens. L’argument qu’on a cru tirer du ralentissement de l’immigration pendant la période de 1860 à 1871 est moins probant encore. Ceux qui affirment qu’il n’y a eu que 4 582 colons officiels pendant cette période de l’abolition des concessions gratuites oublient de dire, en effet, que, pendant le même laps de temps, il y eut une augmentation de 28 000 colons libres, en sorte que, contrairement à la thèse soutenue, une augmentation considérable de la population rurale indépendante a coïncidé, pendant cette période, avec l’arrêt de la colonisation officielle. Et il en est de même de la valeur qu’on doit attribuer au fait que, de 1871 à 1878, l’administration aurait implanté 43 501 colons en Algérie. C’est dans la notice publiée en 1889 par le gouvernement général sur le service de la colonisation que se trouve cette indication. Or, d’après la statistique de l’Algérie, document qui n’est pas établi pour démontrer une thèse préconçue, la population agricole européenne de toute la colonie, étrangers et Français compris, n’a monté, de 1871 à 1878, que de 19 728 unités[3]. On ne comprend pas, ainsi que le fait remarquer à juste titre M. Burdeau, comment le nombre des colons français aurait pu s’accroître de 43500, quand le nombre total des colons montait de 20 000 à peine, à moins d’admettre que l’afflux des colons officiels a eu pour résultat non seulement d’arrêter l’immigration libre, mais de provoquer encore une fois la sortie d’un grand nombre de colons fixés déjà dans le pays.

La vérité est que, loin d’avoir aidé au développement de la colonisation libre, l’intervention directe de l’Etat, s’exerçant par le moyen de la colonisation officielle, lui a singulièrement nui et l’a entravée. Chaque fois que l’intervention de l’Etat s’est fait sentir d’une manière énergique, elle a eu pour résultat d’amener le ralentissement de l’immigration libre et même de provoquer, ô ironie des choses ! l’exode d’une partie des habitans de la colonie. L’inauguration de la colonisation officielle, en 1841, fut le signal du départ des colons libres de 1830 qui avaient tant fait pour rendre prospère le pays. La création des premiers villages artificiels par l’administration militaire et l’administration civile, suivie aussitôt de leur débâcle, eut pour résultat, en 1847, l’arrêt complet de l’immigration libre. Plus tard, la création des villages parisiens sous l’autorité militaire amène, en 1850, le dépeuplement général du pays, des villes aussi bien que des campagnes. Dans ces derniers temps, la reprise de la colonisation officielle, en 1871, n’a pas donné de meilleurs résultats ; tant qu’elle a battu son plein, l’immigration libre a été suspendue, pour ainsi dire, et le pays a perdu de ses anciens habitans. Ces faits sont tellement exacts qu’on peut aujourd’hui formuler la règle que, « moins il y a eu de colonisation officielle, plus il y a eu de colonisation libre, » et l’on peut trouver, pour ainsi dire, de décade en décade, la confirmation de cette règle.

De 1830 à 1840, pas de colonisation officielle, en revanche colonisation des plus prospères. De 1840 à 1851, la colonisation officielle est à son summum d’activité et la colonisation libre est arrêtée en plein essor. De 1851 à 1871, arrêt dans la colonisation officielle et reprise de la colonisation libre. De 1860 à 1871 notamment, il n’y a eu d’implantés que 4 582 colons officiels et il y eut un accroissement total de 32 000 colons. Enfin, de 1871 à 1878, avec le plus grand effort de l’Etat pour implanter administrativement des colons, coïncide un recul des plus marqués de la colonisation proprement dite : l’accroissement total de la population rurale n’est plus que de 19 728 âmes, et cependant on a implanté 43 500 colons officiels. En revanche, le progrès n’a jamais été plus rapide que depuis 1882,

À ce moment, la colonisation officielle est en partie arrêtée, les crédits sont réduits et l’emprunt de 50 millions réclamé par la représentation algérienne est refusé par les Chambres. Et la colonisation libre, loin d’en souffrir, n’a jamais eu de période plus prospère. De 1878 à 1889, on n’installe que 11 000 colons officiels, et le nombre des Français immigrans s’élève chaque année à 6 500 en moyenne ; la population rurale s’augmente à elle seule de 69105 unités. Depuis 1889, la colonisation officielle se trouve réduite à son minimum d’activité ; elle ne réussit notamment qu’à implanter 108 colons en 1897, et c’est alors que la colonisation libre déploie les plus grands efforts pour transformer le pays. Dans les années de la période de 1884 à 1893, les Européens trouvent le moyen d’acheter, tant aux musulmans qu’aux israélites indigènes, 242 000 hectares de terres, et 81 995 environ au Domaine. De ce moment date aussi le merveilleux essor pris par la culture de la vigne. En 1880, on ne comptait en Algérie que 17 000 hectares complantés en vignes, produisant en moyenne 300 000 hectolitres. En 1901, on compte environ 130 000 hectares, produisant 5 millions d’hectolitres. Constamment on trouve que le progrès de l’immigration libre est en raison inverse de l’activité de la colonisation officielle. Cette opposition constante, cet antagonisme des deux procédés de colonisation pourront paraître à quelques-uns surprenans ; on peut cependant donner de ce fait en apparence paradoxal une explication plausible et rationnelle. La première condition du fonctionnement de la colonisation officielle, c’est la possession par le Domaine d’une grande quantité de terres destinées à former les concessions sur lesquelles l’administration puisse installer ses colons. Ces terres, on ne peut se les procurer qu’en les enlevant aux indigènes. Dépouillés de leurs biens, ceux-ci ne peuvent les vendre aux immigrans venus librement de France se fixer en Algérie. Les terres dont s’empare l’administration sont ainsi enlevées aux transactions amiables entre colons acheteurs et Arabes vendeurs, et ainsi enlevées en réalité à la colonisation libre. De plus, cet accaparement des terres indigènes par le Domaine, en raréfiant sur le marché la matière transactionnelle, a pour résultat de faire hausser pour un temps le prix du terrain, et cette hausse est d’autant plus accentuée qu’on a confisqué plus de terres aux indigènes. Les confiscations et les expropriations en masse ont en outre pour résultat de créer un état de troubles et d’amener les Arabes, réduits à la misère, à se livrer au pillage pour vivre ou se venger. C’est ainsi qu’à toutes les périodes de grandes confiscations et d’expropriations, l’insécurité a atteint en Algérie son maximum d’acuité. Ne trouvant plus de terres à acheter ou ne pouvant les acheter qu’à un prix élevé, craignant en outre pour leur vie, les immigrans de la métropole ne viennent plus dans la colonie. Mais, au bout d’un temps, la détente se produit. Les villages officiels, dont la création hâtive et artificielle ne répond à aucune nécessité économique, ne peuvent pour un certain nombre prospérer, et les colons officiels, d’ailleurs trop souvent inaptes et spéculateurs, abandonnent la partie ; ils délaissent ou cherchent à aliéner leurs concessions : il y a abondance de terres concédées sur le marché, et le prix en diminue d’autant plus que le nombre des concessionnaires partans est plus considérable. Cet avilissement du prix des terres antérieurement concédées ne tarde pas à influer à son tour sur la valeur même des terres cultivées par les colons libres : toute la propriété algérienne se trouve dépréciée et cette dépréciation est d’autant plus forte qu’à cette cause d’avilissement il vient s’en joindre une autre, l’insécurité. Ayant leurs terres dépréciées et leurs récoltes constamment compromises et menacées, les colons libres ne peuvent plus trouver à emprunter ou ne peuvent plus faire face à leurs affaires : ruinés ou expropriés, ils quittent la colonie ou vont s’établir dans les villes du littoral. C’est alors au tour des immigrans de la métropole d’accourir et de racheter à vil prix les terres dont n’ont point voulu les colons officiels et celles qu’ont été obligés d’abandonner les colons libres. Et c’est ainsi que, plus la colonisation officielle a été active, moins a été prospère la colonisation libre ; plus énergique a été l’intervention directe de l’Etat pour implanter la race française, moins, on peut le dire d’une manière générale, il est arrivé de colons sérieux : moins elle s’exerce, plus les colons affluent. Ainsi peut s’expliquer dans une certaine mesure cette série de crises agricoles que l’Algérie n’a cessé de traverser dans le passé et dont les conséquences se font sentir de nos jours. Ces fluctuations inouïes auxquelles ont été soumises les propriétés algériennes, ces booms et ces krachs, comme diraient les Américains, ont presque toutes accompagné ou suivi une recrudescence dans la mise en application des procédés de la colonisation officielle. Chacune de ces recrudescences a agi à la façon d’un fléau ou d’une calamité publique qui éloigne d’un pays les immigrans et en fait sortir les habitans. Elle a bouleversé à diverses reprises l’état de la propriété algérienne et faussé les lois économiques qui devraient naturellement les régir. Administrateurs et colons ont rejeté à l’envi les uns sur les autres la responsabilité de leurs déceptions et de leurs désastres ; ils n’ont pas vu la vraie cause du mal, et tous en réalité ont été les victimes d’un état de choses anti-économique et qu’eux-mêmes créaient.

On ne peut s’empêcher de se demander, en présence de tels faits, ce que serait devenue l’Algérie, si l’Etat l’avait laissée libre d’évoluer dans des conditions économiques normales, si l’insécurité, les booms et les krachs de la propriété foncière alternant incessamment, l’accaparement des terres indigènes, les tracasseries de l’administration, le discrédit général jeté sur la colonie, tous ces maux dont la cause fut la mise en application du système de la colonisation officielle, n’avaient arrêté à diverses reprises, contrarié toujours le mouvement qui entraînait les gens de la métropole, disposant ou non de capitaux, mais toujours pleins d’énergie et d’initiative, à aller créer une autre France de l’autre côté de la Méditerranée. Et quand on songe qu’il n’y a à cette heure en Algérie que 210 000 colons ruraux dont une bonne partie est d’origine étrangère, et que, d’autre part, il était venu en ce pays, en une seule année (1846), 46 000 immigrans de race française dans l’intention de s’y fixer, ne peut-on être tenté de conclure que l’Algérie serait aujourd’hui autrement peuplée, autrement unie, autrement prospère, jouirait d’un autre renom et d’un autre prestige, si elle avait été laissée libre de se développer à son aise par la seule force d’attraction que la colonie aurait exercée sur la métropole ?


V. — LA COLONISATION OFFICIELLE EST LA CAUSE DES ERREURS DE LA POLITIQUE ALGÉRIENNE ET CRÉE LE DANGER DE L’AVENIR

L’intervention directe de l’Etat pour implanter de force la race française en Afrique n’a donc pas eu dans le passé le rôle utile que certains se sont plu à lui attribuer, elle n’a contribué que dans une proportion insignifiante au peuplement de l’Algérie, et elle a nui au développement de la colonisation libre. La possession de cette vérité est d’une importance capitale pour qui veut comprendre l’histoire de la colonisation algérienne et la juger en connaissance de cause. En effet, les conditions du fonctionnement de la colonisation officielle et les résultats qu’il a produits expliquent la plupart des erremens de la politique coloniale algérienne. Ces conditions et ces résultats connus, l’histoire de ces erremens restée en apparence si complexe, si embrouillée et si obscure, se simplifie, s’explique et s’éclaire. En dépouillant les indigènes de leurs terrains par les moyens violens de la confiscation et de l’expropriation, on obéissait à la nécessité d’avoir des terres en quantité suffisante pour les besoins de la colonisation officielle. En faisant appel à des gens plus ou moins capables de mettre en exploitation les lots qui leur étaient concédés, l’administration obéissait à la nécessité d’avoir à tout prix des colons sur ses concessions. En négligeant la colonisation libre et au besoin même en l’entravant, on sacrifiait au désir de ne pas susciter des concurrens aux colons officiels et on ne voulait pas avoir sous les yeux le spectacle de colons qui réussiraient là où les autres échouaient, ce qui était la condamnation même du système. Et, à leur tour, ces erremens de la politique coloniale algérienne ont été la cause et le point de départ des maux dont a souffert dans le passé et dont souffre actuellement l’Algérie, à savoir : l’antagonisme des indigènes et des Européens, le mécontentement général des colons, l’arrêt de l’immigration française, le discrédit jeté sur la colonie. Tout se suit et s’enchaîne. Privés d’une partie de leurs terres dans le passé, craignant de se voir dépouillés encore dans l’avenir, les indigènes nous sont devenus hostiles. Appelés par l’Etat, dotés et installés par lui, les colons officiels se sont habitués à se considérer comme des agens de l’Etat, comme des sortes de fonctionnaires. Ce n’étaient plus des particuliers venus pour faire une affaire ; c’étaient des pionniers qui avaient planté au loin le drapeau français et qui, en compensation de cette mission patriotique, croyaient avoir des droits particuliers sur le budget. Tous ces colons qu’on a installés à grands frais, et qui ont échoué parce que, attirés par des moyens artificiels, ils n’avaient pas les ressources nécessaires pour réussir, ils ont rempli et ils remplissent encore la colonie de leurs plaintes. Comment des immigrans capables seraient-ils venus se fixer au milieu de ce bruit incessant de misères et de ruines ? Et quand ces malheureux rentrent en France, quelle idée fausse ne donnent-ils pas du pays d’où la nécessité les a chassés ? Et il se trouve que l’un des résultats les plus certains des sommes qui ont été absorbées par la colonisation a été de faire passer par la colonie des milliers et des milliers d’hommes qui sont retournés dans la métropole lui faire la plus pitoyable publicité.

Procédé illusoire et funeste dans le passé, cause de déboires pour les particuliers et de déconsidération pour la colonie, le régime de la concession gratuite apparaît, de plus, plein de dangers et de menaces pour l’avenir, étant donnée la modification profonde qui est en train de s’accomplir dans la proportion des élémens qui forment la population de l’Algérie.

Deux faits nouveaux et inattendus se dégagent des derniers recensemens faits dans ce pays : l’accroissement continu des races indigènes et l’augmentation rapide des naturalisés européens. Les indigènes, qui étaient deux millions environ en 1872, ne sont pas bien éloignés d’atteindre aujourd’hui un chiffre intermédiaire entre trois millions et demi et quatre millions. À cette augmentation, certes, on ne peut trouver rien à redire. Bien au contraire, nous devons nous féliciter de voir les indigènes croître et multiplier sous notre protection. Malheureusement leurs ressources et leurs moyens de subsistance ne croissent pas dans la même proportion ; ils ont été, au contraire, diminués sérieusement. Soit à la suite de confiscations et d’expropriations, soit à la suite d’achats ou autrement, quatre millions d’hectares environ ont été francisés à l’heure actuelle, c’est-à-dire enlevés aux indigènes, à savoir 1 400 000 hectares concédés ou vendus aux colons et 2 400 000 appartenant encore au Domaine. Au premier abord, ce chiffre de quatre millions d’hectares paraît relativement peu de chose, étant donnée la superficie de l’Algérie. Mais c’est ici qu’il ne faut pas se laisser éblouir par la fantasmagorie des chiffres. L’Algérie a bien, dans les limites qu’on lui assigne d’ordinaire, 70 millions d’hectares, mais l’étendue du sol utilisé par rapport à la superficie totale y est fort restreinte.

Trois millions et demi d’hectares cultivés, 3 millions d’hectares occupés par les forêts, lesquels peuvent être considérés comme utilisés, et 1 million d’hectares environ de terrains à alfa exploités, voilà à quoi se réduit aujourd’hui le domaine de l’agriculture en Algérie[4]. C’est tout au plus le dixième de la surface totale. Le reste appartient à la broussaille et à la vaine pâture dans le Tell, constitue les terres de parcours des hauts plateaux et les hamadas pierreux en même temps que les aregs du Sahara. Des 7 millions et demi d’hectares utilisés, qu’on enlève 4 millions, et on voit ce qui reste aux indigènes ; pas même un hectare par tête. On estime les surfaces emblavées par les indigènes à 2 066 000 hectares, soit un demi-hectare par tête : et encore n’emploient-ils guère que la culture extensive. Pour ne citer en exemple qu’une tribu dont le nom se trouve mêlé à un fait d’une actualité trop douloureuse, la tribu des Rirhas, ces révoltés de Margueritte, possédait, en 1812, 17 666 hectares et comptait 929 individus ; elle ne possède plus aujourd’hui que 7 000 hectares et les Rirhas sont 3 600. Ils ont à peu près trois fois moins de terres et leur nombre a plus que triplé ; ils ont à peine 2 hectares par tête. Et quelles sont ces terres ? Il faut connaître cette région du Zaccar, avoir parcouru ces schistes noirs et stériles, ces rocs de calcaires, sur lesquels les pentes atteignent quelquefois 90 degrés, pour en savoir la vaine valeur ! Et c’est en présence de cet accroissement rapide des indigènes et de la diminution si marquée de leurs moyens de subsistance qu’on veut les dépouiller encore une fois ! C’est en ce moment qu’on parle de fonder jusqu’à 30 villages dans le département d’Alger, 99 dans le département de Constantine, et 10 dans celui d’Oran. Ainsi le coin-porte du moins le programma de 1894. Or, nous nous trouvons, en 1901, il ne faut pas nous le dissimuler, dans une situation à peu près identique à celle où nous nous sommes trouvés après l’insurrection de 1840 et celle de 1871 et après 1882 : nous allons manquer des terres nécessaires à la continuation du système de la colonisation officielle. Les réserves domaniales disponibles sont à peu près épuisées. Elles ne représentent guère aujourd’hui que 1 500 000 hectares de forêts auxquelles on ne peut guère toucher et 880 000 hectares dont la valeur est inégale et dont un quart, tout au plus, serait propre à la culture. La plus grande partie consiste en rochers, plages ou encore en parcelles disséminées, et, par suite, il ne reste pour la colonisation qu’une quantité restreinte de terrains pouvant servir soit directement à la création des centres, soit à la conclusion d’échanges avec les indigènes. Le peu de terres propres à la culture étant épuisé, comment alimenter à nouveau le Domaine ? On ne pourra le faire que par des confiscations nouvelles ou par des expropriations administratives.

Mais déjà les indigènes ne possèdent plus une quantité de terres qui, en l’état actuel des cultures, puissent les nourrir. Dans les districts où l’on parle d’étendre surtout les nouveaux centres de colonisation, comme en Kabylie, la propriété indigène est extrêmement divisée ; ici, c’est à peine si elle représente un hectare à un hectare et demi par famille. Les patiens laboureurs kabyles, qui savent tirer de la terre tout ce qu’elle peut donner, n’arrivent plus à vivre et sont obligés chaque année de s’expatrier, pour un temps, à la recherche d’un gain, dans les villes et les fermes européennes. D’autre part, la population, en Kabylie, est plus dense que celle de la France et croît d’année en année. Comment peut-on songer, comment pourra-t-on oser, en présence de cette pénurie des terres cultivables et de cet accroissement incessant de la population indigène, enlever encore aux Kabyles une partie des terres qui leur restent ? À pousser plus loin les choses, on arriverait au bouleversement et à la dissociation de la société indigène : on transformerait tous les petits propriétaires en prolétaires, on ferait de l’Algérie une autre Irlande et l’on y créerait la question agraire. Les événemens de Margueritte, qui ont surpris bien du monde en France, ne sont malheureusement que trop explicables pour qui connaît la question indigène en Algérie. Chez les Rirhas privés des deux tiers de leurs terres et triplés en nombre depuis cinquante ans, l’extrême misère et la difficulté de vivre sur ce qui leur reste du domaine primitif ont préparé le terrain sur lequel a levé la graine semée par un fanatique. Pour la métropole et la colonie, cela doit servir d’avertissement.

Mais, si grand que soit le péril que nous crée l’augmentation régulière de la population indigène coïncidant avec la diminution des terres qui la font vivre, l’augmentation régulière des naturalisés européens en Algérie crée un danger plus redoutable encore. On sait qu’on désigne sous ce nom des étrangers ou des fils d’étrangers qui ont acquis la nationalité française. Jusqu’en 1889, le nombre des naturalisés fut restreint ; la moyenne annuelle ne dépassait pas quelques centaines au plus ; et ceux qui étaient l’objet de la naturalisation se perdaient sans peine dans la masse des Français d’origine. Mais, cette année-là même, une loi sur les naturalisations fut votée, laquelle conféra la qualité de Français, sans qu’il fût besoin de la demander, à tout individu né en France de parens inconnus ou dont la nationalité est inconnue ; à tout individu né en France d’un étranger qui y est né lui-même ; et à tout individu né en France d’un père étranger né à l’étranger, au moment où cet individu atteint sa majorité. On avait eu pour but, en votant cette loi, de hâter l’absorption en France du million d’étrangers qui vivent sur notre sol, disséminés au milieu de 38 millions de Français de race. En vertu de la théorie de l’assimilation, qui consiste à doter le plus possible l’Algérie de la même législation que la métropole, cette loi fut déclarée applicable à la colonie. De par cette loi, tout étranger vivant en Algérie se trouve aujourd’hui naturalisé à sa naissance, s’il est né dans le pays de parens inconnus, et à sa majorité, s’il est né d’un père étranger. Mais on avait oublié ou négligé cette considération que la situation en Algérie n’est pas la même qu’en France, qu’il y a dans cette colonie un nombre d’étrangers égal, si ce n’est supérieur à celui des Français de race. L’application de cette loi à l’Algérie éleva tout de suite la moyenne annuelle des naturalisations à 5 ou 6 000 ; déjà en 1897, on évaluait le nombre des naturalisés à 55 519, et, chaque année, ce chiffre s’accroît de plusieurs milliers d’unités. Dès maintenant, ces naturalisés sont assez nombreux pour peser d’un poids considérable dans la vie politique du pays. Investis de droits politiques, ils disposent dès maintenant des élections dans un certain nombre de communes, et ils ne vont pas tarder à en disposer dans beaucoup d’autres. En effet, dans 23 communes sur 71 du département d’Alger et dans 42 communes sur 100 du département d’Oran, les étrangers sont en majorité, et il suffira de laisser jouer les naturalisations pour que ces étrangers naturalisés au fur et à mesure deviennent maîtres des conseils municipaux. Et voilà que, non contens d’augmenter sans cesse leur nombre et de mettre en leurs mains l’influence politique, nous nous attachons, depuis quelques années, à assurer aux nouveaux venus l’influence économique, et cela au détriment de l’élément français ! Et c’est ici encore l’intervention de l’Etat qui doit être mise en cause, avec la manière dont il applique le régime des concessions.

Jadis, les concessions gratuites et les concessions à titre conditionnel n’étaient données qu’aux Français de la métropole, et même on interdisait aux étrangers de se porter acquéreurs dans les adjudications des terres aliénées par le Domaine. Mais, il y a une vingtaine d’années, on commença par demander en Algérie que, dans les nouvelles créations de villages, une part fût faite aux fils des Algériens, parce que, étant au courant de l’agriculture africaine, ils pourraient l’enseigner aux nouveaux arrivans. Puis, mis en goût, on professa une doctrine plus radicale et l’on demanda que les fils de colons, connaissant le pays et étant par cela mieux à même de réussir, fussent préférés aux Français d’origine nés sur le sol métropolitain. En vertu de cette théorie, il fut admis qu’une moitié au moins, puis les trois quarts, puis enfin, dans certains cas, la totalité des concessions seraient données aux colons. C’est ainsi que tous les lots dans les villages qu’on agrandit sont exclusivement réservés aux fils de colons. Quant aux lots dans les villages de création nouvelle, tous les efforts sont faits pour obtenir que les trois quarts de ces lots soient réservés aux fils de colons et on y réussit. Ainsi le jeu naturel des intérêts autour de la colonisation officielle a réduit la part des métropolitains dans la distribution des terres en Algérie à rien dans les villages à agrandir et à un quart seulement dans les villages à créer. De par ce fait, les Français de France sont évincés et il n’y a presque plus de place pour l’immigration française dans les terres aliénées par le Domaine.

Mais il y a plus ! Ces concessions dont nous ne faisons bénéficier que d’une manière infime nos nationaux, nous n’hésitons pas à en faire bénéficier l’élément d’origine étrangère de la manière la plus large : les naturalisés ont droit aux concessions gratuites et ils ne se font pas faute d’user de ce droit. Peu à peu, par l’obtention des concessions, les naturalisés se transforment de prolétaires en propriétaires : ils acquièrent l’influence que donne toujours la possession du sol. N’est-ce pas quelque chose de prodigieux qu’un pays qui dépense des millions par an pour organiser des concessions interdites à ses émigrans et accessibles à l’élément d’origine étrangère ? Le seul prétexte en apparence plausible qu’aient pu invoquer les partisans de la colonisation par l’intervention directe de l’Etat a toujours été la nécessité d’implanter de force une population française qui fût capable de maintenir, malgré l’afflux des immigra us et des nationalisés, la prépondérance de l’élément et de l’esprit national. Et voilà qu’aujourd’hui la colonisation officielle est devenue l’agent très actif de la formation d’une nationalité algérienne dans laquelle l’élément français pourra n’être qu’un facteur secondaire ! Dans la voie où elle est lancée depuis le vote de la loi sur les naturalisations et les dernières mesures relatives à l’obtention des concessions gratuites, l’Algérie marche à une situation où l’élément français sera livré au bon plaisir de l’élément naturalisé et où le loyalisme d’une colonie reposera sur des fils d’étrangers. Qu’on veuille bien réfléchir à ces faits, et l’on aura peut-être l’explication de bien des agitations qui ont secoué dans ces dernières années la colonie.


VI. — LE MEILLEUR MODE DE COLONISATION

Toute notre politique coloniale en Algérie n’a erré dans cette affaire capitale de la colonisation que parce qu’on a bien voulu croire que le meilleur système pour implanter la race française en Afrique était le système de la colonisation officielle. Depuis soixante ans, on a suivi ce système sans qu’on ait eu la pensée de vérifier si les résultats qu’il donnait étaient bons ou mauvais ou même s’ils donnaient un résultat quelconque. On n’a pas voulu s’enquérir de ce qui s’est fait dans le passé ; on est toujours allé de l’avant, on a vécu au jour le jour, au petit bonheur, et l’on a abouti à la crise actuelle et à l’état de malaise dans lequel se débat l’Algérie. Ce qui est fait est fait. Mais nous serions inexcusables si nous continuions de pareils erremens et si les leçons du passé restaient vaines pour nous.

Et tout d’abord nous devons abandonner définitivement le système de la colonisation officielle, qui fut à peu près stérile et nuisible dans le passé, qui crée maintenant le danger de l’avenir. On dirait d’ailleurs que le Parlement a deviné le danger. Les Chambres, en effet, ont commencé à comprendre que l’intervention de l’Etat ne pouvait produire, à grand renfort de dépenses, de formalités et de règlemens, qu’une œuvre artificielle et mal venue. Les défiances qu’a inspirées la colonisation officielle ont amené d’année en année des réductions continues dans le budget de la colonisation. De 4 400 000 francs, auxquels s’élevait ce budget en 1878, il a été ramené par des réductions à 1 800 000 francs en 1897. Encore fut-il décidé, cette année même, qu’une partie des ressources serait employée désormais à l’amélioration des centres anciens et qu’une moitié seulement serait affectée aux créations nouvelles. On n’implante plus annuellement qu’une centaine de colons. Il n’y a qu’à persévérer dans cette ligne de conduite et à supprimer complètement le budget de la colonisation officielle.

C’est désormais à un autre principe que nous devons subordonner notre politique coloniale, à une autre méthode de colonisation que nous devons nous adresser. La voie dans laquelle nous devons nous engager nous est d’ailleurs suffisamment connue. Depuis soixante-dix ans, les colons indépendans nous l’ont suffisamment indiquée et nous ont montré combien elle est efficace, combien elle est peu onéreuse pour l’Etat, combien elle nous concilie les indigènes, combien enfin elle est rationnelle et conforme aux lois économiques. Puisque la force des choses, d’ailleurs, amène les acheteurs à supplanter les détenteurs de concessions gratuites, il faut établir tout de suite notre système de colonisation sur le principe de l’achat, qui donne des colons qui durent, au lieu du régime de la concession gratuite, qui donne des colons qui ne restent pas.

Ce régime de la vente des terres, nous l’avons du reste appliqué en Algérie à diverses reprises, et nous pouvons en apprécier les résultats. De 1860 à 1871, il remplaça le régime des concessions gratuites. Cette modification dans le mode d’appropriation des terres eut de bons effets, et la population agricole, dans le ressort administratif des centres colonisés, s’éleva pendant cette période de 32 000 unités. Aboli en 1871 par l’amiral de Gueydon, qui voulait établir à la hâte des colons sur les terres dont venaient, à la suite de l’insurrection, d’être dépouillés les indigènes, le régime de la vente des terres ne tardait pas à être repris. Dès 1882, dans une circulaire adressée aux préfets, M. Tirman en était amené à signaler les inconvéniens du régime des concessions gratuites, qui n’étaient plus, disait-il, qu’une sorte de monnaie destinée à récompenser certains services rendus, et il faisait en même temps ressortir le discrédit que les concessionnaires jetaient sur la colonie. À son tour, le 12 février 1884 le Conseil supérieur de gouvernement de l’Algérie se prononçait pour la vente aux enchères des terres publiques. Trois ans après, le gouvernement général affirmait que « la concession gratuite, au moins comme système général, était condamnée, et faisait un grand éloge de la vente des terres. » Malheureusement ni M. Tirman, ni le Conseil supérieur de gouvernement, ne purent aller jusqu’au bout et abolir complètement le régime de la concession gratuite. Trop d’intéressés vivent de ce régime, qui permet de payer les services électoraux. Mais, et dès cette époque, l’administration, se conformant aux vues du gouvernement général, est entrée de la façon la plus heureuse dans la voie de l’adjudication des terres du domaine public. En 1885, 7 300 hectares étaient mis en adjudication, les indigènes et les étrangers étant exclus, et cette opération réussissait à merveille. Presque tous les lots trouvèrent preneur sur la première mise à prix, qui fut de beaucoup dépassée, parfois plus que doublée. De 1884 à 1893, 81 995 hectares ont été ainsi aliénés pour une somme totale de 18 017 788 francs, soit par vente de gré à gré, soit par adjudication, et cette opération a continué sans interruption jusqu’à nos jours. C’est ainsi que, chaque année, le Domaine aliène en lots de vente pour terrain de colonisation ou autres plusieurs milliers d’hectares, 7 000 en moyenne, qui produisent bon an mal an de 5 à 600 000 francs. Il est vrai que les Français de la métropole ont montré jusqu’ici peu d’empressement à se présenter aux enchères et que ce sont plutôt les Algériens qui se portent en plus grand nombre acquéreurs ; mais nous pensons avec beaucoup que c’est un mal auquel on peut remédier. Il suffit que l’Etat veuille ne pas se montrer étranger aux conditions élémentaires d’un commerce sérieux et actif. La première de ces conditions, c’est la publicité. Or, on n’en fait aucune. De temps en temps, il est vrai, le gouvernement général, par les organes officiels, annonce des adjudications de terres ; après quoi, l’on s’étonne que les métropolitains ne prennent pas le train et le bateau pour venir miser aux enchères. Mais ce n’est pas seulement dans quelques organes officiels que ces adjudications devraient être insérées ; des affiches devraient les faire connaître dans tous les petits journaux du Midi et du Centre, dans les mairies et les gares. Quels sont les paysans en France qui savent qu’on peut trouver en Algérie des occasions d’acquérir des domaines de 30 à 100 hectares de terres fertiles, pour des sommes de 2 000 à 10 000 francs payables à terme ? Une agence officielle de renseignemens devrait être organisée de manière à pouvoir nous apprendre, en un moment, ce qu’a besoin de savoir le futur colon, pour organiser son départ et pour faire ses débuts sur la terre algérienne. Des notices devraient être répandues à profusion, où les avantages et les conditions d’un établissement en Algérie seraient exposés avec précision, avec détails, avec vérité. Le plus possible aussi, on devrait, dans la vente des terres, donner la préférence aux ventes de gré à gré plutôt qu’à la vente par adjudication, cette dernière étant une manière d’écarter les métropolitains qui ne peuvent faire un voyage onéreux pour courir le risque de voir les enchères leur échapper. Et qu’on ne vienne pas dire de prime abord que ces moyens seront insuffisans pour attirer les gens de France en Algérie ; l’exemple de la Tunisie est là qui nous prouve le contraire ; cette dernière fait de la publicité et vend ses terres, et elle attire annuellement autant d’immigrans, à elle seule, et dans un territoire trois fois moins étendu, que toute l’Algérie, avec son régime des ventes sans publicité et son régime de concessions gratuites réunis.


VII. — L’AVENIR DE LA COLONISATION

Il est d’ailleurs une série d’autres moyens de favoriser la colonisation libre autrement efficaces que de lui faciliter l’accession aux ventes des terrains domaniaux, c’est de donner tout d’abord à l’Algérie l’outillage économique qui est indispensable à son développement. La création de routes, la construction de voies ferrées, des travaux d’hydraulique agricole, l’assainissement de certaines zones, l’amélioration des ports devront être réalisés. La régularisation du régime des eaux, qui, dans un pays à la fois très sec et très accidenté comme l’Algérie, dépend en grande partie de l’état et de la position des boisemens, ne s’impose pas moins ; de même aussi la conservation et sur un certain nombre de points déterminés la reconstitution des forêts, dont l’existence est si propice à la formation et au débit régulier des sources et à l’emmagasinement naturel des eaux pluviales. On s’est assez peu occupé jusqu’ici de ces améliorations, l’attention s’étant portée surtout sur la colonisation officielle et les fonds disponibles ayant été réservés pour la plus grande partie aux créations et aux agrandissemens de villages. Ces fonds devront désormais avoir un autre emploi. Avec les sommes provenant de la vente des terres domaniales et avec une partie des ressources de l’emprunt, l’ancien budget de la colonisation officielle devra pourvoir aux dépenses nécessitées par l’exécution du nouveau programme.

Ces grands travaux d’utilité publique attireront certainement la main-d’œuvre française et des immigrans. Quand ils seront achevés, la colonisation, assurée désormais dos-conditions d’existence et de succès, pourra rayonner et s’étendre indéfiniment sur tout le pays cultivable, devenu sain et bien desservi ; les centres viendront plus tard ; les villages, — qu’on n’ait aucune crainte sur ce point, — sauront bien, comme par le passé, se créer tout seuls et se placer aux situations les meilleures. On les trouvera sur les cours d’eau, à l’entre-croisement des routes, ils naîtront d’eux-mêmes par l’expansion de la culture et par la nécessité d’un marché pour la vente des produits agricoles dont les colons voudront se défaire et pour l’achat des articles manufacturés, des ustensiles et des diverses marchandises dont ils auront besoin. L’Etat n’aura qu’à laisser aller les choses, qu’à laisser faire et qu’à laisser passer. Il n’interviendra que pour doter les nouvelles agglomérations rurales, au fur et à mesure de leur développement, des monumens et des services publics indispensables aux exigences de la vie civilisée. Ces villages, dont la création répondra toujours à des nécessités économiques et dont l’agrandissement n’aura lieu qu’au fur et à mesure du développement de leur prospérité, réussiront certainement. Et qu’on ne croie pas que ce que nous exposons ici soit une simple vision de l’esprit. Si l’on veut avoir une preuve saisissante, plus forte que tous les raisonnemens, de l’efficacité des causes économiques pour la création de villages spontanés, qu’on mette en regard une carte des chemins de fer en Algérie et une autre carte représentant la densité de la population algérienne par des teintes graduées, et l’on constatera que tout le long de la voie ferrée s’est créée une agglomération rurale. Le chemin de fer est un véritable fleuve colonisateur, qui charrie des colons et les dépose sur ses berges. Pendant les premières années, ce sont des colonies éparses, qui forment une sorte de chapelet très espacé sur les deux bords de la voie ferrée ; au bout de dix ans, le chapelet est complet, les lacunes sont comblées. Le chemin de fer a distribué sur ses deux bords une suite continue de colons français.

Mieux encore que l’exécution de grands travaux publics, la sécurité, la stabilité de la valeur vénale de la propriété, la liberté des transactions entre acheteurs et vendeurs de terrains, le bon renom de la colonie, l’apaisement des partis, le rapprochement des races, serviront la cause de la colonisation. La prospérité et le développement futur d’un pays, en effet, ne sauraient dépendre seulement des efforts que les gouvernemens font pour améliorer la nature du sol et faciliter l’écoulement des produits ; ils dépendent surtout des avantages et des facilités d’existence qu’offre à l’émigrant le pays où il va se fixer. La colonie doit avoir par elle-même une force d’attraction propre ; elle doit donner aux habitans de la métropole la conviction qu’il y a là, sur la terre conquise, toutes les conditions réunies pour qu’ils puissent se créer un foyer sûr et heureux. Le peuple colonisateur doit être animé d’une foi croissante dans l’avenir de la colonie qu’il veut constituer, qu’il veut peupler lui-même, à laquelle il apporte des forces et des capitaux. Cette force d’attraction, l’Algérie l’a possédée dès le début, et les immigrans qui s’empressèrent d’y répondre montrèrent qu’il y eut alors dans la conscience populaire un instinct plus fort, plus clairvoyant que toute l’intelligence des gouvernans. Si, aujourd’hui, les immigrans viennent peu en Algérie, c’est que l’État, dans son désir de hâter par des moyens artificiels le peuplement de la colonie, lui a fait perdre une partie de ces avantages. Qu’il laisse faire, et la colonisation se fera d’elle-même.

Elle se fera d’abord par l’extension des superficies cultivées par les colons. Cette extension aura lieu non au moyen des confiscations et des expropriations, mais simplement en vertu des transactions librement consenties entre indigènes vendeurs et colons acheteurs. C’est une erreur de croire, en effet, que les colons ne trouvent pas à acheter des terres aux indigènes. En dépit de l’existence de la propriété collective, qui. est surtout le régime en faveur chez les Arabes, les superficies occupées par la colonisation s’accroissent chaque année. C’est ainsi que, de 1884 à 1893, les Européens ont acheté directement aux musulmans 201 885 hectares de terrains ruraux, représentant un prix total de 23 202 000 francs, et 39 178 hectares aux israélites ; en revanche, ils n’ont vendu aux indigènes que 96 654 hectares, d’où un excédent d’achat pour eux de 145 350 hectares, soit plus de 14 500 hectares par an. Ces transactions pourront devenir encore plus actives, le jour où toute crainte de confiscation et d’expropriation aura disparu chez l’Arabe. Sûr désormais de ne pas être dépouillé, rassuré sur l’avenir, l’indigène se prêtera plus facilement à la vente de ses terres. Cette mutation de propriété s’effectuera d’ailleurs sans froissement et sans heurt, parce qu’elle ne sera pas amenée brusquement par la violence, mais lentement, insensiblement, par le libre jeu de la loi économique de l’offre et de la demande.

La colonisation devra se faire en outre par la substitution de la culture intensive à la culture extensive qui a dominé jusqu’à ce jour. Les 1 400 000 hectares qui font vivre aujourd’hui 210 000 colons peuvent en faire vivre un nombre triple par le perfectionnement de la culture. La plupart des exploitations isolées ont de 40 à 75 hectares ; les grands domaines de 300 à 500 hectares ne sont pas rares ; les concessions sont calculées elles-mêmes sur le pied de 40 à 45 hectares : toutes ces étendues correspondent à la culture primitive et extensive, à la première période qui suit le défrichement. Mais, au bout de quelque temps, une douzaine d’hectares, puis une demi-douzaine et parfois moins, doivent, dans les districts les plus favorisés du moins, suffire à occuper d’une manière profitable une famille tout entière. Les progrès doivent consister dans l’amélioration des méthodes, dans l’introduction des cultures nouvelles, dans les perfectionnemens apportés à l’outillage, qui permettront de diminuer dans des proportions énormes, et sans que le sort des colons empire, l’étendue des terres nécessaires à la subsistance des familles.

En même temps que cette extension et que ce morcellement du domaine de la colonisation se poursuivra, pareille transformation de la propriété indigène devra s’accomplir. Cette transformation est d’impérieuse nécessité. En ce moment, l’Algérie entre, au point de vue de la question du peuplement indigène, dans une phase critique : elle passe d’une population moins dense à une population plus dense, et les terres cultivées restent d’une étendue limitée, restreinte, insuffisante à faire vivre même la population actuelle. Il est indispensable qu’avec cet accroissement de la population coïncide une augmentation des surfaces cultivables, ou tout au moins du rendement du sol. Il y a lieu de rechercher dès maintenant dans quelle proportion les 2 300 000 hectares de terres ensemencées en céréales, qui font vivre 4 millions d’indigènes, pourront être accrus aux dépens des broussailles et des terres restées incultes à ce jour. Il faudra aussi s’occuper de l’amélioration des rendemens. Les procédés des indigènes sont d’une simplicité enfantine. Point d’assole-mens ; chaque année, ils labourent une petite partie de terrain, le reste demeure en jachère ; pour amender le sol, ils ne savent que brûler des herbes et des broussailles ; ils ne font pas usage d’engrais. Tous, cultivant d’une façon primitive, ont des champs appauvris où l’effet des intempéries influe sur le rendement des récoltes infiniment plus que dans les champs fumés bien préparés. Aussi le rendement moyen annuel des terres ensemencées se ressent-il de cette manière de cultiver et leurs récoltes sont-elles d’un tiers environ au-dessous de celles des colons. Beaucoup d’ignorance et de routine, une certaine nonchalance résignée, voilà ce qu’on trouve chez presque tous. Notre devoir est de leur enseigner à améliorer leurs procédés culturaux et à obtenir du sol le même rendement qu’en tirent les Européens. Nous devons être leurs éducateurs, associer notre initiative à la docilité des cultivateurs indigènes. De cette association sortira certainement une collaboration qui sera féconde. Grâce à l’ensemble de ces mesures, la crise actuelle sera combattue, et pourra être résolue pacifiquement la question de la possession de la terre, qui a mis aux prises colons et indigènes, colons et étrangers, administrateurs et administrés, qui a dominé dans le passé toute l’histoire de la colonisation algérienne, et qui reste la grande préoccupation de l’avenir.


ROUIRE

  1. Voyez la Revue du 15 septembre.
  2. La Colonisation de l’Algérie, p. 407.
  3. L’Algérie en 1891, Burdeau, p. 53.
  4. Maurice Wahl. L’Algérie, p. 351.