Les Colorations de la rétine et les photographies dans l’œil

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Revue des Deux Mondes tome 32, 1879
Henry de Varigny

Les Colorations de la rétine et les photographies dans l’œil


LES
COLORATIONS DE LA RETINE
ET LES
PHOTOGRAPHIES DANS L'ŒIL

Il n’est guère d’année maintenant où les journaux n’annoncent que les photographies sur la rétine sont enfin découvertes. Chaque fois les imaginations s’enflamment ; mais chaque fois aussi force est de reconnaître, après examen, que le but a été dépassé, et que l’optographie est encore à trouver. Néanmoins il y a dans les divers travaux publiés sur la matière une part certaine de vérité. C’est cette part de vérité que nous voudrions rechercher et démêler ici.

On sait que l’œil est un organe des plus complexes, constitué essentiellement par des membranes résistantes destinées à protéger les parties intérieures, à les maintenir et à conserver leur forme, par des milieux semi-liquides et solides, jouant le rôle de lentilles, destinées à concentrer les rayons, lumineux, et enfin par une membrane contenant les extrémités périphériques du nerf optique sur lesquelles viennent agir ces rayons. Parmi ces parties constituantes, la rétine joue un rôle des plus importans, Cette membrane a la forme d’un segment de sphère dont la concavité regarde en avant ; c’est la plus profonde des membranes de l’œil, elle est située directement en arrière de la dernière lentille oculaire ; l’épaisseur en varie de 1 à 4 dixièmes de millimètre. Elle est lisse, unie, et présente une sorte de tache jaune à contours vagues, dont le centre répond à l’axe antéro-postérieur du globe oculaire. Cette tache, due à la présence de granulations pigmentaires, ne se rencontre que chez l’homme et le singe. A sa partie centrale se trouve un petit orifice résultant de l’amincissement de la membrane. La tache jaune est la région la plus sensible de la rétine, c’est sur elle surtout que viennent tomber les rayons lumineux.

Au siècle dernier, les anatomistes se contentaient de voir dans la rétine deux couches superposées ; aujourd’hui, le microscope aidant, et peut-être l’imagination, nous en voyons de cinq à douze, selon les observateurs. Parmi celles-ci, il en est une, la plus extérieure, la plus superficielle, que l’on considère comme contenant les organes terminaux du nerf optique. Ces sortes de papilles, comparables, pour les fonctions, à celles que l’on rencontre dans la peau, où elles constituent les terminaisons des nerfs de sensation tactile, portent le nom de cônes et de bâtonnets. Ce sont de petits organes en forme de cylindres et de cônes, aboutissant en dehors à la choroïde, membrane qui entoure immédiatement la rétine, en dedans à la couche rétinienne sous-jacente, par l’intermédiaire de petits filamens. Les cônes abondent dans la tache jaune, les bâtonnets occupent surtout le reste de la membrane. Les premiers ne seraient impressionnés que par les différences qualitatives de la lumière : c’est-à-dire qu’ils ne serviraient qu’à percevoir les couleurs ; les derniers n’apprécieraient que les différences d’intensité. L’ensemble de ces élémens constitue la couche des bâtonnets, qui serait, directement ou indirectement, en relation avec les filets périphériques du nerf optique.

Pendant longtemps cette couche a été considérée comme étant absolument incolore chez l’homme et la plupart des animaux : la coloration pourpre que Leydig et Schultze lui avaient attribuée chez quelques vertébrés était regardée comme une exception ou une anomalie. M. J. Chatin, il y a peu de temps encore, observa cette teinte pourpre chez la locusta viridissima, et pensa que cette couleur pouvait se rencontrer dans toutes les rétines. Enfin, tout récemment, M. Boll, professeur à l’université de Rome, s’est vu conduit par ses expériences à la conclusion suivante : la véritable couleur de la rétine est le rouge pourpre, mais cette coloration ne se présente que dans l’obscurité ; la lumière la détruit au fur et à mesure qu’elle se produit ; enfin cette coloration disparaît avec la vie, ou du moins ne persiste que peu d’instans après la mort.

Les expériences de M. Boll ont été faites sur les martyrs ordinaires de la physiologie : les grenouilles et les lapins. Le procédé opératoire pour mettre en évidence la décoloration de la pourpre visuelle (c’est un des noms donnés à la matière colorante de la rétine) est des plus simples. Si l’on décapite un lapin, après avoir eu la précaution de le tenir d’abord une heure ou deux dans une complète obscurité, qu’on ouvre l’œil, toujours dans l’obscurité, et qu’on le regarde alors à la lumière, la rétine est d’un beau rouge, qui s’efface rapidement. Ce qui prouve que cette décoloration n’est pas simplement la conséquence de la mort, mais le résultat de l’action de la lumière, c’est qu’elle se produit déjà chez l’animal vivant. En effet, dans les yeux de grenouilles maintenues au grand jour, la pourpre rétinienne fait généralement défaut, on ne l’observe que si l’animal a été préalablement gardé à l’obscurité. La lumière détruit donc la pourpre visuelle ; mais, une fois détruite, celle-ci se régénère à mesure chez l’animal vivant. Éblouissez des grenouilles en les exposant au grand soleil, leur rétine est entièrement décolorée ; maintenez-les ensuite pendant une heure ou deux à l’obscurité, leur rétine sera d’un beau rouge ; c’est la preuve que la pourpre visuelle se régénère sous l’influence de l’obscurité.

Accordant un léger répit aux grenouilles, M. Boll répéta ses expériences sur des poissons, des mammifères, des amphibies, et il put se convaincre encore que ce n’est pointa la mort qu’il faut attribuer la décoloration de la rétine, mais toujours à la lumière. Il suffit en effet de garder des yeux morts à l’abri de la lumière pour qu’au bout de vingt-quatre heures on retrouve la pourpre rétinienne inaltérée. Il n’est même pas besoin d’une obscurité absolue : des yeux morts conservés à une faible lumière ne se décolorent que très lentement.

L’existence de la pourpre visuelle étant ainsi mise hors de doute, il restait à déterminer la véritable nature du phénomène. On pouvait supposer, d’une part, que la coloration était due à une substance particulière, contenue dans la couche des bâtonnets ; on pouvait aussi soutenir qu’elle résultait de phénomènes d’interférence que la structure des bâtonnets suffirait à expliquer. Les deux hypothèses étant également admissibles a priori, il a fallu recourir à des expériences très délicates pour résoudre la question. En faisant congeler la rétine, M. Boll n’a pu en détruire la couleur. Au contraire, l’éther, l’alcool, le chloroforme, la détruisent sans que pour cela le liquide employé se colore lui-même en pourpre ; la matière colorante, si elle existe, ne se dissout donc pas dans le liquide comme le font certaines couleurs qui ne mordent pas sur les substances qu’elles rencontrent. Enfin on peut faire disparaître la coloration par une simple compression de la rétine. Il y avait lieu de douter de l’existence d’un pigment particulier, quand M. Kühne, professeur de physiologie à l’université d’Heidelberg, parvînt à isoler la matière colorante des bâtonnets. Le liquide qui dissout le mieux le rouge rétinien est la bile de bœuf, pure et débarrassée de ses propres matières colorantes. En faisant digérer des rétines fraîches dans ce liquide, M. Kühne obtient une solution rouge-carmin que décolore la lumière. En la concentrant, on découvre un résidu constitué par la pourpre visuelle et par une substance chimique particulière, très résistante. Ce résidu se décolore à la lumière, s’il est humide, mais non s’il est sec ; la putréfaction n’en altère pas la couleur. On obtient des résultats analogues avec d’autres dissolvans : l’acide gallique, une solution de chlorate de soude au vingtième, etc.

Bien que la pourpre visuelle ait pour siège unique la rétine, il ne faut pas croire qu’elle soit répandue dans toutes les couches de cette membrane ; loin de là. On ne l’a pas rencontrée chez tous les animaux ; et là où elle existe, elle ne se trouve pas toujours dans la même partie de la rétine : ce sont tantôt les cônes, tantôt les bâtonnets qui la renferment. Kühne ne l’a pas trouvée dans les cônes de la grenouille, du pigeon, de la chauve-souris, de l’orvet ; ceux du hibou au contraire en contenaient beaucoup. Les bâtonnets sont les dépositaires les plus habituels de la matière colorante.

Quand la rétine est une fois décolorée sur l’œil mort, il n’y a plus de régénération comme durant la vie : la pourpre visuelle ne se régénère que dans une rétine en contact avec une choroïde encore vivante.

L’action de la lumière sur la rétine est intéressante à plus d’un titre, car elle peut jeter un jour considérable sur la physiologie de la vision. Avant tout, il importe de rechercher quels sont les rayons du spectre qui exercent plus spécialement cette action. La lumière solaire décolore la rétine en quelques secondes ; celle du gaz n’amène ce résultat qu’au bout d’une demi-heure environ ; la flamme du sodium agit si peu que la pourpre visuelle résiste à son action pendant vingt-quatre ou quarante-huit heures. Si l’on opère avec les couleurs du spectre, en observe des effets très variés. Le rouge agit très faiblement : chez le hibou, il ne décolore la rétine qu’après soixante-douze heures d’exposition ; il en est de même du violet. Les couleurs qui agissent le plus sont le bleu et le jaune-vert. L’intensité des sources lumineuses employées est pour beaucoup dans les altérations produites : aussi bien y a-t-il à tenir compte de circonstances dont l’importance échappe quelquefois, mais qui peuvent modifier du tout au tout le résultat. Quoi qu’il en soit, Kühne croit pouvoir tirer de ses expériences les conclusions suivantes : toute lumière visible décompose le rouge rétinien, mais dans des temps variables, toutes choses égales d’ailleurs. Le temps dans lequel s’opère la décomposition est proportionnel à l’absorption de la lumière monochromatique. Les rayons dépourvus d’action chimique agissent peu, ou n’agissent pas du tout. En se décolorant, quelle que soit d’ailleurs la source lumineuse employée, la rétine passe par trois phases : d’abord pourpre, elle passe au jaune, de jaune elle devient blanche.

Mais le rouge rétinien, nous l’avons dit, se régénère continuellement ; on peut se demander quelle est la partie de la rétine chargée de reconstituer cette substance. Selon plusieurs observateurs, le rôle prépondérant dans la formation de la pourpre rétinienne doit être attribué aux cellules de la couche dite couche pigmentaire. On a en effet observé des modifications remarquables dans cette couche, selon que la coloration de la rétine avait été abolie ou non par la lumière. Après séjour à l’obscurité, cette couche se sépare facilement du reste de la membrane ; au contraire, après l’action de la lumière il y a adhérence considérable entre ces deux couches. Dans le premier cas, il n’y a pas de pigment dans les interstices des bâtonnets, dans le second il y en a beaucoup. Voilà donc une relation certaine entre le pigment et la coloration rétinienne. D’autre part, M. Boll a observé que les bâtonnets prennent sous Pia-fluence de l’acide acétique une coloration jaune d’or analogue à celle des gouttelettes huileuses que renferment les cellules du pigment rétinien. Étant donnés les rapports intimes, embryogéniques et histologiques qui existent entre ces cellules et la couche des bâtonnets, l’on a pensé immédiatement que la pourpre visuelle vient de ces cellules. D’après Kühne et Capranica, c’est décidément dans la couche pigmentaire qu’il faut chercher l’origine de la pourpre rétinienne ; mais la question n’est rien moins que résolue. Toutefois il est un fait très important qui se dégage de ces expériences, et qu’il convient de noter en passant ; c’est la première fois que nous voyons des modifications matérielles palpables correspondre à la transformation d’une excitation physique en courant nerveux. Sans doute nous connaissons l’anatomie des organes des sens, mais ce que nous ignorons absolument, c’est la modification physique intime, au delà de laquelle il n’y a qu’ébranlement nerveux, c’est la transformation de l’agent qui sert d’excitant au mouvement nerveux. Affirmer au delà nous paraît téméraire, et nous laissons à M. Boll toute la responsabilité de ces lignes écrites sous l’influence de l’enthousiasme : « L’action des différens agens, tels que la lumière et la couleur, les ondes acoustiques, la chaleur, les substances sapides, produit dans les organes terminaux des nerfs sensitifs certaines altérations objectives, identiques au contenu des sensations et des idées subjectives qui sont provoquées par ces altérations. »

Quoi qu’il en soit, si toutes les conditions de la production de la pourpre visuelle ne sont pas connues, il est un fait certain, c’est que la choroïde vivante est indispensable pour que la régénération se fasse. Sans doute, MM. Ewald et Kühne ont vu que des rétines décolorées par le soleil, dépourvues de couche pigmentaire, ont repris une partie de leur coloration normale après exposition à l’obscurité, et que cette propriété de. régénération a subsisté plusieurs jours ; sans doute la couche des bâtonnets joue un certain rôle par elle-même ; mais on n’observe jamais, dans ces conditions, de régénération complète. Pour que celle-ci se fasse, il faut qu’il y ait contact de la rétine avec une choroïde vivante : aucun autre tissu de l’organisme ne jouit de ce privilège, exclusivement dévolu à cette dernière membrane. Cette action de la choroïde est facile à mettre en évidence au moyen de l’expérience suivante. Kühne décolle les bords de la rétine, dans un œil frais, sur une certaine étendue, et, dans la cavité ainsi formée, il glisse un fragment de porcelaine quelconque, afin que le contact entre la choroïde et la rétine soit absolument impossible. Il porte alors l’œil à la lumière jusqu’à décoloration complète. Cela fait, il le reporte à l’obscurité ou à la lumière de sodium, il enlève le fragment et reconstitue le contact : au bout de quelques minutes, toute la rétine est uniformément rouge ; le seul contact de la choroïde vivante avec la portion de rétine isolée a suffi pour provoquer la régénération de la coloration pourpre. On peut même procéder autrement : on détache entièrement un fragment de rétine, on le fait blanchir au soleil, sur une assiette ; puis on le replace sur une choroïde encore vivante, à l’obscurité, et la pourpre visuelle se reproduit encore. Il n’y a pas là teinture de la rétine par un liquide rouge de la choroïde, car il n’y a pas de liquide de cette couleur dans la membrane en question ; ce n’est pas non plus une simple action physique, puisque la choroïde morte ne provoque aucune régénération. Force nous est donc d’avouer que la cause de la régénération de la pourpre visuelle nous échappe, et, bien que nous en connaissions les conditions indispensables, nous n’en saisissons pas le mécanisme.

La physiologie de la pourpre visuelle est donc encore à faire. Nous avons vu que cette substance ne se rencontre pas chez tous les animaux, ni, chez ceux où elle se trouve, dans les mêmes parties de la rétine. Quelquefois on voit des rétines colorées, non en pourpre, mais en bleu-vert, en violet. On ne peut donc pas établir de relation positive entre l’excellence de la vue et la présence ou l’absence de la pourpre visuelle. Aussi Kühne, se posant la question de savoir si la coloration rétinienne est indispensable à la vision, est obligé de la résoudre négativement, car chez l’homme même, s’il est des sujets où on la rencontre, il en est d’autres où l’on ne peut la trouver. Que la pourpre visuelle joue un rôle dans l’acte de la vision et qu’elle ait son importance dans la physiologie de l’œil, c’est vraisemblable ; mais quel rôle, quelle importance, nous ne saurions le dire. En résumé, un fait essentiel se dégage des recherches de Boll, de Kühne et des autres observateurs, c’est qu’à l’état vivant, la rétine colorée en rouge est continuellement décolorée par la lumière, qu’après la mort elle peut se décolorer encore, mais non reprendre sa teinte normale.

En considérant ces résultats obtenus, l’on a pensé que l’optographie était découverte, et que dès lors la justice se trouvait en possession d’un instrument aussi formidable que nouveau, puisque les yeux des victimes devaient présenter, à moins de circonstances particulières, la photographie de leur bourreau et du théâtre du crime. Cette application des expériences précédentes mérite, par son intérêt pratique, de nous arrêter un instant ; cherchons donc quelle part de vérité elle comporte.

Grâce à la présence de l’iris, sorte de diaphragme percé à son centre d’une ouverture circulaire, l’œil se trouve être une chambre noire sur le fond de laquelle viennent se peindre les objets extérieurs. Les rayons émanés des parties claires d’un objet décolorent les parties de la rétine qu’ils frappent ; aux parties moins éclairées correspondent dans l’œil des régions décolorées plus faiblement, et les parties sombres sont indiquées par des régions qui ont gardé leur couleur foncée. En somme, l’image de l’objet sera reproduite sur la rétine, qui en présentera pour ainsi dire une épreuve positive.

Mais une objection se présente dès l’abord. La rétine est décolorée par la lumière, soit ; mais dès que l’obscurité survient, même relative, la pourpre visuelle reparaît ; comment fixer l’image qui s’est momentanément produite ? Dans l’œil normal, il y a compensation continue entre la fonction purpurogène de la rétine et l’action décolorante de la lumière. Pour obtenir un optogramme, il faut au contraire que cette compensation cesse et que la décoloration proportionnelle puisse être fixée.

S’appuyant sur le fait que l’action purpurogène de la rétine s’éteint peu après la mort, Kühne opéra sur des yeux fraîchement extirpés, ainsi que l’indiquait la théorie. Il immobilisa des yeux frais dans une position déterminée, devant des objets quelconques, pensant que les images se formeraient au fond de l’œil comme d’habitude, que la décoloration proportionnelle aurait lieu et que les parties décolorées resteraient dans cet état : il n’y aurait plus qu’à fixer la photographie ainsi obtenue. Toutes les expériences faites dans ces conditions échouèrent. Sans doute l’on voyait sur la rétine une tache blanchâtre représentant la forme et la grandeur relative de l’objet : l’expérience réussissait dans ce qu’elle a d’essentiel, mais les images obtenues avaient des contours vagues et indéterminés.

La cause de cet insuccès paraissait résider surtout dans l’opacité que produit la mort dans la rétine des mammifères. On pouvait échapper à cette circonstance fâcheuse en opérant sur les yeux vivans. Mais ici nouvel obstacle ; la pourpre se régénérait, et l’image ne pouvait se fixer. Néanmoins Kühne tenta l’expérience et obtint des résultats inespérés. Un animal vivant fut immobilisé devant une ouverture carrée pratiquée dan& un volet de fenêtre. L’animal fut d’abord recouvert d’un drap noir pour que la pourpre visuelle pût se régénérer en entier ; pendant trois minutes, ses yeux subirent l’impression lumineuse, après quoi il fut décapité. Un œil fut rapidement extirpé à la lumière du sodium et plongé dans une solution d’alun. L’autre, deux minutes après la mort, fut traité de même ; seulement le globe oculaire fut laissé en place. Le lendemain Ton détacha les deux rétines, et l’on aperçut fort bien une image carrée dans chacune d’elles, représentant l’ouverture lumineuse, et mieux accentuée dans le second œil que dans le premier. Mais à la lumière toute image disparut, car les rayons lumineux conservent toujours leur propriété décolorante.

Encouragé par ces succès, Kühne entreprit de photographier des objets plus compliqués. Il fixa un lapin vivant de telle sorte que ses yeux regardaient une fenêtre ou un châssis vitré, et le laissa pendant trois minutes dans cette position. L’animal fut décapita, l’un des yeux mis dans de l’alun ; il ne présentait à ce moment aucune image. L’autre œil, laissé en place, fut traité aussi par l’alun, quelque temps après la mort. Après vingt-quatre heures de séjour dans la solution, le premier œil ne présentait rien qu’une tache blanchâtre ; le second œil, au contraire, présentait l’image parfaite de la fenêtre qu’on avait voulu photographier. Ce résultat devait être attendu, car l’on sait que la première condition de la formation des optogrammes est la non-compensation de l’action de la lumière par la fonction purpurogène de la rétine.

Mais les conditions où se sont faites ces expériences sont des conditions artificiellement réalisées. L’optographie ne serait donc qu’une expérience de laboratoire ? Néanmoins Kühne a voulu pousser plus loin ses recherches et savoir si un œil mort, resté en place, exposé au jour, peut recevoir la photographie des objets vers lesquels il est dirigé. Les conditions dans lesquelles se feront ces photographies, s’il s’en fait, seront absolument réalisables dans la pratique journalière. Une tête de lapin, fraîchement coupée, fut exposée pendant dix minutes au milieu d’un laboratoire éclairé où le jour pénétrait librement, et dirigée vers, une fenêtre. L’œil fut traité par l’alun comme d’habitude, et lorsque la rétine fut mise à découvert, l’image était parfaitement dessinée. L’expérience est des plus concluantes : l’optographie existe. Kühne ne doute pas de la possibilité d’obtenir des photographies plus compliquées, des paysages, et des portraits. La chose serait possible, en tout cas, une négation serait trop absolue.

Il y a certainement des difficultés à vaincre et des problèmes à résoudre avant que l’on puisse compter sur des optogrammes obtenues en dehors de l’expérimentation des laboratoires : l’on ne saurait nier toutefois qu’un grand progrès ait été réalisé. Jusqu’où la science ira-t-elle dans cette voie ? C’est ce que l’avenir nous apprendra.


HENRY DE VARIGNY.