Les Comètes

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Les Comètes
Revue des Deux Mondes3e période, tome 47 (p. 578-610).
LES COMÈTES

L’univers, auquel on ne connaît, auquel on ne conçoit aucune borne, est occupé jusqu’à l’infini par de rares étoiles jetées comme au hasard et sans relations entre elles; chacune est le centre d’un monde inconnu des autres, mais l’espace qui les sépare n’est point tout à fait vide ; il contient des particules matérielles de toute taille, quelquefois volumineuses, souvent très ténues, comme l’air contient des poussières, et il est parcouru dans tous les sens et à tout moment par des astres errans, à figure étrange, les comètes ; vagabonds désœuvrés, comme disait Sénèque, balayeuses célestes, suivant les Chinois. Leur nombre est prodigieux, leurs dimensions sont immenses; elles viennent de tous les points, s’échappent dans toutes les directions, affectent toute liberté de circulation, ne s’approchent de nous que le temps nécessaire pour nous regarder, nous effrayer, et nous fuir. Cette liberté pourtant n’est absolue qu’en apparence, elle est limitée par les lois naturelles auxquelles tout obéit, dont quelques-unes sont connues, dont les autres restent à découvrir. Je vais essayer de dire ce que nous savons et ne point dissimuler ce qui nous reste à apprendre,


I.

Qu’on se figure une table ronde marquée de circonférences concentriques régulièrement espacées, qu’on lance sur chacune d’elles et qu’on mette à leur centre des toupies courant dans le même sens, de la droite à la gauche d’un observateur central, et tournant en même temps sur elles-mêmes, toujours de droite à gauche, on aura l’image du soleil entouré des planètes, avec cette différence que, dans le ciel, les cercles sont un peu allongés pour devenir des ellipses, et que leurs plans ont une légère inclinaison sur celui de la terre, qu’on nomme l’écliptique ; mais ce double mouvement des astres se fait dans un sens commun qu’on nomme direct et qui serait inverse ou rétrograde s’il devenait contraire. À ces traits communs on reconnaît une même famille, c’est le système solaire, et l’on soupçonne une origine commune. Dans son ensemble actuel, ce système paraît immuable, mais en réalité il ne l’est point : les cieux ne sont pas incorruptibles comme on l’a cru trop longtemps ; rien n’est éternel, toute chose a commencé; les cieux, comme tout le reste, sont soumis à des transformations, à des évolutions progressives; l’homme, qui n’était pas né, ne les a pas vues s’accomplir, mais il a essayé de les deviner. Voici la célèbre hypothèse de Laplace.

Au commencement, la matière disséminée s’est rassemblée par son attraction autour de centres distincts pour former des nébuleuses, c’est-à-dire des amas de matériaux plus serrés au centre et de moins en moins denses vers l’extérieur. L’une de ces nébuleuses devait constituer le système solaire. Elle avait un mouvement direct de rotation, très lent, autour d’une ligne qui allait devenir l’axe du monde. Peu à peu ces matériaux se condensaient, et par une loi de mécanique, qui se nomme le principe des aires, le mouvement de rotation s’accélérait. Un jour, les parties extérieures, se détachant par la force centrifuge, se sont groupées pour former un astre unique, une planète, la plus éloignée du centre, la première en date, découverte la dernière, il y a peu d’années, par Leverrier: c’est Neptune. Les mêmes causes continuant ont renouvelé les mêmes séparations et donné successivement naissance à Uranus, à Saturne, à Jupiter, à Mars, à la Terre, enfin à Vénus et à Mercure. On voit que la terre est d’origine relativement récente et que le soleil, poursuivant son évolution, pourrait bien, dans les âges futurs, abandonner de nouveaux astres, perdre de son volume, de sa chaleur, de sa lumière et fatalement s’éteindre, à moins qu’une cause inverse de rénovation n’intervienne. A l’époque actuelle, le soleil est encore très gros, très lumineux, très chaud : un million de fois plus gros que la terre, plus lumineux que toutes les sources connues, assez chaud pour fondre annuellement une épaisseur de 30 mètres de glace répandue sur la terre. L’heure de son extinction finale, si toutefois elle doit sonner, est donc encore lointaine et n’intéresse pas l’humanité, qui doit disparaître avant lui. Ses distances aux planètes sont énormes ; il est à 40 millions de lieues de la terre et trente fois plus loin de Neptune. Ces distances ne nous paraissent si prodigieuses que parce que nous sommes si petits; il faut y habituer notre esprit, et, loin de considérer notre monde comme étant très vaste, le considérer comme un étroit assemblage de petites sphères serrées les unes contre les autres; la terre touchant au soleil, n’étant séparée de la lune que par trente fois son diamètre, ce qui donne à l’humanité l’espoir de franchir un jour ce détroit resserré. Cette petitesse relative de notre système, ce voisinage des pièces qui le constituent, en font comme un royaume isolé dans le monde stellaire, comme un îlot perdu dans un immense océan, sans voisins, sans relations d’aucune sorte avec ce qui est au-delà, vivant de sa vie indépendante sous des lois particulières. La grande curiosité des hommes, leur grand effort a été de connaître ces lois. Tous y ont travaillé, depuis les pasteurs de la Chaldée jusqu’à nos jours : c’est Kepler qui en a résumé et complété l’étude.

Jean Kepler naquit, en 1571, dans le royaume de Wurtemberg. Pour la première fois depuis l’origine de l’astronomie, il répudia l’esprit de système qui avait tant égaré cette science pour se résigner à des mesures exactes qui devaient la sauver. Jour par jour, pendant dix-huit années, il mesura les situations apparentes des planètes pour en déduire leurs mouvemens réels dans l’espace, mouvemens qu’il résuma en trois lois célèbres fixant la forme des parcours, la variation des vitesses et la durée des révolutions[1]. Cet immense travail est donc un résultat de mesures; on n’y trouve aucune conception de l’esprit; c’est un résumé, un enregistrement des faits observés où l’objection n’a point de prise parce que l’imagination n’y a pas de place. Ce fut la base assurée de l’astronomie ; mais elle demeurait incomplète, parce qu’en formulant les faits tels qu’on les voit se produire, elle reste muette sur la cause qui les détermine. Kepler est resté au milieu du chemin; jamais homme ne s’arrêta plus malheureusement et n’approcha davantage d’une grande découverte sans la faire. Ce n’est pas lui qui acheva le travail commencé, ce fut Newton, et Newton le fit d’un mot : « Le soleil attire les planètes en raison directe des masses et inverse du carré des distances. » Les lois de Kepler et tout le mécanisme du monde découlent logiquement de ce simple énoncé. Il est évident, en effet, qu’un astre qui passe à portée du soleil sera infléchi dans sa route d’autant plus que sa vitesse sera plus faible à même distance, ou la distance plus grande en lui supposant toujours la même vitesse; s’il passe très loin du soleil, il s’écartera peu de sa route et décrira une hyperbole ; il sera dévié davantage et parcourra une parabole s’il passe moins loin. Plus près encore il sera ramené sur lui-même, tournera autour du soleil comme une fronde autour du centre : ce sera une planète; le calcul prouve qu’elle suivra le contour d’une ellipse ou d’un cercle, qu’elle le parcourra avec des vitesses croissant vers le périhélie et diminuant à l’aphélie, et que les durées des révolutions croîtront comme le veulent les lois de Kepler. L’attraction est donc la grande loi universelle et la régulatrice du système solaire.

C’est au milieu de ce monde planétaire si bien réglé, où chacun a sa place et parcourt silencieusement sa route sans gêner son voisin, que nous voyons apparaître à l’improviste de temps à autre les comètes, ces astres singuliers qui semblaient aux anciens traîner une longue chevelure et menacer le monde de malheurs inévitables. Aristote les croyait formées des vapeurs émanées de la terre. Sénèque en avait une idée plus juste ; il croyait qu’elles viennent de loin, des profondeurs du ciel, et qu’elles y retournent; il annonçait qu’un jour on les connaîtrait mieux. « Un âge viendra où ce qui est un mystère pour nous sera dévoilé par le travail accumulé des siècles ; un homme naîtra qui dira d’où elles viennent, pourquoi elles diffèrent des autres planètes, quelle est leur grandeur et leur nature... » Prévision bien étonnante pour l’époque et que le temps s’est chargé de réaliser comme une prophétie au XVIIe siècle. Seulement, au lieu de l’homme unique prédit par Sénèque, il en naquit deux qui devaient se compléter mutuellement. Newton et Halley. Voici d’abord la part de Newton.

Ce qu’on nomme la science est une conquête de l’esprit humain ; elle se fait lentement et laborieusement par le concours de tous et procède toujours de la même manière. Elle commence par l’observation des faits particuliers, puis elle les groupe, résume leurs conditions communes, en un mot découvre les lois plus ou moins générales qu’ils suivent, enfin s’élevant toujours du particulier au général, découvre un principe qui embrasse toutes les lois, tous les faits d’observation. Alors la science est faite, puisqu’on peut redescendre du général au particulier, expliquer et calculer les lois et les faits et résoudre tous les problèmes qu’on rencontre. Or Newton avait résumé l’astronomie tout entière dans l’attraction, ce fut sans hésitation ni incertitude qu’il en fit l’application aux comètes. Ce sont des masses matérielles venant en ligne droite des espaces lointains vers notre monde; elles sont de toute nécessité déviées par l’attraction du soleil et doivent décrire l’une des trois formes d’orbite que cette attraction commande: venues lentement, elles doivent décrire des cercles ou des ellipses et devenir de vraies planètes; plus vite elles seront simplement déviées et parcourront des paraboles ou des hyperboles; or, comme, suivant les idées du temps, elles venaient de l’infini pour y retourner, elles ne pouvaient suivre que des ellipses infinies, c’est-à-dire des paraboles. Telles furent les prévisions de Newton ; le problème des comètes était ainsi résolu à l’avance: ce n’était qu’un cas particulier qui pouvait se calculer et qui allait devenir une éclatante confirmation du principe même de l’attraction. Newton eut bientôt l’occasion de le prouver. Une comète restée célèbre à divers titres parut en 1680. Elle était des plus belles; elle rencontra d’abord le plan de l’écliptique en un point qu’on nomme le nœud, puis elle continua d’approcher du soleil jusqu’en un autre point qui n’était distant du centre que de 220,000 lieues et qu’on nomme le périhélie, après quoi elle reprit sa course pour retourner à l’infini d’où elle était venue. Newton l’observa depuis le jour où elle avait été aperçue jusqu’à celui où elle cessa d’être visible et il reconnut qu’elle avait suivi une courbe plane qui était une parabole exacte ayant le soleil pour foyer.

Voyons maintenant le travail de Halley. Après la découverte de Newton, les astronomes s’habituèrent à l’idée que toutes les comètes comme celle de 1680 parcourent des éclipses infinies, et Halley s’occupa de les cataloguer, c’est à-dire de fixer dans le ciel la position de leurs orbites. On me pardonnera de dire comment se fait le travail. On cherche d’abord la longitude du nœud, c’est-à-dire la direction de la ligne suivant laquelle l’orbite de la comète rencontre l’écliptique ; puis on détermine l’angle de ces deux plans: c’est l’inclinaison. Ces deux données fixent le plan de l’orbite. Enfin on cherche dans ce plan la direction et la distance au soleil du périhélie. On admet ensuite que la comète parcourt une parabole dont le sommet est à ce périhélie, le foyer au centre du soleil, et qu’elle se meut dans le plan de l’orbite, soit dans le sens direct, soit dans le sens inverse. On y ajoute la date du passage au périhélie, et l’on a ainsi les éléments paraboliques de l’astre. Ce travail absolument mathématique s’accomplit par des calculs sûrs : il suffit pour cela d’avoir observé la situation occupée dans le ciel par la comète à trois époques différentes. Halley l’exécuta pour vingt-quatre comètes antérieures qui avaient été assez bien suivies.

Il remarqua que trois d’entre elles avaient les mêmes élémens paraboliques; elles avaient marché dans le même plan, abordé l’écliptique au même point, passé au même périhélie, avaient en un mot suivi le même chemin, non d’une manière absolue, mais s’en étaient écartées si peu que l’on pouvait négliger les différences ; de plus, le sens de leur mouvement était le même, il était rétrograde. Enfin, et c’est une circonstance encore plus caractéristique, elles avaient apparu en 1531, 1607, et 1682, c’est-à-dire à trois époques distantes de soixante-seize et soixante-quinze ans, ce qui est à peu près le même intervalle. En voyant ces analogies, Halley crut pouvoir affirmer qu’on n’avait point affaire à trois comètes distinctes mais à trois apparitions successives d’un même astre. « Or je suis bien porté à croire que la comète de 1531, observée par Apianus, est celle qui a reparu en 1607, que Kepler a vue et que nous venons d’observer en 1682. » Alors en remontant plus haut dans l’histoire, on trouva la mention historique de grandes comètes venues à soixante-quinze ans d’intervalle, en 1456, en 1378 et en 1301 ; cette dernière avait causé un si grand effroi, que le pape Calixte III avait ordonné, pour désarmer le présage, de sonnera midi l’Angélus, ce qui est resté dans les habitudes, quoique la cause en ait depuis longtemps disparu. En remontant encore plus loin, on retrouve la même comète en 1066, considérée cette fois comme l’heureuse annonce de la victoire d’Hastings et brodée en souvenir par la reine Mathilde sur la tapisserie de Bayeux. On a encore essayé de l’identifier avec les apparitions de 837, de 684, avec celle qui suivit la mort de César et que l’on prit pour l’âme errante de ce grand homme. Il faut se défier de ces vérifications rétrospectives trop prolongées dans le passé : les comètes sont fréquentes, il y en a quelquefois plusieurs en une même année; rien dans leur aspect n’est caractéristique; telle qu’on a vue avec une longue chevelure revient rasée; la durée des révolutions elle-même n’est pas tout à fait fixe, et l’on est exposé soit à confondre deux comètes différentes, soit à ne pas reconnaître un astre qui s’est déjà montré.

Comment peut-on concilier la périodicité annoncée par Halley et la théorie de Newton qui avait assigné une course parabolique infinie à la comète de 1682 ? Il n’y a là rien de contradictoire : la loi de l’attraction prévoit tous les cas ; celui d’une orbite infinie n’est qu’une exception, une limite, à peu près réalisée en 1682; les courses périodiques doivent être le cas général. On peut d’ailleurs aisément se tromper et confondre une ellipse très allongée avec une parabole : ce sont deux routes qui diffèrent peu au voisinage du soleil et ne se séparent que loin de lui, peu à peu, lorsque les astres qui suivent l’une ou l’autre ont déjà cessé d’être visibles. On comprend dès lors que la comète de 1682 puisse être la même que les précédentes et qu’Halley n’ait point hésité à prédire un nouveau retour pour 1757 ; « et si elle revient, disait-il, le monde entier saura que c’est à un Anglais qu’on en doit la découverte. » Elle revint en effet, à peu près au moment fixé. Il y avait sept années qu’Halley était mort.

S’il avait vécu jusque-là, il eût peut-être perdu confiance en sa prédiction. Elle ne pouvait être en effet, à cette époque, que très approximative; on va comprendre pourquoi. Le périhélie de cette comète est à demi-distance entre le soleil et la terre; quand elle passe en ce point, elle marche avec une énorme vitesse ; après l’avoir atteint, elle s’éloigne progressivement, et dépasse l’une après l’autre les orbites des grandes planètes jusqu’à sortir des limites du système solaire. Or, d’après une des lois de Kepler, elle ralentit sa marche et finit, à son aphélie, par une vitesse comparable à celle de nos locomotives et même de nos voitures ordinaires. Qu’une planète se trouve alors dans son voisinage, elle est attirée, déplacée, déviée d’autant plus qu’elle reste plus longtemps soumise à cette action; la cause qui avait dessiné son mouvement d’ensemble l’en détourne, et la moindre déviation dans sa route, à cette énorme distance, exerce une influence perturbatrice considérable sur l’époque et le lieu de sa réapparition. Or, la comète ayant dû passer assez près de Jupiter, de Saturne et de Neptune, et chacune de ces énormes masses ayant successivement agi sur elle, le retour annoncé pour 1757 n’arrivait point, et l’inquiétude gagnait les astronomes. Clairaut se décida à recommencer les calculs et à tenir un compte rigoureux des attractions des planètes perturbatrices. C’était une entreprise ardue qu’il fallait se presser d’accomplir avant le retour imminent de la comète attendue. Aussi Clairaut réclama le concours de son collègue Lalande et obtint celui d’un troisième collaborateur, Mme Hortense Lepaute, femme d’un horloger célèbre, que son sexe n’éloignait pas de ces hautes spéculations. Les trois associés trouvèrent que la comète devait avoir 618 jours de retard, 100 par l’effet de Saturne, 518 par l’action de Jupiter et qu’elle devait regagner son périhélie vers le milieu d’avril 1759. Cette fois elle fut exacte; aperçue pour la première fois le 15 décembre 1758 par un paysan des environs de Dresde, elle atteignit le périhélie le 13 mars, 32 jours seulement avant l’époque calculée.

Ce fut un grand événement, le plus beau triomphe de l’astronomie et la plus éclatante confirmation des lois de l’attraction. Un mois de latitude sur soixante-quinze années n’est point une erreur de la théorie; dans des calculs aussi compliqués, on ne peut que supputer approximativement les actions attractives des planètes éloignées. On devait d’ailleurs aller plus loin dans la détermination du retour suivant; il devait survenir soixante-quinze années après, vers 1835. Les calculs furent faits séparément par quatre astronomes dont les noms suivent avec la date du passage prédit.

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De Pontécoulant 13 novembre.
Damoiseau 4 —
Lehmann 26 —
Rosenberger 12 —

La comète revint le 16, on la reverra après une période un peu plus courte, le 20 mai 1910. Nous n’avons plus que vingt-neuf ans à l’attendre.


II.

La comète de Halley n’est pas la seule dont le retour ait été prévu et observé ; je vais citer quelques autres exemples. Un observateur français, nommé Pons, découvrit à Marseille, en 1818, une comète télescopique dont il calcula les élémens paraboliques. Arago, puis Olbers, remarquèrent aussitôt la presque-identité de ces élémens avec ceux d’une autre comète observée déjà en 1805, 1795 et 1738. Elle avait donc une orbite elliptique que M. Encke calcula, une durée constante de révolution qu’il fixa à trois ans et trois mois; elle devait revenir et revint en effet, d’abord en 1822, puis dix-huit fois ensuite aux époques prévues, jusqu’en la présente année de 1881, où on l’attend[2]. C’est une comète qui n’a pas de queue, dont la distance périhélie est le tiers de celle de la terre, qui ne dépasse pas Jupiter à son aphélie ; son inclinaison est de Hi degrés, son mouvement est direct; elle a tous les caractères des comètes par sa nébulosité qui révèle une origine récente ou étrangère ; elle a ceux des planètes par son orbite et la régularité de ses mouvemens. Je citerai ensuite la comète de Faye, dont la périodicité est de sept ans et demie et qui n’atteint pas Saturne en son plus grand éloignement; puis celles de Brorsen, de D’Arrest, de Tuttle, de Winnecke, etc., en tout neuf petits astres, demi-comètes, demi-planètes, à peu près acclimatés chez nous, sans y être entièrement naturalisés. Avec la comète de Halley, cela fera dix astres réguliers dont les retours ont été jusqu’à présent assurés.

Mais il n’y en a que dix, tous les autres ont manqué à l’appel ou sont encore attendus; j’en vais rappeler de mémorables exemples. Au 15 juin 1770, l’astronome Messier reconnut une nébulosité qu’il vit grossir peu à peu. Au 21, elle était visible à l’œil nu; trois jours après, elle brillait comme une étoile de deuxième ordre, ensuite elle passait derrière le soleil. Mais on la revoyait au 5 août, et on suivait sa marche jusqu’au 15 octobre. C’était donc une comète bien observée dont Lexell calcula l’orbite, qui était elliptique, et la durée de parcours, qu’il trouva de cinq ans et demi. Comment se faisait-il qu’une planète si apparente, si bien étudiée, n’eût jamais été vue antérieurement ? Lexell répondit qu’en 1767, elle avait passé en conjonction avec Jupiter, qu’elle était alors six cents fois plus rapprochée de cette planète que du soleil, qu’elle avait alors changé sa course antérieure Dour suivre un chemin nouveau, que c’était une comète transformée, faisant sous son nouvel état son premier voyage. Il prédit qu’en 1779, les deux astres se retrouveraient à petite distance et qu’après l’avoir appelée une première fois, Jupiter pourrait bien la renvoyer une seconde et la reconduire hors du système solaire après l’y avoir amenée. En fait, elle disparut, ayant fait deux voyages et manqué les suivans. Aujourd’hui, de pareilles infidélités ne se comptent plus, les comètes de Vico, de Coggia et tant d’autres, qui étaient très près de nous et circulaient dans des orbites resserrées, n’ont point reparu.

Il en est surtout ainsi pour les comètes à longue période, et, en particulier, il en fut ainsi pour celle de 1556, qui passe pour avoir hâté l’abdication de Charles-Quint. C’était une comète remarquable par son éclat, une des plus belles qu’on eût jamais vues et dont les passages antérieurs avaient dû. être remarqués. Suivant le cométographe Pingré, elle se serait déjà montrée 292 années auparavant en 1264; elle avait été vue, même en plein jour, en 975, en 395 et, suivant les annales chinoises, en 104. Tout portait à croire qu’elle reviendrait en 1556 plus 292, ou en 1848. Ce fut une seconde édition de l’histoire de Halley. Comme elle ne paraissait point en 1848, elle fut recalculée par M. Hind, puis par M. Bomme, savant hollandais, qui suivit ses déviations jour par jour avec la plus consciencieuse exactitude, par des méthodes perfectionnées, et qui crut pouvoir en fixer définitivement le retour au mois d’août 1858. On la chercha en vain. Ce qui avait si bien réussi à Clairaut fit défaut à ses successeurs.

En résumé, la cause essentielle du mouvement des comètes est connue, c’est l’attraction; elle permet de prédire et de calculer leur retour. Quelques-unes ont obéi, c’est le petit nombre ; quand on a voulu généraliser la méthode et l’appliquer à toutes, elle s’est trouvée en défaut. Sur 790 comètes cataloguées, mesurées et calculées, il y en a dix, et il n’y en a que dix qui aient été fidèles ; au lieu d’être la règle, c’est l’exception. Les comètes, au lieu d’être stables, sont des systèmes variables et temporaires, soumis à des causes de dissolution qui sont de plusieurs natures et que nous allons chercher.

D’abord, il y a des comètes qui ne doivent point revenir; ce sont celles qui, lancées à grande vitesse, ont été simplement déviées par le soleil et poursuivent leur route sous la forme d’hyperboles plus ou moins ouvertes ou de paraboles, celles-là sont hors de cause. Puis il y a celles qui décrivent des ellipses assez allongées pour les transporter très loin du système planétaire. On ne sait ce qu’elles peuvent y rencontrer de causes perturbatrices ; telle est la fameuse comète de Newton ou de 1680, qui, après avoir passé à 60 mille lieues de la surface solaire, s’en éloigne à 36 milliards de lieues et ne doit revenir que dans 8813 années : nous avons le temps d’attendre. Le voyage de la comète de 1864 doit durer plus de 2 millions d’années ; il ne faut point en parler. Restreignons la question à celles dont la période, relativement courte, ne dépasse pas deux ou trois siècles .

Or, celles-ci peuvent venir sans être vues, par suite du mauvais temps ou par la présence de la lune qui gêne les observations. Quelques-unes passent entre le soleil et la terre, dans l’écliptique ; elles se lèvent et se couchent avec le jour et nous échappent. Cela fit manquer l’observation de retours qui se sont retrouvés ultérieurement. Enfin, il y a les perturbations planétaires qui ont effacé la comète de Lexell. Jupiter surtout exerce une’ action prépondérante. Cet astre est 1,500 fois aussi gros que la terre. La pesanteur des corps y est deux fois et demie plus grande que chez nous, et comme sa révolution est de douze années environ, il y a des chances de passer loin et des possibilités de passer tout près, de ne pas subir son action ou d’y céder, de montrer d’abord et de perdre ensuite la régularité des périodes. La comète de Faye paraît nous être venue vers 14A7 ; elle disparaîtra peut-être un jour comme celle de Lexell. Celle de Encke paraît avoir reçu cette année une forte atteinte ; ce sont là des irrégularités prévues ; on les calcule, et loin d’être une objection à la loi, elles y apportent une éclatante confirmation. Mais elles n’expliquent aucunement la disparition de la comète de Charles-Quint. Il faut qu’il y ait d’autres causes de dissolution. Le hasard, on va le voir, a mis sur la voie d’un mode singulier de transformation.

Le major autrichien Biela découvrit en 1826 à Johannisberg une comète à laquelle il a, suivant l’usage, donné son nom ; dix jours après Gambard l’observait à Marseille et calculait ses élémens : c’étaient les mêmes que ceux d’une autre comète déjà vue deux fois, en 1772 et en 1805. Sa période étant de 6 ans 1/2, elle avait dû passer plusieurs fois sans être vue. Damoiseau calcula son retour pour 1832 ; elle fut exacte ; elle revint encore en 1838 et 1846 ; elle semblait avoir pris rang définitivement parmi les plus fidèles, quand, à cette dernière époque, elle fut l’objet d’un curieux bouleversement. M. Valz l’avait vue le 20 janvier, sans y rien remarquer d’extraordinaire ; il la revit le 27 après une interruption de sept jours causée par la pluie et il la revit double ; elle s’était fendue en deux morceaux inégaux, séparés par un intervalle de 300,000 kilomètres. Ces morceaux avaient chacun l’apparence habituelle des comètes ; ils continuaient et continuèrent depuis à marcher de conserve. Tous deux revinrent en 1852 avec la même forme, avec des orbites presque égales, avec une différence de quinze jours dans la durée de leurs révolutions, avec une séparation de 2,500,000 kilomètres. Il est bien malencontreux que le mauvais temps ait empêché M. Valz de saisir le moment précis de la séparation. Quoi qu’il en soit, on s’habituait à la pensée de les voir s’écarter peu à peu et perdre le souvenir de leur commune origine, mais l’accident qui les avait séparés n’était que le commencement d’une plus profonde dissolution; on attendit en vain en novembre 1872; ils ne parurent point, mais à leur place on observa, le 27, un nombre prodigieux d’étoiles filantes, qui suivaient la route qu’eux-mêmes auraient dû prendre.

A Moncalieri, 400 étoiles furent comptées en une minute, 1,100 dans une heure, 160,000 pendant la nuit ; comme les mêmes apparences avaient couvert l’Europe, on évalua le nombre de ces étoiles à 50,000,000 dans un espace qui n’est pas la millième partie de l’orbite terrestre. Seraient-elles la monnaie des deux comètes jumelles? Nous voilà conduits à chercher quelles relations peuvent exister entre les comètes et les étoiles filantes.


III.

On sait quelle est l’explication des étoiles filantes : ce sont des particules de matière traversant l’atmosphère; elles y éprouvent une résistance progressive, qui transforme leur force vive en chaleur, et comme elles arrivent avec une vitesse immense, égale au moins à 25 kilomètres par seconde, il en résulte un échauffement capable de les fondre, de les volatiliser, de les enflammer ; de là le trait de feu qui raie le ciel, la lueur persistante des résidus de la combustion quand elles sont grosses, et la chute amortie des aérolithes quand ils n’ont point été dissipés en fumée dans les hauteurs.

En temps ordinaire, un observateur isolé compte à peu près trente étoiles filantes en une heure, mais il y a des nuits particulièrement riches en météores de ce genre, et ce sont toujours les mêmes nuits : nous citerons celles du 20 avril, du 12 août, du 14 novembre; on en compte jusqu’à 200 dans une heure. Or, comme la terre passe toujours au même endroit du ciel à ces dates, il faut qu’elle y rencontre des essaims ou amas de corpuscules cosmiques accumulés. Ils peuvent y être immobiles et l’attendre à son passage, ou bien faire partie d’un courant sans cesse renouvelé, d’un grand fleuve cosmique qu’elle traverse. Examinons cette question. L’observation a bientôt montré que les étoiles filantes du 14 novembre semblent partir d’un même point du ciel, le point radiant, et qu’elles vont en divergeant de tous les côtés : c’est un effet de perspective. Dans un tunnel, on voit toutes les assises parallèles diverger d’un point de vue unique : les lignes de la voûte paraissent monter, celles du sol descendre et les côtés s’écarter horizontalement vers la droite ou la gauche, de sorte que, si elles étaient parcourues par des projectiles lumineux, on les croirait venir du point de vue et s’écarter dans tous les sens. C’est ainsi qu’on explique le remarquable phénomène du point radiant des étoiles filantes, mais c’est un effet complexe provenant à la fois des mouvemens de la terre et de ceux des corpuscules.

Un voyageur en chemin de fer voit passer devant lai les objets immobiles qu’il rencontre et il croit les voir venir de l’endroit vers lequel il marche lui-même. D’autre part, un observateur immobile qui regarde les nuages les voit partir de leur point radiant. Mais s’il arrive que le voyageur qui est en mouvement regarde les nuages qui marchent dans un autre sens., il leur attribue une direction qu’ils n’ont pas et qui est la combinaison de leur vitesse et de la sienne. Faisons maintenant l’application de cette théorie à l’essaim du 14 novembre. S’il était immobile, le point radiant serait dans la constellation vers laquelle marche la terre à ce moment ; or il est ailleurs, les étoiles filantes divergent d’un endroit différent : donc l’essaim marche.

Ainsi ces amas cosmiques sont des courans, des fleuves, des particules matérielles éternellement entraînées dans l’espace comme tous les astres et soumis aux mêmes lois ; chaque grain de matière qui s’y trouve est une petite planète; elle est attirée par le soleil, elle parcourt une orbite elliptique, et les grains qui précèdent ou qui suivent en font autant. Nous voici arrivés à une conclusion absolument sûre et qui est bien merveilleuse. Il faut nous figurer dans le ciel comme une route tracée, comme la piste elliptique d’un champ de course dans laquelle circule à la file la troupe ininterrompue des particules cosmiques d’un même essaim se poursuivant sans s’atteindre, précipitant leur marche au périhélie, la ralentissant à l’aphélie et révélant leur présence par leur combustion dans l’atmosphère au moment qu’ils la rencontrent.

Jusqu’à présent, on ne voit pas quel rapport peut exister entre ces fleuves cosmiques et les comètes : j’y vais arriver. Au 14 novembre 1799, la pluie d’étoiles offrit une richesse extraordinaire : ce fut une averse. On la vit dans toute l’Europe, mais particulièrement en Amérique; Humboldt et Bonpland, qui l’observèrent à Cumana, croyaient assister à un brillant feu d’artifice tiré dans les hauteurs du ciel, où se mêlaient, aux longues traînées des étoiles, les bandes lumineuses et phosphorescentes de bolides aussi gros et même plus gros que la lune. On revit la même pluie les années suivantes à la même date, mais son abondance diminuait visiblement; elle diminua pendant dix-sept ans, puis elle se reprit à augmenter pendant dix-sept autres années jusqu’en 1833, où elle retrouva toute sa splendeur. A Boston, M. Olmsted, ne pouvant les compter, évaluait les étoiles à la moitié des flocons qu’on voit dans l’air pendant une chute ordinaire de neige. Évidemment il y avait dans ce phénomène une périodicité. L’astronome Olbers la soupçonna le premier et en annonça le retour ; le professeur américain Newton précisa davantage et fixa l’époque d’un nouveau maximum au 15 novembre 1866. Il eut lieu à point nommé et fut tellement splendide que le nombre des traînées de feu dépassa 8,000 dans une seule nuit, dans la seule station de Greenwich. C’est donc un fait acquis, ces fleuves cosmiques n’ont pas toujours le même débit, ils sont gonflés tous les trente-trois ans, et la terre, qui s’y baigne tous les ans au 14 novembre, se couvre d’une pluie de feu à chaque période. Cela veut dire deux choses : d’abord qu’ils font le tour de leur orbite en trente-trois années, ensuite que ce sont des nébuleuses circulaires, composées de particules séparées, marchant à la file, dont les rangs se serrent et s’épaississent en un point qui est le noyau, lequel est précédé et suivi d’une queue annulaire : c’est déjà une analogie avec les comètes.

En voici une autre : M. Schiaparelli, à qui l’on doit ces spéculations hardies, démontre qu’une nébuleuse, si elle arrive au voisinage du soleil, doit se condenser, s’allonger, et former précisément l’un de ces anneaux que nous venons de décrire, gardant une plus grande densité à l’endroit où était le noyau. Celui du là novembre serait donc une ancienne nébuleuse amenée dans notre monde par les hasards de sa route, asservie au soleil et parcourant en trente-trois années une véritable route de comète. Cette route, M. Schiapparelli l’a fait connaître : c’est une ellipse dont la distance périhélie est un peu moindre que celle de la terre au soleil, dont l’inclinaison est de 17 degrés, le mouvement rétrograde et le nœud confondu avec la position que la terre occupe au 15 novembre. Ce n’est pas seulement une route de comète, c’est la route suivie par une comète véritable; parmi les parcelles qui constituent l’anneau, il y en a une plus importante que les autres, connue depuis longtemps, revue plusieurs fois : c’est la comète de Tempel; elle nage dans le grand fleuve, elle en suit le courant, elle en fait partie, elle a les mêmes élémens, la même inclinaison, le même périhélie, la même durée de révolution de trente-trois années et, chose bien remarquable, elle passe au périhélie un mois environ après le noyau, qu’elle suit de très près si elle n’en est pas le centre exact[3].

Les mêmes circonstances se renouvellent pour l’essaim du 12 août : c’est encore un courant elliptique de particules avec un noyau allongé, une période de trente et une années, une inclinaison de 64 degrés. Lui aussi contient sa comète, celle de 1862, qui suit le noyau à douze jours d’intervalle. Dans l’essaim du 20 avril on trouve la comète de D’Arrest. C’est donc une loi générale et l’on peut se demander si ces petites comètes sont un commencement de condensation de l’anneau, ou bien si elles ne sont que les restes de comètes plus étendues qui se seraient dissipées et dispersées en monnaie et dont les débris continueraient dans le ciel la route autrefois tracée par l’astre complet. L’avenir résoudra cette question. Il y a déjà un fait qui en indique la solution : la comète de Biela fait partie de l’essaim des premiers jours de décembre ; on n’a pas oublié qu’autrefois unique, elle s’est partagée depuis en deux fragmens qu’on a revus plusieurs fois .; on les attendait depuis le mois d’octobre 1872, ils ne parurent point : c’est une comète perdue ; mais à sa place on vit à Moncalieri cette magnifique pluie d’étoiles dont nous avons parlé. Si l’on osait généraliser, on dirait que les comètes sont des agrégations transitoires et qu’elles se dissolvent dans l’espace pour s’éparpiller en menus morceaux flottans. On expliquerait ainsi comment elles disparaissent et pourquoi elles font défaut quand on les attend.

On vient de voir comment disparaissent les comètes. M. Hoek, savant astronome hollandais, va nous dire comment elles viennent. Deux comètes quelconques se meuvent généralement dans des plans différens, et ces plans se rencontrent suivant une ligne passant par le centre du soleil et qu’on nomme leur intersection. M. Hoek, cherchant à mettre de l’ordre dans le catalogue de toutes les comètes étudiées depuis Charles-Quint, en 1556, reconnut qu’il y a jusqu’à 15 comètes dont les plans se rencontrent suivant une seule et même ligne qui passe par le centre du soleil, et le découpent en tranches, comme un melon, ou comme les méridiens divers passant tous par la ligne des pôles découpent la sphère terrestre. Ces comètes sont considérées comme appartenant à une même famille et formant un premier système. Leur intersection commune, qu’on peut appeler leur axe polaire, étant prolongée, aboutit à une constellation, à un point de la voûte céleste qui est leur point radiant.

Après un premier système, on en trouve un second, puis un troisième et ainsi, jusqu’à sept, caractérisés par des lignes polaires et des points radians distincts. Mais on n’en trouve que sept. Ainsi toutes les comètes connues se résument en sept familles. On remarquera que, jusqu’à présent, cette classification n’a rien d’hypothétique et ne fait que consacrer un fait d’observation indiscutable ; mais il est clair que ce n’est point par hasard qu’il y a des classes de comètes ayant chacune leur point radiant particulier, que cela révèle une communauté d’origine, et que tout s’expliquerait si chaque famille était venue de son point radiant.

Supposons, en effet, qu’une nébuleuse unique, de grande étendue, venant de ce point radiant avec une vitesse cosmique, ait rencontré et couvert le soleil ; les parties qui auraient touché sa surface auraient été absorbées par lui et celles qui l’auraient débordé de divers côtés auraient formé autour de lui des anneaux cométaires dans des plans différens, et, suivant qu’ils auraient passé plus ou moins près de lui, auraient parcouru des orbites de toutes formes, depuis des hyperboles jusqu’à des ellipses plus ou moins courtes ; mais tous ces anneaux auraient gardé ce caractère commun que leurs orbites continueraient de se couper suivant leur direction primitive, suivant l’axe polaire qui joint le centre du soleil au point radiant. Il suffit donc que sept nébuleuses venues à sept époques différentes, de sept points radians distincts, aient passé près du soleil pour avoir formé toutes les comètes que M. Hoek a réunies dans ses systèmes ; et, si cette hypothèse est vraie, on peut en déduire une conséquence propre à la vérifier. En remontant le cours des âges, en cherchant la distance au soleil des diverses comètes d’un même système, à des époques reculées, on devra trouver qu’elle est la même parce que c’est la moyenne distance de cet astre à la nébuleuse primitive. Or, c’est précisément ce que M. Hoek a trouvé ; ainsi les distances au soleil de trois comètes d’une même famille étaient, en 757, égales à 600, _ 600,4, — 600,2. On en peut conclure qu’à cette date elles étaient réunies en une masse unique, mais qu’elles ont été séparées depuis en trois parties qui ont suivi des routes distinctes comme les fragmens de la comète de Biela. Il faut avouer pourtant que l’imagination a joué son rôle dans ces généralisations grandioses, qu’elles dépassent peut-être la prudence scientifique, et qu’il ne faut point y accorder la foi que méritent les lois mathématiques de l’astronomie. Mais elles ont une si curieuse probabilité que l’esprit s’y abandonne avec plaisir. L’astronomie est une science complaisante; elle tente l’imagination parce qu’elle abonde en problèmes insolubles, et l’on se livre malgré soi aux séductions de l’hypothèse par les besoins qu’on a de contenter la curiosité.


IV.

Ce qui caractérise les comètes, c’est le panache, ce sont ces longues queues qui ont tant effrayé les anciens. On s’en fait généralement une idée fausse, on croit que ce sont des traînées de matière et qu’elles suivent le noyau comme le bois d’une flèche suit le fer. Il n’en est rien, les queues sont toujours opposées au soleil comme si elles le fuyaient; elles sont le produit évident de son action. Toujours dans le plan de l’orbite, toujours recourbées comme si elles éprouvaient une résistance à leur mouvement, on les voit droites quand elles sont de profil ; de face elles ressemblent à un sabre. Rarement elles sont simples, presque toujours elles s’épanouissent en plusieurs rameaux séparés par des lignes sombres. Celle que vit Cheseaux à Lausanne en avait six.

Quand les comètes passent loin du soleil, la queue est courte ; quand le noyau s’approche de la surface solaire jusqu’à s’y échauffer outre mesure, elle prend des dimensions extraordinaires, plus grandes encore autrefois qu’aujourd’hui, si les récits anciens ne sont point exagérés. Telle fut la comète de 1680, telle aussi celle de 1843, qui fut la plus remarquable. On la découvrit tout à coup dans une éclaircie après une longue période de pluie. Le noyau se voyait en plein jour, quoiqu’il fût déjà très près du soleil; elle marchait si vite qu’elle fit le tour du soleil en deux heures ; elle passa si près qu’elle traversa la chromosphère : elle y serait restée sans l’extrême vitesse qu’elle avait, et, pendant ce parcours, l’immense panache avait parcouru le ciel comme les rayons d’un éventail qui s’ouvre; il avait près de cent millions de lieues de longueur, c’est plus de deux fois la distance du soleil à la terre, et si celle-ci s’était trouvée dans sa route, elle eût été balayée. C’est un accident possible, que le monde redoute et que les savans désirent, par curiosité, et ils se croient en droit de ne pas le craindre.

La queue n’est, en effet, qu’un courant de vapeurs et de gaz dégagés par le soleil, se dilatant de plus en plus à mesure qu’il s’écarte et finissant à la dernière limite de la raréfaction et de la visibilité, capable encore de réfléchir une minime fraction de lumière solaire, mais n’opposant aucun obstacle à la vue des étoiles, qu’on distingue à travers comme s’il n’existait pas. On a même affirmé qu’elles en devenaient plus vives, ce qui ne peut pas être, et qu’on les voyait même à travers le noyau, ce qui n’est vrai que pour les comètes nébuleuses et qui n’ont point de vrai noyau. C’est pour cette raison que Babinet les regardait comme ayant des masses insensibles et qu’il les appelait des riens visibles.

Les astronomes ne se sont point contentés d’observer les comètes à l’œil nu, ils-y ont employé trois instrumens différens, le télescope, le polariscope et le spectroscope. Au télescope, l’aspect de la queue change à peine, celui de la tête est plus complexe. Quand on les découvre venant de loin, soumises à leur seule attraction, refroidies pendant un long voyage, les comètes ne sont que des nébuleuses autour d’un noyau: lorsqu’elles commencent à se rapprocher et à se réchauffer, il s’y fait des mouvemens évidens. On voit sortir des gerbes lumineuses de la face antérieure du noyau qui reçoit les rayons solaires ; elles forment l’auréole, s’étalent en forme de cône, se recourbent et contournent le noyau pour fuir à l’arrière en une longue traînée : c’est la queue. Elle se forme en avant, elle s’échappe à l’opposé comme repoussée ; elle ne diffère point de l’auréole, elle en est la continuation. Le tout ressemble à une boule au fond d’un sac. Il est clair que, sous l’action, des rayons solaires, la comète échauffée se volatilise, qu’elle lance de son sommet des torrens de vapeur enflammée comme les volcans en éruption, que ces effluves sans cesse renouvelés s’étalent, rebroussent chemin pour aller former, entretenir et agrandir la queue, et que, peu à peu, les matériaux de la comète sont dissipés dans l’espace: ce sont d’abord les plus volatils, puis successivement et par ordre ceux qui résistent à la chaleur; c’est une distillation réglée qui est progressive, s’alimente et se renouvelle avec des matières différentes. On vit jusqu’à six émissions distinctes dans la comète de Donati. En même temps, le noyau s’épuise, il diminue et change d’aspect. L’activité de ces phénomènes s’exagère jusqu’au moment du plus grand échauffement, un peu après le passage au périhélie, puis elle décroît, à la fois par la diminution de chaleur et par l’épuisement. Enfin la comète, refroidie, allégée, débarrassée de ses gaz, retourne aux espaces éloignés pour y ramasser les alimens qu’elle dépensera à son prochain retour. Son rôle est évident; c’est une pourvoyeuse, elle va chercher au loin pour apporter au monde solaire et les y laisser des matières dont nous aurons à apprécier l’importance. Le polariscope est un instrument compliqué qu’on ne peut décrire ici ; il permet de reconnaître si une lumière vient directement d’une matière enflammée ou si elle a été réfléchie dans son trajet par le corps qui nous l’envoie. Or le polariscope montre qu’une partie de la lumière des comètes vient du soleil et qu’elle a été réfléchie par elles.

Mais outre cette partie, il y en a une autre que la comète envoie par elle-même et qui nous est révélée par le spectroscope. Toute lumière qui a traversé un prisme est décomposée ; elle s’étale en une image allongée qu’on nomme spectre, où les diverses couleurs sont séparées depuis le rouge jusqu’au violet. En général, ce spectre n’est point continu ; on y voit des bandes, les unes sombres, les autres lumineuses, qui changent de disposition et de place suivant la nature des flammes et qui révèlent à l’observateur la composition chimique de ces flammes. C’est par ce procédé qu’on a pu connaître les matières qui entrent dans la composition du soleil, des étoiles fixes et des planètes. Le spectre du soleil en particulier a été parfaitement étudié, et tout physicien sait le reconnaître au premier aspect. Il en est de même du spectre des gaz carbonés, hydrogénés et azotés quand ils sont rendus lumineux soit en brûlant, soit par le passage d’une effluve électrique, il se réduit à quatre bandes lumineuses que séparent de larges espaces obscurs ; elles sont placées dans le jaune, le vert, le bleu et le violet ; elles affectent des caractères si tranchés qu’il est impossible de les oublier quand on les a vues une fois ; elles sont d’ailleurs caractéristiques ; on ne les voit qu’avec les gaz qui renferment du charbon, de l’hydrogène, de l’azote, et l’on peut conclure que ces substances existent dans tous les corps éclairans qui montrent ces bandes. Or les comètes nous les présentent ; tous les observateurs les y ont vues depuis Donati et toutes les comètes nous les montrent aux mêmes places. C’est là un fait certain qu’on ne doit, qu’on ne peut révoquer en doute. On les voit particulièrement dans l’auréole et au commencement de la queue. Cela conduit à deux conclusions : premièrement, les auréoles cométaires contiennent du charbon, de l’azote et de l’hydrogène ; secondement, ces corps y sont à l’état de gaz rendus incandescens, soit par leur combustion, soit par une effluve électrique.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que ces matières existent dans les comètes ; l’hydrogène et l’azote sont répandus dans la nature entière, jusqu’au soleil, jusqu’aux étoiles fixes ; et quant à la présence du charbon, on connaît toute une classe de pierres tombées du ciel, qui ont la composition de la tourbe ou de la houille : ce sont peut-être des débris de comètes décomposées. Rien n’est plus naturel enfin que de penser que les éruptions envoyées par la tête des comètes soient des flammes allumées par l’énorme chaleur : on a vu dans le ciel des incendies se déclarer tout à coup sur des étoiles fixes.

Mais le noyau est d’une autre nature : c’est un corps solide ou liquide qui reçoit et renvoie la lumière du soleil, car on voit dans son spectre toutes les raies obscures qui caractérisent cette lumière ; il en est de même des parties prolongées de la queue. On peut dès lors résumer tout ce que l’étude sérieuse et scientifique des comètes a pu nous apprendre. Ce sont des corps matériels et non des apparences, groupés autour d’un noyau solide ou liquide, contenant du charbon, de l’azote et de l’hydrogène ; ces matières, échauffées et volatilisées par l’action solaire, s’enflamment dans l’auréole et répandent par cela même la lumière d’incendie qui leur est propre. Outre cela, tous ces matériaux sont éclairés par le soleil, toutes les parties de la comète, auréole, noyau ou queue, nous renvoient ses rayons. Telle est l’analyse détaillée des faits observés chez les comètes : c’est à cela que se bornent nos connaissances précises; ce qui va suivre est œuvre d’imagination. Quand les savans sont au bout de leur science et que leur curiosité n’est point contentée, ils se croient en droit d’y satisfaire par des hypothèses. Rien n’est plus naturel à l’homme, rien n’est plus inutile, ni plus stérile. On va le voir en parcourant la série des explications que les astronomes aux abois ont tentées de ce mystérieux sujet.


V.

Nous rencontrons d’abord le nom vénéré de Newton. Pour expliquer la formation des queues. Newton suppose que le soleil est entouré d’une atmosphère qui s’étend au-delà du monde planétaire, que les comètes y pénètrent, que les vapeurs les moins denses contenues dans leurs auréoles s’y élèvent à l’opposé du soleil (comme le font l’hydrogène et les ballons dans l’atmosphère de la terre), qu’il en résulte un courant continu (comme la fumée sortie de la cheminée d’un steamer), que ce courant s’infléchit de la même manière à l’opposé du mouvement de l’astre, enfin que ces émanations matérielles, éclairées par le soleil, deviennent visibles et font les queues recourbées des planètes. Cette explication ne laisserait rien à désirer, si cette atmosphère solaire existait réellement ; mais cela ne peut être, car si elle était aussi dense et s’étendait aussi loin, elle arrêterait aussitôt le mouvement des astres comme l’atmosphère terrestre arrête celui des bolides.

Après Newton, Cardan soutient que les queues n’existent point et ne sont que des apparences; il suppose qu’une comète et sa nébulosité réfractent la lumière solaire à la façon d’une lentille et la dirigent en un cône divergent qui éclaire les particules cosmiques et les rend visibles, comme un jet de lumière électrique dessine sa route à travers l’air en illuminant les poussières atmosphériques. Cette hypothèse, reprise par Gergonne, n’explique ni la courbure des queues, ni les détails de leur développement.

Olbers suppose que la comète et le soleil sont électrisés et que la répulsion des fluides de même nom enlève à la comète, ses parties légères. Bessel suppose l’existence de polarités dont il ne se donne point la peine de définir la provenance. Tyndall suppose que les matériaux cométaires ont la propriété phosphorescente comme le nitrite d’amyle. Je m’arrête dans cette énumération, il me suffit d’avoir montré que toutes ces explications ne sont que des hypothèses ; mais il en est une sur laquelle j’insisterai à cause de son originalité, elle est due à un professeur russe de l’université d’Odessa, M. Schwedof.

Pour la comprendre, il faut se rappeler que, si l’on agite l’eau en un point, on fait des ronds à sa surface, — ce sont des ondes qui se propagent, — et que si un bateau marche, les ronds formés par la proue en divers points du parcours se combinent pour donner deux vagues rectilignes qui suivent le navire en queue d’aronde. Ce phénomène est connu de tout le monde, on le voit très nettement derrière un canard quand il nage à la surface calme d’un lac. Supposons maintenant que la route suivie par ce bateau ou ce canard, au lieu d’être droite, soit courbe comme celle d’une comète; l’une des vagues, celle qui est à l’intérieur de l’orbite, disparaîtra et sera remplacée par une agitation tumultueuse qui figure assez bien l’auréole de la tête ; l’autre sera courbe et aura la position et l’apparence d’une queue de comète. Tout le monde pourra faire l’expérience au bord d’une mare en agitant l’eau en rond avec le bout d’une canne, ou dans un grand plat avec une pointe fine. A cause de cette analogie dans les formes, M. Schwedof admet l’identité des causes, il suppose que l’espace contient assez de corpuscules cosmiques pour qu’ils soient, à chaque moment, rencontrés par la comète, qu’il en résulte des chocs, des explosions, et des ondes se propageant de proche en proche, et que la rencontre de ces ondes donne lieu, comme sur l’eau, à la vague que nous venons de décrire, vague lumineuse qui nous fait croire à la réalité d’une queue, bien qu’elle n’existe point et ne soit qu’une apparence.

On voit que les explications ne manquent point; il n’y a qu’à choisir; mais cette abondance de suppositions, si elle prouve l’imagination des astronomes, montre aussi quel est leur embarras en face d’un phénomène inconnu. Nous n’avons point épuisé la liste de ces hypothèses; en voici une qui se recommande par le nom de son auteur. M. Faye suppose tout simplement que le soleil exerce deux actions : par l’une il attire, c’est la gravitation par l’autre, qui est due à sa chaleur, il repousse les matériaux cométaires ; il les repousse d’autant plus qu’ils sont moins denses. Il agit sur les surfaces, non sur les masses ; il les souffle comme le vent souffle une voile. Alors tout s’explique, les matériaux les plus légers, ceux qui sont à l’extérieur de l’auréole, sont soufflés dans la queue. En somme, cela revient à dire que les matières de la comète sont chassées loin du soleil quia est in eo virtus repulsiva, cujus... Rien n’est plus facile, quand on se trouve en présence d’un phénomène mystérieux, que de créer une force spéciale pour l’expliquer. On la fait agir en raison directe ou inverse de la distance ou de son carré ou de son cube, en raison directe ou inverse de la surface ou de la masse ou de tout ce qu’on veut. Comme on n’a d’autre but que d’en déduire l’explication désirée, on la pare de toutes les vertus qu’il faut qu’elle ait pour y satisfaire, et naturellement elle atteint le but puisqu’elle a été créée tout exprès pour cela. Les physiciens d’autrefois usaient naïvement de ce procédé; ils avaient inventé les quatre fluides, calorique, lumineux, électrique et magnétique, la force coercitive, catalytique, électromotrice, etc. ; il n’en reste plus rien. Les savans d’aujourd’hui mettent à refuser toute force nouvelle autant de soins que ceux d’autrefois montraient d’ardeur à l’imaginer. Quand ils ne savent point, ils se font un point d’honneur de l’avouer et une règle de conduite d’attendre.

Est-ce ici le cas? le phénomène est-il si mystérieux qu’on ne puisse en concevoir le mécanisme sans créer des forces nouvelles? Je ne le crois pas. Consultons les analogies qui existent entre la terre et les comètes. Sur la terre, les rayons solaires frappent à plomb tous les points d’un cercle voisin de l’équateur. Ce sont les parties du globe qui reçoivent à midi le plus grand échauffement ; ils constituent ce qu’on nomme l’anneau d’aspiration. L’air, en effet, s’y raréfie, s’y élève, fait un appel soit vers le nord, soit vers le sud et détermine deux courans gazeux : les vents alizés. Permanens, réguliers, venant des contrées tempérées, échauffés progressivement dans leur trajet, entraînant avec eux une ardente évaporation, ces courans se rencontrent sur l’anneau pour s’élever jusqu’à la limite supérieure de l’air; là ils s’étalent, puis, prenant une direction contraire, ils retournent, l’un vers le nord, l’autre vers le sud : ce sont les contre-alizés. Il y a donc des deux côtés de l’anneau d’aspiration deux courans atmosphériques fermés enveloppant le globe tout entier, venus froids des pôles en rasant la terre et y retournant, réchauffés, par le chemin des hauteurs. Ce n’est point ici le lieu d’insister sur le rôle capital de cette circulation ; il suffit d’avoir montré sa nécessité, sa constance et son étendue, et rappelé sa théorie due au célèbre Halley.

Cette circulation existerait encore, mais changerait ses conditions si la terre, au lieu de tourner sur elle-même, présentait toujours la même l’ace au soleil. L’anneau d’aspiration se réduirait à un point, les alizés y convergeraient de toutes les directions, les contre-alizés en divergeraient dans tous les sens; tous les points de la terre enverraient à ce sommet de l’air froid qui s’y échaufferait, s’élèverait en faisceau conique vers le soleil, s’évaserait, s’infléchirait vers l’arrière et finalement fuirait le soleil par le chemin des hauteurs. Il est bien évident que ce double mouvement aurait d’autant plus d’énergie que la terre approcherait plus du soleil, que son atmosphère aurait plus d’étendue et qu’il y aurait plus de matières à évaporer : cela ne suppose aucune force répulsive spéciale.

Arrivons aux comètes. Quand elles sont loin, ce sont des nébuleuses rondes. Au centre, le noyau, les matières denses, puis les liquides, puis les gaz à l’extérieur : une atmosphère énorme, un noyau très petit. Ce noyau avait 1,600 kilomètres dans la comète de Donati, l’atmosphère en mesurait 2,000,000, pendant que la terre, avec un diamètre de 12,000 kilomètres, est recouverte d’une pellicule d’air au plus égale à 200 kilomètres. Tout se réunit donc dans les comètes pour développer sous l’action solaire les plus grandioses mouvemens atmosphériques, de même nature, mais incomparablement plus accentués que sur la terre.

Comme les comètes n’ont aucun mouvement de rotation, elles présentent toujours la même face au soleil, et c’est le deuxième mode d’échauffement qui a lieu. Il y a une double circulation atmosphérique; une ébullition active se produit en face du soleil, elle appelle l’air froid de toutes les parties et de l’arrière du noyau, et les contre-alizés extérieurs s’éloignent du sommet comme s’il existait une force répulsive venue du soleil agissant sur la surface extérieure de l’atmosphère cométaire et n’agissant qu’à l’extérieur. En réalité, il n’y a point d’action répulsive ; en fait, tout se passe comme si elle existait. Ainsi repoussés, les contre-alizés dépassent la limite de l’atmosphère cométaire, quittent pour jamais l’astre dont ils faisaient partie, s’éloignent indéfiniment et se perdent finalement dans l’espace.


VI.

Nous ne sommes plus au temps où l’on croyait aux présages, où l’astrologie judiciaire rendait des arrêts respectés et où l’on regardait les comètes comme des messagers de mauvaises nouvelles. L’humanité s’est dégagée peu à peu des antiques superstitions et de sa croyance naïve à l’action des astres sur sa propre destinée. Nous laisserons donc de côté l’histoire de ces erreurs oubliées, mais il est raisonnable de chercher scientifiquement quelle peut être l’influence hostile ou bienfaisante des comètes sur notre monde solaire.

Les comètes peuvent-elles rencontrer la terre ? Évidemment oui, puisqu’elles arrivent de tous les points du ciel, qu’elles se meuvent dans tous les plans et passent à toute distance du soleil et de nous, et comme elles sont, au dire de Kepler, aussi nombreuses que les poissons dans la mer, ut pisces in oceano, il semblerait que notre système est précaire, qu’un choc est toujours imminent. On peut se rassurer. Sans doute une rencontre est possible ; on va voir combien elle est peu probable.

Les cométographes ont évalué le nombre des comètes qui, depuis vingt siècles, ont traversé le système solaire. En partant de celles qu’on a vues dans le dernier siècle, en admettant qu’elles ont été dans tous les temps également nombreuses et réparties également à toutes les distances du soleil, Arago arrive au chiffre de 20 millions de comètes depuis vingt siècles entre le soleil et Neptune. Ce chiffre est énorme, mais il faut considérer que toutes ne nous ont point menacés ; la terre n’a pu être frappée que par les comètes qui s’approchent du soleil autant qu’elle-même ; or il n’y en a eu que 578 en vingt siècles ; il n’y a donc eu dans un si grand intervalle de temps que 578 possibilités de rencontre ou 29 par siècle, ce qui est déjà rassurant.

Mais pour que l’une de ces rencontres possibles se produise, il faut deux conditions aussi difficiles à réaliser l’une que l’autre : premièrement, il faut que le chemin suivi par la comète croise dans l’espace la route de la terre ; or cette route est un cercle tracé à 40 millions de lieues du soleil, et sa largeur n’est que de 3,000 lieues, les comètes ont donc une large place pour circuler à côté sans la rencontrer. Celles de 1680 et de 1684 en ont approché, la première à 195,000, la seconde à 340,000 lieues, mais aucune comète connue ne l’a jamais exactement coupée : la terre n’a donc jamais été menacée.

En supposant que le chemin de la comète coupât celui de la terre en un point et que la rencontre fût possible, il faudrait encore, pour qu’elle eût lieu, que les deux astres vinssent juste au même moment à ce point unique, et ce moment n’a que la durée d’un éclair, puisque la terre fait presque 7 lieues à la seconde et la comète davantage. Les chances d’une collision sont, comme on le voit, bien tranquillisantes ; Arago calcule qu’elles sont les mêmes que celles de tirer une boule noire d’un sac qui contiendrait 371 millions de boules blanches.

Ce serait donc un bien grand hasard qu’un pareil accident nous atteignît ; mais enfin mettons les choses au pis, admettons que cet événement arrive, tout improbable qu’il soit : qu’en résultera-t-il ? Un choc effroyable, dit-on, car si deux locomotives, avec leur petite masse de 30 ou 40 tonnes et leur modeste vitesse de 20 mètres par seconde, se pénètrent et s’écrasent, on ne peut envisager sans effroi la perspective d’un arrêt instantané de la terre, qui va 1,500 fois plus vite et pèse 20 millions de milliards de tonnes. On a fait à ce sujet bien des romans, on a tracé des tableaux bien lugubres ; celui de Laplace est remarquable : « L’axe et le mouvement de rotation changés, les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur, une grande partie des hommes et des animaux noyés dans ce déluge universel ou détruits par la violente secousse imprimée au globe, des espèces entières anéanties, tous les monumens de l’industrie renversés ; » et après la catastrophe, « l’espèce humaine réduite à un petit nombre d’individus et à l’état le plus déplorable, uniquement occupée pendant très longtemps du soin de se conserver, a dû perdre entièrement le souvenir des sciences et des arts, et quand les progrès de la civilisation en ont fait sentir de nouveau les besoins, il a fallu tout recommencer comme si les hommes eussent été placés nouvellement sur la terre. »

Un théologien anglais, Whiston, animé de la louable intention d’expliquer le déluge universel par l’action d’une comète, choisit celle de 1680, à laquelle Halley avait attribué une révolution de cinq cent soixante-quinze ans ; elle avait dû passer à son périhélie en 2919 et en 2344 avant Jésus-Christ, qui sont les dates admises pour ce grand événement ; il suppose que sa masse était le quart de celle de la terre, qu’elle a dû rompre les sources du grand abîme et verser sur le globe sa propre atmosphère composée de matières aqueuses et terreuses ; elles tombèrent pendant quarante jours. Il va plus loin et admet que cette même comète, dans un avenir menaçant, changera l’orbite, lancera la terre au voisinage du soleil, qui se chargera de la détruire par le feu. Le malheur est que cette malencontreuse comète, d’après les nouveaux calculs de Encke, fait sa révolution, non pas en cinq cent soixante-quinze ans, mais en huit mille huit cent quatorze années, ce qui détruit de fond en comble le roman de Whiston.

Maupertuis fait entendre une note gaie : « La comète pourrait être si petite, qu’elle ne serait funeste qu’à la partie de la terre qu’elle frapperait; peut-être en serions-nous quitte pour quelque royaume écrasé pendant que le reste de la terre jouirait des raretés qu’un corps qui vient de si loin y apporterait; on serait peut-être bien surpris de trouver que les débris de ces masses que nous méprisons seraient formés d’or et de diamans; mais lesquels seraient les plus étonnés de nous ou des habitans que la comète jetterait sur notre terre ? Quelle figure nous trouverions-nous les uns aux autres ? »

A côté de ces sinistres prédictions que je pourrais multiplier et qui occupèrent de grands astronomes, il y a des opinions absolument contraires. Herschel croyait que la masse des comètes est insignifiante; il alla jusqu’à prétendre que si on ramassait toute la matière de l’auréole du noyau et de la queue, on pourrait la mettre dans une balance, où elle ne pèserait que quelques onces. J’ai déjà dit que Babinet appelait les comètes des riens visibles, en se fondant sur la transparence des queues. Si cette assertion était vraie, l’effet d’une rencontre de la terre avec une comète serait absolument nul ; mais ce n’est là qu’une opinion sans fondement et qui tombe à cause de son évidente exagération.

Examinons plus sérieusement les conséquences d’une pareille éventualité. Tout dépendrait de la masse de la comète; car, de même qu’une locomotive enlève, sans en rien éprouver, une charrette ou un bœuf qu’elle rencontre en son chemin, de même la terre absorberait sans s’en apercevoir une comète beaucoup moins grosse qu’elle. Cherchons donc à évaluer, au moins approximativement, la masse des comètes. Il est certain qu’elle est faible. En 1870, la comète de Lexell passa très près de nous, à 600,000 lieues: elle fut dérangée dans son mouvement, mais elle ne changea rien à la course de la terre. Si sa masse avait été comparable à celle de notre globe, elle aurait allongé l’année de 1,000 secondes; comme elle ne l’a point altéré d’une quantité sensible, Laplace a conclu que la terre est beaucoup plus pesante, au moins 5,000 fois plus pesante que la comète. Les lois de l’astronomie ne permettent malheureusement pas d’apprécier avec une certitude absolue la masse d’une comète dont on a observé le mouvement. M. Roche est le seul qui ait appuyé sur des calculs sérieux une évaluation approchée de la comète de Donati, qu’il fixe à la vingt-millième partie de la masse terrestre ou à 57 fois notre atmosphère : ce serait une sphère d’eau de 400 kilomètres de rayon, pesant 268 millions de milliards de tonnes. C’est quatre fois moins que Laplace ne l’avait dit, mais c’est encore quelque chose de sérieux, et la rencontre de cette comète avec la terre amènerait, sinon tous les événemens qu’a craints, qu’a formulés Laplace, au moins des perturbations considérables.

Elle en occasionnerait d’une autre nature que les astronomes du dernier siècle ne soupçonnaient point. Les progrès récens de la physique ont amené une modification radicale dans l’idée qu’ils se faisaient de la chaleur; ce n’est point un fluide qui s’accumule dans les corps, c’est un mouvement moléculaire analogue à celui qui produit le son. Quand un marteau frappe une cloche, elle se met à vibrer: c’est du son. De même, quand une balle de plomb rencontre une plaque de fer, elle perd sa vitesse, mais ses molécules héritent du mouvement perdu et exécutent des oscillations très rapides, c’est de la chaleur; ce n’est pas autre chose qu’une transformation de la force vive, et l’on sait calculer avec précision la quantité de chaleur qui naît quand une masse connue passe du mouvement au repos. Si, par exemple, la terre, dont nous connaissons la vitesse et la masse, était tout à coup arrêtée dans son mouvement, elle engendrerait assez de chaleur, non seulement pour se fondre, mais pour se réduire entièrement en vapeur. La catastrophe serait autrement grandiose que le supposait Maupertuis. N’est-ce point à une action de ce genre qu’on doit attribuer les inflammations subites d’étoiles qu’à diverses époques on a constatées dans le ciel ? On peut de même calculer réchauffement que subirait la terre par le choc d’un astre égal au dix-millième de sa masse et qui viendrait l’aborder avec une vitesse connue ; il serait proportionnel au carré de cette vitesse, en la supposant dirigée perpendiculairement à l’orbite; il serait donc de un centième de degré si elle était égale à un kilomètre par seconde, de 1°, 1 si elle devenait de 10 kilomètres; et si la vitesse du choc était de 100 kilomètres, la terre s’échaufferait à 116 degrés, toute l’eau qu’elle possède entrerait en vapeur. Le grand danger d’mie rencontre est donc encore moins dans les conséquences mécaniques que dans la température énorme qui en serait la suite et à laquelle la vie succomberait. Il y aurait encore un autre danger pour achever cette ruine. L’analyse spectrale a reconnu dans l’auréole d’une comète, et de toutes les comètes, la présence de gaz azotés et carbonés ; tous sont impropres à l’entretien de la vie, quelques-uns sont des poisons violens; tel l’acide prussique. Décidément il faut faire des vœux pour qu’un pareil événement nous soit épargné, et nous sommes bien heureux qu’il soit si improbable.

Mais il y a plus de chances de rencontrer une queue, cela arriverait nécessairement si la comète était en conjonction avec la terre, c’est-à-dire si elle se plaçait entre elle et le soleil, car alors sa queue nous couvrirait comme l’ombre de la lune nous couvre dans une éclipse totale de soleil; ce phénomène serait toutefois difficile à observer, peut-être même ne serait-il pas aperçu ; il offrirait en effet les mêmes conditions que le passage de Vénus ou de Mercure. Toute la terre ne le verrait pas, mais seulement les pays situés sur une ligne étroite, et, comme il y ferait jour, les apparences de la queue seraient effacées ; d’autre part, l’hémisphère opposé serait abrité de la queue par l’interposition de la terre elle-même. Une telle rencontre s’est faite ou a failli se faire en 1881 : la belle comète visible à cette époque devait passer à son nœud le 28 juin, et sa queue traverser l’orbite terrestre en un point où la terre arrivait de son côté à toute vitesse, mais elle y passa cinq heures trop tard : la terre était déjà loin, n’ayant manqué la comète que de bien peu. Cependant comme la queue était large et que son étendue dépassait 5 degrés, M. Valz annonçait qu’elle devait toucher la terre. Leverrier ne le croyait pas, M. Lœvy penchait pour l’affirmative, et M. Liais affirmait que non-seulement la terre, mais aussi la lune, devaient être rencontrées. On fit quelque publicité ; M. Hind en informa le monde par une lettre au Times, et le monde, bien différent de ce qu’il était en l’an 1000, s’en était médiocrement ému ; le moment vint, et rien ne se produisit. A la vérité, M. Hind et un petit nombre d’autres personnes ont affirmé avoir remarqué dans le ciel une phosphorescence inusitée. Mais ce fut tout, et il n’y eut pas la plus petite apparence de cataclysme : ou bien nous n’avons pas été balayés par la queue, ou, si nous l’avons été, c’est que ce coup de balai est inoffensif.


VII.

Le déluge, décrit avec tant de précision dans les livres hébreux et qui est resté comme un vague souvenir dans la mémoire des peuples païens, a peut-être été la conséquence d’une collision. Depuis lors, il ne s’est rien fait de pareil ; il n’est point tombé de comètes, mais la terre est à chaque instant rencontrée par des bolides ou des météorites. Cette question mérite de nous arrêter.

On a cru pendant longtemps que l’espace ne contient rien autre chose que de grandes agglomérations de matière : étoiles, planètes, satellites ou comètes. Nous savons aujourd’hui qu’il est rempli à profusion de matériaux de toute taille, dont le nombre et l’importance grandissent à mesure qu’on les observe mieux. Ainsi l’on avait remarqué depuis longtemps que la distance entre les orbites de Mars et de Jupiter est beaucoup plus grande que ne l’indique la loi qui règle la distribution des planètes ; il en manquait une : on en découvrit d’abord quatre. Cérés, Pallas, Junon, Vesta; puis, à mesure que les lunettes devenaient meilleures, on s’aperçut que cet espace est une véritable mine où l’on trouva successivement près de deux cents petits astres, circulant dans le sens direct, enveloppés d’une atmosphère épaisse, n’ayant point de queue, mais participant des comètes par leur nébulosité. On considère ces petits astres comme étant les débris d’une grosse planète qu’un choc aurait brisée et dispersée. Au-delà, Jupiter a quatre satellites ; en deçà, Mars, qu’on croyait isolé, possède deux lunes remarquables par leur petitesse et qu’on vient récemment de découvrir. On voit que cet espace compris entre deux planètes anciennes est peuplé d’un nombre énorme de corps ; nous voyons les plus gros, il y en a certainement une plus grande quantité de petits qui nous échappent, et l’on est en droit de considérer leur ensemble comme constituant un anneau planétaire tournant d’un mouvement à peu près commun dans l’intervalle de Mars et de Jupiter.

M. Schwedof admet comme probable l’existence de corps de toute dimension circulant autour du soleil dans le sens et avec la vitesse des planètes voisines et que nous ne voyons pas parce qu’ils nous accompagnent et marchent de conserve avec nous, mais que les comètes viennent choquer parce qu’elles les prennent en travers ; on a vu qu’il va jusqu’à admettre que c’est à ces chocs répétés qu’elles doivent leur élévation de température et la lumière propre qu’elles émettent. Il n’est personne qui puisse aujourd’hui nier l’immense étendue de l’atmosphère solaire et que l’espace interplanétaire contienne des gaz très dilatés qui se seraient concentrés autour des planètes par l’effet de l’attraction.

En l’année 1869, on observa dans la France seule vingt-neuf bolides, c’est-à-dire vingt-neuf étoiles filantes ayant un grand diamètre apparent, laissant une trace phosphorescente et souvent éclatant avec bruit dans les hauteurs, ce qui ferait pour la Terre entière vingt et un mille six cents bolides annuels au minimum. Quelques-uns n’échappent point à la pesanteur et tombent sur le sol ; ce sont les météorites que leur composition chimique permet aujourd’hui de classer en un petit nombre d’espèces, toujours les mêmes, et dont l’origine paraît commune. Nous avons parlé longuement des étoiles filantes, de leur accumulation en essaims, en anneaux qui circulent et qui nous apparaissent comme venant de points radians distincts : on en compte aujourd’hui jusqu’à neuf. On désigne ces étoiles par le nom des constellations dont elles paraissent venir ; les perséides arrivant de Persée, les léonides du Lion, etc. ; dans une seule nuit et dans un seul Heu, on en voit jusqu’à onze mille. Outre ces amas, dont la régularité est connue, il y a les étoiles sporadiques qui semblent obéir au hasard seul. On a essayé de les compter. Un seul observateur en note environ trente par heure dans son horizon restreint, ce qui ferait environ trente mille pour la terre entière. Il ne s’agit ici que de celles qu’on aperçoit à l’œil nu. Si on pouvait les observer avec un grossissement de soixante, on en verrait deux cent soixante fois plus, et en faisant l’addition pour l’année et la terre entières, on arrive au respectable total de soixante-cinq milliards. Comme la terre n’est qu’un point dans l’espace, on peut juger de la libéralité qui a dispersé dans l’espace les corpuscules cosmiques.

Ainsi la terre est perpétuellement bombardée par une pluie incessante de corps, gros ou petits, réguliers ou sporadiques. Il est clair qu’elle s’en nourrit, que son volume et sa masse augmentent, que sa vitesse orbitaire diminue et que, se rapprochant continuellement du soleil, elle doit finir par y tomber, mais elle le fait si lentement qu’on peut n’en point parler. Voici le calcul que fait M. Schwedof. Herschel admet qu’une étoile filante ayant l’éclat de Sirius ne pèse que 238 grammes : mettons 1,000. En réunissant les 65 milliards d’étoiles filantes annuelles et multipliant leur masse par le nombre d’années écoulées depuis vingt siècles, on ferait une sphère d’eau dont le rayon dépasserait à peine 3 kilomètres et qui, répandue sur le sol, n’y aurait que l’épaisseur d’une toile d’araignée. La terre a donc éprouvé depuis vingt siècles un accroissement de poids si petit qu’il ne faut point s’en occuper et qui n’a pu modifier en rien son allure.

Il n’en est point de même de la chaleur qu’elle reçoit des bolides. Un calcul très simple montre que, si une météorite du poids de 1 kilogramme venait à rencontrer la terre avec une vitesse de 100 kilomètres et à s’y arrêter, toute sa vitesse se transformerait en une quantité de chaleur capable de porter 1 kilogramme d’eau à plus d’un million de degrés. Ce résultat va nous mener à des conséquences importantes[4]. Évidemment la terre a reçu bien souvent le choc de masses pareilles animées d’aussi grandes vitesses, les cabinets d’histoire naturelle sont remplis de fragmens tombés du ciel, surtout celui de Paris, où M. Daubrée les recueille avec un soin qui ne se fatigue pas. On a trouvé en Sibérie une masse de fer météorique de 700 kilogrammes ; toutes ont apporté à la terre des quantités énormes de chaleur. J’ai donné autrefois dans la Revue la théorie suivante de ces phénomènes[5] : les météorites s’enflamment à 250 ou 300 kilomètres de hauteur; aussitôt qu’elles entrent dans l’atmosphère, elles y trouvent une résistance croissante et si subite à cause de leur énorme vitesse, que l’effet ressemble à un coup de marteau et qu’elles se brisent en menant grand bruit. La chaleur créée par la vitesse perdue est énorme, elle naît à la surface, qui rougit, se fond et se couvre d’émail; elle ne pénètre pas à l’intérieur à cause de la mauvaise conductibilité; mais elle échauffe l’air environnant, qu’elle porte à l’incandescence ; le bolide arrive enfin sur le sol, où sa chute est amortie; à peine a-t-il la vitesse suffisante pour s’enfoncer de quelques pieds. Ce n’est donc point la terre elle-même qui reçoit le choc, c’est l’air; ce n’est point elle qui est échauffée, c’est l’air. La lune, qui partage nos destinées, qui nous accompagne dans l’espace et qui est si près de nous, rencontre, elle aussi, les mêmes masses flottantes et prend sa part du bombardement qu’elles nous infligent; les conditions sont les mêmes, les causes identiques; on pourrait croire que les effets vont se ressembler, il n’en est rien : on va voir qu’ils sont essentiellement différens.

La lune est un astre mort, sans eau, sans air, sans habitans; son aspect est morne et désolé; elle nous montre toujours la même face, l’autre nous est et restera toujours inconnue; elle s’échauffe outre mesure pendant de longs jours, vingt-huit fois plus longs que les nôtres, et arrive à la limite du froid par des nuits de même durée; elle n’a point de chaînes de montagnes, elle possède une configuration spéciale que rien n’a dérangée, que les mouvemens des eaux n’ont altérée, ni recouverte, une surface vierge qui garde éternellement les stigmates des coups qu’elle a reçus, comme une cible de fer conserve la trace des balles qui l’ont frappée. Son histoire est écrite sur sa face. Ceux qui, pour la première fois, l’observent au télescope ne peuvent se défendre d’un étonnement profond; c’est un spectacle émouvant que je conseille à tout le monde et qu’on peut se procurer à bas prix auprès des vulgarisateurs modestes qui installent le soir leurs lunettes aux Champs-Elysées. On y reconnaît tout d’abord de grands espaces sombres à fond uni, de forme arrondie, à bords relevés, qu’on nomme des mers, bien qu’elles n’aient pas une goutte d’eau : Mer du Nectar, de la Sérénité, de la Tranquillité, des Pluies, etc.; elles se succèdent pour former comme une ceinture équatoriale. Autour d’elles, la surface est fortement tourmentée, elle est entièrement couverte de grands cirques ou cratères parfaitement ronds dont les bords s’élèvent en pente douce à l’extérieur et se creusent à pic en dedans ; le fond est plat, profond, ce sont des creux, presque des puits. On les a désignés par le nom des grands astronomes Copernic, Descartes, Aristote, Platon, Tycho, etc. On ne peut les nommer tous, car il y en a des milliers de toute taille, depuis 60 kilomètres jusqu’à quelques mètres, jusqu’à quelques trous à peine visibles, les plus profonds ont 5,000 mètres, ce qui est le relief du Mont-Blanc.

Toute la surface lunaire n’est pas également riche en cratères ; la partie supérieure en contient peu, la moitié inférieure en est criblée ; ils se mêlent, se superposent et s’enchevêtrent sans ordre. A les bien examiner, on reconnaît qu’ils sont d’âge différent, que, souvent, un dernier venu s’est placé sur un fond qui en contenait déjà de plus anciens, et au milieu de cet espace on distingue le plus remarquable de tous, Tycho, non parce qu’il est le plus large ni le plus profond, mais parce qu’il est le centre de traces brillantes qui en partent et divergent comme les méridiens tracés sur une sphère divergent du pôle. Ce ne sont point des fentes ni des saillies, ce sont des lignes plus brillantes que le fond, qui traversent les cratères environnans sans s’y mêler ni sans les effacer et s’étendent jusqu’au quart de la surface lunaire. En y regardant bien, c’est un caractère général qu’on retrouve autour de Copernic et de tous les grands cratères, bien qu’avec moins d’évidence. Il semble qu’une force intérieure ait fait éclater la surface en la poussant du dedans au dehors, comme une pierre fait éclater la vitre autour du point qu’elle a frappé.

Il est manifeste que tous ces cratères ont été formés dans des circonstances identiques qui se sont reproduites un nombre considérable de fois à des époques successives, avec des intensités inégales, et qu’ils sont dus à l’action de forces émanant de leur centre. Il y a deux manières, il n’y en a que deux de les expliquer : ou en admettant que cette force agisse de l’intérieur de la lune, ou bien en supposant qu’elle vienne du dehors.

Si elle est intérieure, ce sont des volcans pareils aux nôtres ; c’est en effet, ce qu’on admet en général, ce qui paraît au premier abord ne pouvoir être contesté ; et ce qui donne du poids à cette opinion, c’est qu’on voit généralement, au milieu même du cratère, un mamelon quelquefois élevé de 1,500 mètres, comme on voit le cône du Vésuve au milieu de la Somma. En y regardant de plus près, c’est une opinion qu’on ne peut soutenir. On trouve, en effet, des différences essentielles entre les cratères de la lune et les volcans d’Italie ou d’Auvergne. Dans ceux-ci, le cône central offre une régularité parfaite puisqu’il est dû à la retombée des cendres lancées de son milieu, et il est creusé d’un entonnoir. Sur la lune, les éminences centrales n’ont aucune régularité : ce sont des masses rugueuses, irrégulières, jamais évidées et qui semblent plutôt rocheuses. Sur la terre il n’y a point de volcans sans coulées de lave, et l’on n’en connaît aucune sur la lune ; enfin nos volcans produits par une poussée intérieure sont des montagnes élevées, de peu d’étendue, tandis que les plateaux qui occupent l’intérieur des éminences lunaires sont immenses, plus étendus qu’un de nos départemens et toujours en contre-bas de la surface extérieure. Pour employer la spirituelle expression de M. Faye, « ils ressemblent à des volcans comme un puits à une montagne. » Et puis, en supposant que ces objections soient levées, on n’aurait résolu que la moitié de la question, il faudrait chercher la cause qui a si souvent crevé la surface de la lune et qui s’est montrée si rarement sur la terre.

Tout devient clair, tout se prévoit et s’explique, si le relief actuel est considéré comme portant les traces des coups que la lune a reçus et qu’elle continue de recevoir. Examinons ce qui va se passer quand elle est rencontrée par un bolide ; prenons-le d’abord très petit, ne pesant qu’un kilogramme. A peine a-t-il touché la surface et commencé à pénétrer dans le sol qu’il perd sa vitesse, qu’une énorme quantité de chaleur prend naissance, et elle est instantanée comme l’arrêt de mouvement ; elle fond, rougit et volatilise à la fois le bolide et l’obstacle qu’il a rencontré et avec une rapidité telle que c’est une explosion, une bombe qui éclate en tombant. Nous avons déjà calculé cette chaleur, elle suffirait pour élever à 100 degrés 12,000 kilogrammes d’eau, pour former 2,000 kilogrammes de vapeur à 5 atmosphères : on peut juger de l’effet, et concevoir qu’une simple étoile filante, inoffensive sur la terre, fait dans la lune un large trou rond avec explosion, projection de matières à l’extérieur, et se creuse un petit cratère ; et si tel est l’effet de la chute de 1 kilogramme, on imagine aisément celui de masses plus grandes. La météorite trouvée en. Sibérie par Pallas pèse 700 kilogrammes, c’est du fer pur, son volume ne dépasse pas 100 litres ; il n’est point entré dans la terre en y tombant, parce qu’il a été arrêté par l’air, mais sur la lune il aurait instantanément développé assez de chaleur pour produire 1,400,000 kilogrammes de vapeur à 5 atmosphères ; il aurait creusé un cratère assez grand pour être vu de la terre. Multipliez encore la masse, supposez un bolide beaucoup plus gros, même une comète, vous n’aurez aucune difficulté à expliquer la formation des plus grands cirques, vous comprendrez comment on en trouve de toutes les tailles, comment les plus petits sont plus nombreux que les grands ; vous expliquerez également la présence d’un monticule élevé, placé au centre, c’est le reste de la masse tombée. Il est permis de croire que la lune est encore aujourd’hui un but atteint par les bolides. Pendant l’éclipse totale de 1778, un officier espagnol, Ulloa, vit sur la lune un point brillant; il crut avoir vu le soleil à travers la lune percée d’un trou; dans une même circonstance en 1842, MM. Finaud et Boisgiraud virent de même un point brillant entouré d’une vive scintillation ; c’étaient probablement les foyers non éteints allumés par les bolides tombés. Suivant cette théorie nouvelle, les cirques lunaires seraient, en effet, des volcans ; mais leur cause serait extérieure. La masse tombée creuse un trou ; c’est au fond de ce trou que se produisent la fusion et la volatilisation, c’est par le canal que le bolide a laissé ouvert que s’échappent les vapeurs, que se fait l’éruption et qu’elle se continue jusqu’au moment du refroidissement. Dans le volcan Tycho, le choc a dû être formidable, la masse tombée énorme ; elle a dû pénétrer à une profondeur considérable, développer tant de vapeurs que leur pression a fendu l’enveloppe en divergeant dans tous les sens et qu’elles se sont échappées par ces fentes pour se condenser à la surface en efflorescences blanches. Par le refroidissement, les fissures se sont fermées, les efflorescences sont restées, et ce sont ces traces blanches qu’on voit partir du volcan Tycho. On me pardonnera cette longue digression sur un sujet étranger ; il ne se rattache à cette étude que pour mieux faire comprendre le rôle protecteur de l’atmosphère terrestre. On sait depuis longtemps qu’elle arrête les rayons calorifiques du soleil pour égaliser la température entre les points directement éclairés et ceux qui restent dans l’ombre ; Tyndall insiste pour montrer qu’elle empêche pendant la nuit le rayonnement de la terre et prévient un refroidissement trop grand. Voici maintenant qu’elle nous préserve de la pluie de pierres qui nous tuerait ; c’est à la fois un écran pour nous abriter du soleil, un manteau pour nous couvrir du froid, et un bouclier contre les projectiles cosmiques.


J. JAMIN.

  1. Voici l’énoncé de ces lois : 1° les planètes décrivent des ellipses dont le soleil est un des foyers ; 2° les aires décrites par les rayons vecteurs sont proportionnelles aux temps; 3° les carrés des temps des révolutions sont proportionnels aux cubes des grands axes.
  2. On vient d’annoncer son retour à l’Académie des Sciences ; elle avait été fortement retardée par Jupiter.
  3. Voici les élémens du noyau de l’essaim du 14 novembre et de la comète de Tempel :
    Anneau. Comète.
    Passage au périhélie, nov. 10,092 janv. 11,160 1866
    Longitude du périhélie, 56° 25’ 60° 28’
    Longitude du nœud, 231° 28’ 231° 26’
    Inclinaison, 17° 44’ 17° 18’
    Distance périhélie, 0,9873 0,9765
    Excentricité, 0,9046 0,9054
    Demi-grand axe. 10,340 10,324
    Durée de révolution, 35 ans 230 33 ans 176
    Sens du mouvement, rétrograde rétrograde.
  4. La demi-force vive d’une météorite, 1/2 mv2 est égale à la quantité de chaleur que produirait son arrêt, multipliée par l’équivalent mécanique de la chaleur qui est égal à 430.

    C= ½ mv2 1/430 = 0,000117 p. V2.
    Si p-= 1 k, v = 1m C = 0,000117
    v= 1000 C = 117
    v= 10000 C = 11700
    v = 100000 C= 1170000

    Un kilogramme avec une vitesse de 100 kilomètres produit donc 1,170,000 calories et peut élever 1 kilogramme d’eau à 1,170,000 degrés.

  5. Voyez la Revue du 15 juillet 1864.