Les Complaintes (Mercure de France 1922)/Complainte de l’Ange incurable
COMPLAINTE
DE L’ANGE INCURABLE
Je t’expire mes Cœurs bien barbouillés de cendres ;
Vent esquinté de toux des paysages tendres !
Où vont les gants d’avril, et les rames d’antan ?
L’âme des hérons fous sanglote sur l’étang.
Et vous, tendres
D’antan ?
Le hoche-queue pépie aux écluses gelées ;
L’amante va, fouettée aux plaintes des allées.
Sais-tu bien, folle pure, où sans châle tu vas ?
— Passant oublié des yeux gais, j’aime là-bas…
— En allées
Là-bas !
Le long des marbriers (Encore un beau commerce !)
Patauge aux défoncés un convoi, sous l’averse.
Un trou, qu’asperge un prêtre âgé qui se morfond,
Bâille à ce libéré de l’être ; et voici qu’on
Le déverse
Au fond.
Les moulins décharnés, ailes hier allègres,
Vois, s’en font les grands bras du haut des coteaux maigres !
Ci-gît n’importe qui. Seras-tu différent,
Diaphane d’amour, ô Chevalier-Errant ?
Claque, ô maigre
Errant !
Hurler avec les loups, aimer nos demoiselles,
Serrer ces mains sauçant dans de vagues vaisselles !
Mon pauvre vieux, il le faut pourtant ! et puis, va,
Vivre est encor le meilleur parti ici-bas.
Non ! vaisselles
D’ici-bas !
Au-delà plus sûr que la Vérité ! des ailes
D’Hostie ivre et ravie aux cités sensuelles !
Quoi ! Ni Dieu, ni l’art, ni ma Sœur Fidèle ; mais
Des ailes ! par le blanc suffoquant ! à jamais,
Ah ! des ailes
À jamais !
— Tant il est vrai que la saison dite d’automne
N’est aux cœurs mal fichus rien moins que folichonne.