Les Complaintes (Mercure de France 1922)/Complainte de l’Orgue de Barbarie

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Les Complaintes (Mercure de France 1922)
Les ComplaintesMercure de FranceI. Poésies (p. 86-88).


COMPLAINTE
DE L’ORGUE DE BARBARIE


Orgue, orgue de Barbarie,
Don Quichotte, Souffre-Douleur,
Vidasse, vidasse ton cœur,
Ma pauvre rosse endolorie.

Hein, étés idiots,
Octobres malades,
Printemps, purges fades,
Hivers tout vieillots ?

— « Quel silence, dans la forêt d’automne,
Quand le soleil en son sang s’abandonne ! »


Gaz, haillons d’affiches,
Feu les casinos,
Cercueils des pianos,
Ah ! mortels postiches.

— « Déjà la nuit, qu’on surveille à peine
Le frou-frou de sa titubante traîne. »

Romans pour les quais,
Photos élégiaques,
Escarpins, vieux claques,
D’un coup de balai !

— « Oh ! j’ai peur, nous avons perdu la route ;
Paul, ce bois est mal famé ! chut, écoute… »

Végétal fidèle,
Ève aime toujours
LUI ! jamais pour
Nous, jamais pour elle.

— « Ô ballets corrosifs ! réel, le crime ?
La lune me pardonnait dans les cimes. »


Vêpres, Ostensoirs,
Couchants ! Sulamites
De province aux rites
Exilants des soirs !

— « Ils m’ont brûlée ; et depuis, vagabonde
Au fond des bois frais, j’implore le monde. »

Et les vents s’engueulent,
Tout le long des nuits !
Qu’est-c’que moi j’y puis,
Qu’est-ce donc qu’ils veulent ?

— « Je vais guérir, voyez la cicatrice,
Oh ! je ne veux pas aller à l’hospice ! »

Des berceaux fienteux
Aux bières de même,
Bons couples sans gêne,
Tournez deux à deux.

Orgue, Orgue de Barbarie !
Scie autant que Souffre-Douleur,
Vidasse, vidasse ton cœur,
Ma pauvre rosse endolorie.