Les Complaintes (Mercure de France 1922)/Complainte de la Lune en province

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Les Complaintes (Mercure de France 1922)
Les ComplaintesMercure de FranceI. Poésies (p. 102-103).


COMPLAINTE DE LA LUNE
EN PROVINCE


Ah ! la belle pleine Lune,
Grosse comme une fortune !

La retraite sonne au loin,
Un passant, monsieur l’adjoint ;

Un clavecin joue en face,
Un chat traverse la place :

La province qui s’endort !
Plaquant un dernier accord,

Le piano clôt sa fenêtre.
Quelle heure peut-il bien être ?

Calme Lune, quel exil !
Faut-il dire : ainsi soit-il ?


Lune, ô dilettante Lune,
À tous les climats commune,

Tu vis hier le Missouri,
Et les remparts de Paris,

Les fiords bleus de la Norvège,
Les pôles, les mers, que sais-je ?

Lune heureuse ! ainsi tu vois,
À cette heure, le convoi

De son voyage de noce !
Ils sont partis pour l’Écosse.

Quel panneau, si, cet hiver,
Elle eût pris au mot mes vers !

Lune, vagabonde Lune,
Faisons cause et mœurs communes ?

Ô riches nuits ! je me meurs,
La province dans le cœur !

Et la lune a, bonne vieille,
Du coton dans les oreilles.

Cassel. Juillet 1884.