Les Complaintes (Mercure de France 1922)/Complainte des formalités nuptiales
COMPLAINTE
DES FORMALITÉS NUPTIALES
Allons, vous prendrez froid.
Non ; je suis un peu lasse.
Je voudrais écouter toujours ce cor de chasse !
Dis, veux-tu te vêtir de mon Être éperdu ?
Tu le sais ; mais il fait si pur à la fenêtre…
Ah ! tes yeux m’ont trahi l’Idéal à connaître ;
Et je le veux, de tout l’univers de mon être !
Dis, veux-tu ?
Devant cet univers, aussi, je me veux femme ;
C’est pourquoi tu le sais. Mais quoi ! ne m’as-tu pas
Prise toute déjà ? par tes yeux, sans combats !
À la messe, au moment du grand Alléluia,
N’as-tu pas eu mon âme ?
Oui ; mais l’Unique Loi veut que notre serment
Soit baptisé des roses de ta croix nouvelle ;
Tes yeux se font mortels, mais ton destin m’appelle,
Car il sait que, pour naître aux moissons mutuelles,
Je dois te caresser bien singulièrement :
Vous verrez mon palais ! vous verrez quelle vie !
J’ai de gros lexicons et des photographies,
De l’eau, des fruits, maints tabacs,
Moi, plus naïf qu’hypocondre,
Vibrant de tact à me fondre,
Trempé dans les célibats.
Bon et grand comme les bêtes,
Pointilleux, mais emballé,
Inconscient, mais esthète,
Oh ! veux-tu nous en aller
Vers les pôles dont vous êtes ?
Vous verrez mes voiliers ! vous verrez mes jongleurs !
Vous soignerez les fleurs de mon bateau de fleurs.
Vous verrez qu’il y en a plus que je n’en étale.
Et quels violets gros deuil sont ma couleur locale,
Et que mes yeux sont ces vases d’Élection
Des Danaïdes où sans fin nous puiserions !
Des prairies adorables,
Loin des mufles des gens ;
Et, sous les ciels changeants,
Maints hamacs incassables !
Dans les jardins
De nos instincts
Allons cueillir
De quoi guérir…
Cuirassés des calus de mainte expérience,
Ne mettant qu’en mes yeux leurs lettres de créance,
Les orgues de mes sens se feront vos martyrs
Vers des cieux sans échos étoilés à mourir !
Tu le sais ; mais tout est si décevant ! ces choses
Me poignent, après tout, d’un infaillible émoi !
Raconte-moi ta vie, ou bien étourdis-moi.
Car je me sens obscure, et, je ne sais pourquoi,
Je me compare aux fleurs injustement écloses…
Tu verras, c’est un rêve. Et tu t’éveilleras
Guérie enfin du mal de pousser solitaire.
Puis, ma fine convalescente du Mystère,
On vous soignera bien, nuit et jour, seuls sur terre.
Tu verras ?
Tu le sais. Ah ! — si tu savais ! car tu m’as prise !
Bien au delà ! avec tes yeux, qui me suffisent.
Oui, tes yeux francs seront désormais mon église.
Avec nos regards seulement,
Alors, scellons notre serment ?
Allons, endormez-vous, mortelle fiancée.
Là, dans mes bras loyaux, sur mon grand cœur bercée,
Suffoquez aux parfums de l’unique pensée
Que la vie est sincère et m’a fait le plus fort.
Tiens, on n’entend plus ce cor ; vous savez, ce cor…
L’Ange des Loyautés l’a baisée aux deux tempes ;
Elle dort maintenant dans l’angle de ma lampe.
Ô Nuit,
Fais-toi lointaine
Avec ta traîne
Qui bruit !
Ô défaillance universelle !
Mon unique va naître aux moissons mutuelles !
Pour les fortes roses de l’amour
Elle va perdre, lys pubère,
Ses nuances si solitaires,
Pour être, à son tour,
Dame d’atour
De Maïa !
Alléluia !