Les Complaintes (Verhaeren)

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Poèmes (IIe série)Société du Mercure de France (p. 17-18).

LES COMPLAINTES


 
Les complaintes qu’on va chantant par la grand’route,
Avec leurs vieux refrains de banal désespoir,
Avec leurs mots en panne et leur rythme en déroute
Sont plus tristes encor, les dimanches, le soir,
Dans le silence éteint des tons et des lumières.
Le village s’endort. La cloche des saluts
Tinte minablement sa plainte et les chaumières
Qu’on ferme, et les verrous et les seuils vermoulus
Poussent des cris souffrants, comme des voix humaines.
Parfois, dans les vergers, un très doux meuglement

Ou quelque bruit d’étable et de chenil. Les plaines
Se remplissent de nuit et de tressaillement.
Personne. À l’horizon, rien que la solitude
Et des nuages longs qui voyagent, par tas.
Et dans cet infini d’ombre et de lassitude
Et dans cette douleur des campagnes, là-bas,
Les complaintes qu’on va chantant par la grand’route
Avec leurs vieux refrains de banal désespoir,
Avec leurs mots en panne et leur rythme en déroute,
Meurent en cette mort de dimanche et de soir.