Les Concours du Conservatoire

La bibliothèque libre.
Heugel (p. 2-7).

LES CONCOURS DU CONSERVATOIRE


TRAGÉDIE

Bien qu’il n’ait donné lieu à aucune récompense supérieure (il n’y a eu de premier prix ni pour les hommes ni pour les femmes), le concours de tragédie n’a pas laissé que d’offrir cette année un intérêt assez vif. Il a mis surtout en lumière le tempérament d’une jeune femme qui, je crois, est appelée à faire parler d’elle dans un avenir prochain, Mlle Page, que nous retrouverons tout à l’heure, et dont le nom a été l’occasion d’un de ces incidents comme il s’en produit périodiquement au Conservatoire pour protester contre certaines décisions plus ou moins étranges du jury. Mais commençons par le commencement.

En l’absence du premier, le second prix, du côté des hommes, a été attribué à M. Dorival, qui a joué avec chaleur, avec une vigueur exempte d’excès, avec puissance et même une certaine grandeur, la scène du meurtre de Clytemnestre dans les Érinnyes, scène très difficile, où il a fait preuve d’une louable sobriété tout en déployant un sentiment dramatique très intense. Il avait précisément là pour partenaire Mlle Page, qui, avant de concourir pour son propre compte, a partagé le succès de son camarade. M. Dorival est élève de M. Silvain.

Deux premiers accessits ont été décernés à MM. Vayre, élève de M. Worms, et Froment, élève de M. Silvain. M. Vayre a dit avec un accent très juste une scène de Louis xi, dans laquelle il a montré de la chaleur, de l’intelligence et un bon sentiment de la scène. Mais, comme un trop grand nombre de ces jeunes apprentis comédiens, il parle souvent trop vite et de façon à ne pas se faire comprendre. Il devra s’attacher à soigner son articulation. M. Froment a paru vraiment intéressant dans le Triboulet du Roi s’amuse. Une bonne diction, avec de l’âme, de la sensibilité et un heureux sentiment des contrastes, telles sont ses qualités, avec parfois un peu d’excès, mais point de façon à choquer trop durement.

Du côté féminin nous trouvons aussi un second prix, dont la titulaire assez inattendue est Mlle Maille, élève de M. Silvain, qui nous a joué au grand galop et en grasseyant la scène du quatrième acte d’Horace, qu’elle semblait ne pouvoir jamais finir assez vite. On aurait dit qu’elle avait un rendez-vous avec Curiace, et elle vous déballait les vers… Il fallait voir les imprécations ! ah ! ça n’a pas été long, je vous assure. Une, deusse, en avant, arche !…

Je ne sais ce qu’il adviendra de Mlle Maille, en dépit de son second prix, et je me sens incapable de hasarder à son sujet aucun pronostic. Mais ce que je sais bien, c’est qu’il y a chez Mlle Page, élève de M. Dupont-Vernon, un vrai tempérament d’artiste, qui ne tardera pas à se révéler dans toute sa vigueur. Mlle Page, qui s’était fait vivement applaudir en donnant la réplique à M. Dorival dans les Érynnies, a obtenu un remarquable succès personnel dans une scène du second acte de Bajazet. Douée d’une physionomie mobile et expressive, avec un œil profond, un regard plein d’éclairs, la démarche noble, le geste ample et harmonieux, cette jeune femme semble née pour le théâtre. Son débit est sage, sa diction est sobre et d’une rare justesse ; elle a la vigueur, elle a, qualité bien rare chez une jeune artiste — l’ironie hautaine, elle a enfin ce qui emporte tout : l’autorité. C’est une nature et un tempérament. Ce sont ces qualités rares, dont la réunion fait déjà d’elle un sujet précieux, et que le public avait vivement remarquées, qui ont fait éclater un incident lors de la proclamation des récompenses. Lorsque ce public, qui avait accueilli avec un silence glacial l’annonce du second prix décerné à Mlle Maille, entendit appeler Mlle Page, à qui l’on attribuait seulement un premier accessit, il lui fit une telle ovation et l’accueillit avec une telle volée d’applaudissements que pendant plusieurs minutes, et malgré les efforts de la sonnette du président, il fut impossible de rien entendre. C’est alors que M. Théodore Dubois annonça que la séance était levée et qu’il n’achèverait la proclamation des prix que lorsque la salle serait évacuée.

Un second accessit a été accordé à Mlle Even, pour une scène de Phèdre. Mlle Even, qui est élève de M. Lenoir, est douée d’une voix excellente. Elle est intéressante, et assurément intelligente. Elle a fort à faire encore, mais elle a l’étoffe nécessaire. C’est le fonds qui manque le moins.

Comédie

Voici pour la comédie, où l’on a vivement regretté de ne pas voir se représenter Mlle Page, quelles ont été les récompenses décernées :

Hommes.

1er Prix. — M. Prince, élève de M. Worms.

2e Prix. — M. Garbagny, élève de M. de Féraudy.

1er Acc. — M. Berthier, élève de M. de Féraudy.

2e Acc. — M. Caillard, élève de M. Leloir.

Femmes.

Pas de 1er prix.

2e Prix. — Mlle Maufroy, élève de M. Féraudy.

1er Acc. — Mme Dehelly-Stratsaert, élève de M. Delaunay, et Mlle Even, élève de M. Leloir.

2e Acc. — Mlle Norach, élève de M. de Féraudy.

Ici, la supériorité du sexe fort s’affirme presque avec éclat, grâce surtout à la présence de MM. Prince et Garbagny, qui sont venus, l’un après l’autre, terminer la séance. C’était bin le cas de dire : Aux derniers les bons. Nous n’avons pas entendu, d’ailleurs, moins de vingt scènes de comédie, dont une au moins me semble amener une réflexion. Le matin, dans le concours de tragédie, on nous avait donné dux scènes d’Hernani et du Roi s’amuse, et le soir, dans la séance consacrée à la comédie, nous trouvons une scène de Lucrèce Borgia. Voilà qui peut sembler singulier. Il n’y a pas, que je sache, le plus petit mot pour rire dans Lucrèce Borgia, qui n’est assurément pas d’une gaîté folle, et il y a quelque hardiesse à classer une telle œuvre dans le répertoire comique. Mais passons, et voyons ce que sont nos jeunes comédiens.

M. Prince, qui, comme figure et comme tournure, ressemble d’une façon remarquable à M. Coquelin cadet, s’est produit dans un arrangement assez singulier de deux scènes du Médecin malgré lui, où il jouait Sganarelle. Doué d’un excellent organe, clair et sonore, il joint à un naturel remarquable une verve pleine de chaleur, une diction nette, un débit facile et sans précipitation. J’ajoute qu’il a de l’aisance sans laisser-aller, qu’il ne tombe jamais dans la charge, qu’il tient merveilleusement la scène, et que son geste et sa démarche complètent un excellent ensemble. C’est un artiste aujourd’hui formé et qui peut sans crainte affronter le grand public.

C’est par des qualités différentes que brille M. Garbagny, qui a joué le rôle de Jean Bonnin dans une scène de François le Champi, où il a montré de la chaleur, une rare franchise et un sentiment expansif et vrai. Celui-là n’a plus que bien peu de chose à faire pour être en état de monter sur de vraies planches.

M. Berthier a dit la grande scène de maître André et de Jacqueline dans le Chandelier. Le commencement était bien un peu morne, un peu froid, mais il s’est relevé ensuite et a montré à la fin de la bonhomie et du naturel. Quant à M. Caillard, que nous avions vu le matin dans la scène d’Hamlet avec sa mère, c’est lui qui a joué celle d’Alphonse avec Lucrèce dans Lucrèce Borgia. De la chaleur, de la sobriété, une diction naturelle et expressive, sèche à l’occasion et vigoureuse sans raideur, telles sont ses qualités.

J’ai regretté, je l’avoue, qu’on n’ait pas cru devoir accorder son premier prix à M. Rozemberg, qui avait obtenu le second il y a deux ans et qui a fort joliment joué, avec désinvolture, avec grâce, avec distinction, une scène du Gringoire de Théodore de Banville. Que reproche-t-on à ce jeune homme, qui n’a vraisemblablement plus rien à apprendre au Conservatoire ? Est-ce, peut-être, parce que la Comédie-Française ne se soucie pas de l’engager, qu’on lui refuse un prix qu’il a bien mérité ? Il y a de ces mystères, auxquels nous ne comprenons rien, nous autres profanes. Quoi qu’il en soit, celui-là peut hardiment se présenter devant le public, et j’ai dans l’idée qu’il saura s’en faire bien accueillir. Parmi les élèves non couronnés, je ne veux pas négliger de signaler M. Barlay, qui a montré de l’aisance et de la chaleur dans la scène du chapeau du Mariage forcé, et qui se distingue par un bon organe et une bonne articulation.

Je ne saurais, malheureusement, adresser les mêmes éloges à Mme Dehelly, qui a joué d’une façon bien pâme et bien insignifiante la scène du troisième acte du Mariage de Victorine, où elle s’est vue récompenser pourtant par un premier accessit. Avant elle une aimable jeune femme, Mlle Clary, avait joué cette même scène d’une façon toute charmante, avec des larmes dans la voix, avec une diction touchante et sobre, avec un sentiment dramatique plein de candeur. À quoi donc sert-il de déployer de telles qualités, si le jury ne paraît pas s’en apercevoir ? Mais qu’elle travaille et qu’elle continue, Mlle Clary, elle a ce qu’il faut pour vaincre les résistances.

Comme Mme Dehelly, Mlle Even a obtenu un premier accessit, pour la scène d’Alcmène avec son époux dans Amphitryon. Mlle Even, qui n’est pas tout à fait la première venue, fera bien de se surveiller beaucoup : elle parle beaucoup trop vite et, de plus, laisse éteindre et tomber la fin de toutes ses phrases, si bien qu’on n’entend pas la moitié de ce qu’elle dit. C’est pour la grande scène d’Adrienne Lecouvreur que Mlle Norahc (qui me paraît bien s’appeler de son vrai nom Charon, par anagramme) s’est vu décerner un second accessit. Elle ne manque ni de sensibilité ni de grâce, mais crie parfois un peu trop.

Mlle Rabuteau, premier accessit de l’an dernier, est restée sur le carreau. Coiffée comme un singe et d’une façon absolument ridicule, car elle est venue bredouiller une scène de Francillon en parlant quatre fois trop vite. Ses progrès sont nuls. Et c’est dommage, car elle a à son service une des voix les plus étouffées et les meilleures que l’on puisse souhaiter.

Je ne puis que signaler, parmi les élèves non couronnées, Mlle Méry dans le Fils naturel et Mlle Vandoren dans la Princesse Georges. La première est intéressante : elle dit bien, avec un bon sentiment et des accents d’une tendresse touchante. La seconde n’est ni sans intelligence, ni sans qualités, mais, comme beaucoup d’autres, elle parle trop vite.

OPÉRA-COMIQUE

Le concours d’opéra-comique, que tout le monde supposait devoir être quelque peu insignifiant en raison de la faiblesse des concours de chant, a été beaucoup meilleur qu’on ne l’espérait et n’a pas laissé au contraire que d’inspirer un intérêt assez vif. Voici d’ailleurs, sur douze concurrents, la liste des récompenses décernées :

Hommes.

1er prix. — M. Beyle, élève de M. Taskin.

2e prix. — MM. Gresse, élève de M. Taskin, et Vieuille, élève de M. Achard.

Pas d’accessits.

Femmes.

1er prix. — Mlle Guiraudon, élève de M. Taskin.

Pas de second prix.

1er accessit. — Mlle Allusson, élève de M. Achard, et Petit, élève du même.

Chose assez rare : des douze élèves qui se présentaient à ce concours, pas un seul n’avait été récompensé antérieurement. Quant aux deux premiers prix, M. Beyle et Mlle Guiraudon, l’un et l’autre l’obtenaient d’emblée à leur première épreuve.

C’est dans le tableau de Saint-Sulpice, de Manon, qu’ils se présentaient ensemble. Ici, Mlle Guiraudon, qui est déjà une artiste bien intéressante, a pris une revanche éclatante de l’échec inattendu qu’elle avait subi au concours de chant. Cette jeune femme au regard et au sourire si intelligents, qui, sans être jolie, a une physionomie si expressive, est évidemment quelqu’un, et l’on sent qu’au théâtre elle sera dans son élément. On n’apprend pas à marcher, à se tenir ainsi en scène, à avoir le geste aussi juste, aussi naturel et aussi harmonieux. Mais ceci n’est que pour le côté plastique, qui sert surtout à compléter les qualités scéniques. Ces qualités, Mlle Guiraudon les possède aussi : elle a la chaleur et le pathétique, le charme et la passion, elle trouble et elle émeut. Tout est chez elle aisé et naturel, le chant, la diction, l’action scénique. Je serais étonné si elle ne faisait pas bientôt parler d’elle. Son partenaire, M. Beyle, sans être à sa hauteur, l’a d’ailleurs secondée d’une façon très satisfaisante. Lui non plus ne manque pas de chaleur ; il a une certaine ampleur dans le jeu et n’est nullement maladroit. Qui sait si nous ne verrons pas prochainement l’un et l’autre à l’Opéra-Comique.

Entre les deux seconds prix attribués à MM. Gresse et Vieuille je ne fais guère de différence, et je trouve que le jury a fort bien fait de leur accorder à tous deux la même récompense. M. Gresse s’est montré dans le rôle du vieux chevrier Jacques Sincère au premier acte du Val d’Andorre’. Il dit le dialogue avec justesse, chante bien au point de vue scénique, avec intelligence, et articule d’une façon très nette ; dans sa scène de bonne aventure avec les deux femmes, il a eu de très heureuses intentions ironiques, sans dépasser la mesure. — De son côté, M. Vieuille a joué avec aisance, avec facilité, avec sobriété, la grande scène de Falstaff au premier acte du Songe d’une nuit d’été. Il a prouvé là qu’il a ce qu’il faut pour devenir un bon comédien : de la verve, de la gaieté, un bon sentiment comique, qui ne tourne pas à la charge ; le jeu est ample, intelligent et naturel, le geste, la démarche, la diction, tout est harmonique et concourt à un bon ensemble. Ces deux jeunes gens sont dans le droit chemin, ils n’ont qu’à continuer.

Où je ne trouve pas qu’il y ait d’égalité, c’est dans les deux premiers accessits qui ont été décernés à Mlles Allusson et Petit. La première s’est présentée dans le second acte de Manon, où elle a dit avec une certaine grâce l’épisode de la table ; mais elle ne sait rien de la scène, elle n’a pas le sens du dialogue et ignore jusqu’à l’art de marcher. Elle a fort à faire pour acquérir tout ce qui lui manque de ce côté. — Tout au contraire, Mlle Petit nous a joué d’une façon charmante tout un grand fragment du Tableau parlant. C’est une gentille soubrette, vive, accorte, à la mine éveillée et intelligente, au regard plein de franchise, qui n’est embarrassée ni de ses mains ni de ses jambes, et dont la diction est aussi fine que spirituelle. Elle a fort joliment chanté les couplets aux vieux Cassandre : Ils sont passés, ces jours de fête, et aussi le duo avec Pierrot. Elle a la grâce, la vivacité et la coquetterie. Avec du travail encore, cela fera une dugazon comme on en voit peu, et je trouve qu’un second prix n’eût pas été de trop pour récompenser un tel résultat. Je me demande seulement pourquoi Mlle Petit a pu prendre part au concours d’opéra-comique sans s’être montrée au concours de chant.

Ce qui m’étonne aussi, c’est que le jury n’ait pas cru devoir accorder même un second accessit à Mlle Poigny, qui, charmante physiquement, a prouvé de l’adresse dans la jolie scène de Jeannette et des amoureux au second acte de Joconde, qu’elle a jouée avec grâce, bonne humeur et gentillesse. Il y a là aussi, je crois, l’étoffe d’une aimable dugazon.

Je signalerai encore M. Andrieu, qui concourait avec Mlle Petit dans le Tableau parlant, où il s’est montré adroit et aimable, et M. Edwy, qui n’a manqué ni d’aisance ni de verve comique dans une scène de la Fausse Magie, mais en chantant d’une façon un peu lourde cette musique légère qu’il faut se garder d’écraser par un excès de sonorité vocale.

PIANO (Femmes.)

Une des séances les plus redoutables de l’année. Commencée à midi, celle-ci ne s’est terminée, après délibération du jury, qu’à sept heures du soir. Et pourtant, il n’y avait cette fois que vingt-sept concurrentes, au lieu de trente-cinq qui est le chiffre normal — lorsqu’il n’est pas dépassé. Il est vrai que le morceau était d’une longueur inusitée. Quand je dis le morceau… je ne sais vraiment quel nom donner à la singulière macédoine qu’on a faite, pour la circonstance, du Carnaval de Schumann, qui a été arrangé de la façon la plus baroque qu’on puisse imaginer. Cette olla podrida d’un nouveau genre, se composait des ingrédients que voici : d’abord, le Préambule, d’où, par un grand saut, on allaiit prendre les seize mesures d’introduction d’Eusebius (no 5), pour retourner en arrière et prendre Arlequin (no 3) ; de là on passait aux Papillons (no 9), puis on prenait Chiarina (no 11), Chopin (no 12), Reconnaissance (no 14), Pantalon et Colombine (no 15) ; on passait ensuite par-dessus Paganini pour prendre la reprise de la Valse allemande, puis… ah ! ma foi, je ne me rappelle plus. Toujours est-il que l’œuvre, ainsi transposée, contournée, tronquée, dénaturée, formait le morceau de concours le plus étrange qu’on puisse trouver. Le répertoire du piano n’est-il donc pas assez abondant, assez étendu, assez riche pour qu’on ne puisse y trouver de quoi satisfaire aux conditions d’un concours, et pour qu’on soit obligé de se livrer à un tel jeu de massacre à l’endroit d’une œuvre intéressante et célèbre, qui n’a plus ainsi ni queue ni tête, ni sens ni raison ? D’autre part — et c’est mon humble avis que je donne ici — je trouve que le Carnaval, ainsi décharné, déchiqueté, décortiqué, s’il peut mettre en relief la virtuosité de l’exécutant, ne lui permet pas de prouver l’ombre d’une qualité de sentiment et d’expression ; et quant au style, je déclare, pour ma part, qu’il m’est impossible d’apprécier celui d’une seule des vingt-sept concurrentes qui ont exécuté cette étonnante arlequinade. Ceci soit dit pour m’excuser de n’en pas prononcer une seule fois le mot dans le compte rendu qu’on va lire.

Les récompenses, au nombre de treize, atteignent la moitié du chiffre des concurrentes. Sur ces treize récompenses, quatre premiers prix décernés à Mlles Hansen, élève de M. Delaborde, Varin, Rigalt et Toutain, toutes trois élèves de M. Pugno. Mlle Hansen a un jeu plein de grâce et d’agrément, une grande sûreté de mécanisme et un ensemble d’exécution particulièrement flatteur. — Mlle Varin, dont le début était lourd, raide et sans grâce, malgré l’habileté de son jeu et l’ampleur qu’elle donnait au phrasé, s’est relevée dans la suite ; la dernière partie du morceau a été dite par elle qu’elle devra s’attacher à donner du liant à son exécution parfois un peu sèche. — Je ne saurais en vouloir à Mlle Rigalt pour quelques attaques de notes manquées ; elle a la légèreté, la souplesse et la grâce, un mécanisme solide et brillant à la fois, une exécution bien équilibrée et bien fondue, un jeu facile et plein d’élégance. — C’est par de très bonnes qualités d’ensemble que se distingue le jeu intéressant de Mlle Toutani, qui n’est certes pas au-dessous de ses compagnes et qui, comme elles, était digne de la première récompense.

Les seconds prix, au nombre de trois, ont été attribués à Mlles Decroix, élève de M. Delaborde, Fulcran, élève de M. Pugno, et Cahun, élève de M. Alphonse Duvernoy. Mlle Decroix est une gentille enfant de quinze ans, qui a de la grâce, du goût, des doigts obéissants, un mécanisme habile, avec un ensemble d’exécution fort aimable. — Les qualités de Mlle Fulcran ne sont pas de même nature. Le jeu de celle-ci est crâne, hardi, brillant, plein de chaleur ; elle joint la légèreté à la vigueur, ses doigts sont superbes, et chez elle le phrasé est à la fois ample, élégant et bien musical. Il y a là un vrai tempérament d’artiste. — J’en dirai autant de Mlle Cahun, dont l’exécution se fait remarquer par le feu, l’éclat et la solidité, par de jolies oppositions de nuances et par un excellent sentiment musical.

Trois premiers accessits, à Mlles Rennesson, élève de M. Pugno, Vergonnet et Percheron, élèves de M. Delaborde. Elle est fort gentille Mlle Rennesson, elle a d’excellentes qualités : un joli son, du goût, un heureux sentiment musical, un jeu bien d’aplomb où la grâce sans fadeur se mêle à la vigueur sans roideur. — Chez Mlle Vergonnet un bon ensemble très agréable, du moelleux, de bons doigts, une exécution intéressante et distinguée. — Du côté de {{Mlle|Percheron des qualités solides d’études et de mécanisme, mais un phrasé inégal, qui demande à être soigné.

Enfin, trois seconds accessits, dont les titulaires sont Mlles Epstein et Herth, élèves de M. Delaborde, et Forest, élève de M. Pugno. Toutes trois sont aimables, en bon chemin, et n’ont qu’à continuer de travailler.

Mais il y a eu, comme toujours, des déceptions dans ce concours. Trois seconds prix des années précédentes sont restés sur le carreau, Mlles Gresseler et Masson et Mme Meyer-Belville. Je ne m’explique pas, je l’avoue, l’échec des deux premières. Le jeu de Mlle Gresseler est à la fois hardi et solide, et l’ensemble de son exécution brillante et colorée est intéressant et vraiment musical. La couleur, la sûreté, la fermeté sont aussi les qualités qui distinguent Mlle Masson, une enfant dont le jeu est surtout bien équilibré, bien complet, et qui ne laisse rien dans l’ombre et au hasard. Pourquoi cette malchance ?

J’en signalerai quelques autres parmi celles qui n’ont point été récompensées. Mlle Allard, 1er accessit de 1895, qui avait débuté d’une façon solide et brillante, mais qui a faibli ensuite ; Mlle Roux, 2e accessit de 1894, dont l’exécution moelleuse et fine, dont le phrasé élégant et gracieux, dont les doigts habiles et par instant vigoureux me semblaient mériter mieux que l’oubli dont elle a été l’objet ; Mlle Jaulin, 2e accessit de 1895, dont le jeu bien fondu a le défaut de manquer de nuances et de couleur ; Mlle Alliès, qui a de la vigueur, de l’agilité, et dont l’exécution nette et correcte se distingue par un heureux phrasé ; Mlle Richez, une gentille enfant, fort intelligente, qui a de l’habileté dans le mécanisme, de la carrure dans la phrase, de jolis détails, mais qui devra s’attacher à acquérir la netteté qui lui manque ; Mlle Demarne, dont quelques faiblesses de détail ont fait fort à un jeu par lui-même solide et chaleureux ; enfin Mlle Oberlé, chez qui il faut louer une exécution bien étudiée, bien sage et qui n’est pas sans intérêt.

Par tout ceci, on peut voir que l’ensemble de ce concours offrait lui-même un vif intérêt. Mais, saperlotte ! quel diable de morceau ! et qui a pu avoir l’idée de ce ravaudage insensé ?

VIOLON

Encore une rude journée, qui, commencée comme la précédente à midi, s’est terminée comme elle à sept heures du soir. Morceau de concours : le superbe 29e concerto de Viotti, qui nous permet au moins de juger si les élèves ont du style et s’il savent chanter. Morceau à déchiffrer, écrit par M. Lenepveu. Sur la brèche : trente et un concurrents, dont huit femmes.

J’ai peine à m’expliquer l’ardeur que les femmes apportent aujourd’hui à l’étude du violon, et l’avantage qu’elles peuvent trouver dans la culture de cet instrument, qui, par sa nature semblerait pourtant devoir être réservé à la partie mâle du genre humain. Il faut bien supposer pourtant qu’elles y trouvent leur compte, car depuis une trentaine d’années déjà les classes de violon sont envahies par l’élément féminin. À ce point qu’au concours de 1888 elles obtenaient à elles seules huit nominations, dont un premier prix, trois seconds prix et quatre accessits, et que l’année suivante elles n’avaient pas moins de trois premiers prix, deux seconds prix et un accessit. D’ailleurs, la liste est longue des premiers prix remportés par les femmes en ces vingt dernières années : Mlle Pommereul (aujourd’hui Mme Rouvier, 1875 ; Mlle Teresina Tua (aujourd’hui comtesse Valetta), 1880 ; Mlle Harkness, 1881 ; Mlle Hillemacher, 1882 ; Mlle Carpentier, 1884 ; Mlle Vinay, 1885 ; Mlle Gauthier, 1887 ; Mlle Juliette Dantin, 1888 ; Mlles Langlois, Duport et Bourgaud, 1889 ; Mlle Schytte, 1890 ; Mlle Charlotte Vormèse, 1891 ; Mlle Jaffé, 1892 ; enfin Mlle Roussillon, 1894. Au reste, je remarque qu’au premier concours public du Conservatoire, qui eut lieu en l’an v, un second prix de violon fut décerné à « la citoyenne » Félicité Lebrun, et que ladite citoyenne obtint le premier en l’an vii. Mais depuis lors jusqu’aux environs de 1860, on n’a à signaler aucune récompense accordée à une femme violoniste. On voit qu’à partir de ce moment, ces dames ont pris leur revanche. — Passons enfin au compte rendu de ce concours de violon, qui est toujours l’un des plus intéressants et des plus brillants de l’année.

Nous avons à enregistrer quatre premiers prix, décernés à MM. Séchiari, élève de M. Berthelier, Soudant, élève de M. Lefort, Monteux, élève de M. Berthelier, et Thibaud, élève de M. Marsick. Pour moi, je ne cache pas mes préférences pour M. Séchiari, qui est un artiste déjà complet et formé et qui ne laisse rien à désirer. Il réunit en effet toutes les qualités : un bel archet bien indépendant, un beau son, la hardiesse du jeu, la grandeur du style, l’élégance du phrasé et le goût dans le chant. En somme, un ensemble superbe. M. Soudant n’est guère moins remarquable. Lu aussi a de la hardiesse, du feu, de l’éclat, une rare noblesse de style, avec un chant expressif et plein d’élégance. À ajouter à tout cela un staccato merveilleux. Les qualités de M. Thibaud, qui consistent dans un joli son, un style élégant et gracieux, un jeu chaleureux, sont malheureusement gâtées par un vibrato perpétuel et insupportable. Il ne peut pas tenir sa main gauche tranquille, ce jeune homme, et il a toujours l’air de faire des trilles, même quand il s’agit de filer un son. M. Monteux est un artiste habile, qui connaît son affaire, mais dont la personnalité a de la peine à s’accuser.

M. Forest et Mlle Linder (la sœur aînée de la jolie fillette qui a remporté le premier prix de harpe) ont obtenu le deuxième prix à l’unanimité. Pour M. Forest, qui est déjà presque un artiste et dont les qualités sont aussi solides que brillantes, je le comprends sans peine. Je me l’explique plus difficilement pour Mlle Linder, que je ne voudrais pas chagriner, mais dont le jeu est bien inégal et qui a vraiment un drôle de style, tantôt tout petit, tantôt s’élargissant, et sans aucune unité. Des qualités sans doute, mais aussi des défauts assez graves, surtout en ce qui concerne le goût. M. Forest est élève de M. Berthelier, Mlle Linder de M. Garcin.

Trois premiers accessits ont été attribués à MM. Phal, élève de M. Berthelier, Renaux et Candela, élèves de M. Lefort. M. Phal a des qualités de travail et d’acquis qui demandent à mûrir encore et qui sont à encourager. M. Renaux a un poignet excellent, un archet bien à la corde, un jeu très soigné, très élégant, avec de la grâce, du style et du goût. Ce n’est ni par la grâce ni par la distinction que brille M. Candela, dont le jeu trop impersonnel tombe parfois dans la banalité. Il a besoin de soigner surtout la qualité du son.

Les seconds accessits sont échus à Mlle Dellerba, élève de M. Garcin, à Mlle Cossarini et M. Heck, élèves de M. Berthelier, et à Mlle Laval, élève de M. Marsick. Mlle Dellerba a un jeu assez facile et assez aimable. — Mlle Cossarini méritait, à mon sens, beaucoup mieux que cette récompense très secondaire. Elle a de la grâce et un joli son, un jeu délicat et ferme à la fois, plein d’élégance dans l’archet comme dans le phrasé, un trille excellent et le sentiment du style. Je crois bien que si elle avait mieux lu elle eût été mieux partagée. Elle a de l’avenir. — M. Heck, lui, ne finit pas ses trilles, et son archet écrase la corde d’une façon abominable. Il a fort à faire pour prendre place dans le rang. — Mlle Laval a le jeu très correct et très sûr, mais elle a diantrement besoin de s’échauffer ; et puis, elle a l’archet tellement collé à la corde que son jeu ne respire pas et que ça fait étouffer l’auditeur. Avec cela on sent un excellent travail, qui méritait un encourage.

Le jury a-t-il tenu rigueur à M. Duttenhofer parce qu’il s’est bravement arrêté au milieu de son morceau pour remonter sa chanterelle, qui avait baissé d’une façon insolite ? Je le croirais, car du moment qu’on donnait un premier prix à M. Monteux et à M. Thibaud, on n’avait aucune raison de le lui refuser. Ce qui est certain, c’est que ce jeune homme a un jeu distingué et délicat, un joli son et un beau mécanisme, et que l’ensemble de son exécution est remarquable. S’il est inférieur à MM. Séchiari et Soudant, et je le crois, il me paraît supérieur à leurs deux camarades. Ce sont là les hasards des concours !

D’autres encore pourraient se plaindre d’avoir été oubliés. M. Boffy, premier accessit de 1894, qui a un bon archet, un joli son, du style et de la vigueur dans les traits ; M. Oliveira, dont la tenue est excellente, et qui joint à des doigts habiles une grande justesse et la fermeté dans les traits ; M. Cuelenaere, qui est presque remarquable, dont le jeu est ferme et serré, avec l’archet bien à la corde, du style et de l’élégance ; Mlle Gillart, premier accessit de 1895, dont l’exécution est charmante, très sentie, très finie, très élégante, très féminine, avec un joli archet, un joli style et un ensemble plein de grâce ; enfin M. Hazelton, un gentil enfant qui a de la sûreté dans l’archet, un bon mécanisme, une exécution nette et parfois élégante, avec le sentiment du style. Je sais bien qu’on ne peut pas récompenser tout le monde, mais il y a tout de même des oublis qui sont douloureux, surtout pour certains qui se trouvent à leur dernière année et qui sont obligés de quitter les classes.

OPÉRA

Comme le concours d’opéra-comique, le concours d’opéra nous réservait une agréable surpris, en ce sens qu’il était de beaucoup supérieur à ce que pouvait nous faire espérer la faiblesse de la double épreuve du chant. Il est certain que la séance n’était pas dénuée d’intérêt, surtout du côté masculin, et ce qui le prouve, c’est que sur onze élèves qui s’y présentaient, le jury n’a pas décerné moins de dix récompenses. Voici d’ailleurs, sous ce rapport, le bilan de la journée.

Hommes.

1er prix : M. Sizes, élève de M. Giraudet.

2e prix : M. Beeyle, élève de M. Giraudet.

1er acc. : MM. Vieuille et Cremel, élèves de M. Giraudet, et Gresse, élève de M. Melchissédec.

2e acc. : M. Chrétien, élève de M. Melchissédec.

Femmes.

1er prix : Mlle Guiraudon, élève de M. Giraudet.

2e prix : Mlle Ackté, élève de M. Giraudet.

1er acc. : Mme Nady, élève de M. Melchissédec.

2e acc. : Mlle Truck, élève de M. Melchissédec.

J’avais décidément parlé trop tôt, la semaine dernière, en me félicitant prématurément de l’absence des petits scandales qui émaillent trop volontiers certaines séances des concours publics. On a vu ce qui s’était passé à celui de tragédie, à propos de Mlle Page ; mais ici du moins, la protestation venait de l’auditoire, et si, en principe, je trouve toujours ces manifestations fâcheuses, je dois dire qu’en l’espèce celle-ci avait sa raison d’être. Au concours d’opéra l’inconvenance, une inconvenance parfaite, venait d’une élève couronnée, Mme Nady, qui n’estimait pas la récompense que lui octroyait le jury à la hauteur du mérite dont elle avait preuve, ce en quoi, au contraire, elle avait parfaitement tort. Lorsque, après avoir proclamé le premier et le second prix décernés aux femmes, M. Théodore Dubois fit appeler Mme Nady, qui avait concouru dans le quatrième acte de la Favorite, une voix…, amie, une seule, s’avisa tout à coup de protester du haut de l’amphithéâtre et de réclamer pour elle un premier prix, ce qui parut un peu burlesque à la masse du public et ce qui amena une petite rumeur dans la salle, rumeur aussitôt apaisée par quelques paroles de M. Théodore Dubois. Tout se serait sans doute borné là. Mais pendant ce temps, Mme Nady, répondant à l’appel de son nom, était venue se poster sur le devant de la scène, les poings sur les hanches, l’œil enflammé, fixant le jury un regard plein d’arrogance, pour ne pas dire de défi. Et quand M. Théodore Dubois, prononçant la phrase sacramentelle, lui eut dit : « Madame, le jury viens de vous décerner un premier accessit », Mme Nady, se drapant dans sa dignité offensée, s’écria d’un air de furie : « Vous pouvez le garder, votre accessit ! » et sortit majestueusement, laissant tout le monde absolument stupéfait de cette incartade.

Je dis que ceci est parfaitement inconvenant, et devrait amener l’exclusion immédiate de l’élève récalcitrante. Rien ne vous force à entrer au Conservatoire ; vous trouvez dans votre admission à l’École, surtout vous autres chanteurs, un avantage assez grand pour vous soumettre sans peine au règlement de la maison et aux devoirs qu’il vous impose. D’ailleurs, par cela même que vous prenez part à un concours, vous devez accepter d’avance, quelles qu’elles soient, les décisions du jury chargé de juger ce concours. Si vous trouvez que celles-ci ne vous sont pas suffisamment favorables, redoublez de travail pour être mieux partagée à l’avenir. Mais vous n’avez pas le droit de protester publiquement, ni surtout de manquer de respect, et d’une façon aussi incongrue, au directeur de l’école dont vous faites partie. Il est certain d’ailleurs, et de l’aveu de tous, que Mme Nady avait obtenu précisément la récompense qu’elle méritait, ni plus ni moins, et elle a pu parfaitement s’en apercevoir à la parfaite indifférence du public à son égard. De tout ceci je ne veux retenir que ce mot que j’ai entendu dire, à la sortie, par un de ces gentils gamins du Conservatoire, qui sont quelque fois plaisants :

— « Moi, si j’avais été du jury, j’aurais donné un premier prix de toupet à Mme Nady ».

Mais il se fait temps de parler de la séance.

M. Sizes qui en était à son premier concours, a enlevé haut la main son premier prix en jouant d’une façon vraiment remarquable une scène admirable d’Iphigénie en Tauride, scène extrêmement difficile et dans laquelle il a fait preuve non seulement d’un véritable tempérament scénique, mais déjà d’un rare talent dans la composition d’un rôle. Une ampleur superbe dans la diction, une réelle puissance dramatique, un jeu très intelligent, avec une physionomie expressive et une articulation solide qui permet de ne pas perdre un mot de ce qu’il chante, telles sont les qualités de ce jeune homme, qui a été toute une révélation.

Peut-être M. Beyle aurait-il obtenu aussi le premier prix, s’il n’avait eu un concurrent aussi redoutable. Tout au moins son second prix est-il bien mérité, mais moins peut-être pour sa scène de Faust, que pour les deux excellentes répliques qu’il a données, l’une à Mlle Guiraudon dans Roméo et Juliette, l’autre à M. Vieuille au troisième acte de Robert, où il a joué et chanté d’une façon charmante le rôle de Raimbaud. M. Beyle sera certainement un artiste souple et intelligent. Il n’a d’ailleurs plus rien à faire dans les classes : ce qu’il lui faut maintenant, c’est l’expérience des planches.

Je n’en saurais dire autant de M. Cremel, qui me paraît avoir bien à travailler encore. Non seulement il est très neuf au point de vue scénique, mais son chant est vulgaire, et je défie l’auditeur le plus attentif de comprendre un mot de ce qu’il dit. Il a donné néanmoins une certaine ampleur, dans le troisième acte du Prophète, à la phrase superbe : Roi du ciel et des anges. C’est dans Bertram de Robert que nous avons vu M. Vieuille, qui s’y est montré très satisfaisant. Il a de l’aisance, il tient bien la scène, et son jeu intelligent a déjà de l’ampleur. M. Gresse, lui aussi, a passé un très bon concours en jouant Saint-Bris dans toute la première partie du quatrième acte des Huguenots (avec les chœurs, s’il vous plaît). Il y a déployé de la fermeté, de la vigueur, de l’accent. Le regard, le geste, la démarche sont excellents.

Il me semble que {{M.|Chrétien} méritait mieux que le second accessit qui lui a été attribué pour la scène de la pomme de Guillaume Tell. Il y a montré peut-être plus de vigueur que de tendresse ; mais il a de la chaleur, de la physionomie, le geste très juste, et il joint à cela une articulation superbe avec un très bon sentiment dramatiqu et scénique. Il avait aussi donné une excellente réplique à Mlle Truck dans Aïda.

Du côté des femmes, le premier prix revenait de droit et sans partage à Mlle Guiraudon. Elle a fort bien joué, avec beaucoup d’intelligence, la scène de l’alouette dans Roméo et Juliette, en y apportant la chaleur, la passion et le sentiment pathétique qu’elle comporte. Sa physionomie expressive, ses attitudes intéressantes donnent une preuve de ses incontestables qualités scéniques. Il est certain que malgré son échec au concours de chant, échec dû à une disposition fâcheuse, cette jeune femme n’a plus rien à apprendre au Conservatoire.

Ce n’est assurément pas le cas de Mlle Ackté, dont le second prix m’a un peu surpris, tout d’abord en raison de la scène qu’elle avait choisie, le trio final de Faust, qui ne peut absolument rien indiquer au point de vue des aptitudes théâtrales. Je sais bien que Mlle Ackté, dont la voix est charmante, a donné un accent délicat au retour de la phrase : Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle, mais elle a manqué absolument de force dans celle du trio : Ange pur, ange radieux, et d’ailleurs je le répète, le morceau ne peut rien prouver en ce qui concerne le sentiment scénique.

Je n’hésite pas, malgré la frasque dont Mme Nady s’est rendue coupable, à déclarer que son concours dans le quatrième acte de la Favorite a été très satisfaisant, sans être aussi prodigieusement supérieur qu’elle se plaît trop facilement à le croire. La voix est belle, la prononciation bonne ; le chant a de l’accent, de la chaleur et de la couleur, enfin l’artiste fait preuve d’émotion et parfois de pathétique. Son premier accessit était parfaitement mérité.

Mlle Truck a de l’intelligence et d’heureuses qualités. Mais elle manque à la fois de chaleur et de mouvement. Elle devra s’attacher à animer sa physionomie, qui reste trop impassible, et à donner plus d’ampleur à son action scénique. Elle a ce qu’il faut pour arriver, mais il lui faut travailler encore avec ardeur.

Arthur Pougin.

P.-S. — En terminant cette revue des concours de 1896, j’ai une rectification à faire et un renseignement à donner.

Une erreur typographique m’a fait dire une sottise à propos du concours d’alto, où je me trouve avoir parlé de clé d’ut 4e ligne alors qu’il s’agissait de clé d’ut 3e ligne. Aucun de mes lecteurs ne s’y sera certainement trompé, mais je rectifie quand même, pour les pointus qui seraient tentés de m’attribuer une faute si grossière. — Le renseignement a trait à l’auteur du concerto joué au concours de harpe, Zabel, sur lequel j’avais déclaré ne rien savoir. Je suis mieux informé maintenant, et je puis faire connaître que Charles Zabel est un musicien allemand, né à Berlin le 19 août 1822, qui a écrit des danses, de la musique de ballet, diverses pièces pour musique militaire, et qui a occupé les fonctions de second chef d’orchestre au théâtre de Brunswick. On m’assure qu’il est devenu ensuite professeur de harpe au Conservatoire de Saint-Pétersbourg.

Voilà qui est fait.

A. P.