Les Conspirateurs du général Malet/04

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Les Conspirateurs du général Malet
Revue des Deux Mondes6e période, tome 54 (p. 364-396).
LES CONSPIRATIONS
DU
GÉNÉRAL MALET

IV [1]
LES CONSÉQUENCES


DE TROIS HEURES ET DEMI A HUIT HEURES

A trois heures et demie du matin, Malet était sorti du cul-de-sac Saint-Pierre ; à cinq heures, il avait fait son entrée au quartier Popincourt ; à huit heures, il avait été arrêté place Vendôme. Paris n’était pas levé que le drame était accompli. Si le ministre de la Police, le préfet de Police, le directeur de la Sûreté avaient remplacé à la Force les détenus de la veille, cela s’était passé sans bruit, à des heures encore nocturnes. L’archi-chancelier n’avait été avisé par l’inspecteur-général de Police, Pâques, qui revenait de la place Vendôme, que lorsque tout était fini. Cambacérès lui ordonna aussitôt de se rendre chez le général Deriot, commandant la Garde Impériale, « pour qu’il eût à se transporter de suite à son hôtel avec toute sa troupe, d’aller également à l’Hôtel des Invalides, pour y porter le même ordre. » Lorsque le prince archichancelier se fut ainsi assuré que ses jours ne couraient aucun risque, il pensa à délivrer le ministre de la Police et à convoquer aux Tuileries le Conseil des Ministres. Ce ne fut qu’ensuite qu’il s’occupa d’aller à Saint-Cloud se présenter à l’impératrice.

Si peu de gens avaient pensé à elle jusque-là ! Après toutes les courses faites de l’Etat-major au quai Voltaire, du quai à l’État-major, et de l’État-major au quai, le maréchal des logis des dragons de la Seine, de service à la place, « a monté à cheval par ordre d’un aide de camp de M. le comte Hulin, pour aller à Saint-Cloud voir s’il y avait du mouvement des troupes, ou enfin quelque chose d’extraordinaire, ce qu’a fait le sieur Roi, et il n’a rien vu. »

Dès les premières investigations, il apparut clairement qu’il ne s’agissait ni d’une révolution populaire, ni d’une insurrection militaire. Le comte Réal [2] chargé du 1er arrondissement de la police de l’Empire, attribuant à Guidal un rôle qui le dépassait, ne jugeait pas moins l’événement avec sagacité, lorsqu’il écrivait que « le besoin de révolutionner ne se trouvait plus le 23, ni dans le cœur, ni dans la tête des Parisiens. Cette observation, disait-il, a frappé tous les esprits, elle décida en grande partie du succès de la journée. Elle n’a pas échappé à Guidal. Des trois chefs qui dirigeaient la sédition, Guidal était le seul qui fût véritablement initié aux mouvements révolutionnaires. Malet ne peut être considéré que comme un idéologue qui n’a jamais su apprécier la force d’un mouvement révolutionnaire, et Lahorie n’avait paru que dans la conspiration de Moreau qui, toute bourbonienne, toute vendéenne, si je puis rappeler ce mot, n’avait aucune couleur populaire. Guidal seul était bien au fait et seul se trouvait praticien de révolutions anarchiques Aussi fut-il le premier qui, si je puis ainsi parler, tâtant le pouls à ce mouvement, reconnut d’abord toute sa faiblesse. Dans la première course qu’il fit de la Force au ministère, et surtout dans la seconde, du ministère à la Force, il s’aperçut que les Parisiens étaient entièrement étrangers à cette représentation. La boule de neige révolutionnaire ne parut point et n’augmenta point le nombre des factieux. Pas un seul cri, pas un seul recrutement dans la populace. Guidal vit les boutiques s’ouvrir, les étalages se former, le devant des portes se balayer : pas un seul groupe auxiliaire ne se forma, pas un seul cabaret ne se remplit. Dès lors, Guidal désespéra de la sédition et, en revenant de la Force, il laissa filer un peu devant lui le détachement qu’il commandait, et l’abandonna en se sauvant par une rue détournée. »

Guidal n’avait point sans doute tenu tout ce raisonnement. Ayant, dès sa première promenade, goûté à diverses boissons qui l’avaient mis de belle humeur, il avait voulu les appuyer d’un déjeuner solide, et là se bornaient sans doute ses observations, mais les remarques de Réal n’en étaient pas moins justifiées. On eut beau rechercher les anciens conspirateurs de 1808, ils étaient exilés, dispersés ou emprisonnés, nul n’avait paru : et la femme Lemare, qu’on arrêta, ne put donner aucune lumière. Les investigations les plus minutieuses ne menèrent à rien. On arrêta à Paris quatorze hommes et cinq femmes, tous gens obscurs, commissionnaires ou gardiens, fournisseurs des acteurs principaux. Un seul passa en jugement par la suite : Caamano. Rien n’eût été plus aisé que de faire le procès de Mme Malet, qui certainement avait connu les préparatifs de la conspiration. On ne le fit pas. Cela n’eût mené à rien, et eût prolongé une émotion qu’il eût été plus adroit sans doute de calmer par le silence.

De même n’avait-on pu trouver les éléments d’une rébellion militaire ; comme la dixième cohorte, dont le commandement avait aussitôt été enlevé à Soulier, pour être transporté au major Querelles, la Garde de Paris n’avait montré qu’un profond abattement lorsque son colonel et plusieurs de ses officiers avaient été arrêtés, mais aucun symptôme n’avait paru d’un mouvement dans la troupe. La Garde, comme la Cohorte, avait obéi à ses supérieurs légitimes, et ce n’était point de sa subordination qu’on pouvait lui faire un crime.

Vainement avait-on recherché ce qu’avaient fait dans la journée du 23 les officiers généraux réformés ou disgraciés, qui pouvaient se trouver à Paris : on n’avait rien trouvé et c’est vraiment qu’il n’y avait rien. Mais pour des raisons compréhensibles, on voulait trouver quelque chose. D’abord, il y avait eu le choc en retour, la peur rétrospective, et puis il y avait la suprême question : que dirait l’Empereur ? Comme la reine Hortense l’écrivait le 13 novembre au prince Eugène : « Vous devez connaître à présent notre aventure de Paris. Tout le monde est bien inquiet de savoir comment l’Empereur la prendra. Tout en riant de la police, on s’intéresse à elle, et l’on croit que l’Empereur ne sacrifiera pas des gens qui lui sont dévoués. Je ne te parle pas des calembours, car ce qui jette le ridicule sur les gens, est toujours nuisible, et ils sont bien tourmentés. »

La distance de Paris où se trouvait l’armée, ne pouvait que rendre singulièrement difficile l’appréciation d’événements qui, à la première inspection, paraissaient incroyables, à moins d’une organisation puissante et de complicités étendues. Mais ceci n’était-il pas aussi dangereux à dire que la vérité même ?

La découverte d’une conspiration ayant des affiliations profondes dans les départements, montrant qu’après douze années, — huit au moins —, les trames des jacobins et les complots des royalistes avaient toujours la même activité, quel échec pour l’administration départementale, policière, militaire, qui avait constamment, depuis 1804, affirmé, non sans raison, que la France jouissait partout de la paix impériale ? Et d’autre part, comment dire qu’un homme sans nom, sans relations, sans argent, avait à lui seul, armé seulement d’une fausse nouvelle, failli renverser l’Empire ? N’était-ce pas déconcertant et un peu ridicule ? Le mieux eût été à coup sûr d’étouffer l’affaire comme on avait déjà fait en nombre de cas analogues et de défendre qu’on en parlât, ou qu’on en écrivit. Mais le retentissement n’avait-il pas été tel déjà qu’on fût dans l’impossibilité de l’arrêter ?

On prit donc le parti inverse, on monta au Capitole, on se chargea soi-même d’ébruiter l’attentat à Paris et dans les départements sous une forme qui se rapprochât de la vérité, mais dont on ne pouvait contester la maladresse. Le duc de Rovigo rédigea de sa main un avis qui dut être imprimé à douze ou quinze mille exemplaires, pour être répandu dans Paris, déposé aux diligences, remis aux voyageurs ; il dut être reproduit dans les journaux, et réimprimé dans tous les départements. Il était ainsi conçu :


MINISTÈRE DE LA POLICE GÉNÉRALE

Trois ex-généraux, Mallet (sic), Lahorie, et Guidal, ont trompé quelques gardes nationales, ils les ont dirigés contre le ministre de la Police générale, le Préfet de police [3] et le Commandant de la Place de Paris. Ils ont exercé des violences contre eux ; ils répandaient faussement [4] le bruit de la mort de l’Empereur.

Ces ex-généraux sont arrêtés ; ils sont convaincus d’imposture ; il va en être fait justice.

Le calme le plus absolu règne à Paris, il n’a été troublé que dans les trois [5] hôtels où les brigands se sont portés.

Le présent avis sera publié et affiché à la diligence de M. le Conseiller d’État, préfet de Police.

Paris, le 23 octobre 1812.

Le Ministre de la Police générale,

LE DUC DE ROVIGO.

L’on pouvait se demander si cette rédaction était opportune, et si en attribuant à ces trois hommes une qualification à laquelle deux au moins n’avaient plus droit, on ne grossissait point l’importance de l’échauffourée ; si, en inculpant les Gardes nationales, on n’étendait point des accusations qui n’eussent dû porter que sur une cohorte. Pas un mot de l’Empereur ni du Prince impérial. C’était à se demander si le tour de Force que venait de faire Savary n’avait pas altéré ses facultés mentales.

Cependant, malgré les attroupements qui s’étaient produits en des lieux où la foule n’était en coutume de s’assembler que pour se réjouir ou s’amuser, malgré les propos échangés qui eussent pu indiquer l’inquiétude au sujet de la Grande Armée dont on n’avait aucune nouvelle depuis près d’un mois, nul ne bougeait, et la vie de Paris continuait avec la même régularité et la même insouciance. Rien, dans les rapports, ne marquait la moindre émotion, ni à la vérité le moindre enthousiasme, et nul, même dans la police, ne songea à organiser une démonstration devant l’Hôtel du prince archi-chancelier, devant les Tuileries, ou devant le Palais de Saint-Cloud. Cela pourtant eût pu paraître d’un loyalisme opportun. Clarke y envoya des détachements de cavalerie de la Garde, — mais ce n’était pas la même chose.

Restait à connaître l’effet que produirait en province l’avis de M. le Duc de Rovigo. Allait-on trouver des ramifications qui révélassent une désaffection profonde ou des trames étendues ? De chaque département arriva au contraire une réponse négative. Partout, les préfets et les commissaires généraux de Police exaltent le bon esprit de leurs administrés, protestent que le gouvernement est inébranlable, que les seuls sentiments qui animent les habitants sont : Amour pour l’Empereur, et sa dynastie, admiration de sa gloire, reconnaissance de ses bienfaits. De tous les départements, de l’ancienne comme de la nouvelle France, s’élève un hymne dont les strophes sont, à la vérité, assez banales, mais que rend intéressantes le fait qu’à ce même moment les Conseils de recrutement sont en séance dans tout l’Empire et que les préfets, en tournée de révision, sont mieux à même de juger les impressions que la nouvelle aurait produites dans les populations. D’Indre-et-Loire, comme de la Roër, comme du Rhône, de la Gironde, du Loiret, de la Nièvre, de la Moselle, de l’Ourte, de l’Eure[6], des Basses-Pyrénées, de la Haye, d’Amsterdam, d’Emden, de Groningue, comme de Florence et de Sion, une acclamation s’élève que troublent à peine quelques remarques suggérées par le dévouement, sur les rassemblements qu’ont tenté de former, dans quelques communes, des hommes de 1793. On a eu à réprimer quelques excès de zèle de jeunes auditeurs qui ont fait afficher des placards flétrissant « une poignée de brigands soudoyés par l’Angleterre qui a eu l’audace de violer l’Hôtel de Son Excellence le ministre de la Police. » — On a, comme à l’ordinaire, été excédé des déclarations de fonctionnaires appartenant à tous les services[7], mais on n’a guère eu à retirer de cette occasion qui s’est présentée, comme eût dit Réal, de tâter le pouls à l’opinion que certains bruits assez curieux. Ainsi M. de Villiers du Terrage, directeur général de la Police de Hollande, établit une concordance de dates, entre la tentative de Malet, l’arrivée de Moreau en Angleterre, et le passage du général Sarrasin à Héligoland, et il attribue tous ces mouvements aux Anglais. Berckheim, le commissaire spécial de Police à Mayence, signale l’attitude « chaque jour plus envahissante des associations d’Illuminisme dent les ramifications embrassent, dit-il, tous les pays de la Confédération qui bordent nos frontières, » et il annonce les rapports établis, par la poste de l’armée, entre les officiers de Russie et les personnages de diverses cours rhénanes. Seul M. le baron Capelle, préfet du Léman, avec le Commissaire spécial, auditeur baron de Melun, ne se contente pas d’annoncer la paix entre la Suède et l’Angleterre, et l’achat par le prince royal de Suède, pour le général Moreau, d’une terre appelée Finsbourg, où il est attendu incessamment, il renouvelle des vieilles dénonciations contre les Philadelphes. » A la vérité, d’après ce qu’il dit avoir tiré de l’ex-général Guillaume, réfugié aux environs de Genève, « il n’est pas impossible que cette association se soit dans le temps formée sous les auspices d’une police secrète, afin d’y attirer les mécontents de ce parti, de les y connaître, et de les mieux surveiller. »

Mais il voit un rapport entre l’association des Philadelphes et celle qui, ayant été « atrocement célèbre dans la dernière révolution de Genève sous le nom du Cercle de la Grille, » s’est transformée en cercle des Sans-Culottes, puis en Cercle des Mêmes. Il propose l’arrestation de plusieurs personnes, l’éloignement de quelques autres. Il réclame l’arrestation de Buonaroti, compromis jadis dans la conspiration Babeuf, qui vit honorablement à Genève en donnant des leçons d’italien, d’un sieur Villart secrétaire du commissaire des guerres Herpin, du maire de Versoix, le sieur Terray, et d’un avocat, M. Fabre Terray, ancien procureur-général-syndic du département du Mont Blanc. Sans admettre toutes les mesures proposées par Capelle, on lui donne pourtant de larges satisfactions en destituant et en exilant ceux qu’il a dénoncés. Sans doute, Capelle eût-il mieux servi en surveillant l’ami de Lafon, « le sieur Alexis de Noailles, » lorsqu’il venait à Rolle « auprès de l’ex-duc d’Aveu son grand-père. » Mais ce n’était pas à des personnalités de cet ordre que le baron Capelle s’attachait. Il avait mieux à faire ; pourtant aurait-il trouvé là une belle occasion d’établir un lien entre Malet, Moreau, le prince royal de Suède et Mme de Staël, et peut-être, cette fois, n’eût-il pas été si mal inspiré.

Même en y joignant en bloc les dénonciations de M. le baron Capelle, la chasse était médiocre. Que Moreau put, dût même, être dans l’affaire, tout le monde en était convaincu, et ce n’était là qu’une « anticipation ; » que Bernadotte, — ci-devant prince de Ponto Corvo, et maréchal d’Empire, à présent prince héréditaire de Suède, — eût fait ses accords contre la France avec les Anglais et les Russes nul n’en doutait, et cette opinion unanime constituait pour lui un premier châtiment ; mais tout cela était suppositions, conjectures, hypothèses, nulle part réalités. La réalité c’était Malet. C’était que les quatre ou cinq polices auxquelles étaient confiées dans la capitale, la sécurité du régime impérial et la protection de l’Impératrice et du Prince impérial, n’avaient rien soupçonné, rien deviné, rien prévenu, rien empêché. Les quatre premiers actes du drame avaient pu être joués sans le moindre accroc, et si la péripétie avait échoué, c’est qu’elle était injouable. La police civile, ni celle du duc de Rovigo, ni celle du baron Pasquier, n’y était pour rien, et quant à la police militaire, ni celle de la Gendarmerie d’élite qu’avait ci-devant organisée Savary, ni celle de la Gendarmerie, que dirigeait le duc de Conegliano, ni celle du ministère de la Guerre, que commandait le duc de Feltre, ni celle de la place et de la division, n’avait rien su, ni rien empêché, puisque Malet avait pu venir assassiner Hulin dans son cabinet, et qu’il s’était fait prendre par Doucet et Laborde en voulant les tuer. La police prévient les attentats ; si ses chefs en sont réduits à attendre que messieurs les assassins viennent les tuer à domicile, quelle sécurité pour le public !


LES JUSTIFICATIONS DE LA POLICE

Les directeurs des diverses polices se sentaient si fortement compromis, qu’ils s’efforcèrent, les uns et les autres, à des justifications. Seul, Hulin avec sa balle non extraite était en belle posture, et il pouvait écrire à l’Empereur, dès le 24 : « Sire, il était tout simple que des bandits qui voulaient troubler votre bonne ville de Paris, cherchassent à ôter la vie à celui qui aurait su mourir pour l’accomplissement de ses devoirs, mais c’était me donner mille fois la mort que de m’alarmer sur les jours de votre personne sacrée. Il m’est donc permis de jouir de la seule consolation qu’on pourrait m’offrir dans ma triste situation, en m’apprenant que V. M… n’a point cessé de jouir d’une santé dont tous les fidèles sujets voudraient prolonger la durée, au prix de leur propre existence. »

Lorsque le 27 octobre, sur l’ordre du duc de Feltre, Hulin lui adresse son rapport sur les faits qui se sont produits dans son hôtel, et à l’hôtel de l’Etat-major, jusqu’à l’arrestation de Malet, il a soin d’ajouter : « Lorsque l’on a conduit l’ex-général Malet de l’Etat-major au ministère de la Police générale, et de là à l’Abbaye, avec ses complices, un concours immense de citoyens de toutes les classes, sur le visage desquels l’indignation était peinte, accompagnait leur marche aux cris de vive l’Empereur ! On recueille tous les jours des preuves de dévouement que des citoyens de la capitale ont données dans cette occasion à Sa Majesté, les uns en venant offrir leurs services, les autres, en contribuant à l’arrestation de quelques complices de l’ex-général.

« Cet événement, loin d’avoir porté atteinte à l’opinion publique, semble, au contraire, l’avoir remontée. Elle est généralement bonne. »

Cet optimisme eût attiré des réserves, s’il ne s’était agi d’Hulin qui voyait gros. Ailleurs on était moins satisfait et l’on admettait que tout ne fût pas pour le mieux.

Le baron Pasquier ne revient pas sur les faits, trop connus, dit-il, pour avoir besoin de commentaires. « Il ne s’attache pas à disculper la police du tort que quelques-uns veulent lui imputer. » « Elle n’a pas prévu ce qui était imprévoyable ; elle n’a pas su ce que personne n’a révélé. Cette conspiration ayant commencé par l’action même, on ne voit pas comment il eût été possible de deviner une action qui a eu lieu sans antécédents qui l’aient annoncée. Enfin, cette action une fois commencée, ayant été toute militaire, il est évident pour quiconque connaît l’organisation des deux polices, civile et militaire, dans Paris, que la première a dû être paralysée jusqu’au moment où une force militaire supérieure à la force insurgée, a fait rentrer celle-ci dans le devoir. »

Pasquier ne méconnaît pas, loin de là, l’importance de l’événement : « Il a porté atteinte au prestige qui doit toujours environner le trône, il a mis en question si la monarchie était réellement fondée et s’il ne suffisait pas de la mort du Souverain régnant, pour détruire en un jour tout son ouvrage et toutes ses créations. Ce qui s’est passé n’est rien pour la personne de l’Empereur, cela est de la plus haute importance pour le roi de Rome. » Pasquier admet que « si la fausse nouvelle eût été vraie, les fidèles sujets, ceux qui ont à la fois quelque lumière et quelque énergie, se seraient rangés autour de leur légitime Souverain, le roi de Rome devenu Empereur ; mais, dit-il, le combat se serait peut-être engagé, et l’on peut juger quelles en auraient été les fâcheuses conséquences, en ne mettant pas même en doute que la victoire serait restée à la bonne cause. » L’hypothèse, étant donnés les événements qui venaient de se produire, était peu soutenable, puisque jusqu’au moment où Malet lui-même attaqua Hulin à main armée, il ne trouva personne pour lui résister, ni parmi les officiers supérieurs, ni parmi les fonctionnaires, ni parmi les soldats.

Il n’est pas moins vrai que, avec une intelligence véritable de la situation politique, Pasquier met le doigt sur la plaie, lorsqu’il écrit : « C’est avec le temps seul que les institutions civiles nouvellement créées peuvent acquérir dans un Etat l’importance qui en fait la garantie salutaire du trône contre les fureurs anarchiques, et contre les usurpateurs militaires. Cependant, s’il y a un moyen hâtif de les renforcer et de les consolider, je ne mets pas en doute que Sa Majesté, dont le puissant génie perce dans l’avenir plus loin qu’il n’ait jamais été donné à un autre homme de le faire, ne s’occupe aussitôt qu’elle en aura le loisir, de rechercher et d’employer les moyens d’y parvenir. »

Il laissait donc à Sa Majesté le soin de répondre à une telle question, « qui n’est, disait-il, que du ressort de la plus haute politique. » L’Empereur, à la vérité, ne pouvait faire qu’il fût « son petit-fils, » et il savait à merveille que tout son système héréditaire péchait par là : mais à défaut de quelques siècles à offrir au souverain, M. Pasquier préconisait le rétablissement au profit de la Police de Paris, « d’une garde qui ressemblât à ce qu’étaient autrefois le guet à cheval et le guet à pied, prenant l’ordre du préfet de Police comme le guet le prenait autrefois du lieutenant de Police. » Pasquier se trouvait d’autant plus fort à vanter cette rénovation qu’il l’avait déjà proposée l’année précédente. Il ne présentait alors cette nécessité que sous les rapports de la sûreté contre les voleurs et les malfaiteurs. « Elle se renforce aujourd’hui, disait-il, de l’avantage infini qu’elle présenterait pour la surveillance sur les militaires, car il ne faut pas se le dissimuler, il n’y a que les militaires qui puissent surveiller les militaires. » Il demandait quatre ou cinq cents hommes de guet à cheval, quinze cents à dix-huit cents hommes de guet à pied, troupe toujours sédentaire, ne quittant pas Paris, entièrement sous les ordres du préfet de Police.

M. Pasquier avait bien aussi quelques idées sur l’administration militaire et sur la composition opportune de la garnison de Paris, mais il n’y touchait qu’avec des précautions infinies, et se contentait d’indiquer la nécessité de ne point appeler de cohortes à Paris, tant qu’elles n’auraient pas une autre composition d’officiers. « Les officiers retraités qui ont été appelés à prendre du service dans ces cohortes, disait-il, n’ont eu, pour une partie, leur retraite que pour couvrir une réforme. » Si Pasquier avait recherché ceux qui fréquentaient les maisons de jeu et les maisons de filles, il eût fait bonne chasse. Telles étaient, esquissées avec une incontestable habileté, les considérations qu’inspirait l’attentat du 23 octobre, au conseiller d’Etat, préfet de Police.

Après Pasquier, les conseillers d’État, Réal et Angles, dirent leur avis, et enfin vint Savary qui résuma pour l’Empereur, l’opinion du Conseil de police, et présenta : L’exposé générai des faits et circonstances qui ont précédé, accompagné et suivi la Conspiration qui a éclaté à Paris, le 23 octobre. Il débute par un historique médiocre et peu documenté de la Conspiration de 1808, rejette sur Fouché et Dubois les indulgences dont la police a usé à l’égard de Malet, comme à l’égard de Lafon, qui a racolé pour Malet, Boutreux, Rateau et Caamano. Il raconte ensuite d’une façon exacte ce qui s’est passé, — sauf qu’il accorde une importance majeure à ce qui lui est personnel et que, sur divers points, ce récit immédiat diffère de celui qu’il a donné dans ses Mémoires II s’efforce comme les conseillers d’Etat, ses collaborateurs, de prouver que tous les torts incombent à la mauvaise organisation du militaire dans Paris, a la scission entre les deux polices, à l’inertie de la police militaire. — « L’adjudant-commandant Doucet prévenu de la débandade des troupes par la violence qu’on exerçait chez lui, resta tranquillement à son bureau toute la journée, sans monter à cheval, et envoya des ordres écrits à des troupes qui n’étaient plus dans leurs quartiers pour les recevoir, et qui sillonnaient Paris en tous sens pour se transporter dans les différentes directions que Malet leur avait données. » Savary insiste sur les dangers que présenterait, pour un coup d’Etat, la réunion a Paris, sous (des ordres d’un officier général-commandant militaire, de quelques régiments qui auraient fait la guerre sous ses ordres et dont les officiers lui devraient leur avancement. » « A la vérité, on a la Garde Impériale ; ici, écrit Savary, se présentent d’autres réflexions que la prudence ne permet pas de confier au papier à cause des chances de communication. »

Mais il voudrait qu’aucun régiment de la garnison ne prit les armes pour un objet de service quelconque, sans que la police en fût informée, et sans que le général commandant la place, n’en ait fait part à celle-ci. Au lieu de cela, les casernes de Paris sont transformées en gites d’étapes, où l’on fait venir un régiment pour des souliers, un autre pour des culottes, un autre pour des habits. Puisque Paris se trouve ainsi place de guerre, pourquoi n’y a-t-il pas de rondes de nuit par des officiers supérieurs, comme il est d’usage dans les garnisons de la frontière ? Il ajoute que l’état-major aurait dû être informé à trois heures et demie, heure où Malet arriva chez Soulier ; à quatre heures et demie, où Malet a été dans les casernes ; tandis que la police ne pouvait l’être qu’après cinq heures, « quand la prison de la Force a été violée. » Il proteste encore contre le transfert à la place Vendôme des bureaux de l’état-major qui étaient au quai Voltaire, à proximité du ministère de la Police, jusqu’au moment où Hulin, ayant acheté son hôtel, place Vendôme, trouva opportun d’en rapprocher l’état-major.


M. LE DUC DE FELTRE

Ainsi se manifeste la querelle entre la police civile et la police militaire et l’on ne peut se dissimuler que l’attaque dirigée par les conseillers d’État, paraisse justifiée. A la vérité, le coup de pistolet de Malet a mis Hulin hors du jeu, mais c’est au ministre de la Guerre qu’incombe la responsabilité. Grâce à la soif de Guidal et à son idée de conduire en personne Savary à la Grande Force, Clarke a échappé au sort qu’avaient subi Savary, Pasquier et Desmarets. Simple hasard dont il a tort de se vanter ! La situation eût pu sembler compromise pour bien des raisons, et d’abord, si l’on avait voulu chercher, pour la protection qu’il avait de très longue date accordée à « son cher Malet. » De plus, toutes les mesures ayant pour objet de rompre les liens entre la police civile et la militaire, avaient été prises par lui ; seul il pouvait connaître l’imbécillité de Soulier, l’extrême médiocrité de son corps d’officiers, l’état d’insubordination de la Garde de Paris, où une délibération des sous-officiers avait bien plutôt décidé les mouvements de la troupe, qu’un ordre du colonel. Aussi chercha-t-il à faire oublier ces fautes de conduite, par des excès de zèle hors de la hiérarchie, comme de prendre l’initiative, sans l’avis de Cambacérès, d’expédier à l’Empereur, un de ses aides de camp, avec un récit qu’on pouvait bien dire arrangé de l’événement, et aussi par d’immédiates et d’extraordinaires sanctions de crimes qui n’étaient au plus que des fautes, — quand il y avait des fautes.

Non seulement il a fait arrêter le colonel Rabbe, de la Garde de Paris, « dont les réponses ne l’ont pas satisfait » et dont « la conduite lui a paru celle d’un homme qui s’est préparé pour tous les événements ; » avec lui, le capitaine Borderieux, du même régiment, et l’adjudant-major, mais il a fait arrêter aussi le chef de bataillon Chery, commandant la 11e cohorte à la caserne de Babylone, qui n’a participé à rien et n’a rien su, et il a enlevé le commandement des dragons de la Garde de Paris, au colonel Goujet, contre lequel ne s’élève pas le moindre soupçon. Il entend arrêter tout le monde, et substituant son autorité à celle de Savary, il donne des ordres à tort et à travers. Quoiqu’il sache à merveille qu’il ne s’est rien passé à Saint-Cloud, quoique le maréchal des logis des dragons de Paris, envoyé par son aide de camp, ait rendu bon compte que tout dormait à son arrivée, il a fait monter à cheval toute la cavalerie de la Garde Impériale, et l’a fait se porter aux grandes allures sur le palais, pour la défense de la dynastie.

Malgré ce que Savary lui a dit, et lui a prouvé, il ne peut admettre que Malet ait joué, sous le nom de Lamotte, les premiers actes de son drame. Un malheureux général Lamotte a eu la fâcheuse idée de venir à Paris, et il est descendu rue de l’Université, dans l’hôtel où habite Mme Malet. C’est assez pour l’incriminer. Il a produit un. alibi incontestable et que Savary a reconnu exact ; mais, lui écrit Clarke, « je crois indispensable d’arrêter sur-le-champ M. le général Lamotte, et j’en vais donner l’ordre. J’ai vu sa lettre à Votre Excellence, mais ses assertions ne peuvent me déterminer à le croire innocent sur sa parole, et il n’est peut-être si doux que parce qu’on ne le perd pas de vue un instant, de ma part, depuis trois jours. Une lettre de Malet au chef de bataillon Rousse, de la Garde de Paris, indique assez que M. de Lamotte devait être son second. Je vais l’envoyer à Montaigu et je ferai garder la prison par la Garde impériale [8]. »

Et il ajoute : « Si M. Laborie [9] demeure dans la même maison que Mme Malet, je ne puis concevoir qu’il ne soit pas arrêté, sauf à examiner sa conduite, sauf à examiner s’il est coupable ou non. J’ai parlé dans ce sens à M. Pasquier. »

Il n’y en a que pour lui ; son zèle pourvoit à tout : aussi bien « à faire retirer de chez les fripiers de Paris tous les habits d’officiers supérieurs qui peuvent s’y trouver, » et à adresser, par-dessus la tête du ministre de la Police, une réquisition sur ce sujet à M. Pasquier, qu’à donner des ordres au comte Dejean, président de la Commission militaire, qu’il fasse imprimer le jugement avec la plus grande célérité, pour qu’on puisse le faire afficher dans Paris avant son exécution. « Je prie donc Votre Excellence, écrit-il, de charger M. Boudin, greffier de la Commission, d’en adresser une copie à M. Marcel, directeur de l’Imprimerie impériale, à qui il conviendrait d’en faire passer à l’avance les diverses parties, au fur et à mesure qu’elles auront été rédigées. J’ai recommandé à M. Marcel d’apporter les plus grands soins et la plus grande promptitude dans l’impression des mille exemplaires de ce placard qu’il enverra à M. Boudin pour les faire afficher dans Paris. »

Comme dit Savary, « il fait le cheval de parade. » L’excès de son zèle l’entraîne à empiéter sur les attributions de tous ses collègues, mais il l’entraîne bien plus loin, à proposer, — car cette fois il n’ose les décider lui seul, — les mesures les plus impitoyables et les moins justifiées. Au Conseil des grands dignitaires et des ministres tenu le 27 octobre, il soumet un rapport qui montre assez quelle résistance l’Empereur devait opposer au fanatisme de courtisanerie de certains ministres [10].

« Les chefs et les principaux complices de la conspiration qui a éclaté le 23 octobre dernier, écrit Clarke, sont traduits en ce moment à une commission militaire. Tout se prépare pour le supplice qu’ils ont mérité ; mais les circonstances commandent d’autres mesures. D’après la facilité avec laquelle deux des corps de la garnison de Paris se sont prêtés à l’exécution des ordres donnés par les factieux, il est nécessaire qu’un grand exemple de sévérité apprenne désormais aux militaires que l’obéissance prescrite par la discipline ne doit dans aucun cas les porter à des actes qui seraient en opposition avec la fidélité qu’ils ont jurée à leur souverain. »

Le 1er bataillon de la Garde de Paris et la 10e cohorte du premier ban, « s’étant mis en marche d’après les ordres de Malet, » devraient être traités comme rebelles et punis de la peine capitale. « On se contentera de livrer les officiers, tous les officiers, a une commission militaire. Les grenadiers de ce bataillon et tous les sous-officiers, ainsi que les quinze plus anciens soldats, seront dégradés en présence de la garnison de Paris, et relégués dans les dépôts de pionniers. De la 10e cohorte, stationnée à Versailles, les officiers seront mis en jugement ; les sous-officiers et cinq hommes par compagnie seront envoyés aux pionniers.

Et M. le duc de Feltre insiste pour l’exécution immédiate. Il ajoute qu’il n’est pas à craindre, vu la fermeté des officiers qui les commandent a présent, que ces corps se livrent à aucun mouvement dangereux pour la tranquillité publique.

Toutefois, le Conseil des grands dignitaires ne jugea point à propos de donner cette satisfaction au ministre de la Guerre, et il attendit les ordres de l’Empereur.


OÙ ÉTAIT L’EMPEREUR ?

Où était l’Empereur ? Le 23 octobre, il a couché à Ponniskoë, sur la route de retour ; il a constaté le 26 qu’il ne saurait forcer le passage à Malojaroslavetz, et il a dicté l’ordre de mouvement rétrograde qui reportera son armée, après dix jours de marche, à douze lieues de Moscou, et qui « lui fera reprendre une route tracée par l’incendie et jalonnée par la mort. » Où, et à quel moment a-t-il, sur cette route, reçu la nouvelle des événements de Paris [11] ? Le 7 novembre, à Michalewska. Il répond, le 10, à une lettre de Clarke que celui-ci a sans doute fait porter par un officier de son État-major : « L’Empereur, dit Fain, a trouvé à Michalewska un officier du doc de Bellune et l’estafette de Paris. » Clarke s’est attribué le mérite de l’arrestation de Rabbe et de celle du général Lamotte, — celle-ci si justement disputée par Savary. Il a dénoncé Frochot avec haine : « Ce que vous me dites de la conduite du préfet de Paris m’étonne, » lui répond l’Empereur, et Savary marque aussi « cette opiniâtreté du duc de Feltre » contre le préfet. Quoi qu’il en soit, l’Empereur, dès le 7, répond au duc de Feltre : « Faites partir pour Mayence le 1er bataillon du régiment de la Garde de Paris, et la 10e cohorte pour Brème. » Cela est évidemment écrit en grande presse [12], mais suffit à prouver, — si même on ne trouve pas par la suite d’autre lettre de même date [13] adressée à Clarke, — que celui-ci a pris les devants, de façon à donner à l’Empereur des impressions que les dépêches de ses collègues et du prince archichancelier ne pussent atténuer, à s’attribuer un rôle qui n’est nullement conforme aux faits, et, pour cela, à grossir ceux-ci d’une façon mensongère.

Toutefois Napoléon n’y est pas pris complètement. Lorsqu’à Smolensk, le 11, il aura dépouillé le courrier qui arrive de Paris, le premier besoin qu’il éprouvera sera de connaître la vérité entière, les origines et le développement des trames de Malet depuis quatre ans.

Réal est chargé de former d’abord un précis « simple et sans phrases » de l’affaire de 1808, avec les rapports de Fouché et de Dubois, et les interrogatoires d’alors ; puis on aura les rapports des divers conseillers d’Etat qui ont visité les prisons, et leur opinion sur Malet ; ensuite, la décision qui envoie Malet dans une maison de santé ; enfin, tout ce qui est relatif à cette affaire-ci : d’abord le rapport du ministre de la Police, puis ceux de Hulin, de Pasquier, de Doucet, de Laborde, de Deriot, enfin les interrogatoires et les pièces du procès : « Cela est de la plus haute importance, dit l’Empereur. Cette affaire n’est rien, mais ce n’est qu’en imprimant tout, en ne déguisant aucune circonstance, que le public sera convaincu que ce n’est rien. On mettra ensuite une note de ce qui est relatif à Lahorie, à Lafon, à Alex. Noailles, et au complot de prêtraille qui eut lieu dans le temps et au général Desnoyers, qui fasse connaître ce qu’ils sont. On intitulera cet ouvrage : Divers complots traînes par divers individus. »

Peut-être Napoléon ne voit-il pas les proportions que prendra un tel ouvrage, si l’on recherche avec sincérité quels liens unissent depuis 1800, pour ne pas remonter plus haut, Puyvert, Wiliot et la conspiration du Sud-Ouest, à l’affaire de la Machine infernale, aux complots de l’Ouest, à Georges et aux Polignac, ceux-ci à Alexis de Noailles et à Lafon, Lafon à Malet et à l’affaire de 1812. Fouché lui eût dit que c’était bien moins à gauche qu’à droite qu’il fallait chercher les conspirateurs. Mais Fouché est en disgrâce, et il ne peut plus, comme lors de la Machine infernale, arriver avec les preuves décisives. L’Empereur écrit bien à l’archi-chancelier : « Je ne prends aucun décret, j’attends les pièces de la procédure ; je ne prononcerai que quand je connaîtrai l’affaire à fond. » Mais il dit aussi : « J’ai écrit au ministre de la Police d’arrêter tous les brigands subalternes civils qui ont déjà été compromis dans ce complot il y a quatre ans, et je crois les avoir relâchés depuis par une indulgence mal entendue. Vous ne devez pas manquer de faire connaître aux comtes Tracy et Garat que leur nomination à ce gouvernement provisoire ne dit certainement rien contre eux, mais que ce n’est pas un titre d’honneur, qu’il faut qu’ils aient paru indisposés contre le gouvernement, et qu’ils se soient permis des propos équivoques pour que ces misérables aient cru pouvoir compter sur eux. » Il revient encore là, sur la nécessité que toutes les pièces soient imprimées et publiées. A l’égard de Savary qui a plaidé pour Lamotte et pour Rabbe, et qui, sans doute, a plutôt cherché à atténuer qu’à grossir les torts d’un vieil officier plein de dévouement, sinon d’intelligence, il a des paroles assez dures : « Ce serait, dit-il, se faire d’étranges idées des devoirs de citoyen d’un colonel, non seulement lorsqu’il ne s’est pas opposé, mais même lorsqu’il n’a pas versé son sang pour s’opposer à la rébellion de son corps. » Il n’admet point les excuses que Savary a justement trouvées à la police civile à raison des défectuosités de la police militaire : « C’est mal connaître vos attributions, lui dit-il : tout ce qui est relatif à la tranquillité de l’Etat et à sa sûreté, est du ressort de la police. La police militaire aurait dû être instruite sans doute, du mouvement qui s’opérait dans les casernes depuis cinq heures du matin, mais le ministre de la Police aurait dû le savoir encore mieux, avoir les yeux sur Malet et ne pas le laisser à Paris. La police devait connaître l’esprit des troupes, et surtout l’esprit d’un régiment comme celui de Paris. »

De même qu’à l’époque de la Machine infernale, il donne en plein sur la fausse piste des Jacobins : ce sont Jacquemont, « une trentaine d’individus civils qui, tous, figuraient dans la première affaire. » Il ne voit pas, ne voulait pas voir que si Malet a des complices, c’est du côté où il semble interdit de chercher. ;

S’il a eu le 7 novembre la première nouvelle de l’attentat, s’il a reçu le 11 de plus amples détails, l’Empereur ne savait rien encore du procès ; il n’avait alors que des dépêches de Savary du 27 octobre, et le procès commença le 27. Toutes les exclamations qu’on lui a prêtées au sujet de l’exécution des condamnés, ont donc été imaginées par des annalistes dont la véridicité est au moins douteuse. A coup sûr, l’idée qui se présenta la première à son esprit fut de regagner la France au plus tôt, mais les routes étaient fermées, — les estafettes ne passaient point, elles attendaient une éclaircie pour se risquer. Ainsi à Smolensk, le 11, quatre estafettes arrivent à la fois de France ou de Pologne, et c’est ainsi que l’Empereur est renseigné. Mais, au départ de Smolensk vers la France, toutes les estafettes de retour sont enlevées, et, de cette date au 4 décembre, on ne trouve pas qu’une dépêche ait pu arriver ou partir. Il y a l’immense effort pour sauver ce qui reste de l’armée, la série des batailles de la Bérésina. Après des angoisses et des massacres, où l’armée a failli périr, on arrive à la fin à Smorgoni : la situation parait un peu détendue : elle le serait, si, au lieu de confier l’armée au roi de Naples, l’Empereur choisissait Eugène, mais celui-ci n’est pas roi.


L’EMPEREUR À PARIS

Il pare donc au plus pressé, et la traversée de l’Europe entière ne lui prend que quatorze jours. Le 19 décembre, au soir, il est aux Tuileries. Le 20, il reçoit les ministres, les grands corps de l’État, Sénat, Conseil d’État, cour impériale, Cour des Comptes, Université. De chacun, il reçoit l’effusion embarrassée de vœux qui, étant donnée la publication du vingt-neuvième bulletin, — celui annonçant le désastre, — exigeraient un autre élan, d’autres accents, et qui demeurent mous, sans vigueur, sans patriotisme, uniquement, semble-t-il, dictés par un faux esprit dynastique.

Deux de ses réponses aux grands corps de l’Etat méritent d’être retenues, les autres n’étant que banalités. Mais, au Sénat et au Conseil d’État, il adresse des paroles qui portent. Au Sénat, il annonce des projets auxquels il a réfléchi, qui tous concourraient à consolider le régime, à pourvoir aux défauts que Pasquier, Réal, Angles et Savary ont été unanimes à signaler : « J’ai à cœur, dit-il, la gloire et la puissance de la France, mais mes premières pensées sont pour tout ce qui peut perpétuer la tranquillité intérieure, et mettre à jamais mes peuples à l’abri des déchirements des factions et des horreurs de l’anarchie. C’est sur ces ennemis du bonheur des peuples que j’ai fondé avec la volonté et l’amour des Français le trône auquel sont attachées désormais les destinées de la patrie.

« Des soldats timides et lâches perdent l’indépendance des nations, mais des magistrats pusillanimes détruisent l’empire des lois, les droits du trône et l’ordre social lui-même.

« La plus belle mort serait celle d’un soldat qui périt au champ d’honneur, si la mort d’un magistrat périssant en défendant le souverain, le trône et les lois, n’était plus glorieuse encore.

« Lorsque j’ai entrepris la régénération de la France, j’ai demandé à la Providence un nombre d’années déterminé. On détruit dans un moment, mais on ne peut guère réédifier sans le secours du temps. Le plus grand besoin de l’Etat est celui de magistrats courageux.

« Nos pères avaient pour cri de ralliement : « Le Roi est mort ! Vive le Roi ! » Ce peu de mots contient les principaux avantages de la monarchie. Je crois avoir bien étudié l’esprit que mes peuples ont montré dans les différents siècles. J’ai réfléchi à ce qui a été fait aux différentes époques de notre histoire. J’y penserai encore. »

La leçon porte droit sur le préfet de Paris, le comte Frochot ; mais l’Empereur, par la seconde partie de son discours, annonce de grandes mesures qu’il compte prendre pour affermir la dynastie.

A la vérité, à entendre ce qu’il dit au Conseil d’Etat, la dynastie n’a guère besoin d’être affermie : « Si le peuple, dit-il, montre tant d’amour pour mon fils, c’est qu’il est convaincu par sentiment des bienfaits de la monarchie. » Et tout de suite il ajoute, sans qu’on voie le rapport immédiat avec la question dynastique ni avec l’attentat de Malet : « C’est à l’idéologie, à cette ténébreuse métaphysique, qui, en recherchant avec subtilité les causes premières, veut sur ses bases fonder la législation des peuples, au lieu d’approprier les lois à la connaissance du cœur humain, et aux leçons de l’histoire, qu’il faut attribuer tous les malheurs qu’a éprouvés notre belle France. Ces erreurs devaient, et ont effectivement amené le régime des hommes de sang. En effet, qui a proclamé le principe d’insurrection comme un devoir ? qui a adulé le peuple en le proclamant à une souveraineté qu’il était incapable d’exercer ? Qui a détruit la sainteté et le respect des lois en les faisant dépendre, non des principes sacrés de la justice, de la nature des choses et de la justice civile, mais seulement de la volonté d’une assemblée d’hommes étrangers à la connaissance des lois civiles, criminelles, administratives, politiques et militaires ? Lorsqu’on est appelé à régénérer un Etat, ce sont des principes constamment opposés qu’il faut suivre. L’histoire peint le cœur humain. C’est dans l’histoire qu’il faut chercher les avantages et les inconvénients des différentes législations. Voilà les principes que le Conseil d’État d’un grand Empire ne doit jamais perdre de vue. Il doit y joindre un courage à toute épreuve, et, à l’exemple des présidents Harlay et Mole, être prêt à périr en défendant le Souverain, le Trône et les Lois. » Ce dernier paragraphe est pour Frochot, mais pour qui, le corps du discours et la charge contre les idéologues ? N’est-on pas en droit de penser que l’Empereur persiste à suivre la fausse piste sur laquelle il est parti ? N’avait-il pas, à la première nouvelle de l’attentat, pensé à faire arrêter Jacquemont et les comparses de la conspiration de 1808 ? L’idéologie, c’est Garat, c’est Destutt de Tracy, c’est Jacquemont, ce sont les convives des dîners du Tridi, et peut-être aussi Frochot quelque peu suspect. Il faudra du temps, il faudra surtout la contradiction des fails, pour qu’il arrive à la vérité.

Le jour où il a reçu les grands corps de l’Etat, l’Empereur ordonne pour le lendemain la tenue d’un Conseil privé où devra être examiné tout ce qui est relatif aux individus compris dans l’affaire du 23 octobre, au complot de 1808, à la conspiration de Lafon, tous les rapports et les documents au complet. « L’Empereur ayant demandé les pièces de son Quartier Général de Russie, pense qu’elles doivent être prêles. » Sans doute a-t-il demandé qu’on les lui tint prêtes, mais le courrier a été enlevé. L’Empereur demande encore au ministre de la Police un rapport sur la conduite du comte Frochot auquel sera jointe la lettre justificative de ce magistrat. Il n’a pourtant aucunement l’idée de prendre une décision ab irato dans le Conseil du 21. On y lut seulement deux lettres de M. Frochot, une du sieur (Renoull) inspecteur général des prisons, différents interrogatoires subis par le condamné Soulier, une lettre de Malet à Soulier.

« Sa Majesté a ordonné que toutes ces pièces seraient imprimées et distribuées aux présidents des sections du Conseil d’Etat, afin que chaque section put, dans la journée du 22, donner son avis sur la conduite de M. le comte Frochot. » [14] Ainsi Frochot sera-t-il jugé par ses pairs, sur pièces authentiques et, loin que l’Empereur prenne la décision de son chef, comme l’ont dit certains publicistes, ce ne sera qu’après les plus mûres délibérations de tous les membres du Conseil d’Etat. Les quarante-sept conseillers d’Etat et maîtres des requêtes, sont unanimes à déclarer que « l’intérêt public exige que le comte Frochot ne conserve pas la place de préfet de la Seine. » On peut même dire que c’est là une mesure de clémence, car le colonel de la Garde de Paris n’avait rien fait de plus que le préfet de la Seine : il avait cru à ce que Malet lui avait fait dire, de même que Frochot a cru à ce que Soulier lui a dit, et les préparatifs qu’il a ordonnés à l’Hôtel de Ville, montrent assez quelle confiance il a prise aux assertions de Soulier.

Reste à statuer sur les deux condamnés ! à mort de la Garde de Paris, auxquels le prince archi-chancelier et le Conseil des ministres ont accordé un sursis. Rabbe a une mentalité de tambour-major, et une intelligence assez bornée pour que, malgré ses longs services, ses campagnes, son dévouement, sa participation au procès du duc d’Enghien, il n’ait pu décrocher les étoiles de général. Sa culpabilité est des plus limitées et s’il n’a point empêché les délibérations des sous-officiers qui prouvent le mauvais esprit de la Garde, il n’a paru nulle part, n’a donné aucun ordre. On peut croire que, sans l’acharnement de Clarke, il eût été acquitté, ou n’eût point même été mis en jugement. Sa peine fut commuée en prison perpétuelle : dès le 11 mai 1814, il reçut de Louis XVIII des lettres de grâce, et il fut rétabli sur les contrôles ; le 18 octobre 1815 il fut mis à la retraite [15].

Restait Rateau. Le 28 octobre, lors de son interrogatoire devant la Commission militaire, Rateau s’était défendu d’avoir rien su des projets de Malet, et lorsque le Président lui dit : « Vous avez dû cependant être prévenu que vous deviez, soit la veille, soit le jour, être affublé d’un habit d’aide de camp, » il répondit avec une certaine naïveté qui impressionna favorablement : « Je demande pardon, ce n’est que dans le moment que le général me dit, après que j’eus dîné assez bien : Vous allez endosser un habit d’aide de camp, vous serez mon aide, vous serez à mes ordres et vous m’obéirez. » Lors de sa défense, il provoque quelque hilarité lorsqu’il termine son apologie par cette phrase : « J’appartiens à la famille Rateau. » Malet s’est chargé d’appuyer ses déclarations ; il a déclaré que Rateau était avide d’avancement : qu’il lui avait dit lui-même « que c’était l’envie de tous les militaires et qu’il ne servait que pour cela. » Il a donc accueilli avec enthousiasme l’idée de revêtir un uniforme d’aide de camp. Mais comme il disait : « Vous pouvez croire que dans toute cette affaire-là je n’ai été pour rien absolument, » sa demande de sursis a été accueillie.

Le 29 octobre, le comte Anglès, maître des requêtes, chargé du 3e arrondissement de la police générale, dans un rapport à Soft Excellence le ministre de la Police générale, a mis Rateau à part des autres prévenus. « Rateau, a-t-il dit, compatriote de Lafon, caporal dans la Garde de Paris, et se disant neveu du procureur général près la Cour impériale de Bordeaux, n’a pas tardé à tomber dans les mains de la police après l’arrestation de Malet. Dès le premier instant, il ne s’est pas fait illusion sur le sort qui l’attendait. Il l’a envisagé d’un œil calme, et en ma présence, il a manifesté l’intention de déclarer avec franchise toutes les circonstances de l’événement : ses réponses présentent le caractère de la vérité. » Dans son rapport à l’Empereur en date du 1er novembre, Savary dit : « Rateau parait jusqu’ici n’avoir bien su la chose que le jour de l’exécution. » Par la suite, Rateau a raconté ce qu’il savait, et peut-être un peu plus. Ainsi déclara-t-il le 1er novembre que le 22, Malet avait voulu lui donner la décoration de la Légion d’honneur, et qu’il l’avait refusée, etc. Au retour de l’Empereur, dans le Conseil privé du 21 décembre, sa peine fut commuée en prison perpétuelle avec apposition au fer rouge, sur son épaule, des trois lettres T. S. P. Traître à sa patrie ! A la Restauration, il fut mis en liberté et entra, pour y travailler de son état de distillateur, chez un confiseur rue Saint-Denis, où, aux Cent Jours, on l’alla chercher pour perquisitionner dans ses papiers. Une note de Réal porte : « Rateau n’est pas un homme fort important si l’on considère ses moyens personnels, mais il a dû fixer des regards des ministres de Louis XVIII. On peut le mander et savoir ce qu’on a fait, ou voulu faire de lui sous le dernier régime. Ses papiers pourraient être visités. » Mais sans doute à présent bornait-il ses ambitions à la distillation.

Restait à régler le sort des militaires. Le général Lamotte fut mis en liberté et renvoyé de Paris ; le général Desnoyers continua d’être détenu. Seul, Provost, officier de la 10e Cohorte, fut mis en liberté : les autres furent destitués, détenus comme prisonniers d’Etat jusqu’à nouvel ordre. Certains, deux capitaines, un lieutenant, un sous-lieutenant de la Garde de Paris, détenus à Montaigu par ordre de Clarke depuis le 24 octobre, attendirent jusqu’au 16 juillet que le ministre de la Guerre soumit leur cas à l’Empereur qui prononça leur mise en liberté.

Clarke n’avait point trouvé que les mesures prises à l’égard des militaires fussent suffisantes. Ajournées le 21 décembre, les sanctions qu’il proposait à l’Empereur et au Conseil privé contre le 1er bataillon du Régiment de Paris, et de la 10e Cohorte, furent présentées de nouveau le 26 décembre et furent examinées dans le Conseil du 28. Clarke estimait que le Conseil des ministres avait eu tort d’ajourner jusqu’au retour de l’Empereur, la proposition qu’il avait faite le 28 octobre, de « dégrader en présence de la Garde Impériale et de la garnison de Paris, les officiers et sous-officiers qui avaient obéi aux ordres Mes conspirateurs, de les faire conduire par la gendarmerie à des bataillons coloniaux, ou de pionniers, et de prononcer le licenciement du 1er bataillon de la Garde de Paris. » « Je vis dès lors avec regret, dit-il, que ce délai retardât un coup d’autorité qui eût trouvé alors les esprits tout préparés à l’impression qu’il devait produire. » Il prétendait justifier les mesures impitoyables qu’il avait préconisées, par une théorie dont on n’eût point eu de peine à montrer les périls. « L’obéissance passive prescrite par la discipline ne doit jamais, disait-il, servir aux militaires de prétexte ni d’excuse à l’infraction de leurs serments. Ils sont individuellement responsables à l’Etat de l’emploi de la force qu’il leur confie, et à cet égard, existe, devant les lois, entre les officiers et les soldats, une solidarité pénale dans laquelle le gouvernement et la nation trouvent leur commune sécurité. » Le duc de Feltre eût été fort embarrassé de montrer quand la force armée « essentiellement obéissante » doit commencer à raisonner et à désobéir, mais pour le moment il se plaisait d’autant plus dans ce paradoxe, qu’il avait acquis la certitude que, en soumettant ces mesures au Conseil, « il n’avait fait que prévenir les intentions de Sa Majesté. » A présent, les circonstances se sont modifiées, et avec elles, les mesures qu’il propose : le 1er bataillon de la Garde de Paris est parti pour Mayence, où il est arrivé le 15 décembre ; la 10e Cohorte est en route pour Brème où elle arrivera le 7 janvier. Il ne reste à Paris que le 2e bataillon dont les compagnies ont marché sur des ordres régulièrement transmis par le chef de bataillon, sans connaître l’objet des mouvements qui leur étaient ordonnés et sans manifester des mouvements contraires à leur devoir. L’aigle (du régiment) dont la place est marquée au 1er bataillon est restée à Paris, aux mains du major Quérelles, commandant provisoire, au départ du 1er bataillon pour Mayence. Il a refusé de confier ce dépôt à des soldats qui n’étaient plus dignes de le garder. L’affront d’un pareil refus est déjà un châtiment... On pourrait penser à confier l’aigle ou au 2e bataillon, ou mieux au cadre du 3e qui arrivera à Paris le 17 janvier, qui s’est couvert de gloire en Espagne, à la défense du fort de Burgos, et à celle d’Aguilar del Campo et qui pourrait devenir le noyau d’un nouveau 1er bataillon. Les sous-officiers et les grenadiers de l’ancien premier bataillon seraient dégradés et conduits à des bataillons de pionniers ou à des bataillons coloniaux. Les soldats seraient incorporés dans d’autres régiments ; les sous-officiers de la 10e cohorte subiraient le même sort que ceux de la Garde de Paris, mais la cohorte ne serait pas licenciée, et les soldats n’en seraient pas dispersés dans d’autres corps. Cette cohorte est composée tout entière des contingents fournis par le département de l’Oise, et la dispersion de ces soldats porterait le trouble dans la plupart des familles du département. » Un arrêt conforme était joint à ce rapport. Le Conseil privé fut d’un avis contraire, et l’Empereur se résolut à ne point suivre les dispositions présentées par le duc de Feltre.

Par décret du 30 décembre 1812, le régiment de la Garde municipale de Paris fut dissous ; par un nouveau décret du 6 janvier 1813, les hommes qui l’avaient composé passèrent dans l’infanterie de ligne et formèrent le 134e régiment d’infanterie. L’escadron de cavalerie qui était hors du débat, fut versé au 2e chevau-légers lanciers de la Garde. Par décret du 10 avril 1813, un régiment de « gendarmerie impériale de Paris, » composé de 840 hommes, fut créé, conformément au vœu formulé par les trois conseillers d’Etat, pour être administré par le préfet de Police faisant fonction de commandant, dépendre de ses ordres, et être soldé par la Ville de Paris. Le colonel était colonel d’armes de la ville de Paris ; les quatre capitaines commandaient des compagnies mixtes d’hommes à pied et à cheval ; un auditeur au Conseil d’Etat détaché à la préfecture de Police faisait fonctions de trésorier, le drapeau de la Garde était déposé à la préfecture de Police.


Boutreux, Caamano et le général Desnoyers, arrêtés comme prévenus d’avoir favorisé le complot du 23 octobre, n’avaient pu être mis en jugement avec les autres accusés : Desnoyers et Caamano, parce que, lorsque les pièces les concernant avaient été déposées au greffe de la commission militaire, le rapporteur avait terminé l’examen de la procédure, que la Commission était convoquée et qu’on voulait aller vite ; Boutreux, parce qu’il n’était arrivé à Paris que le jour même où la Commission s’était assemblée.

L’Empereur avait prononcé le 21 décembre en Conseil privé sur le sort du général Desnoyers, mais restait à statuer sur le cas de Boutreux et de Caamano. L’instruction avait été suivie à leur égard avec bien plus de soin et de détail qu’à l’égard des autres accusés. Boutreux avait subi le 31 octobre un interrogatoire à la suite duquel il avait été confronté au docteur Dubuisson, à la domestique de la maison de santé, à la femme Henry, « faisant l’ordinaire du Sr Caamano. » Le 6 novembre, sur sa demande, il avait été interrogé de nouveau ; le 14, il avait été confronté à Caamano ; il avait avoué avoir fait des copies des pièces qui avaient servi de base à l’attentat. Son affaire était donc en état. « Les aveux de Boutreux et les pièces recueillies, dit Clarke dans un rapport en date du 28 décembre, établissent qu’il a été un des principaux agents du complot, et qu’il a copié une partie des pièces. »

Quant à Caamano qui multipliait, depuis son arrestation, ses instances près des prêtres qu’il connaissait plus ou moins, comme l’abbé de Mondot, aumônier de l’impératrice Joséphine et vicaire général de l’archevêque de Tours, il avait été interrogé à diverses reprises, et il avait reconnu le matériel des faits qui s’étaient produits dans les chambres qu’il occupait au cul-de-sac Saint-Pierre. Seulement il n’avait appris « ce que méditaient les conspirateurs que dans la nuit du 22 au 23 octobre. Quoique Caamano, disait Clarke, n’ait pas pris une part aussi active que Boutreux, il en a eu connaissance ; c’est chez lui que se sont réunis les conspirateurs, ils y ont préparé en sa présence leurs moyens d’exécution, » et le duc de Feltre insistait pour que « des actes aussi coupables ne restassent pas impunis. »

Sur ce rapport remis au Conseil privé le 28 décembre, l’Empereur prononça le 9 janvier 1813, le renvoi de Boutreux et de Caamano devant la Commission militaire formée par arrêté du 23 octobre. Les interrogatoires subis les 19, 20, 23 janvier par Boutreux et Caamano, ne laissèrent aucun doute sur l’ineptie de celui-ci et la complicité de celui-là. Aussi, le 29 janvier, la commission militaire, à l’unanimité, acquitta et déchargea Joseph Marie-Fernandez de Caamano de l’accusation portée contre lui, et condamna à l’unanimité le nommé Alexandre-André Boutreux a la peine de mort et à la confiscation de ses biens, en réparation du crime de complicité avec l’ex-général Malet. Le 30 janvier, à deux heures du matin, Boutreux, extrait de la maison militaire de l’Abbaye, fut conduit sous escorte suffisante au lieu dit la plaine de Grenelle, commune de Vaugirard. Arrivé sur le terrain, il a entendu lecture du jugement en présence des troupes de la garnison de Paris et de M. Dunepart, maire de la commune de Vaugirard, et il a été mis à mort à deux heures quarante-cinq minutes de relevée par un piquet du corps des Vétérans, commandés à cet effet. Le cadavre a été enlevé par les soins du maire et transporté au cimetière de Vaugirard. Caamano, quoique acquitté, fut gardé comme prisonnier d’Etat ; mis en liberté par la Restauration, il reprit la suite de ses messes à Saint-Gervais, et les disait encore vingt ans après.


Mise en liberté en octobre 1813, Mme Malet avait gardé des relations avec les anciens commensaux de son mari, MM. de Polignac. Lorsque, devant l’invasion étrangère, l’ordre fut donné de transférer dans l’Ouest et dans le Midi, les prisonniers d’Etat, M. de Polignac prétendit se soustraire à cette mesure et rejoindre le comte d’Artois qui avait passé la frontière de France à la suite de l’ennemi. Ce fut Mme Malet « qui s’offrit pour faciliter son évasion, ce fut elle qui lui fit tenir prête une voiture de poste et qui assura sa fuite en Angleterre [16]. » A la Restauration, elle adressa à Louis XVIII une pétition rédigée par Rousselin et ainsi conçue : « Sire, la veuve du général Malet, mort pour l’humanité et la liberté, sollicite de Votre Majesté la pension qu’elle accorde aux veuves des généraux morts au champ d’honneur. » Présentée par M. de Polignac, cette pétition valut à la veuve de Malet une pension de 3 000 francs sur l’Etat [17], une indemnité de pareille somme, une pension de 1 200 francs sur la liste civile ; un capital de 10 000 francs (en une inscription de rente) pour l’arriéré depuis 1807 [18]. Elle eût voulu 6 000 francs de pension comme les femmes des généraux de division ; elle eût voulu la continuation de cette pension viagère pour la veuve et pour le fils ; elle eût voulu pour son fils « la croix du grade de la Légion d’honneur qu’avait son père au moment où il a succombé pour la cause de l’humanité. » Aristide Malet ne fut pas à la vérité commandant de la Légion d’honneur : mais il fut chevau-léger de la Garde du Roi (2e lieutenant), et par suite en 1815, lors de la dissolution de la maison rouge, lieutenant. — Il avait alors dix-sept ans, étant né le 1er janvier 1798. Devenu le 25 avril 1840, chef d’escadrons au 9e chasseurs, il fut retraité dans ce grade en 1852.

Le docteur Guillié fut nommé par la Restauration médecin des sourds-muets pour « les services qu’il avait rendus à la cause du roi » et son ami l’abbé Lafon qui avait été décoré des premiers, de la Légion d’honneur, publia, d’accord avec Mme Malet, cette Histoire de la conspiration du général Malet dans laquelle se trouve affirmé le royalisme du général, et qui par là a fort gêné ses apologistes républicains.

A l’exemple de Mme Malet, les veuves des autres condamnés, — même divorcées depuis huit ans, comme Mme Guidal, — obtinrent à la Restauration des pensions réglées d’après le tarif appliqué aux veuves d’officiers tués à l’ennemi. Des faveurs spéciales furent accordées aux orphelins. Ce qui est remarquable, c’est que, lorsque le 26 mars 1815, on présenta à l’Empereur le tableau des pensions accordées à ces veuves de l’affaire Malet, il annota : « J’approuve toutes ces pensions, il n’y faut rien changer. »

Si l’on recherche ce que sont devenus les anciens complices de Malet, l’on trouve que Lemare après avoir subi, sous un faux nom, quelque examen comme médecin, fut soldé à 400 francs par mois, comme médecin-major. En 1815, on le trouve avec l’abbé Lafon un des commissaires du Roi dans les départements de l’Est. Il fait imprimer des proclamations Aux citoyens des départements de l’Est et aux anciens républicains du Jura, qu’il date du 10 avril et du 25 juin 1815. Il y invoque le souvenir de Malet et les emplit de cris de « Vive le Roi. » Le Sieur Gindre, médecin du Jura, est noté le 30 mai 1814 par le commissaire du roi dans la 6e division militaire, marquis Xavier de Champagne, comme affectant des opinions extrêmement royalistes. Le général Guillaume, qui a été exilé dans le pays de sa femme, aux Eaux-Vives, près Genève, avec ses six enfants, se charge en 1814, de porter au maréchal Augereau, duc de Castiglione, les offres du comte d’Artois. Sans doute est-il difficile de tirer de là des conclusions. Mais peut-être est-il permis de dire que Malet, comme ses complices, se proposait d’abord le renversement d’un gouvernement qui ne les employait point.


LE ROI DE ROME

A partir du moment où l’Empereur avait compris que l’affaire n’allait pas plus loin, qu’elle n’avait aucune racine profonde, qu’elle ne se liait ni à droite, ni à gauche, à l’effort d’un parti ou d’une faction, il n’y avait plus porté le moindre intérêt. — Il fallait donc en finir au plus vite, balayer les épluchures, et liquider les broutilles. Peut-être avait-on adopté avec quelque légèreté une telle opinion. Solide en l’espèce, pour ce qui regardait les apparences, elle n’était point démontrée quant au fond et les facilités de tous genres que Lafon avait rencontrées, eussent attesté a des esprits moins prévenus, un système de complicités qui n’était pas sans périls, même pour la défense nationale. On devait bien le voir dans certaines villes de l’Est et du Sud-Ouest avant dix-huit mois. Mais nul ne semble y avoir prêté la moindre attention, et des trois conseillers d’Etat chargés de la Police, aucun n’y a fait la plus légère allusion. En revanche, tous trois ont insisté sur le manque de solidité du Régime, et sur la nécessité d’en affermir les bases. Ils ont osé dire que personne, ni à la 10e Cohorte, ni à la Garde de Paris, ni à la préfecture de la Seine, n’a pensé à répondre à la nouvelle de la mort de l’Empereur par le cri dynastique de : Vive l’Empereur ! Nul n’a songé qu’à trois lieues de Paris se trouvait, pour ce trône si vite déclaré vacant, un héritier désigné, dont les titres avaient été solennellement proclamés à sa naissance par tous les grands corps de l’Etat. C’était à la stabilisation du régime que Napoléon travaillait depuis douze ans, l’amenant peu à peu et par degrés, de la forme républicaine à magistrature temporaire, à une forme quasi monarchique, par le Consulat à vie ; à une forme héréditaire par les constitutions de l’Empire. Il avait cru résoudre le problème successoral qui pouvait troubler la nation par le divorce, qui n’avait point été sans coûter à son cœur, par le mariage autrichien, par la naissance de son fils, et tout cela ne servait de rien. Au premier péril que courait sa vie, on se croyait revenu à la veille de Marengo, et si les sénateurs n’osaient plus conspirer pour le remplacer ; si Servan ne s’exerçait plus comme en 1807 à prendre sa mort possible pour thème de la révolution ; si Fouché — et d’autres peut-être, — n’escomptaient plus sa mort réelle comme en 1808 ; si Malet prisonnier échouait, en 1809, à la proclamer, voilà qu’à présent, sur le simple bruit de cette mort, tout croulait, que deux régiments se rendaient complices, étant dupes, et qu’un des grands fonctionnaires de l’Empire se faisait, à l’Hôtel de Ville de Paris, le maréchal des logis d’un prétendu gouvernement provisoire. Nul avertissement comparable à cette débandade où certains des meilleurs serviteurs du régime n’avaient trouvé à opposer que des larmes à la nouvelle de la mort de leur général. Que fallait-il donc pour conforter ces fondements qui pourtant, par un vœu, trois fois prononcé, du peuple entier, plongeaient au plus intime, et au plus secret, en même temps qu’au plus généreux et au plus noble des sentiments de la Nation, résultait de ses intérêts et de ses besoins, comme de ses passions, et correspondait à ses vœux comme à ses aspirations ? Quoi ? La certitude que l’héritier du trône, égal à son père et inséparable de lui, tiendrait de lui son génie et son bonheur, et qu’il serait constamment favorisé par la fortune. Et encore, qui peut être certain que le peuple, quelque jour, ne se lassera pas d’entendre appeler le juste un citoyen comme Aristide ?

Assurément, après l’échec du conspirateur et son arrestation, quelques-uns des serviteurs du régime s’étaient souvenus qu’il était héréditaire, — mais sur le moment on peut bien dire qu’aucun n’y avait songé. N’y avait-il pas lieu de faire entrer cette idée dans les esprits, de la fixer dans les mémoires, par des pompes extraordinaires, des cérémonies solennelles, un appareil religieux, politique et militaire tel, qu’il ne put être oublié ? N’y avait-il pas lieu de consacrer la succession dynastique à la fois par un mouvement d’opinion et par une intervention pontificale ? A coup sûr, il est mal placé pour provoquer l’une et l’autre, mais l’étrange prestige qu’a pris à ses yeux l’impératrice autrichienne et qu’il ne doute pas qu’elle n’exerce sur la nation, doit apporter à cette entreprise un appui merveilleux. Aussi, dès le 22 décembre, il ordonne à Regnaud de Saint-Jean-d’Angely, de faire « rechercher tous les ouvrages, édits, imprimés, manuscrits ou chroniques, traitant des formes suivies depuis Charlemagne, lorsqu’il a été question du couronnement de l’héritier présomptif ; » pareilles recherches sur la régence des reines, et la façon dont elle a été exercée. » On assemble ces recherches en deux brochures qui sont d’abord imprimées à quelques exemplaires, à l’Imprimerie impériale, ensuite découpées en tranches, et publiées simultanément, dès le début de janvier, dans le Moniteur et dans le Journal de l’Empire. Le 19 janvier, un mois, jour pour jour, après son retour, sous prétexte de chasse à Grosbois, il pointe sur Fontainebleau où le Pape a été amené de Savone le 20 juin 1812. Dès le 29 décembre, il lui a écrit pour entrer en matière. Depuis lors, une sorte de négociation a été engagée, où pas plus par Mme de Brignole, que par les évêques Duvoisin, Barral, Bourlier et Primat, il n’a été un instant question de l’objet qui, pour l’Empereur, est le principal et, dirait-on, l’unique. Le Pape résiste, il ne veut rien décider sans son conseil ; Napoléon croit que, en donnant lui-même, il emportera la position et, une fois les affaires de l’Église décidées, même avec de larges concessions, l’essentiel suivra. Sans doute n’a-t-il pas dû manquer d’être frappé de l’importance donnée par Malet, dans son Sénatus-consulte, à la question du Pape, et a-t-il dû y voir un symptôme. Sans doute a-t-il dû penser, en un temps où il va demander à la Nation de considérables sacrifices, que le clergé, presque universellement adverse aujourd’hui, reviendra à des sentiments meilleurs et apportera, sous les auspices du pape réconcilié, un concours d’influences utiles, mais le but essentiel du voyage, c’est d’amener le pape à Paris, pour y couronner l’Impératrice et le roi de Rome. Et c’est pour cela qu’il mène avec lui Marie-Louise dans la glaciale « Maison des Siècles ; » c’est pour cela que, jusqu’à ce qu’il ait atteint le but, il ajoute concession à concession [19] jusqu’à démentir tout ce qu’il a pensé depuis sa jeunesse, et tout ce qu’il a ordonné depuis sept ans ; et c’est pour cela que, le 27 janvier, quand après une dernière visite au Pape, il monte en voiture pour venir diner à Paris, il estime qu’il a vraiment remporté une grande victoire.

Le 1er février, il tient un Conseil privé auquel il communique le Sénatus-consulte organique sur la Régence où se trouvent compris les articles relatifs au couronnement de l’Impératrice et du Prince Impérial, roi de Rome. Le 2, le Sénatus- consulte est transmis au Sénat ; Regnaud tente d’y justifier des dispositions qui abolissent, en ce qui touche la Régence dans les Constitutions, le paragraphe second de l’article 18 du titre IV du Sénatus-consulte du 28 floréal an XII, consacré par un plébiscite solennel, comme loi fondamentale de l’Empire. Ici on disait : « Les femmes sont exclues de la Régence ; » à présent on dit : « A défaut de toute disposition de l’Empereur mort, l’Impératrice mère réunit de droit à la garde de son fils, la Régence de l’Empire. »

Toutes les questions relatives au Conseil de régence sont réglées de façon à écarter les princes de la Famille impériale, pour donner l’autorité entière aux grands dignitaires et aux vice-grands dignitaires. Des titres spéciaux règlent le sacre et le couronnement de l’Impératrice et du Prince impérial. Présenté le 2, le sénatus-consulte est adopté le 5. Le couronnement est annoncé officieusement pour le 7 mars ; mais on n’ose rien rendre officiel ; de Fontainebleau arrivent de mauvais bruits. Les cardinaux italiens, dont l’Empereur a admis le retour, ont morigéné le pape, et l’on doute à présent qu’il maintienne sa signature. A Paris, ces incertitudes produisent le plus mauvais effet. Pour forcer la main à Pie VII, l’Empereur fait publier, au Moniteur, le texte du Concordat ; mais il est ensuite obligé d’annoncer l’ajournement du couronnement. Et enfin le pape se rétracte, et, par une lettre douloureuse, il retire la signature qu’il a librement apposée à l’acte du 25 janvier. C’est un échec qui attire davantage l’attention sur les buts que poursuivait l’Empereur, et cet échec devient encore plus sensible lorsque, dans le cadre d’un salon de l’Elysée, en présence de quelques dignitaires et des dames de cour, l’Empereur fait donner lecture des lettres patentes par lesquelles il confère à l’Impératrice et Reine le titre de régente, « pour en exercer les fonctions, dit-il, en vertu de nos intentions et de nos ordres, tels que nous les aurons fait transcrire sur le livre de l’Etat ; » et lorsque l’Impératrice prête debout un tout petit serment, un serment qui n’a rien de l’apparat majestueux du serment constitutionnel, et qui pourtant ne saurait être différent, étant donnés les temps, les lieux et l’assistance.

Comment donc assurer la durée de son œuvre et sa perpétuation ? Comment obtenir une certitude au sujet de la transmission du trône ? Ne doit-on pas penser que, dès lors, il va chercher, dans la bataille, des périls qui ne devraient point être pour lui ; lorsque, se jetant au fort du feu, il y ramène des petits soldats qui savent à peine charger un fusil et qui tout de même se battent comme des grenadiers ? N’a-t-il pas pensé que, pour consacrer les fondements de l’édifice, il manque une volontaire immolation ? Que, à l’Impératrice régente, fille de la Sacrée Majesté Apostolique, l’Autriche tout de même se tiendrait obligée de porter aide ? Que, fût-ce sur le cadavre de Napoléon Ier, Napoléon II monterait au trône et que, devant la mère du nouvel Empereur, l’Europe abaisserait les armes, et retirerait ses malédictions ?... On ne saurait expliquer d’une autre façon sa conduite durant la campagne de 1813 et la campagne de 1814. Et le point de départ de toutes ces pensées et de tous ces actes, c’est le coup d’audace de cet homme qui, sur une fausse nouvelle proclamée par trois travestis, s’est emparé de la grande moitié de Paris, sans que nul ait pensé à répondre à son : « L’Empereur est mort ! » par un « Vive l’Empereur ! »

Ce jour-là, la foi de Napoléon en la durée de son œuvre a été profondément atteinte : il a cherché des remèdes dont aucun ne s’est trouvé efficace, et, de ce jour, tourment sans pareil, le Maître de l’Heure a éprouvé à tout instant l’incertitude de la durée.


FRÉDÉRIC MASSON.

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 septembre et du 15 octobre.
  2. Il ne paraît pas impossible que Réal, si lié avec Barras, eût rencontré chez lui, sinon Guidal, au moins Mme Guidal sa maîtresse. Réal, si mêlé aux mouvements révolutionnaires, était en réalité, depuis la disgrâce de Fouché et de Dubois, le seul qui eût une compétence sur Paris.
  3. En surcharge de la main de Pasquier, sur l’original.
  4. En surcharge.
  5. En surcharge. Rovigo avait écrit deux. Pasquier met trois.
  6. Ici une discordance : « Plusieurs personnes de ce pays, écrit le baron de Chanbaudoin, connues pour être du parti Jacobin, ont donné la nouvelle que le Prince de Ponte Corvo, à la tête de 40 000 Anglais, s’était emparé de Dantzick et que cette ville était en leur pouvoir. » À rapprocher de cette phrase dite par Malet à Boutreux, « que le Prince royal de Suède allait faire une descente et écraser l’Empereur, et qu’alors le Sénat changerait la forme du gouvernement. »
  7. Il faut retenir, à cause du rôle que joua son auteur, trois ans plus tard, une lettre adressée à Mgr le Duc de Rovigo, ministre de la Police générale à Paris, par le Colonel commandant d’armes d’Antibes, Cunéo d’Ornano, où il donnait cours à son indignation « contre les misérables qui ont osé méditer des projets contre le Gouvernement et exercer des violences contre ses ministres. »
  8. Voir la démonstration décisive dans les Mémoires du duc de Rovigo.
  9. Je pense qu’il s’agit du Laborie de Talleyrand, mais sans aucune certitude, car le nom de ce terrible homme n’apparaît nulle part ailleurs que dans cette lettre.
  10. Minute autographe de Clarke.
  11. J’ai essayé de répondre à cette question très controversée, dans le volume : Pour l’Empereur, — Pages d’Histoire nationale, 1re série, in-18, 1911.
  12. Chuquet. Ordres et apostilles, 2597.
  13. Pourtant il dut y avoir une autre lettre à Clarke. Car celui-ci écrit le 23 novembre à Hulin, à Deriot, peut-être à d’autres : « Général, il a été rendu compte à l’Empereur de la conduite que vous aviez tenue dans la journée du 23 octobre dernier.
    « Sa Majesté a bien voulu me charger, par un ordre du 7 de ce mois, de vous exprimer la satisfaction qu’il a reçue dans cette circonstance de votre dévouement (et de celui de sa garde).
    « Il m’est agréable, général, de vous transmettre ce témoignage, si honorable pour vous-même et pour les militaires auxquels ii est adressé.
    « Agréez, etc. »
  14. Le recueil des Pièces et déclarations relatives à l’affaire de M. le comte Frochot, préfet île la Seine, dans la considération de Malet, comprend :
    I. — Déclaration de Frochot du 23 octobre.
    II. — Interrogatoire de Soulier du 23 octobre, des 25 et 26 octobre.
    III. — Note sur la journée du 23 octobre, en ce qui concerne M. Saulnier, secrétaire général du ministère de la Police générale, et M. Cluis, secrétaire particulier de M. le duc de Rovigo.
    IV. — Copie du rapport de l’inspecteur-médecin des prisons de Paris.
    V. — Déclaration de M. Bouhin, chef de division à la préfecture de la Seine.
    VI. — Copie de la lettre de Malet au com mandant Soulier.
    VII. — Copie de la lettre du préfet de la Seine au ministre de la Police générale en date du 30 octobre.
    VIII, IX, X, XI, XII. — Délibérations des sections de Législation, de l’Intérieur, des Requêtes, de la Marine et de la Guerre.
  15. Il mourut à Paris, le 10 octobre 1832.
  16. Observateur des Tribunaux, loc. cit., p. 187.
  17. La pension de 3 000 francs fut octroyée à Mme Debalans, veuve Malet (Denise), née le 28 décembre 1768 à Nancé Jura), comme veuve d’un maréchal de camp. Le fils, Aristide, hérita de la pension de 1 200 franc » sur la liste civile. « Fils du général de division. »
  18. Elle obtint un ordre au Ministre de la Police « à l’effet de lui remettre toutes les pièces saisies dans son domicile et sur la personne de son mari, ainsi que les procédures qui avaient été faites en 1808, à l’occasion de la conjuration sénatoriale, et en 1812, lorsqu’éclata la deuxième conspiration.
  19. Frédéric Masson : L’Impératrice Marie-Louise, p. 417 et suivantes.