Les Contes drolatiques/II/Épilogue
ÉPILOGUE
Encores que ce secund Dixain ait en son frontispice inscription
qui le dise parachevé en ung temps de neige et de froideure, il
vient au ioly mois de iuin, où tout est verd, pour ce que la
paouvre muse de laquelle l’Autheur est subiect ha eu plus de
caprices que n’en ha l’amour phantasque d’une royne, et ha
mystérieusement voulu gecter son fruict parmy les fleurs. Nul
ne peut se vanter d’estre maistre de ceste phée. Tantost, alors que
ung grave pensier occupe l’esperit et griphe la cervelle, vécy la
garse rieuse qui desbagoule ses gentils proupos en l’aureille,
chatouille avecques ses plumes les lèvres de l’Autheur, mène ses
sarabandes, et faict son tapaige dans la maison. Si par cas fortuit
l’escripturier abandonne la science pour noiser, luy dict : —
« Attends, ma mye, i’y vais ! » et se lève en grant haste pour
iouer en la compaignie de ceste folle, plus de garse ! Elle est rentrée
en son trou, s’y musse, s’y roule et geint. Prenez baston à feu,
baston d’ecclise, baston rusticque, baston de dames, levez-les,
frappez la garse, et dictes-luy mille iniures, elle geint. Despouillez-la,
elle geint. Caressez-la, mignottez-la, elle geint. Baisez-la, dictes-luy : « Hé ! mignonne ! » elle geint. Tantost elle ha froid,
tantost elle va mourir ; adieu l’amour, adieu les rires, adieu la
ioye, adieu les bons contes ! Menez bien le deuil de sa mort,
plourez-la, cuydez-la morte, geignez. Alors elle lève la teste,
esclatte de rire, déploye ses aësles blanches, revole on ne sçait
où, tournoye en l’aër, capriole, monstre sa queue diabolicque,
ses tettins de femme, ses reins forts, son visaige d’ange, secoue
sa chevelure perfumée, se roule aux rais du soleil, reluit en
toute beaulté, change de couleurs comme la gorge des columbes,
rit à en plourer, gecte les larmes de ses yeulx en la mer, où les
pescheurs les treuvent transmuées en iolies perles qui viennent
aorner le front des roynes, enfin faict mille tourdions comme ung
ieune cheval eschappé, laissant veoir sa croupe vierge et des
chouses si gentilles, qu’à la seule veue d’icelles ung pape se damneroyt.
Durant ce remue-mesnaige de la beste indomptée, il se
rencontre des ignares et des bourgeoys qui disent au paouvre
poëte : — Où est vostre monture ? Où est vostre Dixain ? Vous estes
ung pronosticqueur payen. Oui, vous estes cogneu ! vous allez
aux nopces et ne faictes rien entre vos repas. Où est l’ouvraige ?
Encores que de mon naturel ie sois amy de la doulceur, ie vouldroys veoir ung de ces gens bardé d’ung pal de Turquie et leur dire d’aller en ceste équipaige à la chasse aux connilz. Cy fine le deuxiesme Dixain. Veuille le diable le poulser de ses cornes, et il sera bien receu de la chrestienté rieuse.