Les Contes drolatiques/II/Comment feut basty le chasteau d’Azay

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COMMENT FEUT BASTY
LE CHASTEAU D’AZAY



Iehan, fils de Simon Fournier, dict Simonin, bourgeoys de Tours, originaire du village de Moulinot, près de Beaune, dont, à l’imitation de aulcuns traitans, il print le nom, alors que il obtint la charge d’argentier du feu roy Loys unze s’enfuyt ung iour en Languedoc avecques sa femme, estant tombé en grant disgraace, et laissa son fils Iacques tout nud en Touraine. Cettuy, qui ne possédoyt rien au monde, fors sa personne, sa cappe et son espée, mais que les vieulx dont la braguette avoyt rendu l’ame eussent cuydé bien riche, bouta dedans sa cervelle ferme intention de saulver son père et faire sa fortune en la Court, laquelle vint pour lors en Touraine. Dès le matin, ce bon Tourangeau laissoyt son hostel, et, mussé dans son manteau, fors le nez qu’il mettoyt à l’esvent, le gezier vuyde, se pourmenoyt par la ville, sans estre trop encombré de ses digestions. Lors, entroyt dans les ecclises, les estimoyt belles, inventorioyt les chapelles, esmouchioyt les tableaux, numbroyt les nefs en curieux qui de son temps et argent ne sçayt que faire. A d’aultres foys, feignoyt de réciter des patenostres, mais faisoyt de muettes prières aux dames, leur offroyt à leur despartie de l’eaue benoite, les suivoyt de loing et taschioyt, pour ces menus services, de rencontrer quelque adventure où, au péril de sa vie, il se seroit fourny d’un protecteur ou d’une gracieuse maistresse. Il avoyt en sa ceinture deux doublons, lesquels il ménagioyt plus que sa peau, veu que elle pouvoyt se refaire, et les dessus dicts doublons nullement. Par ung chascun iour, il prenoyt sur ces deniers le prix d’une miche et de quelques meschantes pommes avecques quoy il se sustantoyt, puis beuvoyt, à son aise et discrétion, l’eaue de la Loire. Ceste saige et prudente diette, oultre que elle estoyt saine pour ses doublons, l’entretenoyt frisque et légier comme ung levrier, luy faisoyt ung entendement clair et ung cueur chauld, veu que l’eaue de la Loire est de tous les sirops le plus eschauffant, pour ce que, yssue de loing, elle s’est eschauffée à courir sur les grèves paravant d’estre à Tours. Aussy, comptez que le paouvre hère ingenioyt mille et une fortunes et bonnes rencontres auxquelles il ne s’en manquoyt que d’ung poulce que vrayes elles feussent. Ho ! le bon temps ! Ung soir Iacques de Beaune, nom que il guarda, encores que il ne feust point seigneur de Beaune, alloyt le long des levées, occupé de mauldire son estoille et tout, veu que le darrenier doublon faisoyt mine de le quitter sans nul respect, alors que, au destourner d’une petite rue, il faillit aheurter une dame voilée qui luy donna par les nazeaux une bourrasque superfine de bonne odeur de femme.

Ceste pourmeneuse, bravement montée sur de iolys patins, avoyt une belle robbe de veloux italian, à grans manches doublées en satin : puis, pour eschantillon de sa fortune, à travers le voile, un diamant blanc d’ampleur raisonnable brilloyt sur son front aux rais du soleil couchant, entre des cheveux si bien mignonnement roulez, estagez, tressez et si nets, que ses femmes y avoyent deu passer trois heures. Elle marchioyt comme une dame qui ha coustume de n’aller qu’en lictière. Ung sien paige bien armé la suyvoyt. Ce estoyt aulcune fille folle de son corps appartenant à quelque seigneur de hault rang ou aulcune dame de la Court, veu que elle levoyt bien ung peu sa cotte et tortilloyt gentement sa croupe en femme de hault mouvement. Dame ou galloise, elle plut à Iacques de Beaune, lequel ne feit point le dégousté et print l’imagination désespérée de s’attacher à elle et n’en quitter que mort. Dans ceste visée, il se délibéra de la pourchasser, à ceste fin de sçavoir où elle le meneroyt, en paradiz ou ez limbes de l’enfer, au gibet ou dedans un réduict d’amour ; tout luy feut espoir au fund de sa misère. La dame alla se pourmener le long de la Loire, en aval, devers le Plessis, et respiroyt, comme les carpes, la bonne frescheur de l’eaue, allant, bimbelottant, fagottant en souriz qui trotte, veult tout veoir et gouster à tout. Lorsque ledict paige s’aperceut que Iacques de Beaune faisoyt de l’entesté, suyvoyt la dame en toutes ses démarches, s’arrestoyt à ses repos et la resguardoyt niaiser, sans vergongne, comme si la chouse lui estoyt loysible, il se retourna brusquement et luy monstra une mine rogue et griesche, comme celle d’ung chien qui dict : « Arrière, messieurs ! » Mais le bon Tourangeau avoyt ses raisons. Cuydant que si ung chien veoit, sans conteste, passer ung Pape, luy baptisé pouvoyt veoir ung minon de femme, il alloyt de l’avant, feignoyt de soubrire au dict paige et se prélassoyt derrière ou devant la dame. Ores, elle, ne disoyt mot, resguardoyt le ciel, qui se coëffoyt de nuict, les estoilles et tout pour son plaisir. Voilà qui va bien. Brief, venue en face de Portillon, elle demoura debout ; puis, pour mieulx veoir, regecta son dict voile sur son espaule, et, ce faisant, lança sur le compaignon ung resguard de fine commère, pour s’enquérir s’il y avoyt aulcun dangier d’estre volée. Faictes estat que Iacques de Beaune pouvoyt faire l’ouvraige de trois marys, estre aux costez d’une princesse sans luy causer de honte, avoyt l’air brave et résolu qui plaist aux dames ; et s’il estoyt ung peu bruny par le soleil force de courir devant, son tainct debvoyt apertement se blanchir soubz les courtines d’un lict. Le resguard coulant comme anguille que lui darda ceste dame lui parut estre plus animé que celluy qu’elle auroyt gecté en ung livre de messe. Et doncques, il fonda l’espoir d’une aubaine d’amour sur ce coup d’œil, et se résolut à poulser l’adventure iusques au bord de la iuppe, risquant, pour aller encores plus loing, non pas sa vie, veu qu’il y tenoyt peu, mais ses deux aureilles et mesmes encores quelque chouse. Ores, le sire suyvit en ville la dame, qui rentra par la rue des Trois-Pucelles et mena le guallant, par ung escheveau meslé de petites ruelles, iusques au quarroy où est auiourd’huy l’hostel de la Crouzille. Là, elle s’arresta au porche d’ung beau logiz, auquel aheurta le paige. Puis ung sien serviteur ouvrit, et, la dame rentrée, se ferma la porte, laissant le sieur de Beaune béant, pantois et sot comme monseigneur sainct Denys devant qu’il se feust ingénié de ramasser sa teste. Il leva le nez en l’aër pour veoir s’il luy tomberoyt une goutte de faveur, et ne veit rien aultre chouse, si ce n’est une lumière qui montoyt par les degrez et couroyt par les salles, puis s’arresta à une belle croisée où debvoyt estre la dame. Croyez que le paouvre amoureux demoura là tout mélancholifié, resvasseur, ne saichant plus à quoy se prendre. La croisée grongna soubdain et l’interrompit dans ses phantaisies. Ores, cuydant que sa dame alloyt le huchier, il dressa de rechief le nez, et sans l’appuy de la dessus dicte croisée, qui le préserva en fasson de couvrechief, il eust recipé fort amplement de l’eaue froide, plus le contenant du tout, veu que l’anse resta aux mains de la personne en train d’estuver l’amoureux. Iacques de Beaune, trez-heureux de ce, ne perdit point l’esteuf et se gecta en bas du mur, criant : « Ie meurs ! » d’une voix trez-estaincte. Puis se roydit dans les tessons et demoura mort, attendant le reste. Vécy les serviteurs en grant remue-mesnaige, qui, en crainte de la dame à laquelle ils advouèrent leur faulte, ouvrent l’huys, se chargent du navré, lequel faillit à rire alors que il feut ainsy convoyé par les degrez.

— Il est froid, disoyt le paige.

— Il ha bien du sang, disoyt le maistre d’hostel, lequel en le tastant se conchioyt les mains dedans l’eaue.

— S’il en revient, ie fonde une messe à sainct Gatien ! s’escria le coupable en pleurs.

— Madame tient de son deffunct père, et, si elle fault à te faire pendre, le moindre loyer de ta poine sera d’estre bouté hors de sa maison et de son service, repartit ung aultre. Oui, certes, il est bien mort, il poise trop.

— Ah ! ie suis chez une bien grant dame, pensa Iacques.

— Las ! sent-il le mort ? demanda le gentilhomme autheur du meschief.

Lors, en hissant à grant poine le Tourangeau le long de la vis, le pourpoinct d’icelluy s’accrocha dans une tarasque de la rampe, et le mort dict : Ha ! mon pourpoinct.

— Il ha geint ! dit le coupable, sospirant de ioye.

Les serviteurs de la Régente, car ce estoyt le logiz de la fille du feu Roy Loys le unziesme, de vertueuse mémoire, les serviteurs doncques entrèrent Iacques de Beaune en la salle, et le laissèrent royde sur une table, ne cuydant point qu’il se saulvast.

— Allez quérir ung maistre myre, feit madame de Beauieu, allez cy, allez là…

Et en ung pater tous les gens descendirent les degrez. Puis la bonne Régente despescha ses femmes à l’onguent, à la toile à bender les playes, à l’eaue du Bonhomme, à tant de chouses, que elle demoura seule. Lors, advisant ce bel homme pasmé, dit à haulte voix, admirant sa prestance et sa deffuncte bonne mine : — Ha ! Dieu veult me rabbrouer. Pour une paouvre petite foys que, en ma vie, ung maulvais vouloir s’est resveiglé du fund de ma nature et me l’ha endiablottée, ma saincte patronne se fasche et m’enlève le plus ioly gentilhomme que i’aie iamais veu. Pasques Dieu ! par l’âme de mon père, ie feray pendre tous ceulx qui auront mis la main à son trespas !

— Madame, feit Jacques de Beaune en saultant de l’ais où il gizoyt aux pieds de la Régente, ie vis pour vous servir et suis si peu meurdry, que, pour ceste nuict, ie vous promets autant de ioyes que il y ha de mois en l’année, à l’imitation du sieur Hercules, baron païen. Depuis vingt iours, reprint le bon compaignon, se doubtant que, là, besoing estoyt de mentir ung petit pour moyenner les chouses, vécy ie ne sçays combien de rencontres que ie fais de vous, dont ie me suis affollé, et n’osoys, par grant respect de vostre personne, m’advancer à vous ; mais comptez que ie suis bien yvre de vos royales beaultez, pour avoir inventé la bourde à quoy ie doibs l’heur d’estre à vos pieds.

Là-dessus, il les baisa bien amoureusement, et resguarda la bonne dame d’ung air à tout ruyner. La dicte Régente, par force de l’aage, lequel ne respecte point les roynes, estoyt, comme ung chascun sçayt, en la secunde ieunesse des dames. Ores, en ceste criticque et rude saison, les femmes iadis saiges et desnuées d’amans convoitent, ores cy, ores là, de prendre, à l’insceu de tout, fors Dieu, aulcune nuictée d’amour, à ceste fin de ne point yssir en l’aultre monde, les mains, le cueur et le tout vuydes, faulte d’avoir notablement cogneu les chouses espéciales que vous sçavez. Doncques ma dicte dame de Beauieu, sans faire de l’estonnée en escoutant la promesse de ce ieune homme, veu que les personnes royales doibvent estre accoustumées à tout avoir par douzains, guarda ceste parole ambitieuse au fond de sa cervelle ou de son registre d’amour, qui en grezilloyt d’advance. Puis elle releva le ieune Tourangeau, qui treuvoyt dedans sa misère le couraige de soubrire à sa maistresse, laquelle avoyt la maiesté d’une vieille rose, les aureilles en escarpin et le tainct d’une chatte malade, mais si bien attifée, si iolie de taille, et le pied si royal, la croupe tant alerte, que il pouvoyt se rencontrer, en ceste maulvaise fortune, des ressorts incogneus pour l’ayder à parfaire le verbe qu’il avoyt lasché.

— Qui estes-vous ? feit la Régente en prenant l’air rebarbatif du feu Roy.

— Ie suis vostre trez-fidelle subiect Iacques de Beaune, fils de vostre argentier, lequel est tombé en disgraace, maulgré ses féaulx services.

— Hé bien, respondit la dame, reboutez-vous sur vostre ais. I’entends venir, et il n’est point séant que les gens de ma maison cuydent que ie suis vostre complice en ceste farce et momerie.

Ce bon fils veit au doulx son de la voix que la bonne dame luy pardonnoyt bien gracieusement l’énormité de son amour. Doncques il se couchia sur la table et songia que aulcuns seigneurs estoyent advenus à la Court en chaussant ung vieil estrier ; pensier qui le raccommoda parfaitement avecques son bon heur.

— Bien ! feit la Régente à ses meschines, ne faut rien. Ce gentilhomme est mieulx. Graaces soient rendues à Dieu et à la saincte Vierge, il n’y aura point eu de meurtre en mon hostel.

En ce dysant, elle passoyt la main dedans les cheveulx de l’amant qui luy estoyt à point tombé du ciel ; puis, prenant de l’eaue du Bonhomme, elle luy en frotta les tempes, deffeit le pourpoinct, et, soubz l’umbre de veoir au salut du navré, vérifia, mieulx qu’ung greffier commis à aucune expertise, combien douce et ieune estoyt la peau de ce bon petit homme si dru prometteur de liesse. Ce que ung chascun, gens et femmes s’esbahirent de veoir faire à la Régente. Mais l’humanité ne messied jamais aux personnes royales. Iacques se dressa, feit le desconnu, mercia trez-humblement la Régente et congédia le physician, maistre myre et aultres diables noirs, se disant revenu du coup. Puis se nomma et voulut s’évader, en saluant madame de Beauieu, comme ayant paour d’elle à cause de la disgraace où estoyt son père, mais sans doubte effrayé de son horrificque vœu.

— Ie ne sçauroys permettre, feit-elle. Les gens qui viennent en mon logiz ne doibvent point y recepvoir ce que vous avez receu.

Le sieur de Beaune soupera céans, dit-elle à son maistre de l’hostel. Cil qui le ha induement congné sera à sa discrétion, s’il se fait incontinent cognoistre ; sinon, ie le fais rechercher et branchier par le prevost de l’hostel.

Entendant ce, le paige qui avoyt suivy la dame à la pourmenade s’advança.

— Ma dame, feit Iacques, qu’il luy soit accordé à ma prière et pardon et guerdon, veu que à luy doibs-je l’heur de vous veoir, la faveur de souper en vostre compaignie et peut-estre celle de faire restablir mon père en la charge que il ha plu à vostre glorieux père luy commettre.

— Bien dict, repartit la Régente. D’Estouville, feit-elle en se revirant devers le paige, ie te baille une compaignie d’archers. Mais à l’advenir ne gecte plus rien par les fenestres.

Puis la Régente, affriandée dudict Beaune, luy tendit la main, et il la mena fort guallamment dedans sa chambre, où ils devisèrent trez-bien en attendant l’apprest du souper. Là, point ne faillit le sieur Iacques à desbagouler son sçavoir, iustifier son père et se bien seoir en l’esprit de la dicte dame, laquelle, comme ung chascun sçayt, practiquoyt bien l’estat de son père et menoyt tout en grans volées. Iacques de Beaune pourpensoyt en luy-mesme que bien difficile estoyt que il couchiast avecques la Régente ; tels trafficqs ne se parfaisoyent point comme le mariage des chattes qui ont tousiours une gouttière ez toits des maisons pour y aller margauder à leur aise. Doncques, il se gaudissoyt d’estre cogneu de la Régente sans avoir à luy compter ce douzain diabolicque, veu que, pour ce, besoing estoyt que meschines et gens feussent à l’escart et l’honneur sauf. Néantmoins, redoubtant l’engin de la bonne dame, parfoys il se tastoyt, se dysant : « En auroys-je l’étoffe ? » Mais, à l’umbre de ses discours, à ce songioyt aussy la bonne Régente, laquelle avoyt accommodé mainte affaire moins crochue. Et de deviser trez-saigement. Elle feit venir ung sien secrétaire, homme au faict des imaginations idoynes au parfaict gouvernement du royaulme, et luy donna en commandement de luy remettre secrettement ung faulx messaige pendant le souper. Puis vint le repas, auquel point ne touchia la dame, veu que son cueur estoyt gonflé comme esponge et avoyt diminué l’estomach, car tousiours elle pensoyt à ce bel et duysant homme, n’ayant appétit que de luy. Iacques ne se feit faulte de mangier, pour raisons de toutes sortes. Bon messaiger de venir, madame la Régente de tempester, fronsser les sourcils à la mode du feu Roy, de dire : « N’aura-t-on point la paix en cet Estat ? Pasques Dieu ! nous ne sçaurions avoir une vesprée de bonne ! » Et Régente de se lever, de marcher. « Holà ! ma hacquenée ! Où est monsieur de Vieilleville, mon escuyer ? Point. Il est en Picardie. D’Estouteville, vous allez me rejoindre avecques ma maison au chasteau d’Amboise… » Et advisant son Iacques, elle dit : « Vous serez mon escuyer, sieur de Beaune. Vous voulez servir le Roy ? Bonne est l’occasion. Pasques Dieu ! venez. Il y ha des mescontens à rebattre, et besoing est de fidelles serviteurs. »

Puis, le temps que ung vieulx paouvre eust mis à dire ung cent d’ave, chevaulx feurent bridez, sanglez, prests. Madame sur sa hacquenée, et le Tourangeau à ses costez, courant dare, dare, au chasteau d’Amboise, suyvis de gens d’armes. Pour estre brief et venir au faict sans commentaires, le sieur de Beaune feut logié à douze toises de madame de Beauieu, loing des espies. Les courtisans et tous les gens, bien estonnez, discouroyent s’enquérant d’où vindroyt l’ennemy ; mais le douzainier, prins au mot, sçavoyt bien où il estoyt. La vertu de la Régente, chouse cogneue dans le royaulme, la saulvoyt des soupçons, veu que elle passoyt pour estre aussy imprenable que le chasteau de Péronne. A l’heure du couvre-feu, quand tout feut clos, les aureilles et les yeulx, le chasteau muet, madame de Beauieu renvoya sa meschine et manda son escuyer. Escuyer de venir. Lors, la dame et l’adventurier se veirent soubz le manteau d’une haulte cheminée, accottez sur ung banc bien guarny de veloux ; puis la curieuse Régente de demander aussytost à Iacques d’une voix mignarde : — Estes-vous point meurdry ! Ie suis bien maulvaise de avoir faict chevaulcher pendant douze mille ung gentil serviteur navré tout à l’heure par ung des miens. I’estoys tant en poine que ie n’ay point voulu me couchier sans vous avoir veu. Ne souffrez-vous point ?

— Ie souffre d’impatience, feit le sire au douzain, existimant que il falloyt ne point resnagler en ceste occurrence. — Bien vois-je, reprint-il, ma noble et toute belle maistresse, que vostre serviteur ha trouvé graace devant vous.

— Là ! là ! respondit-elle, ne mentiez-vous pas alors que vous me disiez… ?

— Quoy ? feit-il.

— Mais, me avoir suyvie ceste douzaine de fois aux ecclises et aultres lieux où i’alloys de ma personne.

— Certes, dit-il.

— Doncques, respondit la Régente, ie m’estonne de n’avoir veu que auiourd’huy ung preux ieune homme dont le couraige est si bien engravé dedans les traicts. Ie ne me dédis point de ce que vous avez entendu quand ie vous cuydoys navré. Vous m’agréez et vous veulx bien faire.

Lors, l’heure du sacrifice diabolicque estant sonnée, Iacques tomba aux genoilz de la Régente, luy baisa pieds, mains, tout, dict-on. Puis, en baisant et faisant ses préparatoires, prouva par maint argument à la vieille vertu de sa souveraine que une dame portant le faix de l’Estat estoyt bien en droict de s’esbattre ung petit. Licence que n’admit point ladicte Régente, laquelle tenoyt à estre forcée, affin d’enchargier son amant de tout le péché. Ce néantmoins, comptez que elle s’estoyt, par advance, trez-bien parfumée, attornée de nuict et reluisoyt de ses dezirs d’accointance, dont la haulte couleur luy prestoyt ung fard de bon aloy, lequel luy avoyt bien esclaircy le tainct. Et, maulgré sa molle deffense, feut, comme ung tendron, emportée d’assault en son lict royal, où la bonne dame et le ieune douzainier s’espousèrent en conscience. Là, de ieux en noize, de noize en riottes, de riottes en ribauderies, de fil en esguille, la Régente déclara croire mieux en la virginité de la Royne Marie qu’au douzain promis. Ores, par adventure, Iacques de Beaune ne trouvoyt point d’aage à ceste grant dame, sous les toiles, veu que tout chet en métamorphose à la lueur des lampes de nuict. Bien des femmes de cinquante ans au jour ont vingt ans sur le minuict, comme aulcunes ont vingt ans à midy et cent après vespres. Doncques Jacques, plus heureux de ceste rencontre que de celle du Roy en ung iour de pendaison, tint derechief sa gageure. Ores, Madame, estonnée à part elle, y promit de son costé bonne assistance, oultre la seigneurie d’Azay-le-Bruslé, bien guarnie de mouvances, dont elle s’engagioyt à ensaisiner son cavalier, oultre la graace du père, si de ce duel elle sortoyt vaincue.

Lors le bon fils de dire : — Vécy pour saulver mon père de iustice ! Cecy pour le fief ! Cela pour les lods et ventes ! Cettuy pour la forest d’Azay ! Item pour le droit de pesche ! Encores pour les isles de l’Indre ! Gaignons la prairie ! Desgaigeons des mains de la iustice notre terre de la Carte, si chierement acheptée par mon père ! Voilà pour une charge en Court.

En arrivant sans encombre à cet à-compte, il crut la dignité de sa braguette engagiée, et songia que, tenant soubz luy la France, il s’en alloyt de l’honneur de la couronne. Brief, moyennant ung vœu qu’il feit à son patron monsieur saint Iacques de luy bastir une chapelle audict lieu d’Azay, il présenta son hommaige-lige à la Régente en unze périphrases claires, nettes, limpides et bien sonnantes. Pour ce qui est du darrenier épilogue de ce discours en bas lieu, le Tourangeau eut l’oultre-cuydance d’en vouloir festoyer largement la Régente, luy guardant, à son resveil, ung salut d’honneste homme, et comme besoing estoyt au seigneur d’Azay de mercier sa souveraine. Ce qui estoyt saigement entendu. Mais quand la nature est fourbue, elle agit comme ung vrai cheval, se couche, mourroyt soubz le fouet paravant de bougier, et gist iusques à ce que il luy plaise de se lever guarnie en ses magazins. Doncques, alors que, au matin, le faulxconneau du chasteau d’Azay entreprint de saluer la fille du Roy Loys unze, il feut contrainct, maulgré ses bonnetades, de la saluer comme se saluent les souverains, par des salves à pouldre seulement. Aussy la Régente, au désiuchier du lict, ce pendant que elle desieunoyt avecques Iacques, lequel se disoyt seigneur légitime d’Azay, print acte de cette insuffisance pour contredire son escuyer et prétendit qu’il n’avoyt point gaigné la gageure, partant point de seigneurie.

— Ventre-Sainct-Paterne ! i’en ay esté bien près ! dit Iacques de Beaune. Mais, ma chiere dame et noble souveraine, il n’est séant ni à vous ni à moy d’estre iuges en nostre cause. Ce cas, estant ung cas allodial, doibt estre porté en vostre conseil, veu que le fief d’Azay relève de la couronne.

— Pasques Dieu ! respartit la Régente en riant, ce qui advenoyt petitement, ie vous donne la charge du sieur de Vieilleville en ma maison, ne feray point rechercher vostre père, ie vous baille Azay, et vous bouteray en ung office royal, si vous pouvez, mon honneur sauf, exposer le cas en plein conseil. Mais, si ung mot venoyt à entacher mon renom de preude femme, ie…

— Ie veulx estre pendu, dit le douzainier, tournant la chouse en rire, pour ce que madame de Beauieu avoyt un soupçon de cholère en son visaige.

De faict, la fille de Loys le unziesme se soulcioyt plus voulentiers de la royaulté que de ces douzains de miesvreries, dont elle ne feit aulcun estat, veu que, cuydant avoir sa bonne nuictée sans bourse deslier, elle préféra le récit ardu de la chouse à ung aultre douzain dont le Tourangeau luy faisoyt offres réelles.

— Doncques, ma dame, reprint le bon compaignon, ie seray, pour le seur, vostre escuyer.

Ung chascun des capitaines, secrétaires et aultres gens ayant des offices en la régence, estonnez de la briefve despartie de madame de Beauieu, apprindrent son esmoy, vindrent au chasteau d’Amboise, en haste de sçavoir d’où procédoyt le tumulte, et se treuvèrent prests à tenir conseil au lever de la Régente. Elle les convocqua pour ne point estre soupçonnée de les avoir truphez, et leur donna aulcunes bourdes à distiller que ils distillèrent saigement. En fin de ceste séance vint le nouvel escuyer pour accompaigner la dicte dame. Voyant les conseillers levez, le hardy Tourangeau leur demanda solution d’ung litige qui importoyt à luy et au domaine du Roy.

— Escoutez-le, feit la Régente. Il dict vray.

Lors, Iacques de Beaune, sans s’espanter de l’appareil de ceste haulte iustice, print la parole ainsy, ou à peu près : — Nobles seigneurs, ie vous supplie, encore que ie vais parler à vous de coquilles de noix, d’estre attentifs en ceste cause, et me pardonner la vétillerie du languaige. Ung seigneur se promenant avecques ung aultre seigneur en ung verger advizèrent ung beau noyer de Dieu, bien planté, bien venu, bel à veoir, bel à garder, quoique ung peu creux ; ung noyer tousiours frais, sentant bon, ung noyer dont vous ne vous lasseriez point, si vous l’aviez veu ; noyer d’amour qui sembloyt l’arbre du bien et du mal, deffendu par le Seigneur Dieu, et pour lequel furent bannis nostre mère Eve et le sieur son mary. Ores, messeigneurs, ce dict noyer feut le subiect d’une légiere noize entre les deux seigneurs, une de ces ioyeulses gageures que nous soulons faire entre amys. Le plus ieune se iacta d’envoyer douze foys, à travers ce noyer feuillu, ung baston que, pour lors, il avoyt en la main comme ung chascun de nous en ha parfoys en la sienne quand il se pourmène emmy son verger, et, par chaque gect dudict baston, iouxter par terre une noix…

— Ce est-il bien le nœud du procès ? … feit Iacques se virant ung petit devers la Régente.

— Oui, messieurs, respondit-elle, surprinse de l’estocq de son escuyer.

— L’aultre gagea le contre, reprint le plaideur. Vécy mon beau parieur de gecter le baston avecques adresse et couraige, si gentement et si bien, que tous deux avoyent plaisir. Puis, par joyeulse protection des saincts qui soy divertissoyent sans doubte à les veoir, en chaque coup tomboyt une noix ; et, de faict, en eurent douze. Mais, par cas fortuit, la darrenière des noix abattues se treuva creuze et n’avoir aulcune poulpe nourricière d’où pust venir ung aultre noyer, si iardinier l’eust voulu mettre en terre. L’homme au baston ha-t-il gaigné ? I’ai dict. Iugez !

— Tout est dict, feit messire Adam Fumée, Tourangeau qui lors avoyt les sceaulx en guarde. L’aultre n’ha qu’une manière de s’en tirer.

— En quoy ? dit la Régente.

— En payant, madame.

— Il est par trop subtil, feit-elle en donnant un coup de main sur la ioue de son escuyer ; il sera pendu quelque iour…

Elle cuydoyt gausser. Mais ce mot feut la réalle horoscope du dict argentier, lequel rencontra l’eschelle de Montfaucon au bout de la faveur royale, par la vengeance d’une aultre vieille femme et la trahison insigne d’ung homme de Ballan, sien secrétaire, dont il avoyt faict la fortune, lequel ha nom Prévost, et non point René Gentil, comme aulcuns l’ont à grant tort appelé. Cettuy Ganelon et maulvais serviteur bailla, dict-on, à madame d’Angoulesme la quittance de l’argent que luy avoyt compté le dict Iacques de Beaune, alors devenu baron de Semblançay, seigneur de la Carte, d’Azay, et ung des plus haults bonnets de l’Estat. De ses deux fils, l’un estoyt archevesque de Tours, l’autre général des finances et gouverneur de Touraine. Mais cecy n’est point le subiect des présentes.

Ores, pour ce qui est de ceste adventure de la ieunesse du bon homme, madame de Beauieu, à qui si beau ieu estoyt escheu ung peu tard, bien contente de rencontrer haulte sapience et entendement des affaires publiques en son amant fortuit, luy bailla en garde l’espargne du Roy, où il se comporta si bien, multiplia si curieusement les douzains royaulx, que sa grant renommée lui acquit ung iour le maniement des finances, dont il feut superintendant et controola iudicieusement l’employ, non sans de bons proufficts pour luy, ce qui iuste estoyt. La bonne Régente paya la gageure et feit délivrer à son escuyer la seigneurie d’Azay-le-Bruslé, dont le chastel avoyt esté piéçà ruyné par les premiers bombardiers qui vindrent en Touraine, comme ung chascun sçayt. Et, pour ce miracle pulverin, sans l’intervention du Roy, les dicts enginieurs eussent esté condamnez comme fauteurs et héréticques du démon par le tribunal ecclésiasticque du Chapitre.

Lors se bastissoyt aux soings de messire Bohier, général des finances, le chasteau de Chenonceaulx, lequel, par mignardise et curiosité, boutoyt son bastiment à cheval sur la rivière du Cher.

Ores, le baron de Semblançay, voulant aller à l’encontre dudict Bohier, se iacta d’édifier le sien au fund de l’Indre, où il est encores debout, comme le ioyau de ceste belle vallée verde, tant il y feut solidement assis ez pilotis. Aussy Iacques de Beaune y despendit-il trente mille escuz, oultre les corvées des siens. Comptez endà que ce chasteau est ung des beaulx, des gentils, des mignons, des mieulx élaborez chasteaulx de la mignonne Touraine, et se baigne tousiours en l’Indre comme une galloise princière, bien attifé de ses pavillons et croisées à dentelles, avecques iolys souldards en ses girouettes, tournant au gré du vent comme tous les souldards. Mais feut pendu le bon Semblançay paravant de le finer, en sorte que nul du depuys ne s’est rencontré assez pourveu de deniers pour le parachever. Cependant son maistre le Roy Françoys, premier du nom, y avoit esté son hoste, et cy en veoit-on encores la chambre royale. Au couchier du Roy, Semblançay, lequel estoyt, par ledict sire, nommé « mon père » en l’honneur de ses cheveulx blancs, ayant entendu dire à son maistre auquel il estoyt tant affectionné :

— Voilà douze heures bien frappées en vostre horologe, mon chier père !

— Hé ! sire, reprint le superintendant des finances, à douze coups d’ung marteau, pour le présent bien vieil, mais bien frappez iadis en ceste mesme heure, doibs-je ma seigneurie, l’argent despendu en icelle et l’heur de vous servir…

Le bon Roy voulut sçavoir ce que entendoyt son serviteur par ces estranges paroles. Doncques, ce pendant que le sire se boutoyt en son lict, Iacques de Beaune luy raconta l’histoire que vous sçavez. Ledict Françoys premier, lequel estoyt friand de ces margauderies, estima la rencontre bien drolaticque, et y print d’autant plus de divertissement que alors madame sa mère, duchesse d’Angoulesme, sur le retourner de la vie, pourchassoyt ung petit le connestable de Bourbon, pour en obtenir quelques-uns de ces douzains. Maulvais amour de maulvaise femme, car de ce vint en péril le royaulme, feut prins le Roy et mis à mort le paouvre Semblançay, comme ha esté cy-dessus dict.

I’ay eu cure de consigner icy comment feut basty le chasteau d’Azay, pour ce qu’il demoure constant que ainsy print commencement la haulte fortune de Semblançay, lequel ha moult faict pour sa ville natale, que il aorna ; et si employa-t-il bien de notables sommes au parachevement des tours de la cathédrale. Ceste bonne adventure s’est contée, de père à fils et de seigneur à seigneur, audict lieu d’Azay-le-Ridel, où ledict récit fringue encores soubz les courtines du Roy lesquelles ont esté curieusement respectées iusques auiourd’huy. Doncques est faulse de toute faulseté l’attribution de ce douzain tourangeau à ung chevalier d’Allemaigne, qui, par ce faict, auroyt conquesté les domaines d’Autriche à la maison de Hapsbourg. L’autheur de nostre temps qui ha mis en lumière ceste histoire, quoique bien sçavant, s’est laissé trupher par aulcuns chronicqueurs, veu que la chancellerie de l’empire romain ne faict point mention de ceste manière d’acquest. Ie luy en veulx d’avoir cuydé que une braguette nourrie de bierre ayt pu fornir à ceste alquemie honneur des braguettes chinonnoises tant prisées de Rabelais. Et i’ay, pour l’advantaige du pays, la gloire d’Azay, la conscience du chastel, le renom de la maison de Beaune, d’où sont yssus les Sauves et les Noirmoustiers, restably le faict dans sa véritable, historicque et mirificque gentillesse. Si les dames vont veoir le chasteau, elles treuveront encores, dans le pays, quelques douzains, mais en destail.




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