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Les Contes drolatiques/II/La faulse Courtizane

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Les Contes drolatiquesGarnier frères (p. 279-293).


LA FAULSE COURTIZANE



Ce que aulcuns ne sçavent point est la vérité touchant le trespassement du duc d’Orléans, frère du roy Charles sixiesme, meurtre qui advint par bon numbre de causes, dont une sera le subiect de ce conte. Cettuy prince ha esté, pour le seur, le plus grant et aspre paillard de toute la race royale de monseigneur sainct Loys, qui feut, en son vivant, roy de France, sans mettre néantmoins hors de concours aulcun de ceux qui ont esté les plus desbauchez de ceste bonne famille, laquelle est si concordante aux vices et qualitez especiales de nostre brave et rigolleuse nation, que vous inventeriez mieulx l’enfer sans monsieur Satan que la France sans ses valeureux, glorieux et rudes braguards de Roys. Aussy riez-vous autant des regrattiers de philosophie qui vont disant : « Nos pères estoyent meilleurs ! » que des bonnes savattes philanthropicques, lesquelles prétendent les hommes estre en voye de perfection. Ce sont tous aveugles, lesquels n’observent point le plumaige des huistres et le cocquillage des oyseaulx, qui iamais ne changent, non plus que nos alleures. Hé doncques ! regoubillonnez ieune, beuvez frais et ne plourez point, veu que ung quintal de mélancholie ne sçauroyt payer une once de frippe.

Les desportemens de ce seigneur, amant de la royne Isabeau, laquelle aymoyt dru, comportèrent beaucoup d’adventures plaisantes, veu que il estoyt goguenard, d’un naturel alcibiadesque, vray Françoys de la bonne roche. Ce feut luy qui, premier, conceut d’avoir des relays de femmes, en sorte que, alors que il alla de Paris à Bourdeaux, treuvoyt tousiours, au desseller de sa monture, ung bon repas et ung lict guarny de iolies doubleures de chemises. Heureux prince ! qui mourut à cheval, comme tousiours il estoyt, voire mesmes entre ses draps. De ses comicques ioyeulsetez nostre trez-excellent Roy Loys le unziesme en ha consigné une mirificque au livre des Cent Nouvelles nouvelles, escriptes soubz ses yeulx, pendant son exil en la Court de Bourgongne, où pendant les vesprées, pour soy divertir, luy et son cousin Charolois se racontoyent les bons tours advenus en cettuy temps. Puis, quand défailloyent les vrays, ung chascun de leurs courtizans leur en inventoyent à qui mieulx. Mais, par respect pour le sang royal, monseigneur le Daulphin ha mis la chouse advenue à la dame de Cany sur le compte d’un bourgeois, et sous le nom de la Médaille à revers, que ung chascun peut lire au recueil dont il est ung des ioyaulx les mieulx ouvrez et commence la centaine. Vécy le mien.

Le duc d’Orléans avoyt ung sien serviteur, seigneur de la province de Picardie, nommé Raoul d’Hocquetonville, lequel print pour femme, au futur estrif du prince, une damoiselle alliée de la maison de Bourgongne, riche en domaines. Mais, par exception aux figures d’héritières, elle estoyt d’une beaulté si esclatante que, elle présente, toutes les dames de la Court, voire la Royne et madame Valentine, sembloyent estre dans l’umbre. Néantmoins ce ne estoyt rien, en la dame d’Hocquetonville, que sa parenté bourguignotte, ses hoyeries, sa ioliesse et mignonne nature, pour ce que ces rares adventaiges recevoyent ung lustre religieux de sa supresme innocence, belle modestie et chaste éducation. Aussy le duc ne flaira-t-il pas longtemps ceste fleur tombée du ciel sans en estre enfiebvré d’amour. Il cheut en mélancholie, ne se soulcia plus d’aulcun clappier, ne donna qu’à regret, de temps à aultre, ung coup de dent au friand morceau royal de son Allemande Isabeau, puis s’enraigea et iura de iouyr par sorcellerie, par force, par trupherie ou bonne voulenté, de ceste tant gracieuse femme, laquelle, par la vision de son mignon corps, le contraingnoyt à s’appréhender luy-mesme pendant ses nuicts devenues tristes et vuydes. D’abord la pourchassa trez-fort de paroles dorées ; mais bien tost cogneut à son air gay que, à part elle, estoyt conclud de demourer saige, veu que elle luy respondit, sans s’estomirer de la chouse, ni soy fascher comme font les femmes de court talon : — Mon seigneur, ie vous diray que ie ne veulx point m’incommoder de l’amour d’aultruy, non par mespris des ioyes qui s’y rencontrent, car bien cuisantes doibvent-elles estre, pour ce que si grant numbre de femmes s’y abysment, elles, leurs maisons, gloire, advenir et tout, mais par amour des enfans dont i’ay la charge. Point ne veulx mettre la rougeur en mon front, alors que ie rebattray mes filles de ce principe servateur : que dans la vertu sont pour nous les vrayes felicitez. De faict, mon seigneur, si nous avons plus de vieulx iours que de ieunes, à ceulx-là debvons-nous songier. De ceulx qui m’ont nourrie i’ai apprins à existimer réallement la vie, et sçays que tout en est transitoire, fors la sécurité des affections naturelles. Aussi ie veulx l’estime de tous, et par-dessus celle de mon espoux, lequel est pour moy le monde entier. Doncques ay-ie dezir d’estre honneste à ses yeulx. I’ay dict. Et vous supplie de me laisser vaquer en paix aux chouses de mon mesnaige, aultrement i’en refereroys sans vergongne à mon seigneur et maistre, qui se retireroyt de vous.

Ceste brave response amourachant davantaige le frère du Roy, il se délibéra d’empiéger ceste noble femme, à ceste fin de la posséder morte ou vifve, et ne doubta point de la mettre en son greffe, se fiant à son sçavoir en ceste chasse, la plus ioyeulse de toutes, où besoing est d’user des engins des aultres chasses, veu que ce ioly gibier se print à courre, aux mirouers, aux flambeaulx, de nuict, de iour, à la ville, en campaigne, ez fourrez, aux bords d’eaue, aux filets, aux faulxcons deschapperonnez, à l’arrest, à la trompe, au tir, à l’appeau, aux rets, aux toiles, à la pippée, au giste, au vol, au cornet, à la glue, à l’appast, au pippeau, enfin à tous pièges ingeniez depuis le bannissement d’Adam. Puis se tue de mille manières, mais presque tousiours à la chevaulchée.

Doncques le bon sournoys ne sonna plus mot de ses dezirs, mais feit donner à la dame d’Hocquetonville une charge en la maison de la Royne. Ores, ung iour que ladicte Isabeau s’en alloyt à Vincesnes veoir le Roy malade, et le laissoyt maistre en l’hostel Sainct-Paul, il ordonna le plus friand souper royal au queux, luy enioingnant de le servir dedans les chambres de la Royne. Puis manda sa restive dame par exprès commandement et par ung paige de l’hostel. La comtesse d’Hocquetonville, cuydant estre dezirée par madame Isabelle pour affaire de sa charge, ou conviée à quelque esbat soubdain, se hasta de venir. Ores, selon les dispositions prinses par le desloyal amoureux, nul ne put informer la noble dame de la despartie de la princesse ; doncques elle accourut iusques en la belle salle qui est à l’hostel Sainct-Paul avant la chambre où couchioyt la Royne. Là veit le duc d’Orléans seul. Lors redouta quelque traistre emprinse, alla vitement en la chambre, ne rencontra point de Royne, mais entendit ung bon franc rire de prince.

— Ie suis perdue, feit-elle. Puis voulut se enfuir.

Mais le bon chasseur de femmes avoyt aposté des serviteurs dévouez, lesquels, sans cognoistre ce dont il s’en alloyt, fermèrent l’hostel, barricadèrent les portes, et dedans ce logiz, si grant que faisoyt-il le quart de Paris, la dame d’Hocquetonville se treuva comme en ung désert, sans aultre secours que celuy de sa patronne et Dieu. Lors, doubtant de tout, la paouvre dame tressaillit horrificquement et tomba sur une chaire, quand le travail de ceste embusche, si curieusement excogitée, luy feut démonstré entre mille bons rires par son amant. Alors que le duc feit mine de s’approucher, ceste femme se leva, puis luy dit en s’armant de sa langue d’abord, et mettant mille malédictions en ses yeulx :

— Vous iouyrez de moy, mais morte ! Ha ! mon seigneur, ne me contraignez point à une lucte qui se sçaura sans doubte aulcun. En ce moment, ie puis me retirer, et le sieur d’Hocquetonville ignorera la male heure que vous avez mise à tousiours en ma vie. Duc, vous resguardez trop le visaige des dames pour treuver le temps d’estudier en celluy des hommes, et vous ne cognoissez point quel serviteur est à vous. Le sire d’Hocquetonville se feroyt hascher pour vostre usaige, tant il est bien lié à vous, en mémoire de vos bienfaicts, et aussy pour ce que vous luy plaisez. Mais autant il ayme, autant il hait. Et ie le cuyde homme à vous deschargier, sans paour, ung coup de masse en vostre teste, pour tirer vengeance d’ung seul cry que vous me auriez contraincte à gecter. Soubhaitez-vous ma mort et la vostre, meschant ? Soyez acertené que mon tainct d’honneste femme ne sçait guarder ne taire mon bon ni maulvais heur. Ores bien, ne me lairrez-vous point yssir ? …

Et le braguard de siffler. Oyant ceste sifflerie, la bonne femme alla soubdain en la chambre de la Royne et y print, en ung lieu que elle sçavoyt, ung ferrement agu. Puis, alors que le duc entra pour s’enquérir de ce que vouloyt dire ceste fuite : — Quand vous passerez ceste raye, cria-t-elle en luy monstrant le planchier, ie me tueray.

Le duc, sans s’effrayer, print une chaire, se bouta iuz la solive, et commença des arraisonnemens de négociateur, ayant espoir d’eschauffer les esperits à ceste femme faulve, et la mettre au poinct de n’y veoir goutte, en luy remuant la cervelle, le cueur et le reste par les imaiges de la chouse. Doncques, il luy vint dire, avecques les fassons mignonnes dont les princes sont coustumiers, que d’abord les femmes vertueuses acheptoyent bien chier la vertu, veu que, en ceste fin de gaigner les chouses fort incertaines de l’advenir, elles perdoyent les plus belles iouyssances du présent, pour ce que les marys estoyent contraincts, par haulte politicque coniugale, de ne point leur descouvrir la boëte aux ioyaulx de l’amour, veu que cesdicts ioyaulx resluisoyent tant dans le cueur, avoyent si chauldes délices, si chatouilleuses voluptez, que une femme ne sçavoyt plus rester ez froides régions du mesnaige ; que ceste abomination maritale estoyt trez-feslonne, en ce que, pour le moins, ung homme debvoyt-il, en recognoissance de la saige vie d’une femme de bien et de ses tant cousteux mérites, s’eschiner, se bender, s’exterminer à la bien servir en toutes les fassons, pigeonneries, becquetaiges, rigolleries, beuvettes, friandises et gentilles confictures de l’amour, et que si elle vouloyt gouster ung petit à la séraphicque doulceur de ces mignonneries à elle incongneues, elle ne verroyt le restant des chouses de la vie que comme festus ; et, si telle estoyt sa voulenté, luy seroyt plus muet que ne le sont les trespassez ; par ainsy, nul scandale ne conchieroyt sa vertu. Puis, le rusé paillard, voyant que la dame ne se bouchioyt nullement les aureilles, entreprint de luy descripre en manière de peintures arabesques, qui lors avoyent grant faveur, les lascives inventions des desbauchez. Ores doncques, il gecta des flammes par les yeulx, bouta mille braziers dedans ses paroles, musicqua sa voix, et print plaisir pour luy-mesme à se ramentevoir les diverses méthodes de ses amyes, les nommant à madame d’Hocquetonville, et luy racontant mesme les lesbineries, chattonneries et doulces estrainctes de la Royne Isabelle, et feit usaige d’une loquelle si gracieuse et si ardemment incitante, que il crut veoir lascher à la dame, ung petit, son redoutable fer agu ; et lors feit mine d’approucher. Mais elle, honteuse d’estre prinse à resver, resguarda fièrement le diabolicque Leviathan qui la tentoyt et lui dit : — Beau sire, ie vous mercie. Vous me faictes davantaige aymer mon noble espoux, pour ce que, par ces chouses, i’apprends qu’il m’existime moult, en ayant tel respect de moy, qu’il ne deshonore point sa couche par les veautreries des villetières et femmes de maulvaise vie. Ie me cuyderoys à iamais honnie et seroys contaminée pour l’éternité, si ie mettoys les pieds en ces bourbiers où vont les posticqueuses. Aultre est l’espouse, aultre est la maistresse d’ung homme.

— Ie gaige, dit le duc en soubriant, que désormais vous presserez néantmoins ung peu plus le sire d’Hocquetonville au déduict.

A cecy, la bonne femme frémit et s’escria : — Vous estes ung maulvais. Maintenant ie vous mesprise et vous abomine ! Quoy ! ne pouvant me tollir mon honneur, vous visez à souiller mon ame ! Ha ! mon seigneur, vous porterez griefve poine de cettuy moment.

Si ie vous le pardoint,
Dieu ne l’oubliera point.

Ne est-ce pas vous qui avez faict ces versiculets ?

— Madame, dit le duc paslissant de cholère, ie puis vous faire lier…

— Ho ! non, ie me suis faicte libre ! respondit-elle en brandissant son fer agu.

Le braguard se print à rire.

— N’ayez pas paour, feit-il. Ie sçauray bien vous plongier en les bourbiers où vont les porticqueuses et dont vous foignez.

— Iamais, moy vivante !

— Vous irez en plein, reprint-il, et des deux pieds, des deux mains, de vos deux tettins d’ivoire, de vos deux aultres chouses blanches comme neige, de vos dents, de vos cheveulx et de tout ! … Vous irez de bonne veulenté, bien lascivement et à briser vostre chevaulcheur comme feroyt une hacquenée enraigée qui casse sa cropière, piaffant, saultant et pétarradant ! Ie le iure par sainct Castud !

Et tost il siffla pour faire monter ung paige. Puis, le paige venu, secrettement luy commanda d’aller quérir le sire d’Hocquetonville, Savoisy, Tanneguy, Cypierre et aultres ruffians de sa bande, les invitant à souper céans, non sans, eulx conviez, requérir aussy quelques iolies chemises pleines de belle chair vifve.

Puis revint se seoir à la chaire, à dix pas de la dame, laquelle il n’avoyt cesse de guigner, en faisant à voix muette ses commandemens au paige.

— Raoul est ialoux, dit-il. Alors ie vous doibs ung bon advis… En ce réduict, feit-il monstrant ung huys secret, sont les huiles et senteurs superfines de la Royne. En ceste aultre petit bouge, elle faict ses estuveries et vacque à ses obligations de femme. Ie sçais, par mainte expérimentation, que ung chascun de vos gentils becs ha son perfum espécial à quoy il se sent et est recogneu. Lors, si Raoul ha, comme vous dictes, une ialousie estranglante, ce qui est la pire de toutes, vous userez de ces senteurs de bourbeteuse, puisque bourbier y ha.

— Ha ! mon seigneur, que prétendez-vous ?

— Vous le sçaurez en l’heure où besoing sera que vous en soyez informée. Ie ne vous veulx nul mal, et vous baille ma parole de loyal chevalier que ie vous respecteray trez-fort et me tairay sempiternellement sur ma desconfiture. Brief, vous cognoistrez que le duc d’Orléans ha bon cueur et se venge noblement du mespris des dames en leur donnant en main la clef du paradiz. Seulement, prestez l’aureille aux paroles ioyeulses qui se desbagouleront en la pièce voisine, et sur toutes chouses ne toussez point, si vous aymez vos enfans.

Veu que aulcune yssue n’estoyt en ceste chambre royale et que la croix des bayes laissoyt à grant poine la place de passer la teste, le braguard ferma l’huys de ceste chambre, acertené d’y tenir la dame captive, et à laquelle il commanda en darrenier lieu de demeurer coite. Vécy mes rigolleurs venir en grant haste, et treuvèrent-ils ung bel et bon souper qui rioyt ez plats vermeils en la table, et table bien dressée, bien esclairée, belle de ses pots d’argent et pots pleins de vin royal. Puis leur maistre de dire :

— Sus, sus, aux bancs, mes bons amys ! I’ay failly m’ennuyer. Ores, songiant à vous, i’ay voulu faire en vostre compaignie ung bon transon de chère lie à la méthode anticque, alors que les Grecs et Romains disoyent leurs Pater noster à messer Priapus et au dieu cornu qui ha nom Bacchus en tous pays. La feste sera, vère, à doubles bastons, veu que au serdeau viendront de iolies corneilles à trois becs, dont ie ne sçays, depuis le grant usaige que i’en fays, quel est le meilleur au becqueter.

Et tous, recognoissant leur maistre en toute chouse, s’esbaudirent à ce gay discours, fors Raoul d’Hocquetonville, qui s’advança pour dire au prince :

— Biau sire, ie vous ayderay mie à la bataille, mais non en celle des iuppes : en champ cloz, mais non en celluy des pots. Mes bons compaignons que vécy sont sans femmes aux logiz, ains non moy. Si ay-ie gentille espouse à laquelle ie doibs ma compaignie et compte de tous mes faicts et gestes.

— Doncques, moy, qui suis chaussé de mariaige, ie suis en faulte ? feit le duc.

— Ho ! mon chier maistre, vous estes prince, et vous comportez à vostre mode…

Ces belles paroles feirent, comme bien vous pensez, chauld et froid au cueur de la dame prisonnière.

— Ha ! mon Raoul, feit-elle, tu es ung noble homme !

— Tu es, respondit le duc, ung homme que i’ayme et tiens pour le plus fidelle et prisable de mes serviteurs. — Nous aultres, feit-il en resguardant les trois seigneurs, sommes de maulvais ! — Mais Raoul, reprint-il, sieds-toy. Quand viendront les linottes, qui sont linottes de hault estaige, tu te despartiras devers ta mesnaigiere. Par la mort de Dieu ! ie t’avoys traicté en homme saige, qui des ioyes de l’amour extraconiugal ne sçayt rien, et t’avoys soigneusement mis, en ceste chambre, la royne des Lesbines, une diablesse en qui s’est retiré tout l’engin de la femelle. Ie vouloys, une foys en ta vie, toy qui ne has iamais eu grant goust aux saulces de l’amour et ne resves que de guerre, te bailler à cognoistre les absconses merveilles du guallant déduict veu que il est honteux à ung homme qui est à moy de mal servir une gente femme.

Sur ces dires, d’Hocquetonville s’attabla pour complaire au prince en ce qui luy estoyt licite de faire. Doncques, tous de rire, tenir ioyeux devis et fourraiger les dames en paroles. Puis, suyvant leurs us, se confessèrent leurs adventures, bonnes rencontres, n’espargnant aulcune femme, fors les bien aymées trahissant les fassons espéciales de chascune ; d’où s’ensuyvit de bonnes petites horribles confidences qui croissoyent en traistrise et paillardise à mesure que descroissoyent les pots. Le duc, gay comme ung légataire universel, de poulser ses compaignons, disant faulx pour cognoistre le vray ; et les compaignons de aller au trot vers les plats, au galop vers les pots, et d’enrouler leurs ioyeulx devis. Ores, en les escoutant, en s’empourprant, le sire d’Hocquetonville se deshouza, brin à brin, de ses restivetez. Maulgré ses vertus, il s’indulgea quelques dezirs de ces chouses et desboula dedans ces impuretez comme ung sainct qui s’englube en ses prières.

Ce que voyant, le prince, attentif à satisfaire son ire et sa bile, se print à luy dire en iocquetant :

— Hé ! par sainct Castud ! Raoul, nous sommes tous mesmes testes en ung bonnet, tous discrets hors de table. Va, nous n’en dirons rien à Madame ! Doncques, ventre-Dieu, ie veulx te faire cognoistre les ioyes du ciel. — Là ! feit-il en tocquant l’huys de la chambre où estoyt la dame d’Hocquetonville, là est une dame de la Court et amye de la Royne, mais la plus grant prestresse de Vénus qui feut oncques, et dont ne sauroyent approucher aulcunes courtizanes, clapotières, bourbeteuses, villotières ni posticqueuses… Elle ha esté engendrée en ung moment où le paradiz estoyt en ioye, où la nature s’entrefiloyt, où les plantes practiquoyent leurs hymenées, où les bestes hannissoyent, baudouinnoyent, et où tout flamboyt d’amour. Quoyque femme à prendre ung autel pour son lict, elle est néantmoins trop grant dame pour se laisser veoir et trop cogneue pour proférer aultres paroles que crys d’amour. Mais point n’est besoing de lumière, veu que ses yeulx gectent des flammes ; et point n’est besoing de discours, veu que elle parle par des mouvements et torsions plus rapides que celles des bestes faulves surprinses en la feuillée. Seulement, mon bon Raoul, avecques monture si gaillarde, tiens-toy mie aux crins de la beste, lucte en bon chevaulcheur et ne quitte point la selle, veu que d’un seul gect elle te cloueroyt aux solives, si tu avoys à l’eschine ung boussin de poix. Elle ne vit que sur la plume, brusle tousiours et tousiours aspire à homme. Nostre paouvre amy deffunct, le ieune sire de Giac, est mort blesmy par son faict ; elle en ha frippé la mouelle en ung printemps. Vray Dieu ! pour cognoistre feste pareille à celle dont elle sonne les cloches et allume les ioyes, quel homme ne quitteroyt le tiers de son heur à venir ! et qui l’a cogneue donneroyt, pour une seconde nuictée, l’éternité tout entière sans nul regret.

— Mais, feit Raoul, en chouses si naturellement unies, comment y ha-t-il doncques si fortes dissemblances ?

— Ha ! ha ! ha !

Vécy mes bons compaignons de rire. Puis animez par les vins et sur ung clignement d’yeulx du maistre, tous se prindrent à raconter mille finesses, mignardises, en criant, se demenant et s’en pourleschant. Ores, ne saichant point que une naïve escholière estoyt là, ces braguards, qui avoyent noyé leur vergongne ez pots, desnumbrèrent des chouses à faire rougir les figures engravées aux cheminées, lambriz et boiseries. Puis le duc enchérit sur tout, disant que la dame qui estoyt couchiée en la chambre et attendoyt ung guallant debvoyt estre l’empérière de ces imaginations farfallasques pour ce qu’elle en adiouxtoyt en chaque nuict de diabolicquement chauldes. Sur ce, les pots estant vuydez, le duc poulsa Raoul, qui se laissa poulser à bon escient, tant il estoyt endiablé, dedans la chambre où, par ainsy, le prince contraingnoyt la dame à déliberer de quel poignard elle vouloyt ou vivre ou mourir. Sur le minuict, le sire d’Hocquetonville yssit trez-ioyeulx, non sans remords d’avoir truphé sa bonne femme. Lors le duc d’Orléans feit saulver madame d’Hocquetonville par une porte des iardins, à ceste fin que elle gaignast son hostel devant que son espoux y arrivast.

— Ceci, lui dit-elle en l’aureille en passant la poterne, nous coustera chier à tous.

Un an après, en la vieille rue du Temple, Raoul de Hocquetonville, qui avoyt quitté le service du duc pour celluy de Iehan de Bourgongne, deschargea, premier, ung coup de hache en la teste dudict seigneur, frère du Roy, et le navra, comme ung chascun sçayt. Dans l’année, estoyt morte la dame d’Hocquetonville, ayant despéry comme fleur sans aër ou rongée par ung taon. Son bon mary feit engraver au marbre de sa tumbe, qui est en ung cloistre de Péronne, le devis ensuyvant :

CY GIST
BERTHE DE BOURGONGNE
NOBLE ET GENTE FEMME
DE
RAOUL, SIRE DE HOCQUETONVILLE
LAS ! NE PRIEZ POINT POUR SON AME
ELLE
HA REFLORI EZ CIEULX
LE UNZE JANVIER
DE L’AN DE N. S. M CCCC VIII
EN L’AAGE DE XXII ANS
LAISSANT DEUX FIEUX ET SON SIEUR ESPOUX EN GRANT
DEUIL.

Ce tumbeau feut escript en beau latin ; mais, pour la commodité de tous, besoing estoyt de le françoyser, encores que le mot de gente soit foyble pour celluy de formosa, qui signifie gracieuse de formes. Monseigneur le duc de Bourgongne, dict sans paour, en qui, paravant de mourir, se deschargea le sire de Hocquetonville de ses poines, cimentées à chaulx et à sable en son cueur, souloyt dire, maulgré son aspre dureté en ces chouses, que ceste épitaphe le muoyt en mélancholie pour ung mois, et que parmy les abominations de son cousin d’Orléans s’en treuvoyt une pour laquelle il recommenceroyt à le meurdrir, si ià ne l’estoyt, pour ce que ce maulvais homme avoyt villainement mis le vice en la plus divine vertu de ce monde, et prostitué deux nobles cueurs l’ung par l’aultre. Et ce disant, il songioyt à la dame de Hocquetonville et à la sienne, dont la pourtraycture avoyt esté induement placée au cabinet où son cousin boutoyt les imaiges de ses gouges.

Ceste adventure estoyt si griefvement espouvantable, que, alors que elle feut raconté par le comte de Charolois au Daulphin, depuis le Roy Loys unziesme, cettuy ne voulut point que les secrétaires la missent en lumière dedans son Recueil, par esguard pour son grant uncle le duc d’Orléans et pour Dunois, son vieil compaignon, fils d’icelluy. Mais le personnaige de la dame de Hocquetonville est si reluysant de vertus et beau de mélancholie, que, en sa faveur, sera pardonné à cettuy conte d’estre icy, maulgré la diabolicque invention et vengeance de monseigneur d’Orléans. Le iuste trespas de ce braguard ha néantmoins causé plusieurs grosses guerres que, finalement, Loys le unziesme, impatienté, estaingnit à coups de hache.

Cecy nous démonstre que dans toutes chouses il y ha de la femme, en France et ailleurs, puis nous enseigne que tost ou tard il faut payer nos follies.


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