Les Contes drolatiques/II/La chière Nuictée d’amour

La bibliothèque libre.


LA CHIÈRE NUICTÉE D’AMOUR



En l’hyver où se emmancha la prime prinse d’armes de ceulx de la religion, et qui feut appelé le tumulte d’Amboise, ung advocat nommé Avenelles presta son logiz, situé en la rue des Marmouzets, pour les entreveues et conventions des Hugonneaux, estant ung des leurs, sans néantmoins se doubter que le prince de Condé, La Regnaudie et aultres déliberoyent ià d’enlever le Roy.

Ce dict Avenelles estoyt une maulvaise barbe rousse, poly comme ung brin de réglisse, pasle en diable, ainsy que sont tous chicquanous enfouis ez ténèbres du parlement, brief, le plus meschant garson d’advocat que iamais ayt vescu, riant aux pendaisons, vendant tout, vray Iudas. Suivant aulcuns autheurs, en chat fourré de haut entendement, il estoyt en ceste affaire moitié figue, moitié raisin, ainsi qu’il appert d’abundant par ce présent conte. Cettuy procureur avoyt espouse une trez-gente bourgeoyse de Paris dont il estoyt ialoux à la tuer pour une fronsseure en ses draps de lict dont elle ne auroyt pas sceu rendre raison ; ce qui eust esté mal, pour ce que souvent il s’y rencontre d’honnestes plis ; mais elle ployoyt trez-bien ses toiles, et voilà tout. Comptez que, cognoissant le naturel assassin et maulvais de cet homme, estoyt-elle bien fidelle, la bourgeoyse, tousiours preste comme ung chandelier, rangée à son debvoir comme ung bahut qui iamais ne bouge et s’ouvre à commandement. Néantmoins l’advocat l’avoyt mise soubz la tutelle et l’œil clair d’une vieille meschine, douegna laide comme ung pot sans gueule, laquelle avoyt nourri le sieur Avenelles, et luy estoyt moult affectionnée. Paouvre bourgeoyse, pour tout heur en son froid mesnaige, souloyt aller à ses dévotions en l’ecclise de Sainct-Jehan, sur la place de Grève, où, comme ung chascun sçayt, le beau monde se donnoyt rendez-vous. Puis, en disant ses patenostres à Dieu, elle se resgalloyt par les yeulx de veoir tous ces guallans frisez, parez, ampoisez, allans, venans, fringuans comme de vrays papillons. Puis fina par trier, parmy eulx tous, ung gentilhomme amy de la Royne-mère, bel Italian, dont elle s’affola, pour ce qu’il estoyt dans le may de l’aage, noblement mis, de ioly mouvement, brave de mine, et estoyt tout ce que ung amant doibt estre pour donner de l’amour plein le cueur à une honneste femme trop serrée ez liens du mariaige, ce qui la gehenne et tousiours l’incite à se desharnacher de la règle coniugale. Et faictes estat que s’affola bien le ieune gentilhomme de la bourgeoyse, dont l’amour muet luy parla secrettement, sans que le diable ni eulx ayent iamais sceu comment. Puis l’ung et l’autre eurent de tacites correspondances d’amour. D’abord l’advocate ne s’attorna plus que pour venir en l’ecclise, et tousiours y venoyt en nouvelles somptuositez. Puis, au lieu de songier à Dieu, et dont Dieu se fascha, pensoyt à son beau gentilhomme et, laissant les prières, s’adonnoyt au feu qui luy brusloyt le cueur et lui humectoyt les yeulx, les lèvres et tout, veu que ce feu se résould tousiours en eaue, et souvent disoyt-elle en soy : « Ha ! ie donneroys ma vie pour une seule accointance avecques ce ioly amant qui m’ayme ! » Souvent encores, au lieu de dire ses litanies à madame la Vierge, pensoyt-elle en son cueur cecy : « Pour sentir la bonne ieunesse de cet amant gentil et avoir ioyes pleines en amour, gouster tout en ung moment, peu me chault du buschier où sont gectez les héréticques. » Puis le gentilhomme, voyant les atours de ceste bonne femme et ses supercoulorations alors que il l’advisoyt, revint tousiours près de son banc et luy adressa de ces requestes auxquelles entendent bien les dames. Puis, à part luy, disoyt :

— Par la double corne de mon père ! ie iure d’avoir ceste femme, encores que i’y lairroys la vie.

Et quand la douegna tournoyt la teste, les deux amans se serroyent, pressoyent, sentoyent, respiroyent, mangioyent, dévoroyent et baisoyent par un resguard à faire flamber la mesche d’ung arquebouzier, si arquebouzier eust esté là. Force estoyt qu’ung amour entré si avant au cueur prist fin. Le gentilhomme se vestit en escholier de Montaigu, se mit à resgaller les clercs dudict Avenelles et gausser en leur compaignie, à ceste fin de cognoistre les alleures de ce mary, ses heures d’absence, ses voyaiges et tout, guettant un ioinct pour l’encorner. Et vécy comme, à son dam, se rencontra le ioinct. L’advocat, contrainct de suivre le cours de ceste coniuration, alors mesmes qu’il estoyt, à part luy, conclud, le cas échéant, de la déduire aux Guyses, se délibéra d’aller à Bloys où lors estoyt la Court en grant dangier d’estre enlevée. Saichant cela, le gentilhomme vint premier en la ville de Bloys, et y rubricqua un maistre piège où debvoyt tomber le sieur Avenelles maulgré sa ruse et n’en sortir que trempé d’un cocquaige cramoisy. Ce dict Italian, yvre d’amour, convocqua tous ses paiges et serviteurs, et les embusqua de sorte que, à l’arrivée dudict advocat, de sa femme et de sa douegna, il leur feust déclairé, par toutes les hostelleries en lesquelles ils vouldroyent logier, que, l’hostellerie estant pleine par le séjour de la Court, ils allassent ailleurs. Puis le gentilhomme feit tel accord avecques l’hostelier du Soleil royal, que luy gentilhomme auroyt à luy toute sa maison et l’occuperoyt, sans que nul des serviteurs accoustumez dudict logiz y demourast. Pour plus grant fiance, le seigneur envoya ledict maistre rostisseur et ses gens en campaigne, et aposta les siens à ceste fin que l’advocat ne sceust rien de ce traffic. Vécy mon bon gentilhomme qui loge en son hostellerie ses siens amys venus à la Court, et, pour soy, guarde une chambre située au-dessus de celles en lesquelles il comptoyt mettre sa belle maistresse, son advocat et la douegna, non sans faire praticquer une trappe au planchier. Puis son maistre queux ayant charge de iouer le roole de l’hostelier, ses paiges dressez en fasson de patronnets, ses meschines, en servantes d’hostellerie, il attendit que ses espies luy convoyassent les personnaiges de ceste farce, à sçavoir : femme, marry, douegna et tout, lesquels ne faillirent point à venir. Veu la grant affluence de gros seigneurs, merchans, gens d’armes, gens de service et aultres amenez par le séiour du ieune Roy, des deux Roynes, des Guyses et de toute la Court, aulcune ame n’eut licence de s’esbahir, ni deviser de la chausse-trappe à chicquanier, et du remue-mesnaige advenu au Soleil royal. Vécy doncques le sieur Avenelles, à son desbotté, rebutté, luy, sa femme et la chamberière douegna, d’hostellerie en hostellerie, lequel se cuyda trez-heureux d’estre receu à ce Soleil royal où se chauffoyt le guallant et cuisoyt l’amour. L’advocat logié, le gentilhomme se pourmena dans la court, en guette et queste d’ung coup d’œil de sa dame, et point trop n’attendit, veu que la damoiselle Avenelles resguarda bien tost en la court, suyvant la coustume des dames, et y recogneut, non sans ung tresmoussement de cueur, son guallant et bien-aymé gentilhomme. Endà, feut-elle bien heureuse ! Et si, par cas fortuit, tous deux eussent esté seul à seul pour une once de temps, point n’auroyt attendu son heur le bon gentilhomme, tant elle estoyt embrasée des pieds en la teste.

— Ho, faict-il chaud aux rais de ce seigneur ! dit-elle, cuydant dire de ce soleil, veu que en reluysoyt ung bon rayon.

Oyant cela, l’advocat de saulter à la croisée et de veoir mon gentilhomme.

— Ha ! il vous faut des seigneurs, ma mye ? feit l’advocat en la tirant par le bras et la gectant comme ung de ses sacs sur le lict. Songiez bien que, si i’ay ung galimart aux costés et non une espée, si ay-je ung ganivet en ce galimart ; et ganivet ira bien à vostre cueur, à la moindre umbre de plumaige coniugal. Ie cuyde avoir veu ce gentilhomme quelque part.

L’advocat estoit si aigrement meschant que la damoiselle se leva, puis luy dit : — Vère, tuez-moy. I’ai honte de vous trupher. Iamais plus ne me toucherez-vous, après m’avoir ainsy menassée. Et ne songe plus, d’huy, qu’à couchier avecques ung amant plus gentil que vous n’estes.

— La ! la ! ma bichette, feit l’advocat surprins, i’ay esté trop loing. Baise-moy, mignonne, et qu’il me soit pardonné.

— Ie ne vous baise, ni vous pardonne, feit-elle, vous estes ung maulvais.

Avenelles enraigné voulut avoir par force ce que l’advocate luy denioyt, et de ce s’ensuyvit ung combat d’où sortit le mary tout graphiné ; mais le pire estoyt que l’advocat paraphé d’esgratigneures, estant attendu par les coniurez qui tenoient conseil, feut contrainct de quitter sa bonne femme en la laissant à la guarde de la vieille.

Le chicquanier dehors, gentilhomme de poser ung sien serviteur en guette, au coin de la rue, de monter à sa bienheureuse trappe, de la lever sans bruit aulcun et de huchier la dame par ung : psit ! psit ! à demy muet, lequel feut entendu par le cueur qui, d’ordinaire, entend tout. La damoiselle de haulser la teste et de veoir le gentil amant au-dessus d’elle à quatre saults de puce. Sur ung signe, elle print deux lassets de grosse soye, auxquels estoyent attachées des boucles par où elle passa les bras, et, en ung clin d’œil, feut translatée, moyennant deux poulies, de son lict en la chambre supérieure par le ciel, qui, s’estant clos comme il avoyt esté ouvert, laissa seule la vieille meschine douegnarde en grant meschief, alors que, tournant la teste, ne veit plus ni robbe, ni femme, et comprint que la femme estoyt robbée. Comment ? par quy ? par quoy ? où ? … Pille, Nade, Iocque, Fore ! Autant en sçavoyent les alquemistes à leurs fourneaux en lisant Her Trippa. Seulement la vieille cognoissoyt bien le creuzet et le grant œuvre : cettuy estoyt le cocquaige, et l’aultre, le gentil chouse de l’advocate. Elle demoura quinaulde, attendant le sieur Avenelles, autant dire la mort, veu que, dans sa raige, il desconfiroyt tout, et ne pouvoyt soy saulver, la paouvre douegna, car, par haulte prudence, le ialoux avoyt emporté les clefs. En prime veue, treuva la demoiselle Avenelles, ung gentil souper, bon feu en la cheminée, mais ung meilleur au cueur de son amant, lequel la print, la baisa, avecques larmes de ioye, sur les yeulx d’abord, pour les mercier de leurs bonnes œillades pendant les dévotions de l’ecclise Sainct-Jehan en Grève. Puis, point ne refusa son bec à l’amour la bonne advocate embrasée, et se laissa bien adorer, presser, caresser, heureuse d’estre bien adorée, bien pressée, bien caressée, à la mode des amans affamez. Puis, tous deux feurent d’accord d’estre l’ung à l’aultre, durant toute la nuict, non chalans de ce qui pourroyt en advindre : elle, comptant l’advenir comme festu en comparaison des ioyes de cette nuictée ; luy, se fiant sur son crédit et son espée pour en avoir d’aultres. Brief, tous deux peu soulcieux de la vie, pourveu que, en ung coup, ils consumassent mille vies, prissent mille délices, en se rendant, ung chascun à l’aultre, le double, cuydant elle et luy tomber en ung abysme et voulant y rouler bien accollez, en boutant tout l’amour de leur ame avecques raige en ung coup. Endà, s’aymoyent-ils bien ! Aussy, point ne cognoissent l’amour les paouvres bourgeoys qui couchent coitement avecques leurs mesnaigieres, veu qu’ils ne sçavent point ce qu’il y ha d’aspres frestillemens de cueur, de chaulds iects de vie, de vigoureuses emprinses, alors que deux ieunes amans, blanchement unis et reluysans de dezirs, se couplent en veue d’ung dangier de mort. Doncques la damoiselle et le gentilhomme touchièrent peu au souper et se couchièrent tost. Besoing est de les laisser à leur besongne, veu que nuls mots, fors ceulx du paradiz à nous incogneus, ne diroyent leurs delicieuses angoisses et leurs angoisseuses fretillades. Pendant ce, le sieur mary si bien cocquusé que tout souvenir de mariaige estoit balyé net par l’amour, ledict Avenelles se trouvoyt en grant empeschement. Au conciliabule des Hugonneaux vint le prince de Condé, accompaigné de tous les chiefs et hauts bonnets ; et, là, feut résolu d’enlever la Royne-mère, les Guyses, le ieune Roy, la ieune Royne, et changer l’Estat. Cecy devenu grave, l’advocat, voyant sa teste au ieu, ne sentit point le bois qui s’y plantoyt, et courut desbagouler la coniuration à monsieur le cardinal de Lorraine, lequel emmena mondict chicquanous chez le duc son frère, où tous trois demourèrent à deviser, faisant belles promesses au sieur Avenelles, que ils laschèrent à grant poine, vers minuict, heure à laquelle il yssit secrettement du chasteau. En cettuy moment, les paiges du gentilhomme et tous ses gens faisoyent une medianoche endiablée, en l’honneur des nopces fortuites de leur maistre. Ores, advenant en plein regoubillonner, au milieu de l’yvresse et hocquets ioyeulx, le dessus dict Avenelles feut perforaminé de railleries, brocards, rires qui le feirent blesmir, alors que il advint en sa chambre où ne veit que la douegna. Ceste paouvre meschine voulut parler, mais l’advocat lui mit promptement le poing sur le gozier, et luy commanda silence par ung geste. Puis fouilla dedans sa malle et y print ung bon poignard. Alors que il le desguainoyt et mercyoit, ung franc, naïf, ioyeulx, amoureux, gentil, céleste esclat de rire, suyvy d’aulcunes paroles de facile compréhension coula par la trappe. Le rusé d’advocat, estaingnant sa chandelle, veit ez fentes du planchier, au deffault de cet huys extra-iudiciaire, une lumière qui luy descouvrit vaguement le mystère, veu qu’il recogneut la voix de sa femme et celle du combattant. Le mary print la meschine par le bras, et vint par les degrez, à pas de veloux, querant l’huys de la chambre où estoyent les amans, et ne faillit point à le treuver. Entendez bien que d’une horrificque ruade d’advocat il gecta bas la porte, et feut en ung sault dessus le lict où il surprint sa femme demy-nue aux bras du gentil-homme.

— Ah ! feit-elle.

L’amant, ayant évité le coup, voulut arracher le poignard aux mains du chicquanier, qui le tenoyt mie. Ores, en ceste lucte de vie et de mort, le mary se sentant empesché par son lieutenant qui l’enserroyt griefvement de ses doigts de fer, et mordu par sa femme qui le deschiroyt à belles dents, le rongioyt comme ung chien faict d’un os, il songia vifvement à mieulx assouvir sa cholère. Doncques ce diable nouvellement cornu commanda malicieusement en son patois à la meschine de lier les amoureux avecques les cordes de soye de la trappe, et gectant le poignard au loing, il ayda la douegna à les empiéger. Puis, la chouse ainsy faicte en ung tour de main, leur mit du linge en la bouche pour les empescher de crier et courut à son bon poignard, sans mot dire. En ce moment, entrèrent plusieurs officiers du duc de Guyse, que, pendant le combat, nul n’avoyt entendus mettre tout à sac dedans l’hostellerie en y querant le sieur Avenelles. Ces souldards, advertis soubdain par ung cry des paiges du seigneur enlassé, baillonné, quasi tué, se iectèrent entre l’homme au poignard et les amans, le désarmèrent, puis accomplirent leur charge en l’arrestant et le menant en la prison du chasteau, luy, sa femme et la douegna. Sur ce, les gens de messieurs de Guyse, recognoissant ung amy de leurs maistres, dont en ce moment la Royne estoyt en peine pour délibérer, et qu’il leur estoyt enioinct de mander au Conseil, le convièrent à venir avecques eulx. Lors, en soy vestant, le gentilhomme, tost délié, dit à part au chief de l’escorte : Que sur sa teste, pour l’amour de luy, il eust soing de tenir le mary loing de la femme, luy promettant sa faveur, bon advancement, et mesmes force deniers, s’il y avoyt cure de luy en ce poinct. Puis, pour plus grant fiance, il luy descouvrit le pourquoy de ceste chouse, adiouxtant que, si le mary se treuvoyt à portée de ceste gentille femme, il luy bailleroyt, pour le seur, une ruade au ventre, dont elle ne reviendroyt iamais. En fin de tout, lui commanda de bouter dedans la geosle du chasteau la dame, en ung endroict plaisant, au rez des iardins, et l’advocat en ung bon cachot ; non sans l’enchaisner bel et bien. Ce que promit ledict officier et feit les chouses selon le vouloir du gentilhomme, qui tint compaignie à la dame iusques en la court du chasteau, l’acertenant que de ce coup elle seroyt veufve, et que luy l’espouseroyt peut-estre en légitime mariaige. De faict, le sieur Avenelles feut gecté en ung cul de fosse sans aër, et sa gentille femme mise en ung petit bouge au-dessus de luy, à la considération de son amant, lequel estoyt le sieur Scipion Sardini, noble Lucquois, trez-riche, et, comme ha esté dessus dict, amy de la royne Catherine de Médicis, laquelle menoyt alors tout de concert avecques les Guyses. Puis monté vivement chez la Royne, où se tenoyt lors ung grant conseil secret, là, sceut l’Italian ce dont il s’en alloyt, et le dangier de la Court. Monseigneur Sardini treuva les conseillers intimes bien empeschez et surprins de cet estrif ; mais il les accorda tous, en leur disant d’en tirer à eulx tout le prouffict, et à son advis feut deu le saige party de logier le Roy au chasteau d’Amboise, pour y prendre les héréticques comme renards en ung sac et les y occir tous. De faict, ung chascun sçayt que la Royne-mère et les Guyses se tindrent en dissimulation et comment fina le Tumulte d’Amboise. Cecy n’est nullement l’obiect des présentes. Alors que, au matin, ung chascun quitta la chambre de la Royne-mère, où tout avoyt esté moyenné, monseigneur Sardini, ne mettant point l’amour de sa bourgeoyse en oubly, quoique lors il feust féru griefvement de la belle Limeuil, fille appartenant à la Royne-mère, et sa parente par la maison de la Tour de Turenne, demanda pourquoy le bon Iudas avoyt esté mis en caige. Lors le cardinal de Lorraine luy dit que son intention n’estoyt nullement de faire mal à ce chicquanier ; mais que, redoutant son repentir, ou en plus grant fiance de son silence iusques à la fin de l’affaire, il l’avoyt mis à l’umbre, et le libéreroyt en temps et lieu.

— Le libérer ! feit le Lucquois. Nenny ! boutez-le en ung sac et gectez-moy cette robbe noire dedans la Loire. D’abord ie le cognoys, il n’est point de cueur à vous pardonner sa geosle, et retournera au presche. Par ainsy, ce est œuvre plaisante à Dieu que de le deffaire d’ung héréticque. Puis personne ne sçaura vos secrets et nul de ses adhérens se s’advisera de vous demander ce qui sera de luy advenu, pour ce que ce est ung traistre. Laissez-moy faire saulver sa femme et accommoder le reste, ie vous en délivreray.

— Ha ! ha ! feit le cardinal, vous estes de bon conseil. Doncques ie vais, par avant de distiller vostre advis, les faire tous deux plus estroictement detenir. Holà !

Vint ung iusticiard, auquel feut commandé de ne laisser qui que ce feust communicquer avecques les deux prisonniers. Puis le cardinal pria Sardini de dire à son hostel que ledict advocat s’estoyt esparty de Bloys pour retourner à ses procez de Paris. Les gens enchargiez d’arrester l’advocat avoyent eu verbalement ordre de le traicter en homme d’importance : aussy point ne le desnuèrent, ni le despouillèrent. Doncques, ledict advocat conserva trente escuz d’or en sa bourse, et se resolut à tout perdre pour assouvir sa vengeance, et prouver par de bons argumens aux geosliers qu’il debvoyt luy estre loysible de veoir sa femme dont il raffoloyt et vouloyt la légitime accointance. Monseigneur Sardini, redoutant pour sa maistresse le dangier du voisinaige de ce chicquanier à cheveulx roux, et, pour elle, ayant grant paour d’aulcunes maulvaisetez, se délibéra de l’enlever à la nuict et la mettre en ung lieu seur. Doncques il freta des bateliers, et aussy leur bateau, les embusqua près du pont, et commanda trois de ses plus agiles serviteurs pour limer les barreaux du bouge, s’enchargier de la dame et la conduire au mur des iardins où il l’attendroyt.

Ces préparatives estant faictes, de bonnes limes acheptées, il obtint de parler de matin à la Royne-mère, dont les chambres estoyent situées au-dessus des fossez, où gisoyent le dict advocat et sa femme, se fiant que la Royne se presteroyt voulontiers à ceste fuite. De faict, il feut receu par elle et la pria de ne point treuver maulvais qu’à l’insceu du cardinal et de monsieur de Guyse il délivrast ceste dame. Puis l’engagea derechief trez-fort à dire à monsieur de Lorraine de gecter l’homme à l’eaue. A quoy la Royne dit : Amen. Alors l’amant envoya vitement à sa dame ung billet en ung plat de concombres, pour l’adviser de son prochain veufvaige et de l’heure de la fuite, dont, du tout, elle feut bien contente, la bourgeoyse. Doncques, à la brune, les souldards de guette escartez par la Royne qui les envoya veoir un rayon de lune dont elle avoyt paour, vécy mes serviteurs de lever la grille en haste, et de huchier la dame, qui vint sans faulte et feut amenée au mur à monseigneur Sardini.

Mais la poterne close et l’Italian dehors avecques la dame, vécy la dame de gecter sa mante, vécy la dame de se changer en ung advocat, et vécy mon dict advocat d’estraindre au col son cocquard et de l’estrangler en le traisnant vers l’eaue pour le bouter au fund de la Loire ; et Sardini de se deffendre, crier, lucter, sans pouvoir se deffaire, maulgré son stylet, de ce diable en robbe. Puis se tut en tombant dedans ung bourbier, soubz les pieds de l’advocat, auquel il veit, à travers les patineries de ce combat diabolicque et à la lueur de la lune, le visaige moucheté du sang de sa femme. L’advocat, enraigé, quitta l’Italian, le cuydant mort, et aussy pour ce que accouroyent des serviteurs armez de flambeaux. Mais il eut le temps de saulter dedans la barque et de s’esloingner en grant haste.

De ce, la paouvre damoiselle Avenelles mourut seule, veu que monseigneur Sardini, mal estranglé, feut rencontré gizant, et revint de ce meurtre. Puis plus tard, comme chascun sçayt, espouza la belle Limeuil, après que ceste iolie fille eut accouchié dedans le cabinet de la Royne. Grant meschief que, par amitié, voulut celer la Royne-mère, et que, par grant amour, couvrit de mariaige Sardini, auquel Catherine bailla la belle terre de Chaumont-sur-Loire et aussy le chasteau. Mais il avoyt néantmoins esté si raigeusement estrainct, maltraicté, piétiné, escharbotté par le mary, que il ne feit point de vieulx os, et feut veufve en son printemps la belle Limeuil. Maulgré son ire, l’advocat ne feut point recherché. Bien au contraire, il eut l’engin de se faire comprendre au darrenier Édict de pacification parmy ceulx qui ne debvoyent point estre inquiétez, estant retourné aux Hugonneaux pour lesquels il s’employa en Allemaigne.

Paouvre dame Avenelles, priez pour son salut, pour ce que elle feut gectée on ne sçayt où, point n’eut de prières d’Ecclise, ni sépulture chrestienne. Las ! songiez à elle, dames dont les amours vont à bien.