Les Contes drolatiques/II/Le Dangier d’estre trop cocquebin
LE DANGIER D’ESTRE TROP COCQUEBIN
Le sieur de Moncontour, bon souldard tourangeau, lequel, en l’honneur de la bataille remportée par le duc d’Anjou, de présent nostre trez-glorieux sire, feit bastir lez Vouvray le chasteau ainsy nommé, veu que il se estoyt fort vaillamment comporté en ceste affaire, où il deffeit le plus gros des héréticques, et, de ce, feut authorisé à en prendre le nom, doncques, ce dict capitaine avoyt deux fils, bons catholicques, dont l’aisné trez-bien en Court.
Lors de la pacification, qui feut faicte avant le stratagesme dressé au iour de Saint-Barthelemy, le bonhomme revint en son manoir, lequel n’estoyt point aorné comme il est au iour de huy. Mais là receut le triste messaige du trespas de son fils, occis en duel par le sieur de Villequier. Le paouvre père feut d’autant plus navré de ce, que il avoyt moyenné ung bon estat de mariaige à ce dict fils, avecques une damoiselle de la branche masle d’Amboise. Ores, par ce décez trez-piteusement intempestif, s’en alloyt tout l’heur et les advantaiges de sa famille dont il souloyt faire une grant et noble maison. Dans cette visée avoyt mis son aultre fils en ung moustier, soubz la conduite et gouvernement d’ung homme renommé pour sa saincteté, lequel le nourrissoyt trez-chrestiennement selon le vœu du père, qui vouloyt, en veue de sa haulte ambition, en faire ung cardinal de mérite. Pour ce, le bon abbé tenoyt en chartre privée le dict ieune homme, le couchioyt à ses costez en sa cellule, ne laissoyt poulser aulcune maulvaise herbe en son esperit, l’éducquoyt en blancheur d’ame et vraye contrition, comme debvroyent estre tous prebstres. Ce dict clerc, à dix-neuf ans sonnez, ne cognoissoyt aultre amour que l’amour de Dieu ; aultre nature que celle des anges, lesquels n’ont point nos chouses charnelles, pour demourer en grant pureté, veu que, sinon, en useroyent-ils bien fort. Ce que ha redouté le Roy d’en hault, qui vouloyt avoir ses paiges tousiours nets. Bien luy en ha prins, pour ce que ses petites bonnes gens ne pouvant poculer ez cabarets et fousiller ez clappiers comme les nostres, il est divinement servy ; mais aussy, comptez qu’il est seigneur de tout. Doncques, en ce meschief, le sieur de Moncontour s’advisa de faire yssir son secund fils du cloistre, luy bailler la pourpre soldatesque et courtisanesque, au lieu et place de la pourpre ecclésiasticque. Puis se délibéra de le donner en mariaige à la dicte fille promise au mort, ce qui estoyt saigement pensé, pour ce que, tout cotonné de continence et farcy de toutes sortes comme estoyt le moynillon, l’espousée en seroyt bien servie et plus heureuse qu’elle n’auroyt esté avecques l’aisné, desià bien fourraigé, desconfict, flatry par les dames de la Court. Le frocquard desfrocqué, trez-moutonnièrement fassonné, suyvit les sacres voulentez de son père, et consentit au dict mariaige, sans sçavoir ce que estoyt d’une femme, ni, cas plus ardu, d’une fille. Par adventure, son voyaige ayant esté empesché par les troubles et marches des partis, ce cocquebin, plus cocquebin que n’est licite à ung homme d’estre cocquebin, ne vint au chasteau de Moncontour que la veille des nopces, qui s’y faisoyent avecques dispenses acheptées en l’archevesché de Tours. Besoing est de dire, en ce lieu, ce que estoyt l’espousée. Sa mère, veufve depuis un long temps, habitoyt le logiz de monsieur de Braguelongne, lieutenant civil du Chastelet de Paris, dont la femme d’icelluy vivoyt avecques le sieur de Lignieres, au grant scandale de cettuy temps. Mais ung chacun avoyt lors tant de solives en l’œil, que nul n’avoyt licence de veoir les chevrons ez yeulx d’aultry. Doncques, en chaque famille, les gens alloyent en la voye de perdition, sans s’estomirer du voisin, les uns à l’amble, les aultres au petit trot, beaucoup au galop, le moindre numbre au pas, veu que ceste voye est fort déclive. Aussy, en ces momens, le diable feit trez-bien ses orges en toute chouse, veu que les desportemens estoyent de bon air. La paouvre anticque dame Vertu s’estoyt, grelottante, réfugiée on ne sçait où, mais, de cy, de là, vivottoyt en compaignie de preudes femmes.
Dans la trez-noble maison d’Amboise, demeuroyt encores en pieds la douairière de Chaumont, vieille vertu trez-esprouvée, et en qui s’estoyt retirée toute la religion et gentilhommie de ceste belle famille. La dicte dame avoyt prins, en son giron, dès l’aage de dix ans, la petite pucelle dont s’agit en ceste adventure, ce dont madame d’Amboise ne receut aulcun soulcy, en feut plus libre de ses menées, et depuis, vint veoir sa fille une foys l’an, quant la Court passoyt par là. Nonobstant ceste haulte réserve de maternité, feut conviée madame d’Amboise aux nopces de sa damoiselle, et aussy le sieur de Braguelongne, par le bonhomme, souldard qui sçavoyt son monde. Mais point ne vint à Moncontour la chiere douairière, pour ce que ne luy en octroya point licence sa desplourable sciacticque, sa catarrhe, ni l’estat de ses iambes, lesquelles ne gambilloyent plus. De ce, moult ploura la bonne femme. Se froingna-t-elle bien de lascher, ez dangiers de la Court et de la vie, ceste gente pucelle, iolie autant que iolie peut estre une iolie fille ; mais si falloyt-il luy donner la volée. Ains ce ne feut point sans luy promettre force messes et oraisons, dictes en chasque vesprée pour son bonheur. Et se reconforta ung petit la bonne dame, en songiant que son baston de vieillesse iroyt aux mains d’ung quasi-sainct, dressé à bien faire par le dessus dict abbé, lequel estoyt de sa cognoissance, ce qui ayda fort au prompt eschange des espoux. Enfin la baisant avecques larmes, la vertueuse douairière lui feit les darrenières recommandations que font les dames aux espouzées : comme quoy debvoyt estre en respect devant madame sa mère, et bien obéir en tout au mary. Puis arrive en grant fracas la pucelle, soubz la conduite des meschines, chamberières, escuyers, gentils hommes et gens de la maison de Chaumont, que vous eussiez cuydé son train estre celluy d’ung cardinal légat. Doncques vindrent les deux espoux, la veille de leurs espousailles. Puis, les festes faictes, feurent mariés en grant pompe, au iour de Dieu, à une messe dicte au chasteau par l’évesque de Blois, lequel estoyt ung grant amy du sieur de Moncontour. Brief, se parachevèrent les festins, dances et festoyemens de toute sorte iusques au matin. Mais, par avant les coups de minuict, les filles de nopces allèrent couchier la mariée, selon la fasson de Touraine. Et, pendant ce, feit-on mille noises au paouvre cocquebin pour l’entraver de aller à sa cocquebine, lequel s’y presta fort, par ignardise. Cependant le bon sieur de Moncontour arresta les iocqueteurs et drosleries, pour ce que besoing estoyt que son fils s’occupast de bien faire. Doncques alla le cocquebin en la chambre de son espouzée, laquelle il estimoyt plus belle que ne l’estoyent les vierges Maries painctes ez tableaux italians, flamands et aultres, aux pieds desquels il avoyt dict ses patenostres. Mais comptez que bien empesché se trouvoyt-il d’estre devenu sitost ung espoux, pour ce que rien ne sçavoyt de la besongne, fors que une certaine besongne estoyt à despescher, de laquelle par grant et pudicque estrif, il n’avoyt osé s’informer, mesmes à son père qui luy dit sommairement :
— Tu sçays ce que tu has à faire, et vas-y vaillamment.
Lors veit la gente fille qui luy estoyt baillée, bien couchiée ez toiles de lict, curieuse en diable, la teste de costé, mais qui couloyt ung resguard picquant comme une pointe de hallebarde, et se disoyt :
— Ie doibs luy obéir.
Et ne saichant rien, attendoyt le vouloir de ce gentilhomme, ung peu ecclésiasticque, auquel, de faict, elle appartenoyt. Ce que voyant, le chevalier de Moncontour vint auprès du lict, se gratta l’aureille, et s’y agenouilla, chose à quoy il estoyt expert.
— Avez-vous dict vos prières ? feit-il trez-patepeluement.
— Non, feit-elle, ie les ay oubliées. Soubhaitez-vous les dire ?
Doncques, les deux mariez commencèrent les chouses du mesnaige par implorer Dieu, ce qui n’estoyt point malséant. Mais, par cas fortuit, le diable ouyt et respondit seul cette requeste, Dieu s’occupant lors de la nouvelle et abominable religion réformée.
— Que ha-t-on commandé à vous ? dit le mary.
— De vous aymer, dit-elle en toute naïfveté.
— Cecy ne m’ha point esté prescript, mais ie vous ayme, et i’en ay honte, mieux que ie n’aymoys Dieu.
Ceste parole n’effarouchia point trop la mariée.
— Ie vouldroys bien, repartit le marié, me bouter dedans vostre lict, sans trop vous gehenner.
— Ie vous feray place voulentiers, pour ce que ie doibs vous estre soumise.
— Hé bien, feit-il, ne me resguardez point. Ie vais me despouiller et venir.
A ceste vertueuse parole, la damoiselle se tourne vers la ruelle, en grant expectative, veu que ce estoyt bien la prime foys que elle alloyt se treuver séparée d’ung homme par les confins d’une chemise seulement. Puis vint le cocquebin, se glissa dedans le lict, et, par ainsy, se treuvèrent unis de faict, mais bien loing de la chouse que vous sçavez. Vites-vous iamais cinge advenu de son pays d’oultre-mer auquel pour la prime foys est baillée noix grollière ? Cettuy cinge, sçaichant, par haulte imagination cingesque, combien est délicieuse la victuaille cachée soubs ce brou, flaire et se tortille en mille cingeries, disant ie ne sçays quoy entre ses badigoinces. Hé ! de quelle affection l’estudie ; de quelle estude l’examine ; en lequel examen la tient, puis la tabutte, la roule, la sacqueboute de cholère, et souvent, quand ce est ung cinge de petite extraction et intelligence, laisse la noix ! Autant en feit le paouvre cocquebin, lequel, devers le iour, feut contrainct d’advouer à sa chiere femme que, ne saichant comment faire son office, ni quel estoyt le dict office, ni où se déduysoyt l’office, besoing luy estoyt de s’enquérir de ce, d’avoir ayde et secours.
— Oui, feit-elle, veu que par malheur ie ne vous l’enseigneray point.
De faict, maulgré leurs inventions, essays de toute sorte, maulgré mille chouses dont s’ingénient les cocquebins, et dont iamais ne se doubteroyent les sçavans en matière d’amour, les deux espoux s’endormirent, desolez de n’avoir point ouvert la noix grollière du mariaige. Mais convindrent par sapience de se dire tous deux trez-bien partagiez. Lorsque se leva la mariée, tousiours damoiselle, veu que elle n’avoyt point esté damée, se vanta trez-bien de sa nuictée, et dit avoir le roy des maris et y alla, dans ses cacquetages et reparties, dru comme ceux qui ne sçavent rien de ces chouses. Aussy, ung chascun treuva la pucelle ung peu bien desgourdie, veu que, par double raillerie, une dame de la Roche-Corbon ayant incité une ieune pucelle de la Bourdaisière, laquelle ne sçavoyt rien de la chouse, à demander à la mariée : — Combien de pains vous ha prins vostre mary sur la fournée ? — Vingt et quatre, feit-elle.
Ores, comme s’en alloyt triste le sieur marié, ce qui faisoyt grant poine à sa femme, laquelle le suyvoyt de l’œil en espoir de veoir finer son cocquebinage, les dames cuydèrent que la ioye de ceste nuict luy coustoyt chier, et que ladicte mariée avoyt ià grant repentance de l’avoir piéça ruyné. Puis, au desieuner de nopces, vindrent les maulvais brocards, qui, en ce temps, estoyent dégustez comme excellens. Ung disoyt que la mariée avoyt l’air ouvert ; ung aultre, que il s’estoyt faict de bons coups ceste nuict dans le chasteau ; cettuy-cy, que le four avoyt bruslé ; cettuy-là, que les deux familles avoyent perdu quelque chouse cette nuict que elles ne retrouveroyent point. Et mille autres bourdes, coq-à-l’asne, contrepeteries, que, par maulvais heur, ne comprint point le mary. Mais, veu la grant affluence de parens, voisines et aultres, nul ne s’estoyt couchié, tous avoyent dancé, ballé, rigollé, comme est coustume ez nopces seigneuriales.
De ce feut content mon dict sieur de Braguelongne, auquel ma dame d’Amboise, vermillonnée par le pensier des bonnes chouses qui advenoyent à sa fille, gectoyt au lieutenant de son chastelet des resguards d’esmerillon en matière d’assignations guallantes. Le paouvre lieutenant civil, se cognoissant en recors et sergens, luy qui happoyt les tirrelaines et maulvais garsons de Paris, feignoyt de ne point veoir son heur, encores que sa vieille dame l’en requestast. Mais comptez que ceste amour de grant dame luy poisoyt bien fort. Aussy ne tenoyt-il plus à elle que par esperit de iustice, pour ce que il n’estoyt point séant à ung lieutenant criminel de changier de maistresse comme à ung homme de Court, veu que il avoyt en charge les mœurs, la police et la religion. Ce néantmoins sa rébellion debvoyt finer. Lendemain des nopces, bon numbre de conviez se despartirent. Lors, madame d’Amboise, monsieur de Braguelongne et les grants parens purent se couchier, leurs hostes descampez. Doncques, approuchant le souper, le sieur lieutenant alloyt recepvoir sommations à demy verbales auxquelles il n’estoyt point séant, comme en matière processive, d’opposer aulcunes raisons dilatoires.
Paravant de souper, la dicte dame d’Amboise avoyt faict des aguasseries, plus de cent, à ceste fin de tirer le bon Braguelongne de la salle où il estoyt avecques la mariée. Mais yssit, au lieu et place du lieutenant, le marié, pour se pourmener en la compaignie de la mère de sa gentille femme. Ores, en l’esperit de ce cocquebin estoyt poulsé comme champignon ung expédient, à sçavoir : d’interroguer ceste bonne dame qu’il tenoyt pour preude. Doncques, se ramentevant les religieux préceptes de son abbé, lequel lui disoyt de s’enquérir en toute chouse ez vieils gens experts de la vie, il cuyda confier son cas à ma dicte dame d’Amboise. Mais, en l’abord, feit, tout pantois et bien coy, aulcunes allées et venues, ne treuvant nul terme pour desgluber son cas, et se taisoyt aussi trez-bien la dame, veu que elle estoyt outrageusement férue de la cécité, surdité, paralysie voulontaire du sieur de Braguelongne. Et disoyt, à part elle, cheminant aux costés de ce friand à croquer cocquebin, auquel point ne pensoyt, n’imaginant point que ce chat, si bien pourveu de ieune lard, songiast au vieulx :
- Ce Hon ! Hon ! Hon ! … à barbe en pieds de mousche ; barbe molle, vieille, grise, ruynée, ahannée ; barbe sans compréhension, sans vergongne, sans nul respect féminin ; barbe qui feint de ne point sentir, ni veoir, ni entendre ; barbe esbarbée, abattue, desbiffée ; barbe esreinée. Que le mal italien me délivre de ce meschant braguard à nez flatry, nez embrené, nez gelé, nez sans religion, nez sec comme table de luth, nez pasle, nez sans ame, nez qui ne ha plus que de l’umbre, nez qui n’y veoit goutte, nez gresillé comme feuilles de vigne, nez que ie hais ! nez vieulx ! nez farcy de vent… nez mort ! Où ay-ie eu la veue de m’attacher à ce nez en truffle, à ce vieil verrouil qui ne cognoist plus sa voye ! Ie donne ma part au diable de ce vieulx nez sans honneur, de ceste vieille barbe sans suc, de ceste vieille teste grise, de ce visaige de marmouzet, de ces vieilles guenippes, de ce vieil haillon d’homme, de ce ie ne sçays quoy. Et veulx me fournir d’un ieune espoux qui m’espouse bien… et beaucoup, et tous les iours. Et me…
En ce saige pensier estoyt-elle quand s’ingénia le cocquebin de desbagouler son antienne à ceste femme si asprement chastouillée, laquelle à la prime périphrase print feu en son entendement, comme vieil amadou à l’escopette d’ung souldard. Puis, treuvant saige d’essayer son gendre, se dit en elle-mesme : — Ah ! barbe ieunette, sentant bon… Ah ! ioli nez tout neuf !… Barbe fresche, nez cocquebin, barbe pucelle, nez plein de ioye, barbe printanière, bonne clavette d’amour !
Elle eut à en dire pendant tout le cours du iardin, lequel estoyt long. Puis, convint avecques le cocquebin que, la nuict venue, il sçauroyt saillir de sa chambre et saulter en la sienne où elle se iactoyt de le rendre plus sçavant que n’estoyt son père. Bien feut content l’espoux et mercia madame d’Amboise, la requérant de ne sonner mot de ce traffic.
Pendant ce avoyt pesté le bon vieux Braguelongne, lequel disoyt en son ame : — Vieille Ha ! Ha ! vieille Hon ! Hon ! que t’estouffe la cocqueluche ! que te ronge ung cancre ! vieille estrille esdentée ! vieille pantophle où le pied ne tient plus ! vieille arquebuse ! vieille morue de dix ans ! vieille araignée qui ne remue plus que en s’entoilant le soir ! vieille morte à yeulx ouverts ! vieille berceuse du diable ! vieille lanterne du vieil crieur d’oublies ! vieille de qui le resguard tue… vieille moustache du vieil thériacleur ! vieil à faire plourer la mort ! … vieille pédale d’orgue ! vieille guaisne à cent coulteaux ! vieulx porche d’ecclise usé par les genoilz ! vieulx tronc où tout le monde ha mis ! Ie donneroys tout mon heur à venir pour estre quitte de toy !
Comme il parachevoyt ce légier pensier, la iolie marieé, qui songioyt au grant chagrin où estoyt son ieune mary de ne point sçavoir les erremens de ceste chouse essentielle en mariaige, et ne se doubtant nullement de ce que estoyt, cuyda luy saulver quelque grant estrif, hontes et poines graves, en soy instruisant. Puis compta bien l’estonner et resiouir, en la prochaine nuictée, alors que elle luy diroyt en lui enseignant son debvoir : « Voilà ce que est de la chouse, mon bon amy. » Doncques, nourrie en grant respect des vieilles gens par sa chière douairière, elle se délibéra d’arraisonner cettuy bonhomme avecques des manières gentilles, pour en distiller le doulx mystère de l’accointance. Ores, le sieur de Braguelongne, honteux de s’estre entortillé dans les pensées navrantes de sa besongne du soir et de ne rien dire à si frisque compaignie, feit une interroguation sommaire à la iolie mariée sur ce que elle estoyt bien heureuse, fournie d’ung ieune mary, bien saige.
— Oui, bien saige, feit-elle.
— Trop saige… peut-estre, dit le lieutenant soubriant.
Pour estre brief, les chouses s’entrefilèrent si bien entre eulx, que, en entonnant ung aultre canticque pétillant d’allaigresse, le sieur de Braguelongne s’engagea, de ce requis, à ne rien espargner pour desemberlucoquer l’entendement de la bru de madame d’Amboise, laquelle promit de venir estudier la lesson chez luy. Faictes estat que la dicte dame d’Amboise après souper, ioua terrible musicque en haulte gamme à monsieur de Braguelongne : Comme quoy n’avoyt aulcune recognoissance des biens que elle lui avoyt apportez : son estat, ses finances, sa fidélité, et cætera. Enfin elle parla demy-heure sans avoir évaporé le quart de son ire. De ce, mille coulteaux feurent entre eulx tirez, mais en garduèrent les guaisnes. Pendant ce, les mariez bien couchiez, se délibéroyent, ung chascun à part luy, de soy évader, pour faire plaisir à l’aultre. Et le cocquebin de se dire tout tresmoussé de ne sçavoyt quoy, et de vouloir aller à l’aër. Et femme non damée de l’inviter à prendre ung rayon de lune. Et bon cocquebin de plaindre sa petite de demourer seulette ung moment. Brief, tous deux en temps divers, yssirent de leur lict coniugal, en grant haste de quérir la sapience, et vindrent à leurs docteurs, tous bien impatiens, comme vous debvez croire. Aussy leur feut-il baillé ung bon enseignement. Comment ? Ie ne sçauroys le dire, pour ce que ung chascun a sa méthode et praticque et que, de toutes sciences, ceste-cy est la plus mouvante en principes. Comptez seulement que iamais escholiers ne receurent plus vifvement les préceptes de aulcune langue, grammaire ou lessons quelconques. Puis revindrent les deux espoux en leur nid, bien heureux de se communicquer les descouvertes de leurs pérégrinations scientificques.
— Ha ! mon amy, feit la mariée, tu en sçays désià plus long que mon maistre.
De ces curieuses esprouvettes vint leur ioye en mesnaige et parfaicte fidélité, pour ce que, dès leur entrée en mariaige, ils expérimentèrent combien ung chascun d’eulx avoyt des chouses meilleures pour les déduicts d’amour que ceux de tous aultres, leurs maistres comprins. Doncques, pour le demourant de leurs iours, s’en tindrent à la légitime estoffe de leurs personnes. Aussy le sieur de Moncontour disoyt-il en son vieil aage à ses amys :
— Faictes comme moy ; soyez cocqus en herbe et non en gerbe.
Ce qui est la vraye moralité des brayettes coniugales.