Les Conversations d’Émilie/Lettre de l’auteur à l’éditeur
LETTRE
DE L’AUTEUR
A L’ÉDITEUR
DE LA PREMIERE ÉDITION.
JE vous envoie, Monsieur, mes
Converſations. Vous m’aviez déſolée, en
me diſant que vous ne les trouviez pas
dans l’état où je les croyais ; vous m’avez
raſſurée, en m’apprenant que vous n’y
aperceviez ni un plan d’éducation, ni
même beaucoup de liaiſon entre les idées.
C’eſt que je n’ai pas eu la prétention de
propoſer un nouveau plan d’éducation,
ni la hardieſſe de m’écarter de celui que
des parens ſages ſuivent communément
dans l’éducation des filles. Je n’ai voulu
faire qu’un traité de rempliſſage, ſi vous
me permettez de parler ainſi, & montrer
comment les heures perdues, les momens
de délaſſement peuvent être employés par
une mere vigilante, à former l’eſprit d’un
enfant, & à lui inſpirer des ſentimens vertueux & honêtes. Il ne s’agit donc
ici ni de plan ni de ſyſtême.
Cependant, ſous ce point de vue même, l’éducation doit être diviſée, comme dans un ſyſtême bien conçu & bien lié, en pluſieurs époques, & il faudrait faire un travail différent pour chacune. On peut en marquer trois principales. La premiere finit à l’âge de dix ans ; la ſeconde à quatorze ou quinze ans ; la troiſieme doit durer juſqu’à l’établiſſement de l’enfant.
Suivant ce plan, je n’aurais encore eſſayé à travailler que pour la premiere époque, où il s’agit de préſenter à l’eſprit des idées ſimples, de lui enſeigner & de l’aider à les déveloper, & de profiter ſouvent d’une niaiſerie, pour le conduire à des réflexions ſolides & ſenſées. Le travail pour les deux autres époques ſerait infiniment plus ſérieux, & je ne ſais ſi j’aurai la force de le tenter, lorſque l’âge de ma fille poura l’exiger.
Cette confeſſion faite, je vous abandone, Monsieur, ces Converſations. Faites-en l’uſage qu’il vous plaira, puiſque vous penſez qu’elles pouront être utiles à d’autres enfans, A Paris, ce premier Janvier 1774.