Les Cours prévôtales (1816-1818)

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Les Cours prévôtales (1816-1818)
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 4 (p. 123-149).

LES COURS PRÉVÔTALES
(1816-1818)

Les Cours prévôtales de la Restauration ont laissé un fâcheux souvenir, qu’on ne saurait attribuer exclusivement à des préventions de parti. Elles nous rappellent, en effet, une triste époque de discordes et participent au discrédit qui s’attache toujours aux juridictions d’exception créées par des intérêts politiques. Aussi semble-t-il que, d’un commun accord, les historiens aient un peu négligé ce sujet : les uns se bornant à mentionner quelques procès prévôtaux particulièrement notoires ; les autres, de tendances plus sympathiques au gouvernement royal, n’insistant guère sur une question dont ils ne tenaient pas, sans doute, à grossir l’importance. D’ailleurs, les ouvrages d’histoire générale ne pouvaient accorder une place démesurée à un simple épisode de la vie politique et judiciaire, nécessairement réservé pour des travaux spéciaux. Une enquête d’ensemble sur la justice prévôtale reste donc à faire, si l’on veut connaître le caractère réel de cette juridiction, les conditions de fait et de droit où elle exerça son activité, les affaires qu’elle jugea, les tendances qui se manifestèrent dans ses arrêts. Et le moment paraît venu pour qu’une telle étude puisse être entreprise avec une impartialité suffisante et sans prêter au soupçon d’avoir un autre objet que la vérité historique. Ce n’est pas certes que, malgré près d’un siècle écoulé, nous nous sentions devenus complètement étrangers aux passions et aux haines qui divisaient les hommes de 1815 et que leurs sentimens ne trouvent plus d’écho dans nos préoccupations contemporaines ; cependant l’influence apaisante du temps a amorti l’âpreté des polémiques anciennes et notre jugement n’est plus entravé par tout ce qu’il pouvait y avoir de « personnel » dans les rancunes d’une génération disparue. Il nous est devenu plus facile, par conséquent, de nous borner à remettre en lumière des faits oubliés, sans céder à la tentation de les faire servir à la démonstration d’une thèse préconçue, et tout effort, si incomplet soit-il, vers la précision documentaire, a nécessairement cet effet heureux de permettre à chacun de se former une opinion motivée, qui ne soit pas exclusivement fondée sur l’affirmation d’autrui.

À un double point de vue, la question des Cours prévôtales nous a paru mériter attention : d’abord savoir ce qui s’est passé à leurs audiences doit nous conduire à une connaissance plus exacte et plus complète des premières années de la Restauration et par là l’histoire politique s’y trouve intéressée ; ensuite l’histoire particulière du droit criminel peut tirer un profit notable de l’étude des conditions où fonctionna la dernière des « juridictions spéciales » qui, au début du siècle dernier, ont occupé, auprès du jury, une place plus ou moins importante dans l’organisation de notre justice répressive. Ne parlons même pas ici des documens que nous donnerait sur l’état moral de la société d’alors l’examen de beaucoup des affaires jugées par les Cours, ni des problèmes fort curieux que nous rencontrerions dans certains débats judiciaires.

Il serait de peu d’utilité de retracer dans leur détail les circonstances de la présentation et du vote de la loi du 20 décembre 1815. Sur ces divers points, les histoires générales de la Restauration ont dit l’essentiel, parfois avec quelques inexactitudes, il est vrai. Plusieurs controverses ne seront sans doute jamais parfaitement élucidées. Faut-il croire, par exemple, que le gouvernement du duc de Richelieu et, en particulier, le ministre de la Justice, M. Barbé-Marbois, n’aient cédé qu’à regret et avec répugnance aux exigences qu’ils voyaient se manifester dans la majorité de la Chambre ? On l’a dit, et c’est d’ordinaire l’opinion adoptée[1]. Ou bien, au contraire, la majorité royaliste n’aurait-elle voté que par esprit de discipline monarchique les lois sur la suspension de la liberté individuelle et les Cours prévôtales, dont elle ne confiait l’application qu’avec une extrême méfiance à des hommes qu’elle suspectait, tels que M. Decazes et M. Barbé-Marbois ? C’est là ce qu’a affirmé ultérieurement M. de Villèle[2]. Peu importe ; ce qui est sûr, c’est que cette idée de la création d’une juridiction spéciale et temporaire, à laquelle on déférerait, parmi d’autres attributions, la répression des actes de révolte et des manifestations séditieuses, fut le résultat des craintes éprouvées par un grand nombre de royalistes au lendemain de la seconde Restauration.

Une opinion partout répandue dans les milieux monarchiques attribuait l’extraordinaire succès de l’expédition de Napoléon en mars 1815 aux complicités réunies par une vaste conspiration, tramée dans tout le royaume. S’il nous apparaît aujourd’hui comme certain que le retour de l’Empereur, préparé par un petit groupe d’initiés, se présenta comme une surprise pour la masse des adversaires du gouvernement royal, on comprend cependant qu’une croyance différente ait pu trouver du crédit parmi les contemporains qui venaient d’assister à des événemens aussi exceptionnels. De là un sentiment d’appréhension très vif, chez les amis du trône, contre les projets que pouvait méditer un parti vaincu, mais qui ne se soumettait qu’en frémissant à sa défaite. En pareil cas, ce que les défenseurs du pouvoir réclament toujours, ce sont des mesures de rigueur, peu efficaces souvent, mais qui trompent leur désir d’action et leur servent à affirmer leur zèle. Dès lors, la tentation était grande de se servir de la faculté réservée par l’article 63 de la Charte de 1814, qui, après avoir interdit la création de « commissions et tribunaux extraordinaires, » ajoutait : « ne sont pas comprises sous cette dénomination les juridictions prévôtales, si leur rétablissement est jugé nécessaire. » Il est probable que l’exception ainsi apportée par la Commission de rédaction de la Charte au texte du projet sénatorial du 6 avril 1814, avait été inspirée, sans qu’on eût en vue un but particulier de répression politique[3], par une réminiscence de l’ancienne juridiction des « prévôts des maréchaux, » abolie en 1790. Les juridictions prévôtales, malgré l’autorisation de la Charte, n’avaient pas été rétablies par la première Restauration, mais on avait estimé, après quelque hésitation, que la disposition de l’article 63 n’était pas incompatible avec le maintien des « Cours spéciales, » instituées, à titre de juridiction ordinaire, par les articles 553 à 599 du Code d’Instruction criminelle de 1808, qui avaient, dans un dessein de sécurité publique, enlevé au jury la répression de certains crimes. Ces Cours spéciales, comprenant, à côté de juges civils, trois juges militaires, s’étaient trouvées complètement désorganisées par les changemens de garnison, puis par le licenciement de l’armée et les mises en demi-solde après les Cent-Jours. À l’automne de 1815, leur existence n’était plus que théorique, et leur reconstitution eût exigé de longs délais[4].

Telle étant la situation, l’accord s’établit entre le gouvernement et la commission de la Chambre chargée de l’examen du projet de loi sur les cris séditieux au sujet de la nécessité de créer des Cours prévôtales : cet accord fut constaté par un préambule ajouté au texte de cette loi dont M. Barbé-Marbois donna lecture dans la séance du 24 octobre 1815.

Il est à noter que le parti royaliste modéré, en minorité dans la Chambre de 1815, mais qui pourtant y figurait, accepta sans difficulté cet établissement des Cours prévôtales. Ce fait ressortit, lors de la discussion, du choix des deux commissaires du Roi, M. Cuvier, l’illustre naturaliste, alors conseiller d’État et M. Royer-Collard.

Aussi, tant à la Chambre des députés qu’à la Chambre des pairs, les débats furent brefs et sans grande animation. Si quelques orateurs ne donnèrent au projet qu’une adhésion conditionnelle, motivée par son caractère temporaire, il ne se trouva qu’un seul député, M. d’Argenson, pour en combattre le principe, en termes assez timides, et un seul pair, dont le Moniteur ne nous donne pas le nom, pour affirmer son opposition dans un langage beaucoup plus catégorique. La discussion à la Chambre, durant les deux séances des 4 et 5 décembre, ne porta donc que sur des détails de procédure et de compétence et la Chambre des pairs vota le projet sans modification le 15 décembre. Il ne se trouva que dix opposans dans la première assemblée et onze dans la seconde.

La loi sortie de ces très sommaires délibérations ne créait point un tribunal exclusivement politique, ni une juridiction absolument nouvelle. Pour une partie notable de leur compétence, les Cours prévôtales étaient simplement les héritières des Cours spéciales, auxquelles le Code de 1808 avait déféré les crimes commis par les vagabonds et récidivistes, la rébellion armée à la force armée, la contrebande armée, la fausse monnaie et les assassinats commis par des attroupemens armés. On avait ajouté à cette énumération deux autres catégories de crimes de droit commun : 1o les vols et actes de violence qualifiés crimes commis par des militaires en activité ou licenciés depuis moins d’un an, toutes les fois que ces actes ne constituaient pas des infractions à la subordination et à la discipline militaire, 2o les assassinats et les vols commis sur les grands chemins avec port d’arme ou violence[5]. Enfin venaient les attributions nouvelles semi-politiques ou politiques : 1o les crimes de rébellion armée, de réunion séditieuse, de prise de commandement sans droit d’une force armée, d’une place forte, d’un port ou d’une ville, de levée ou d’organisation d’une bande armée, 2o les infractions prévues par les trois premiers articles de la loi du 9 novembre 1815 sur les écrits et discours séditieux, c’est-à-dire l’affichage ou la distribution dans des lieux publics d’écrits séditieux, les cris et discours séditieux, toutes les fois que ces cris, discours ou écrits présentaient certains caractères de gravité spécifiés par le texte, — l’arboration dans un lieu public d’un drapeau autre que le drapeau blanc, — enfin les cris séditieux poussés dans le palais du Roi ou sur son passage.

Ces dernières dispositions, comme-ou le voit, constituaient un système complet de répression de toutes les manifestations séditieuses par les actes, les écrits ou les paroles, en tant du moins que ces infractions avaient été estimées assez graves pour être élevées au rang de crimes. Par là, les nouveaux tribunaux spéciaux se trouvaient appelés à connaître d’affaires qui eussent été normalement pour une partie de la compétence du jury et pour une autre de celle des juges correctionnels. Les tribunaux correctionnels ne retenaient que le jugement des actes séditieux moins graves prévus par les articles subséquens de la loi du 9 novembre 1815.

On remarquera que les « complots » proprement dits étaient hors de la compétence des Cours prévôtales et l’exposé des motifs de la loi avait particulièrement insisté sur ce point, déclarant qu’on s’était attaché à ne déférer aux nouvelles Cours que les crimes et attentats présentant un caractère matériel de violence publique, à l’exclusion des crimes secrets, des complots, de tout ce qui n’étant pas en quelque sorte flagrant avait besoin d’être examiné avec la maturité des formes ordinaires[6].

Cette distinction est importante à retenir pour apprécier certaines décisions prévôtales.

On constate donc que la loi du 20 décembre 1815 étendait dans des proportions considérables le domaine de la justice spéciale et qu’elle y faisait entrer, — ce qui était le but qu’on avait eu principalement en vue, — une grande partie des infractions politiques.

L’organisation et la procédure de cette justice spéciale avaient également subi de graves modifications, dont plusieurs aboutissaient à diminuer très inconsidérément le prestige des juges et les garanties des accusés.

Avant de relater ces dispositions regrettables, il serait injuste de ne pas dire que sur certains points la Chambre de 1815 fit preuve de scrupules honorables.

C’est ainsi que, malgré la proposition primitive du projet gouvernemental et l’insistance de plusieurs députés de l’extrême droite, elle se refusa à donner à la loi un caractère rétroactif et n’admit la compétence des Cours, pour les crimes antérieurs à sa promulgation, qu’à l’égard des infractions déjà déférées à la justice spéciale par le Code de 1808 et sous réserve de l’observation des formes de procédure prévues par ce Code[7]. Le législateur de 1801 avait été plus brutal lorsqu’il avait voté la rétroactivité complète de la loi sur les Cours spéciales du 18 pluviôse an IX.

De même encore, la commission de la Chambre ajouta dans le texte qu’elle examinait une disposition très intéressante, que, par un oubli étrange, tous les historiens passent sous silence et qui mérite grandement d’être rappelée. Il fut prescrit, à peine de nullité, d’interpeller l’accusé lors de son premier interrogatoire pour lui demander s’il avait fait choix d’un conseil et, à défaut de choix de sa part, de lui en nommer un d’office. Qui s’attendrait à rencontrer une telle garantie dans la procédure prévôtale ? Ceci n’est rien moins que cette organisation de la défense dès le début de l’instruction, qui, apparue un instant dans la loi des 8-9 octobre 1789, à l’aube de la réforme de notre droit criminel, puis supprimée, ne devait être définitivement consacrée qu’à la fin du XIXe siècle par le vote de la loi du 8 décembre 1897.

On doit aussi savoir gré à la Chambre de l’adoption d’un amendement de M. Duplessis de Grenedan, interdisant à la Cour prévôtale de juger l’affaire au fond avant la confirmation de sa compétence par la Cour royale. La loi du 18 pluviôse an IX avait autorisé le jugement au fond avant le règlement de la compétence, mais le Code de 1808 avait déjà abrogé cette disposition.

Signalons également l’échec d’une proposition de substitution du gibet à la guillotine pour les exécutions capitales qui, d’abord introduite dans la loi par la Commission[8], et malencontreusement soutenue devant la Chambre par M. Duplessis de Grenedan, souleva un tumulte parlementaire mémorable[9], à la suite duquel elle disparut des débats, sans que le Moniteur nous fasse connaître son sort.

Enfin nous ne saurions rendre la Chambre de 1815 entièrement responsable de la disposition funeste qui prohibait le recours en cassation contre les arrêts des Cours prévôtales et ordonnait de procéder à leur exécution dans les vingt-quatre heures, sauf recommandation par la Cour elle-même d’un condamné à la clémence du Roi. Sur ce point, l’assemblée ne fit que maintenir la règle établie par la loi du 18 pluviôse an IX et le Code d’instruction criminelle de 1808 (art. 595, 597 et 598) à l’égard des arrêts des Cours spéciales : elle n’eut d’autre tort que de repousser un amendement de M. Hyde de Neuville, qui réservait le droit de grâce du Roi dans tous les cas[10],

Mais il nous faut arriver maintenant à des innovations qui méritent de sévères critiques.

Rien n’eût été plus essentiel, vu la gravité des attributions confiées aux nouvelles Cours, que de choisir comme juges prévôtaux des magistrats d’un rang élevé, dont l’expérience et l’autorité personnelle auraient rassuré l’opinion publique, en même temps qu’elles auraient donné à la justice le prestige désirable. Ce fut tout le contraire qu’on fit. Alors que les Cours spéciales du Code de 1808 se composaient de cinq magistrats des Cours d’appel ou des tribunaux de première instance, c’est-à-dire des magistrats mêmes siégeant à la Cour d’assises, auxquels s’adjoignaient trois officiers, du grade de capitaine au moins, les Cours prévôtales devaient comprendre simplement cinq magistrats de première instance, pris dans le tribunal du lieu où la Cour était établie, et un officier, dénommé prévôt, dont nous examinerons tout à l’heure les attributions. N’était-il pas tout à fait déconcertant de voir transformer en juges souverains, appelés à prononcer sans recours, même en cassation, des peines criminelles et des sentences capitales, de modestes magistrats, qui, sortis de l’audience prévôtale, ne pouvaient plus condamner un prévenu à une simple amende correctionnelle, sans que leur jugement fût susceptible d’appel ? M. Duplessis de Grenedan avait prononcé à cet égard, au cours des débats, des observations pleines de force et de bon sens, qui ne furent pas écoutées.

La seule adjonction du prévôt suffisait-elle donc à donner à ce tribunal sans éclat une autorité particulière ? On doit supposer que telle était la pensée des auteurs de la loi, puisque la nouvelle juridiction empruntait son nom au titre de ce magistrat militaire. Les prévois devaient être du grade de colonel au moins et, de fait, on les choisit même souvent parmi les maréchaux de camp et les lieutenans généraux. Quelles étaient cependant les attributions légales de ces officiers d’un rang élevé ? Rien d’autre que celles de juges d’instruction, et nous verrons ultérieurement combien le ministère de la Justice se montra préoccupé de ne pas permettre aux prévôts de franchir les limites de cette fonction purement judiciaire. Encore les prévôts, sauf le cas de flagrant délit, ne pouvaient-ils procéder aux opérations de l’instruction qu’avec le concours obligatoire d’un des juges civils, nommé assesseur.

On ne saurait rien imaginer de plus déconcertant qu’un tel système. Le Code de 1808 avait bien appelé des juges militaires à siéger dans les Cours spéciales, mais il avait laissé l’instruction soumise à toutes les règles du droit commun et confiée aux juges civils ordinaires. Cette procédure était parfaitement logique. Car si l’on conçoit fort bien que des officiers soient aussi aptes que des jurés à se prononcer sur les questions de fait que soulève un procès criminel, en revanche la tâche délicate de l’instruction exige des qualités et une pratique professionnelle que la meilleure volonté ne remplace pas. Dans la procédure nouvelle, personne ne semblait à sa place. À supposer même les prévôts toujours choisis avec le plus sûr discernement, pourrait-on empêcher ces officiers de souffrir de tous les inconvéniens d’une situation fausse vis-à-vis des magistrats qu’on leur donnait pour collègues et vis-à-vis du public ? On risquait d’accréditer l’opinion qu’on avait choisi des juges militaires pour une besogne qu’on n’osait confier à des juges civils et par là de frapper de suspicion l’instruction des affaires prévôtales, fût-elle d’ailleurs régulière et impartiale.

C’étaient là de bien gros inconvéniens pour balancer l’effet moral douteux qu’on paraissait espérer de la seule présence d’un magistrat militaire.

À vrai dire, il semble qu’une autre raison dut exercer une influence encore plus forte sur la Chambre royaliste de 1815 : en ressuscitant le « prévôt, » on avait l’illusion de faire revivre une institution de l’ancien régime. Avant 1789, les officiers supérieurs de la « Maréchaussée, » — nous dirions en langage moderne de la gendarmerie, — en dernier lieu au nombre de 33 pour tout le royaume et dénommés « prévôts des maréchaux, » avaient, en vertu de traditions fort anciennes, ultérieurement réglementées par des ordonnances royales, acquis le droit d’instruire eux-mêmes, assistés d’un assesseur civil, certaines affaires concernant soit les vagabonds et récidivistes, soit des crimes estimés plus que d’autres dangereux pour l’ordre public, tels que les vols sur les grands chemins, certains vols avec effraction, les séditions, les attroupemens illicites, la fausse monnaie, etc. ; ils participaient ensuite à leur jugement dans un tribunal formé par les juges présidiaux et où ils siégeaient eux-mêmes.

Certainement l’idée de rétablir une telle juridiction, considérée comme particulièrement monarchique, bien qu’elle eût été l’objet de sévères critiques de la part de magistrats de l’ancien régime, flattait singulièrement les sentimens de la majorité des députés. Mais qui ne voit qu’on ne l’avait rétablie qu’en apparence ? Il n’y avait point de rapport entre les anciens prévôts, officiers en activité, n’exerçant des fonctions judiciaires que comme un accessoire de leurs attributions militaires et les nouveaux prévôts, officiers en retraite ou distraits de l’activité, auxquels on ne donnait d’autre rôle que celui déjuges d’instruction dans un tribunal criminel. Cette institution de juges d’instruction militaires ne devait donc plus apparaître que comme un débris suspect d’un ordre judiciaire aboli, introduit maladroitement dans l’organisation moderne, où il ne pouvait trouver place pour fonctionner normalement.

Il nous reste enfin à signaler la disposition qui fut certainement de beaucoup la plus néfaste et la plus périlleuse de la loi de 1815 : la suppression complète dans la procédure prévôtale du contrôle de la Cour de Cassation. Sans doute les arrêts de condamnation des Cours spéciales se trouvaient déjà soustraits à ce contrôle, — et cela était fâcheux, — mais du moins la justice spéciale ne pouvait être saisie d’une affaire sans que la Cour de Cassation eût examiné la légalité de l’arrêt de renvoi et confirmé la compétence. C’était cette garantie essentielle qu’on anéantissait délibérément, en décidant que les arrêts de compétence rendus par les Cours prévôtales elles-mêmes seraient désormais vérifiés par les Cours royales dans chaque ressort. Il semble qu’on n’ait pas aperçu la portée de cette modification, car l’exposé des motifs se borne à invoquer brièvement les « trop longs délais » qu’entraînait la vérification de compétence par la Cour de Cassation pour les départemens éloignés et il ne se trouva pas un député ou un pair pour combattre une telle argumentation. Fallait-il donc beaucoup de clairvoyance pour apercevoir d’abord que les Cours royales pouvant être plus ou moins influencées par les mêmes préjugés de politique locale que les Cours prévôtales de leur région, les accusés n’y rencontreraient peut-être pas toujours les scrupules juridiques des magistrats de Cassation et surtout que la vérification de la compétence par la Cour suprême était indispensable pour maintenir l’unité dans la jurisprudence et l’égalité dans la justice ? Avec la nouvelle procédure, tels crimes seraient considérés comme prévôtaux dans un ressort et de droit commun dans un autre, selon les interprétations divergentes des textes de la loi par les Cours royales. Conséquence aussi inévitable que funeste de l’imprévoyance du législateur et dont la pratique devait bientôt faire ressortir la gravité ! Le grand ressort régulateur étant brisé, la justice prévôtale allait fonctionner comme un appareil mal agencé dont les pièces se heurtent et se faussent dans leur mouvement.

La loi votée, il fallait maintenant constituer les Cours prévôtales. La tâche était plus malaisée qu’on ne se l’imagine et fut beaucoup moins vite accomplie qu’on ne le croit.

Le choix des prévôts présentait des difficultés, car ces fonctions peu attrayantes pour des militaires et, en outre, très médiocrement rétribuées[11], ne semblaient certainement pas désirables à la plupart des officiers. Parmi les candidats qu’on se décida à accepter, nous trouvons sans surprise nombre de personnages titrés, souvent anciens émigrés, dont certains n’avaient sans doute obtenu leurs grades que dans les grandes promotions de faveur de la première Restauration et plus à raison de leur zèle royaliste que de leurs services militaires. Cet envahissement des fonctions prévôtales par des hommes d’opinions politiques ardentes n’était assurément pas de nature à donner à la nouvelle juridiction l’aspect d’impartialité qui eût été souhaitable.

Mais plus embarrassant encore était le choix des magistrats. Le personnel en fonction était toujours, pour la plus grande partie, celui de l’ancienne magistrature impériale. Une sorte de stage lui était alors imposé, en vertu de l’article 08 de la Charte, qui n’accordait le bénéfice de l’inamovibilité qu’aux juges « nommés par le Roi. » Cette « investiture royale » n’était conférée que peu à peu, à ceux des magistrats dont le ralliement au régime nouveau paraissait sincère et les autres ne se trouvaient maintenus qu’à titre provisoire. Qu’on ajoute à cela que le garde des Sceaux n’avait point la faculté de composer à son gré un corps de juges prévôtaux en en prenant les élémens dans la magistrature entière, mais qu’il devait se borner à désigner ceux des juges du tribunal du lieu où siégeait chaque cour prévôtale qui seraient chargés de ce service spécial, et l’on conçoit tout l’embarras d’un ministre désireux, comme il était en somme légitime, de n’appeler à siéger dans les nouvelles Cours que des hommes dévoués à la Monarchie. Une circulaire ministérielle du 20 février 1816, adressée aux procureurs généraux afin d’aviser ceux-ci des délais assez longs qui seraient nécessaires pour l’organisation des Cours prévôtales, ne fait nul mystère des raisons politiques qui occasionnent ces retards.

Et, de fait, cette organisation fut lente. La plupart des nominations des présidens et des prévôts ne parurent au Moniteur qu’en février, mars ou même avril 1816. Puis il fallut que les prévôts rejoignissent leurs postes, qu’on installât les Cours selon les formes légales, et généralement ces installations, auxquelles devaient procéder des conseillers délégués des Cours royales, furent ajournées, pour éviter des frais, jusqu’aux époques des sessions d’assises : il résulta de toutes ces circonstances que la majorité des Cours ne se trouvèrent constituées et prêtes à fonctionner que vers la fin d’avril 1816. On peut constater que, dans 22 départemens seulement sur 86, il existe des arrêts antérieurs au mois de mai, dans 13 seulement antérieurs au mois d’avril.

Pendant ce temps, que devenaient les affaires prévôtales ? On s’aperçut bientôt que, celles-ci n’ayant pas encore de juges, le premier résultat de la loi allait être, contrairement à son but, de retarder la répression d’infractions qu’on avait estimé nécessaire de soumettre à une procédure particulièrement rapide. Personne n’avait semblé prévoir cette conséquence, cependant fort naturelle, de la création d’une justice spéciale. Le garde des Sceaux se décida alors, par la circulaire précitée du 20 février 1816, à ordonner provisoirement le renvoi de ces affaires devant les Cours d’assises, la vindicte publique étant avant tout intéressée, disait-il, à une prompte répression des crimes et des délits.

Décision très justifiée assurément et dont les accusés ne pouvaient se plaindre, mais qui constituait la plus probante critique des raisons d’urgente nécessité alléguées lors du vote de la loi.

Dans beaucoup de départemens, l’installation des nouvelles Cours donna lieu à des cérémonies solennelles, où fut déployé un grand zèle monarchique[12].

Comment allait maintenant se comporter dans la pratique des affaires ce personnel composite qui mettait en présence des officiers généraux ou supérieurs et des magistrats de première instance ? N’existait-il pas une dangereuse inégalité de grade et de rang entre les prévôts et les présidens des Cours, souvent choisis parmi les vice-présidens ou même les simples juges, à défaut des présidens des tribunaux, dont un grand nombre avaient été écartés soit pour des raisons politiques, soit pour des raisons de convenances personnelles ? Et ne fallait-il pas craindre l’inexpérience des juges militaires ?

Le garde des Sceaux avait eu le tort d’adresser aux présidens, prévôts et procureurs du Roi une circulaire, — en date du 12 janvier 1816, — dont les termes solennels et imprécis étaient de nature plutôt à exciter l’ardeur des magistrats qu’à les fixer sur la nature exacte de leurs attributions. Il fallut bientôt reconnaître qu’une direction plus ferme devait être donnée à la justice prévôtale, mal assurée des voies qu’elle avait à suivre.

C’est à quoi s’appliqua le ministère de la Justice et, en particulier, le directeur des affaires criminelles et des grâces, M. Le Graverend, criminaliste distingué, auquel ressortissait le soin de la correspondance pour les affaires prévôtales : on ne peut que rendre hommage à l’esprit équitable des instructions ministérielles, et au souci constant qui s’y révèle de faire connaître aux prévôts le caractère de leurs devoirs de magistrats instructeurs[13].

C’est ainsi que le ministère n’hésita point à blâmer catégoriquement les excès de zèle de certains présidons ou prévôts, qui avaient inauguré leurs fonctions en adressant des proclamations politiques aux maires ou à la population[14]. De même il rappela au calme un prévôt, qui, lassé de son inaction dans un département fort paisible, voulait parcourir à cheval les cantons pour rechercher les crimes ou délits[15].

Une intervention d’un ordre plus général fut bientôt nécessaire. Beaucoup de prévôts ne parvenaient point à comprendre que leur rôle se bornât à procéder aux opérations d’instruction pour les affaires prévôtales : ils ne concevaient pas qu’on eût envoyé dans les départemens des officiers supérieurs ou généraux pour ne leur confier que la mission très modeste d’interroger des prévenus, sous la surveillance d’un assesseur civil. Aussi, s’appuyant sur les termes assez ambigus de l’article 20 de la loi de 1815, qui les chargeait « de la recherche et de la poursuite de tous les crimes dont la connaissance est attribuée aux Cours prévôtales, » ils semblaient se considérer comme investis d’une sorte de pouvoir de police, les autorisant, en dehors de toute plainte, à enquêter sur les actes des personnes hostiles au gouvernement royal. Le prévôt de la Seine, marquis de Messey, écrivait, entre autres, au garde des Sceaux le 2 mars 1816 : « … Je ne puis me persuader, comme on m’assure que Votre Excellence l’a prononcé, qu’ils [les prévôts] ne doivent être que de simples juges d’instruction. »

Le ministre répondit à ce prévôt et à plusieurs de ses collègues par une lettre remarquable, où la justesse et la précision des termes juridiques témoignent d’un grand soin de rédaction. Après avoir établi que les prévôts possédaient pour les affaires les concernant tous les pouvoirs des juges d’instruction et ceux-là seulement, le garde des Sceaux ajoutait : « Vous vous occuperiez d’objets tout à fait étrangers à l’ordre judiciaire si vous pensiez pouvoir exercer ou prescrire des mesures de police pour découvrir des délits qui ne vous auraient pas été dénoncés ou dont il ne vous aurait point été porté plainte, ou qui, enfin, ne seraient point parvenus à votre connaissance par la clameur publique, et si, hors les cas de flagrant délit, vous vous livriez à des recherches qui doivent toujours être provoquées par une plainte ou par une dénonciation… Les différens pouvoirs sont et doivent rester distincts : hors de cette règle nécessaire, il n’y a plus que confusion et anarchie. »

Et, par application de ces principes, le ministre adressa un blâme au prévôt de la Meurthe, qui avait cru pouvoir faire détenir un prévenu contre lequel il ne suivait pas, en se prévalant des dispositions de la loi du 29 octobre 1815 sur la suspension de la liberté individuelle.

Il n’est pas surprenant de constater que nombre de prévôts, se voyant ainsi limités dans leur action et souvent fort inoccupés dans des Cours où les affaires étaient rares, se trouvèrent désappointés de cette situation subalterne, qu’ils s’étaient probablement représentée sous de tout autres couleurs.

Plus d’une lettre adressée au ministre contient des plaintes qui trahissent ce mécontentement.

Nous voyons, par exemple, un prévôt déplorer l’absence de « marques extérieures de considération » qu’il eût estimées dues à sa fonction et dénoncer la « répugnance » qu’on avait pour l’institution[16].

Un autre déclare l’organisation des Cours prévôtales « contraire à la bienséance et à la raison » et propose un plan de réforme de sa façon, qui naturellement eût conféré la présidence aux prévôts[17].

Etant donné cet état d’esprit, on pense bien qu’en beaucoup d’endroits, les relations des prévôts avec leurs collègues civils ne furent pas des plus faciles. Ce conflit était fatal, tant à raison des préjugés nobiliaires de certains prévôts, que des différences de mentalité professionnelle qui devaient nécessairement séparer les militaires et les magistrats : peut-être aussi quelques-uns de ces derniers eurent-ils le tort de traiter les prévôts un peu trop en « novices » dans la carrière judiciaire et de vouloir leur imposer leurs Conseils avec une insistance désobligeante.

Il y a là une expérience qu’il n’est sans doute pas inutile de rappeler au moment où des projets récens de réforme des Conseils de guerre ont fait reparaître l’idée de juridictions mixtes.

La correspondance du ministère de la Justice nous montre plusieurs exemples de ces désaccords entre prévôts et magistrats, indices certainement de beaucoup d’autres, qui ne dépassèrent pas l’enceinte des chambres du conseil.

Le prévôt de la Manche se plaint de l’attitude du président de la Cour prévôtale, celui du Loiret de celle du procureur général d’Orléans. Ils se trouvent d’accord avec le prévôt de la Haute-Garonne pour prétendre que la magistrature poursuit d’une malveillance systématique les Cours prévôtales. À Angers, il existe un conflit des plus violens entre le prévôt et le procureur du Roi, qui écrivent chacun au garde des Sceaux pour dénoncer leur conduite réciproque : tantôt le prévôt agit d’office contre l’avis du procureur, tantôt il se refuse à instruire sur les réquisitions de celui-ci.

On doit noter que dans toutes ces affaires, le ministère de la Justice se rangea invariablement du côté des magistrats civils et rappela toujours aux prévôts soit la modération qu’ils devaient apporter dans leurs fonctions, soit la déférence qu’ils devaient témoigner aux présidens des Cours.

Si maintenant, quittant ces questions de personnes, nous examinons à un point de vue juridique le fonctionnement de la justice prévôtale, nous voyons aussitôt apparaître les conséquences pratiques de l’énorme défaut d’organisation que nous avons signalé en analysant les dispositions de la loi de 1815 : l’autonomie conférée à cette justice, en dehors de tout contrôle efficace.

Sans doute les Cours royales devaient vérifier les arrêts de compétence ; mais à cela se bornait leur mission : elles ne pouvaient ni apprécier le mérite des charges contre les accusés, ni annuler des procédures dont elles constataient l’irrégularité. Une Cour ne trouva, en ce dernier cas, d’autre moyen d’agir que de signaler au ministre de telles irrégularités, après avoir déclaré dans un arrêt qu’elle ne pouvait les réformer[18].

Quant à la Cour de Cassation, nous savons que son intervention avait été proscrite : de là, naturellement, résultèrent des divergences de jurisprudence insolubles entre les Cours. Elles portèrent notamment, — et la matière était importante, — sur les caractères légaux des manifestations séditieuses par écrits ou discours que la loi de 1815 avait entendu réserver à la justice prévôtale. Le texte était obscur : aussi le plus beau désordre règne-t-il sur ce point dans la jurisprudence des Cours, dont les unes retiennent la plupart des affaires comme crimes, tandis que les autres, — plus nombreuses heureusement, — en renvoient une grande partie aux juges correctionnels. Mêmes divergences sur les circonstances de fait qui pouvaient donner à une réunion le caractère séditieux et justifier la compétence prévôtale. Certes, dans ces deux cas, la correspondance ministérielle nous apprend que le garde des Sceaux conseilla l’application la plus indulgente de la loi ; mais que valaient ces recommandations officieuses, alors qu’on s’était enlevé tout moyen légal de faire établir une unité de jurisprudence ? Les Cours ne pouvaient même pas se mettre d’accord, à propos des vols et assassinats sur les grands chemins, sur le sens à attribuer à ce dernier terme, les unes l’appliquant à toutes les voies de communication, les autres aux routes nationales et départementales seulement.

À la vérité, le ministre usa quelquefois de la voie exceptionnelle du pourvoi dans l’intérêt de la loi pour saisir la Cour de Cassation de questions relatives à des irrégularités de procédure. Cette Cour put ainsi poser quelques principes utiles[19]. Mais ces pourvois ne concernant que des questions de forme, étaient d’une portée restreinte, et le dommage que souffrait la justice du fait de la divergence de la jurisprudence des Cours devint vite si éclatant que, dès le 18 septembre 1816, le garde des Sceaux écrivait au procureur général d’Aix que le gouvernement demanderait certainement le rétablissement du contrôle de la Cour de Cassation, au cas où il solliciterait une prorogation de la loi en 1818.

Maintenant que nous connaissons les conditions où fonctionna la justice prévôtale, il nous faut examiner les affaires dont elle fut saisie durant les deux années de son existence, d’avril ou mai 1816 à juin 1818.

Si nous consultons les tableaux statistiques très complets que fit dresser M. Pasquier, garde des Sceaux, en 1818[20], nous trouvons qu’au total 2 280 affaires furent portées devant les Cours prévôtales, en y comprenant toutefois des affaires se rattachant aux mêmes faits, qui occupent parfois plusieurs numéros, à raison de poursuites successives contre des prévenus qu’on n’avait pas d’abord saisis. Rien entendu, ces Cours ne les jugèrent pas toutes et se déclarèrent incompétentes pour un certain nombre d’entre elles.

On peut classer ces affaires de la façon suivante :


Vagabonds et récidivistes 
 457
Militaires en activité ou libérés depuis moins d’un an 
 279
Contrebande armée et délits de douane 
 275
Fausse monnaie 
 249
Assassinats ou vols avec violence sur les grands chemins 
 300
Assassinats par attroupemens armés 
 65
Rébellion armée 
 243
Réunion séditieuse ou organisation de bandes armées 
 175
Affaires politiques (cris et discours séditieux, écrits séditieux, arboration du drapeau tricolore) 
 237
_____
                                                                                                    Total 
 2280


Sur ces 2 280 affaires, 1 560 ne concernent donc que des crimes ou délits de droit commun : crimes commis par des vagabonds ou des récidivistes, des militaires, contrebande ou délits de douane, fausse monnaie, assassinats et vols sur les grands chemins.

Il y a peu de chose à dire de ces affaires, en remarquant toutefois leur proportion élevée par rapport au chiffre total, qui surprendra sans doute ceux qui sont habitués à considérer les Cours prévôtales comme une juridiction exclusivement politique. La répression nous paraît assez rude, mais, en somme, on doit admettre qu’en ces matières les Cours prévôtales ne furent ni plus ni moins sévères que l’eût été le jury à la même époque.

On peut noter le chiffre important des affaires de fausse monnaie (249)[21] et celui plus grand encore (300) des attentats sur les grands chemins. La sécurité de la circulation semble particulièrement précaire en Provence et dans le département de Vaucluse, où la proportion de ces crimes est tout à fait anormale.

Les 720 affaires restantes ne présentent pas toutes, à beaucoup près, un caractère politique. Nous trouvons d’abord trois catégories en quelque sorte mixtes, où sont réunies des affaires tantôt politiques, tantôt de droit commun.

La première, celle des « assassinats par attroupemens armés » (65 affaires), contient principalement des crimes de droit commun, mais cependant on y rencontre aussi quelques-unes des affaires politiques qui ont valu à la justice prévôtale une fâcheuse réputation, telles que l’affaire des troubles de Montpellier en juin-juillet 1815 et le procès des assassins du général Ramel.

Les deux catégories de la « rébellion armée » (243 affaires) et de la « réunion séditieuse ou organisation de bandes armées » (175 affaires) comprennent, en beaucoup de cas, des faits d’un même caractère, comportant souvent les deux inculpations. Un certain nombre de ces affaires, relatives à des rébellions contre des douaniers, des agens des contributions, des gardes forestiers, des gendarmes, etc., sont étrangères à la politique. Il faut aussi classer à part les affaires très nombreuses qui, sous l’une ou l’autre inculpation, eurent pour cause commune les troubles occasionnés dans l’hiver de 1816 et le printemps de 1817 par la disette des grains. Ces troubles s’étendirent à tout le territoire et présentèrent une réelle gravité dans quelques régions, notamment dans le Loiret, l’Yonne, l’Aube, l’Allier, à Toulouse. Restent enfin des rébellions ou réunions séditieuses inspirées par des motifs politiques et les accusations d’« organisation de bandes armées, » qui amenèrent devant les juges prévôtaux les plus graves des procès dont ils furent saisis, tels que l’affaire des insurrections lyonnaises de 1817 ou l’affaire du Lude, dans la Sarthe, en 1816.

La dernière catégorie d’affaires est purement politique : elle comprend les cris, discours ou écrits séditieux et les actes d’arboration du drapeau tricolore. Il y a, en tout, 237 affaires de ce genre, dont une partie seulement furent définitivement jugées par les Cours prévôtales, celles-ci ayant, dans un assez grand nombre de cas, admis leur incompétence et renvoyé les prévenus devant les tribunaux correctionnels.

Ces chiffres, bien que nous apportant quelques précisions utiles, ne sauraient évidemment suffire à nous faire connaître l’action des Cours prévôtales et les effets de la loi de 1815. Pour achever cette enquête, il conviendrait d’établir la statistique des affaires dans chaque département et, tout au moins pour un certain nombre de Cours prises dans les diverses régions du territoire, de pousser cette analyse jusqu’à l’examen détaillé des arrêts intervenus. Nous ne pouvons donner ici que les résultats généraux d’un tel travail, dont l’exposé complet exigerait de longs développemens.

Un premier trait à noter est l’extrême inégalité de la répartition des affaires entre les Cours. Le chiffre le plus élevé se rencontre dans le département du Nord, avec 164 affaires, — ce qui s’explique par le nombre exceptionnel des affaires de douane dans cette région ; — il y eut 159 affaires dans la Seine, 82 dans la Moselle, 65 dans l’Hérault, 62 dans l’Ille-et-Vilaine, 61 dans le Var ; en revanche, treize Cours jugèrent moins de 10 affaires, jusqu’à celle de l’Ardèche, qui en jugea 4 et celle du Gers 3. La moyenne varie de 10 à 40 affaires. On voit donc que le nombre des Cours était manifestement excessif et que certaines d’entre elles demeurèrent presque inactives,

La nature des affaires est également très diverse, particulièrement en ce qui regarde la proportion des affaires politiques ou semi-politiques par rapport aux affaires de droit commun. Nous voyons les affaires purement politiques (écrits, discours) ou mixtes (rébellion, réunion séditieuse) s’élever à 27 sur 43 dans le Rhône, 43 sur 65 dans l’Hérault, 26 sur 44 dans la Haute-Garonne, 19 sur 62 dans l’Ille-et-Vilaine. En revanche, dans 27 départemens il n’y a pas une seule affaire décrits ou discours séditieux et dans certaines Cours très actives le nombre de ces affaires est infime ; 2 sur 164 dans le Nord, 1 sur 45 dans le Bas-Rhin, 2 sur 37 dans les Bouches-du-Rhône. Les troubles occasionnés par la disette furent la cause de 43 affaires sur 15 dans l’Allier, 16 sur 34 dans l’Yonne, 18 sur 41 dans l’Aube.

Quant au jugement d’ensemble qu’il conviendrait de porter sur les tendances des juges prévôtaux, — ce qui est la partie la plus délicate d’une telle enquête, — l’examen attentif des arrêts rendus montre la nécessité d’établir beaucoup de distinctions entre les Cours, dont la sévérité semble avoir été très variable. Il n’est malheureusement pas douteux qu’un certain nombre des magistrats cédèrent à des rancunes ou à des passions politiques et rendirent des arrêts qu’on est en droit de leur reprocher sévèrement. La mauvaise réputation que plusieurs Cours se sont acquise n’apparaît point comme imméritée.

À Carcassonne, la Cour prononça trois condamnations à mort pour une obscure affaire de complot dans la prison, où l’accusation ne semble résulter que d’une lettre des inculpés parvenue aux autorités dans des conditions suspectes. Ce qui aggrave le cas, c’est que, très vraisemblablement, la Cour avait outrepassé les règles de sa compétence pour retenir ce procès.

À Montpellier, où des troubles avaient éclaté quand la population apprit la nouvelle de la bataille de Waterloo, les 27 juin et 2 juillet 1815, la Cour mit un déplorable acharnement à poursuivre sous l’inculpation d’ » assassinats par attroupemens armés » des hommes dont le principal tort était d’avoir participé à des actes de guerre civile et de se trouver maintenant du côté des vaincus. Cinq condamnations à mort furent prononcées et exécutées et 4 autres prononcées par contumace ; il y eut en outre des condamnations aux travaux forcés, au bannissement et à la réclusion. La Cour de Cassation dut intervenir, sur pourvoi du garde des Sceaux, pour annuler plusieurs des arrêts, à raison de graves irrégularités de procédure.

À Orléans, la Cour prononça 6 condamnations à mort, — dont 5 exécutées, — et 7 condamnations aux travaux forcés, à raison de troubles, accompagnés de pillages par bandes armées et de rébellion, survenus à Montargis et aux environs au début de juin 1817, par suite de la disette des grains, répression si manifestement excessive que plusieurs des condamnés. y compris le sixième condamné à mort, obtinrent ultérieurement leur grâce pleine et entière.

Dans les Basses-Pyrénées, nous trouvons la dérisoire condamnation à cinq ans de réclusion seulement de deux des misérables qui avaient lâchement assassiné le général Ramel à Toulouse le 15 août 1815, un des plus tristes arrêts de ce temps.

À Lyon, la répression impitoyable de la tentative d’insurrection de juin 4817 a, plus que toute autre peut-être, jeté le discrédit sur la justice prévôtale. On connaît les violentes polémiques auxquelles ces événemens donnèrent lieu. Sans entrer dans leur discussion, on doit constater que bien que les rassemblemens séditieux formés dans diverses communes de la banlieue lyonnaise se fussent dispersés presque sans combat, la Cour ne prononça pas moins de 13 condamnations à mort, — dont 11 furent exécutées, — et 75 condamnations à la déportation, aux travaux forcés et à l’emprisonnement, sans compter les condamnations par contumace. À la suite de l’enquête confiée au maréchal Marmont, 69 de ces condamnations furent l’objet de commutations de peine ou de grâces. La Cour prévôtale de Lyon assuma certes ainsi une lourde responsabilité, mais il convient cependant de la justifier du reproche que lui ont adressé certains historiens, d’avoir violé la loi en jugeant les accusés séparément par communes, au lieu de les englober dans un procès unique. La procédure suivie ne fut que la conséquence des dispositions de la loi de 1815, qui, n’accordant pas compétence aux Cours prévôtales relativement aux complots, les chargeaient de la répression des actes de réunion séditieuse et d’organisation de bandes armées ; or, en l’espèce, de telles bandes s’étaient réunies dans plusieurs communes des environs de Lyon[22].

Dans la Sarthe, l’affaire dite du Lude est aussi demeurée célèbre. Le 28 mai 1816, quatre condamnés à mort, dont un âgé de dix-neuf ans, furent exécutés dans cette petite ville ; trois autres condamnés à la peine capitale, recommandés à la clémence du Roi, obtinrent une commutation aux travaux forcés ; la Cour avait encore prononcé 7 condamnations aux travaux forcés et à l’emprisonnement. Comme justification d’une si exceptionnelle rigueur, on ne trouve que l’accusation d’organisation d’une bande armée dite « les vautours de Bonaparte, » qui avait « désarmé » un cultivateur et s’était portée chez deux autres pour les « désarmer. » Les accusés étaient des gens fort modestes : meuniers, garçons de moulin, ouvriers, anciens soldats et cette affaire a conservé un air de mystère singulièrement troublant.

Dans l’Yonne, les troubles occasionnés par la disette des grains en mai et juin 1817, — particulièrement graves, il est vrai, — entraînèrent 3 condamnations à mort, — dont celle d’une femme, — et 25 condamnations aux travaux forcés ou à la réclusion.

À côté de ces arrêts connus et signalés par la plupart des historiens, on peut en noter encore qui semblent inspirés par des passions politiques singulières. C’est ainsi que, le 26 avril 1816, la Cour prévôtale du Loiret acquitta quatre soldats déserteurs coupables de rébellion dans la nuit du 22 au 23 juin 1815 contre des gendarmes qui voulaient les arrêter : au cours de cette lutte, un des gendarmes avait été tué et un autre blessé. Ces militaires, supposés excellens royalistes par les juges, n’avaient fait, déclara la Cour, qu’obéir à l’ordonnance rendue par Louis XVIII à Lille le 23 mars 1815, prescrivant le licenciement de l’armée : ils avaient donc l’excuse des ordres de l’autorité légitime et de la légitime défense. La Cour ne prenait même pas garde que l’ordonnance de Lille n’avait été légalement publiée dans le Moniteur que le 9 août 1815, postérieurement à l’acte reproché aux accusés.

En revanche, la Cour prévôtale de l’Yonne condamna à la déportation, le 13 juillet 1816, une malheureuse jeune fille de vingt-quatre ans, accusée d’avoir crié : « Vive l’Empereur ! À bas les Bourbons ! » « en allant à l’herbe. »

En regard de ces arrêts, il convient d’en placer d’autres, généralement ignorés, qui témoignent de modération et d’indépendance chez les magistrats qui les prononcèrent.

La Cour prévôtale de l’Ain refusa de retenir une affaire d’organisation de bandes armées où cependant, en interprétant rigoureusement la loi de 1815, sa compétence n’était guère douteuse ; sur appel du ministère public, la Cour royale de Lyon confirma cet arrêt d’incompétence, par le motif que les prévenus, pouvant dans la procédure de droit commun discuter les charges devant la chambre des mises en accusation et le jury, ils avaient intérêt à n’être pas privés d’un degré de juridiction. Le principal accusé, un ancien officier nommé Savarin, fut ultérieurement condamné à mort par la Cour d’assises de l’Ain.

Dans l’Aisne, la Cour prévôtale fut saisie d’une grave et obscure affaire concernant une réunion séditieuse armée, qui s’était tenue, la nuit du 5 au 6 juin 1817, dans la plaine de Quincampoix, près de Braisne. Le but de ce rassemblement paraît avoir été de s’emparer par surprise de la place de Soissons. Des proclamations bonapartistes avaient été distribuées et une active propagande faite parmi les anciens soldats. Sur 137 prévenus, 26 seulement furent mis en accusation et, après dix jours de débats et l’audition de 228 témoins, 5 seulement furent condamnés, 2 à la déportation et 3 à la prison. Deux anciens officiers, l’adjudant-commandant Dufour et le colonel baron Seruzier, accusés d’avoir été les inspirateurs de cette tentative d’insurrection, furent acquittés.

La Cour prévôtale du Vaucluse, puis celle des Bouches-du-Rhône eurent successivement à se prononcer sur le cas de six individus armés qui, le 18 septembre 1815, à Roussillon près d’Apt, avaient fait feu sur une colonne de gardes nationaux et de gendarmes lancée à leur poursuite. La Cour de Vaucluse acquitta un des prévenus, d’abord seul saisi, par le motif que, la force publique ayant fait usage de ses armes sans nécessité, « on ne peut qualifier de rébellion la résistance avec violence qu’elle a elle-même provoquée sans motifs légitimes. » Le ministère public obtint le dessaisissement pour cause de suspicion légitime de la Cour prévôtale d’Avignon et continua les poursuites contre les cinq autres accusés devant la Cour prévôtale des Bouches-du-Rhône ; mais il n’aboutit qu’à un second échec, les nouveaux juges se trouvant d’accord avec les premiers pour proclamer que les accusés n’avaient fait qu’user du droit de légitime défense.

Un arrêt de la Cour prévôtale du Gard du 5 juin 1817 mérite une attention particulière. Après que la Cour prévôtale de l’Hérault eut sévi avec tant de rigueur contre les personnes impliquées dans les troubles de juin-juillet 1815 à Montpellier, il se trouva que l’annulation par la Cour de Cassation de procédures irrégulières amena le renvoi d’un des accusés, le sieur Nicolas, devant la Cour prévôtale de Nîmes. Nicolas était inculpé d’avoir commandé le feu d’une pièce de canon contre « de fidèles serviteurs du Roi et des partisans de la légitimité. » L’affaire ne venant que par contumace, la Cour prévôtale du Gard aurait pu n’y prêter que peu d’attention. Cette Cour cependant acquitta Nicolas, non à raison d’un doute sur les faits, mais par ces deux motifs catégoriques : 1o que ces excès « rentreraient dans ceux commis par un parti armé contre un autre et constituaient un fait de guerre ; » 2o que ce crime purement politique était couvert par la loi d’amnistie du 12 janvier 1816, les poursuites étant postérieures à cette loi[23].

Enfin, en ce qui concerne la répression des réunions séditieuses et des rébellions occasionnées par la disette de 1816-1817, il ne faudrait pas croire que les arrêts, ci-dessus signalés, des Cours prévôtales du Loiret et de l’Yonne, donnent la note exacte de l’attitude des Cours envers cette catégorie d’inculpés. En général, il y eut plus d’humanité et d’indulgence. On peut constater, par exemple, que la Cour prévôtale de l’Aisne ne condamna aucun des accusés dans une affaire d’émeute à Château-Thierry les 3 et 4 juin 1817 et que dans une autre affaire de rébellion à Chauny les 10 et 11 juin, elle joignit à son arrêt un pressant appel à la clémence du Roi, à raison de la misère digne de pitié des condamnés. Dans l’Allier, où les troubles avaient été particulièrement étendus et graves, il y eut 58 non-lieu ou acquittemens, 18 condamnations à des peines légères d’emprisonnement ou de surveillance et 6 seulement aux travaux forcés ou à la réclusion. Au total, la majorité des peines prononcées par les Cours ne furent que des peines correctionnelles et elles se trouvèrent bientôt effacées par une ordonnance d’amnistie du 13 août 1817.

Quant aux affaires purement politiques d’écrits ou discours séditieux, d’arboration du drapeau tricolore, elles entraînèrent dans un trop grand nombre de cas des condamnations à la déportation. Cependant ces arrêts rigoureux sont en nombre moindre que les arrêts de non-lieu, d’incompétence ou de simples condamnations correctionnelles, qui terminèrent beaucoup des 237 affaires de cette catégorie.

En somme, le fait essentiel qui ressort de cette enquête nous paraît être l’évidente constatation des graves imperfections de la loi de 1815 et des funestes résultats qu’elles entraînèrent dans la pratique.

Tout le système de la justice prévôtale fut faussé par l’absence d’une pièce essentielle : le contrôle de la Cour de Cassation. De là ces fâcheux exemples d’incorrections de procédure auxquelles remédia imparfaitement le pourvoi dans l’intérêt de la loi du garde des Sceaux, de là les divergences de jurisprudence entre les Cours, de là enfin l’exécution précipitée d’arrêts d’une rigueur excessive dont les condamnés ne pouvaient même pas discuter la régularité devant la Cour suprême.

Non moins déplorable avait été le refus de restituer au souverain l’exercice entier du droit de grâce, indispensable pour corriger les erreurs ou les entraînemens des magistrats.

Il est toujours singulièrement périlleux de confier à des juges un tel pouvoir discrétionnaire, surtout en des temps troublés où leur conscience se trouve assaillie par des passions ou des craintes que pourrait seul leur faire surmonter un héroïque sentiment du devoir. Mais, par surcroît, quels étaient les juges qu’on avait choisis ? Des officiers, dont beaucoup étaient d’anciens émigrés, ignorans des règles et des méthodes de la justice criminelle, dépourvus par conséquent de cette discipline d’esprit particulière que donne l’expérience d’une profession aux plus médiocres de ceux qui l’exercent ; de modestes magistrats de première instance, incertains de leur carrière en présence des suspicions d’un pouvoir nouveau et fréquemment influencés par les préventions locales dans les régions auxquelles les rattachaient leurs origines ou leurs liens de famille. On ne peut être surpris que leurs épaules aient parfois plié sous le fardeau dont un législateur imprévoyant les avait chargées.

Et pourtant, il est rare qu’une institution, si mauvaise soit-elle, produise tout le mal qu’elle pourrait entraîner. Dans une certaine mesure, la justice prévôtale fut tempérée par les instructions modérées du ministère de la Justice et par l’esprit de conscience professionnelle d’une partie des magistrats. On ne doit pas oublier non plus qu’à la même époque, le jury rendit souvent dans des affaires politiques des verdicts tout aussi regrettables que beaucoup d’arrêts prévôtaux.

À mesure que les esprits se dégagèrent des passions de 1815, on se rendit mieux compte de l’impopularité que faisait peser sur le gouvernement royal l’existence de tribunaux d’exception. Aussi en 1818 leur disparition fut saluée avec satisfaction même par des royalistes qui les avaient établis[24]. Par une conséquence heureuse, quoique imprévue, la suppression des Cours prévôtales entraîna aussi celle des Cours spéciales du Code de 1808, qui ne furent jamais réorganisées.

Ainsi se termina une entreprise fâcheuse, qui avait compromis le nouveau régime sans lui donner, à ce qu’il semble, une sécurité plus grande. Jusqu’en avril ou mai 1816, ainsi que nous l’avons vu, les causes prévôtales avaient été jugées dans la plupart des départemens par les tribunaux de droit commun : comment croire qu’une justice spéciale fût indispensable ? N’eût-il pas été préférable de laisser intactes les prérogatives du jury et n’aurait-on pas évité par là beaucoup de suspicions ? L’histoire de cette éphémère juridiction nous présente donc un exemple de l’inutilité et du danger des tribunaux d’exception. Puisse cette expérience ne pas être oubliée, le cas échéant, par les hommes d’État réalistes qui seraient tentés de ne pas prêter une suffisante attention aux scrupules des jurisconsultes !


André Paillet.
  1. Voyez à ce sujet le mot attribué à M. Barbé-Marbois, relaté par M. de Viel-Castel, Histoire de la Restauration, t. IV, p. 202 et par M. Duvergier de Hauranne. Histoire du régime parlementaire, t. III, p. 286.
  2. De Villèle, Mémoires, t. I, p. 374.
  3. Le comte Beugnot, en nous retraçant les délibérations de la Commission de rédaction de la Charte, ne nous donne aucun éclaircissement à cet égard. Mémoires, t. II, p. 239-245.
  4. Voyez à ce sujet la réponse du garde des Sceaux à M. Blondel d’Aubers, député du Pas-de-Calais, dans la discussion du projet de loi sur les cris séditieux (Séances des 27 et 28 octobre 1815).
  5. Une loi postérieure du 28 avril 1816 déféra en outre aux Cours prévôtales la connaissance de certaines affaires d’importation de marchandises prohibées ou frauduleuses.
  6. Le projet primitif accordait compétence aux Cours prévôtales pour les complots. Cette disposition extrêmement dangereuse ne fut écartée que grâce à l’insistance de M. Cuvier, qui réussit à convertir M. de Richelieu à son avis. M. Cuvier a tenu à consigner ce fait dans une note, reproduite par la Biographie générale Firmin-Didot, article « Cuvier, » p. 689-690.
  7. La rétroactivité, proposée dans le texte du projet rédigé par le gouvernement, fut écartée par la Commission de la Chambre, grâce aux efforts de M. de Serre, auquel se joignit M. Cuvier, commissaire du Roi. Voyez note précitée de M. Cuvier, Biographie générale Firmin-Didot, article « Cuvier, » p. 689-690.
  8. Voyez amendement de la Commission sur l’article 44. Archives parlementaires, XV, p. 354.
  9. C’est le souvenir de cette scène qui inspira plus tard au général Foy son mouvement oratoire célèbre sur « les Jacobins de la guillotine et les Jacobins de la potence. » (Séance du 25 mai 1821.)
  10. Il est donc tout à fait excessif de parler, comme le fait M. de Vaulabelle, t. IV, p. 149, du « délire furieux qui emportait la Chambre, » à propos d’un vote qui ne faisait que maintenir les dispositions de la législation existante. M. de Vaulabelle ignorait évidemment les précédens juridiques de la question.
  11. Les prévôts devaient toucher, en plus de leur traitement d’activité, de demi-solde ou de retraite, 2 000 francs à Paris et 1 000 francs dans les département (Ord. du 13 mars 1816).
  12. Voyez, comme exemple d’une de ces installations, celle de la Cour prévôtale de Laon, décrite dans l’ouvrage du président Combier : la Justice criminelle à Laon pendant la Révolution, t. II, in fine.
  13. Voyez les pièces de cette correspondances : Archives nationales, BB3 126.
  14. Président de la Haute-Vienne, prévôt de la Corrèze.
  15. Prévôt de la Corrèze.
  16. Prévôt de la Haute-Garonne : lettre du 24 juin 1816.
  17. Prévôt de l’Orne : lettre du 19 juillet 1816.
  18. Arrêt de la Cour de Rouen du 30 mars 1816 et lettre du procureur général baron Fouquet au garde des Sceaux. Il s’agissait d’une procédure d’instruction du prévôt de l’Eure.
  19. Voyez notamment les arrêts des 6 septembre 1816 et 24 octobre 1817 rendus à l’occasion des affaires de juin-juillet 1815 à Montpellier : la Cour décida que pour les crimes ressortissant aux Cours spéciales antérieurs à la loi de décembre 1815, les formes du Code d’Instruction criminelle devaient être observées, au lieu de la procédure prévôtale.
  20. Voyez ces tableaux aux Archives nationales BB3 123, 124, 125. Le département de la Meuse manque. Les affaires sont indiquées par département, avec mention sommaire des noms des accusés, des circonstances de l’accusation, des dates et principaux motifs des arrêts intervenus. Il n’y a pas de résumé d’ensemble et, conséquemment, les chiffres ci-dessus cités sont le résultat d’un pointage personnel.
  21. La législation fut extrêmement rigoureuse à l’égard du crime de fausse monnaie jusqu’à la révision du Code pénal en 1832 et une grande partie des condamnations capitales prononcées par les Cours prévôtales concernent des faux-monnayeurs.
  22. On voit donc que les accusations portées par M. de Vaulabelle, t. IV, page 433, contre les magistrats de Lyon ne sont, — sur ce point tout au moins, — pas justifiées.
  23. Ce dernier motif ne s’appliquait pas à une partie des accusés de Montpellier, à l’égard desquels les poursuites avaient été commencées antérieurement à la loi d’amnistie. Il convient aussi de remarquer que Nicolas n’était poursuivi qu’à raison de sa participation au combat du 2 juillet 1815 entre les troupes royalistes du marquis de Montcalm et les soldats et gardes nationaux commandés par les généraux Gilly et Forestier, et non pour des faits se rattachant aux troubles du 21 juin. L’arrêt de Nîmes n’en est pas moins fort intéressant.
  24. Mémoires du baron Hyde de Neuville, t. II, p. 339.