Les Criquets dévastateurs/02

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LES CRIQUETS DÉVASTATEURS

(Suite. — Voy. première partie.)

Il existe de très-grandes difficultés, au point de vue entomologique, pour distinguer entre elles les espèces d’Acridiens migrateurs dont les ravages sont à redouter pour nos cultures. Elles sont réparties en plusieurs genres par les auteurs modernes.

Le genre Acridium (Geoffroy) renferme l’espèce la plus redoutable, qui heureusement ne vient jamais en Europe. Les caractères les plus saillants de ce genre sont tirés de la région moyenne du corps, de son premier anneau, le prothorax, portant la première paire de pattes. Il offre en dessous une corne cylindrique, libre et proéminente, droite ou courbe. La partie supérieure, peu prolongée en arrière, distinctement comprimée sur les côtés, présente en dessus une crête ou carène médiane plus ou moins élevée, sans carènes latérales sensibles ; les organes du vol sont bien développés dans les deux sexes, et composés, selon le caractère général des orthoptères, d’une paire antérieure d’élytres semi-coriaces, et en dessous d’ailes membraneuses beaucoup plus larges, dont toute la région postérieure se plisse au repos en éventail et se replie au-dessous de la région antérieure, de sorte que toute l’aile est alors protégée et cachée par l’élytre, comme un étui qui empêche les déchirures de la voile délicate par les aspérités du sol ou des buissons, alors que l’insecte marche ou saute. La figure où l’on voit deux Acridium l’un au repos, l’autre parcourant l’atmosphère, fait bien comprendre cette distinction.

L’espèce la plus répandue de ce genre funeste doit avoir son origine dans divers lieux déserts de l’ancien monde, comme les steppes de l’Asie centrale d’une part et l’intérieur de l’Afrique de l’autre, sans qu’on puisse préciser exactement la limite australe. Elle étend ses ravages par d’immenses colonnes voyageuses des rivages orientaux de la Chine aux côtes du Maroc et du Sénégal ; on en rencontre des légions dans toute la Chine, la Perse, l’Asie Mineure, l’Égypte, le Soudan et les anciens États barbaresques ou tout le nord de l’Afrique et, ce qui est fort triste pour nous, l’Algérie. C’est le Criquet nomade ou pèlerin (Acridium peregrinum, Oliver). Il est de grande taille, pouvant atteindre 65 millimètres dans les deux sexes. Le corps est dépourvu de poils, ordinairement d’un jaune vif, avec beaucoup de lignes et de points ferrugineux, formant comme une marqueterie. Les antennes sont jaunes à la base puis brunes. Les élytres, plus longues que l’abdomen, assez étroites arrondies au bout, sont opaques et jaunes à la base ainsi qu’au bord antérieur, puis transparentes avec des séries de taches noirâtres, ce qui constitue des bandes transversales très-irrégulières. Les ailes, aussi longues que les élytres, sont amples et transparentes, à nervures jaunes avec le bord antérieur teinté de la même couleur.

L’abdomen et le dessous du corps sont brunâtres et luisants, et les pièces qui le terminent sont courtes ; les pattes sont d’un beau jaune avec les épines des jambes postérieures noires.

La détermination de cette espèce est due au savant voyageur Olivier (Voyage dans l’empire ottoman, t. II, p. 121), à la fin du dernier siècle. Voici comment s’exprime Olivier, alors en Syrie, sur les migrations de cette espèce, dont il a été témoin, et ce récit est précieux en ce qu’il émane d’un homme habitué aux observations scientifiques : « À la suite de vents brûlants du midi, il arriva de l’intérieur de l’Arabie et des parties les plus méridionales de la Perse des nuées de sauterelles (nom vulgaire), dont le ravage pour ces contrées est aussi fâcheux et presque aussi prompt que celui de la plus forte grêle en Europe. Nous en avons été deux fois les témoins (Olivier et son compagnon Bruguières).

« Il est difficile d’exprimer l’effet que produisit en nous la vue de toute l’atmosphère remplie de tous les côtés et à une très-grande hauteur d’une innombrable quantité de ces insectes, dont le vol était lent et uniforme, et dont le bruit ressemblait à celui de la pluie ; le ciel en était obscurci et la lumière du soleil considérablement affaiblie. En un moment, les terrasses des maisons, les rues et tous les champs furent couverts de ces insectes, et, en deux jours, ils avaient presque entièrement dévoré toutes les feuilles des plantes ; mais heureusement ils vécurent peu, et ne semblèrent avoir émigré que pour se reproduire et mourir. En effet, presque tous ceux que nous vîmes le lendemain étaient accouplés, et, les jours suivants, les champs étaient couverts de leurs cadavres, j’ai trouvé cette espèce en Égypte, en Arabie, en Mésopotamie et en Perse. »

Olivier fait mention d’une variété de l’Acridium peregrinum, où le fond jaune est remplacé par du rougeâtre clair. Audinet-Serville dit avoir reçu cette variété de Palestine, prise sur le mont Sinaï. Elle existe aussi en Algérie, comme me l’a fait connaître M. Come, qui professa longtemps l’histoire naturelle au lycée d’Alger ; ces Sauterelles rouges sont souvent prises à tort comme une espèce particulière. Les mœurs du Criquet pèlerin ont été observées dans notre colonie, notamment par M. H. Lucas lors de l’exploration scientifique de l’Algérie, entreprise sous Louis-Philippe à la suite des victorieuses campagnes du maréchal Bugeaud. C’est l’espèce qui s’y rencontre le plus abondamment, bien qu’elle n’y soit pas dévastatrice tous les ans. Les indigènes la nomment El Djerad (la sauterelle) ou Djerad el arbi (la sauterelle arabe). Elle présente cinq mues ou changements de peau : la première a lieu cinq jours après la sortie de l’œuf, la seconde six jours après la première, la troisième huit jours après la seconde, et dans ces trois premières mues (état de larve) l’insecte n’a pas d’ailes ; ensuite, se produit la quatrième mue au bout de neuf jours, et l’insecte est alors en nymphe, avec les élytres et les ailes raccourcies, pendantes sur le dos, impropres au vol et enveloppées de fourreaux. Enfin la cinquième mue ou l’état parfait arrive dix-sept jours après, en tout quarante-cinq jours à partir de la sortie de l’œuf.

L’espèce apparaît au milieu du printemps à l’état adulte, venant du sud. Ces criquets ne commencent à voler qu’entre sept et huit heures du matin, suivant que le temps est plus ou moins clair, demeurant jusque-là engourdis sur les branches d’arbres, sous les feuilles larges, dans l’herbe des fossés, surtout quand il est tombé de la rosée pendant la nuit. L’accouplement s’opère dans la journée, le mâle grimpé sur le dos de la femelle. Il agite de temps en temps ses longues pattes, et la femelle y répond par un mouvement analogue. La femelle marche et mange, gardant avec elle le mâle, qui souvent même ne la quitte pas pendant la ponte. Cet acte s’opère de préférence dans des terres meubles, sablonneuses. Si la terre est un peu dure la femelle y creuse un trou cylindrique, large d’un centimètre environ, en donnant une demi-rotation à son abdomen et ouvrant en même temps ses quatre valves terminales, qui tassent la terre sur les côtés ; on dit que les trous soit creusés par la femelle, soit probablement préexistants en partie, peuvent avoir une profondeur de trente millimètres, et qu’alors les anneaux de l’abdomen qui s’enfonce en terre se distendent comme un tube élastique.

On voit un grand nombre de femelles pondant en cercle, serrées les unes contre les autres là où la terre est meuble, ce qui fait que souvent le même amas de terre renferme un grand nombre de grappes d’œufs. Le trou est d’abord enduit d’une matière albumineuse rejetée par l’oviducte, puis les œufs, au nombre de 80 à 90, sont pondus en trois rangées et entourés chacun de la même viscosité, et enfin la femelle ferme le trou au-dessus de la grappe d’œufs par une bave blanche et mousseuse, destinée à dérober le nid aux insectes parasites. La matière d’enduit se sèche, brunît et s’incruste de grains de terre formant alors une sorte de coque courbe, arrondie à bout et tronquée à l’autre, que ferme une calotte de terre. Les œufs sont d’un beau jaune au moment de la ponte, oblongs, arrondis aux deux bouts, longs de 0m,008 à 0m,009, larges de 0m,002. Huit jours après la ponte, ils deviennent d’un blanc grisâtre, et ont perdu leur transparence. Les petites larves à grosse tête éclosent 20 à 25 jours après la ponte, suivant la nature du sol, l’influence atmosphérique, l’humidité, etc., causes qui avancent ou retardent l’incubation. Elles mangent la substance albumineuse de la glèbe des œufs, et même parfois la coque de ceux-ci. D’un blanc sale en éclosant, elles durcissent et se colorent en peu d’heures, devenant noires avec des marquetures blanches. Les femelles pondeuses meurent souvent sur place, et, dans la grande invasion de 1866 en Algérie, on remarquait que les amas de criquets rejetés sur le sable par les vagues contenaient beaucoup de mâles et peu de femelles ; cependant quelquefois les couples survivent plusieurs jours à l’accouplement et à la ponte.

Le genre Acridium nous offre une autre espèce dévastatrice pour laquelle les renseignements sont moins précis. Elle offre beaucoup de variations, ce qu’indiquent les noms d’Acridium tartaricum, Linn. ; et Lineola, Fabr. donnés à ses deux principales races. L’espèce est plus petite que la précédente, avant 0m,039 à 0m,058, chez la femelle et 0m,035 à 0m,047 chez le mâle, dont la taille est notablement moindre, fait fréquent chez les insectes. La tête, le corps et les pattes sont d’un vert jaunâtre, passant souvent au brun en se desséchant, poilus, maculés de brun. Les élytres, beaucoup plus longues que l’abdomen, sont comme nébuleuses en raison de leurs nombreuses nervures brunes ; les ailes transparentes, rembrunies au sommet, ont vers le milieu une large bande noirâtre, arquée, sans contours nets. Les deux races diffèrent par les couleurs des pattes.

Cette espèce se rencontre en Italie, en Espagne, en Portugal, en Dalmatie, en Sardaigne, en Hongrie, dans le Tyrol austral. On en trouve des individus isolés, mais très-rarement en septembre, dans les prairies, jusque dans le milieu de l’Allemagne. Elle existe dans la Provence, et l’entomologiste Solier l’indique parmi les espèces nuisibles des environs de Marseille. On ne l’a jamais rencontrée au centre ni au nord de la France. Joignons à ces localités l’Égypte, l’Algérie (H. Lucas), la Syrie (c’est, dit-on, l’espèce qui se vend cuite sur les marchés de Bagdad), peut-être les Indes orientales. Latreille et Ericson disent que cette espèce émigre souvent et dévaste les campagnes ; cependant elle ne possède peut-être pas partout cette redoutable propriété. En effet, un excellent observateur, Rambur, bien connu pour ses explorations de la Corse et de l’Andalousie, affirme qu’en Espagne cet Acridien ne se trouve pas en troupe ni à terre, comme la plupart des espèces voyageuses, mais habite isolément sur les arbres. Si quelqu’un s’approche de l’arbre où il gîte, il s’envole avec un frémissement, presqu’à la façon d’un oiseau, mais toutefois ne vole pas loin.

Un second genre contient les espèces les plus dangereuses pour l’Europe, c’est le genre Pachytylus, Fieber. Le prothorax n’offre pas de proéminence en dessous, et présente en dessus, outre la carène du milieu, des carènes latérales peu développées ; il se prolonge en arrière. Les épaules sont obtuses et proéminentes ; les ailes sont bien développées, raccourcies quelquefois chez la femelle, mais demeurant propres au vol. Le P. migratorius, Linn. atteint. 0m,054 chez la femelle et 0m,049 chez le mâle, dimensions moindres que celles du Criquet pèlerin. Son corps est lisse, sans poils, ordinairement vert, quelquefois brunâtre. Les élytres et les ailes dépassent beaucoup l’abdomen dans les deux sexes ; les élytres sont jaunâtres à la base, parsemées partout de taches brunes en bandes nuageuses ; les ailes sont grandes, d’un vert jaune au milieu, souvent enfumées au bout. Les pattes postérieures sont d’un jaunâtre pâle avec les jambes souvent bleuâtres. Une seconde race, qui paraît remonter plus au nord de l’Europe, a les jambes postérieures d’un rouge sanguin plus ou moins prononcé. C’est le P. danicus, Linn. ou cinerascens, Fabr., dont beaucoup d’auteurs font une espèce distincte. Ce Criquet migrateur, originaire, dit-on, des steppes de la Tartarie, produit ses ravages dans une grande partie de l’Europe, se trouve, aussi en Asie-Mineure, en Algérie (H. Lucas), à l’île Madère, et aussi, paraît-il, à l’île de France. Il habite constamment l’Espagne et l’Italie, la Hongrie, la Dalmatie. Il apparaît, dit-on, en hiver en troupes dans les campagnes du Valais. Des individus isolés se prennent au mois de septembre près de Fribourg-en-Brisgau, de Francfort-sur-le-Mein, etc. Il en est de même pour le centre et le nord de la France. Il est commun dans les plaines arides de la Sologne, mais difficile à approcher. Près de Paris, on rencontre parfois à l’arrière-saison ce curieux insecte, de beaucoup le plus grand de nos Acridiens ; il a été trouvé à Fontainebleau, dans une prairie près de Sceaux, en septembre, à Vanves, à Montrouge (les deux sexes), enfin dans le jardin même du Muséum. Ce sont des sujets emportés au loin par le vent ; Geoffroy, notre vieil historien des insectes de Paris, n’a pas connu cette espèce. Le Criquet migrateur remonte au nord jusqu’en Danemarck et en Suède ; une de ses colonnes fut poussée par les vents en Angleterre en 1748. On l’a rencontré en Irlande, près de Dublin. Un des entomologistes les plus distingués de la Belgique et de l’Europe, M. le sénateur de Sélys-Longchamps, nous apprend que ces deux races existent locales en Belgique, celle à jambes rouges dans les bruyères de la Campine, et en Hesbaye celle à jambes bleuâtres ou d’un jaune pâle. L’espèce est assez fréquente dans les années chaudes, à la fin d’août et en septembre, dans les champs de trèfle et de pommes de terre ; M. de Sélys-Longchamps pense qu’elle peut se reproduire pendant plusieurs années de suite, bien qu’on ne la trouve pas tous les ans. Les Sphinx du laurier-rose et célerio, originaires du centre de l’Afrique, offrent des faits analogues. Les individus septentrionaux du Criquet migrateur sont d’ordinaire plus petits que ceux des régions australes. Plusieurs auteurs disent que le mâle stridule, ce qui n’a jamais été indiqué pour le grand Criquet d’Afrique (Acridium peregrinum). De Géer rapporte qu’une femelle du Criquet migrateur, qu’il conservait dans une boite, pondit un grand nombre d’œufs qu’elle attacha à des tiges de gramen. Ils étaient allongés, d’environ 0m,005, arrondis aux deux bouts, d’une couleur de chair obscure, à coque très-fragile, et entourés d’une matière écumeuse, rosée, sécrétée par la mère et qui devint dure en se desséchant.

Criquet migrateur (Acridium peregrinum).
Mâle adulte et petits sortant de l’œuf. — Femelle au vol. — Nymphe. — Œufs dans leur gaine.

Une seconde espèce du genre Pachytylus est un de nos plus jolis criquets ; malheureusement ses belles couleurs doivent sembler une faible compensation aux agriculteurs dont elle dévaste les champs. Le P. stridulus, Linn. se reconnaît tout de suite à ses ailes inférieures, d’un beau rouge vermillon, bordées de noir. Chez le mâle, les élytres et les ailes dépassent l’abdomen ; elles sont plus courtes que lui chez la femelle. Celle-ci est en outre bien plus grande que le mâle, ayant de 0m,027 à 0m,035 de long, tandis que le mâle n’a que 0m,020 à 0m,027. Cette espèce fréquente une grande partie de l’Europe, causant parfois de grands dommages aux récoltes dans les régions méridionales. À la fin de juillet, en août et septembre, il vole dans les lieux un peu élevés, sablonneux, aride et pierreux et dans les prairies montagneuses des Alpes et des Pyrénées, en Italie supérieure, dans la Dalmatie, l’Istrie, dans tout le sud-est de la France. Je ne crois pas qu’on le rencontre près de Paris, car il ne faut pas le confondre avec une autre espèce à ailes rouges dont nous dirons un mot. On le trouve dans toute l’Allemagne, la Russie et aussi en Suède, et, d’après de Géer, dans les endroits montagneux et secs où l’on fait du charbon de bois. Il vole par saccades et s’élève assez haut, en produisant un frémissement particulier qui lui a valu son nom. Ce n’est nullement la stridulation volontaire du mâle appelant la femelle, mais un bruit mécanique dû au frottement des nervures très-épaisses du bord antérieur des ailes contre le bord postérieur des élytres.

Un dernier genre de criquets à espèce nuisible est celui des Caloptenus, Burmeister, ou Calliptamus, Audinet-Serville. Plus voisin des Acridium que les Pachytylus, ce genre a un tubercule au-dessous de la poitrine et trois carènes au-dessus du prothorax. Les élytres et les ailes sont bien développées et les cuisses postérieures très-dilatées. Les Caloptènes se reconnaissent immédiatement à leur corps épais et trapu, à leurs courtes et grosses cuisses de derrière. Ils se trouvent dans l’Europe méridionale et moyenne, l’Asie, l’Afrique septentrionale et australe et l’Amérique septentrionale, sur les montagnes et les collines arides, insolées, pierreuses, et dans les régions sablonneuses, de juillet à septembre. Les divers exemplaires de la même espèce paraissent varier, suivant le lieu natal, en couleur, grandeur et stature. Le type est le C. italicus, Linn., ayant de 0m,028 à 0m,030 et 0,m040 de longueur dans les sujets femelles. Il a une couleur ordinairement jaune ou roussâtre, avec des ailes d’une charmante couleur d’un rose délicat et les pattes de derrière sanguines, agréablement vergetées de noir. Le mâle est deux fois plus petit que la femelle, n’ayant que 0m,012 à 0m,016 ; c’est peut-être en raison de cette faiblesse qu’il est armé à l’extrémité de l’abdomen de deux appendices recourbés et débordants, comprimés et excavés en dedans, propres à retenir étroitement la femelle dans l’accouplement et à la maîtriser. Cette espèce est fort redoutable par ses ravages et se trouve en Espagne, même en hiver. Rambur dit qu’en Andalousie, elle paraît souvent en troupes si nombreuses qu’à chaque pas on en fait lever des centaines. Elle ravage l’Italie et notamment la campagne de Rome, attaque en France les champs de luzerne et les vignobles, se trouve en Allemagne jusque près de Berlin dans les prairies sèches, en Saxe, en Russie méridionale, en Sibérie. Solier la range parmi les espèces dévastatrices de la Provence récoltées dans les chasses primées par les municipalités. Elle remonte en individus isolés aux environs de Paris, où elle est commune certaines années. On la trouve toujours à Lardy, localité aride bien connue des jeunes amateurs parisiens par ses espèces méridionales, et je suis persuadé qu’elle existe aussi fréquemment dans les landes sèches de Champigny et de la Varenne-Saint-Maur. Autrefois Audinet-Serville la trouvait au champ de Mars, à Sèvres et à Saint-Cloud, mais ces lieux ont bien changé depuis quarante ans et n’ont plus rien de champêtre.

Les grands continents ont leurs criquets dévastateurs, mais je n’oserais pas entreprendre, avec le peu de connaissance que nous avons des Orthoptères, l’histoire des espèces d’Amérique et d’Australie. On a reçu tout récemment au Muséum une espèce probablement inédite, ressemblant d’aspect au P. migratorius, et qui couvre parfois de ses nuages obscurcissants le ciel de la Nouvelle-Calédonie, si tristement célèbre en nos temps troublés. Peut-être vient-elle d’Australie.

Un dernier mot pour les Parisiens. On rencontre en abondance dans nos environs une espèce qui vole sur les vignobles et les coteaux, mais qu’on ne peut pas appeler dévastatrice, car ses dégâts sont insignifiants. Elle appartient au genre Œdipoda, Latr., à poitrine plate, mais avec des cavités latérales sur la tête que n’ont pas les genres précédents. Tout le monde connaît le criquet à ailes bleues et noires de Geoffroy, Œ. cœrulescens, Linn, volant à peu près partout de la fin d’août au milieu de septembre et qu’on trouve même dans les rues excentriques de Paris bordées de jardins maraîchers et de terrains vagues. Les élytres sont d’un gris cendré, avec deux bandes transverses d’un jaune terne et le bout un peu transparent ; les ailes sont bleues entièrement bordées de noir, d’une transparence enfumée au sommet. Les deux sexes ont les organes du vol également bien développés, et le mâle à peu près moitié moindre en taille que la femelle. La couleur bleue des ailes ne passe pas au rouge par les fumées des gaz acides. On trouve plus rarement près de Paris, localisée dans les lieux les plus secs, une variété dite germanica Charpentier, où le bleu des ailes est remplacé par un beau rouge, tout le reste de l’insecte demeurant pareil. Ce criquet à ailes rouges de Geoffroy, remonte moins au nord que l’autre. On le rencontre à Lardy en aussi grande quantité que le type bleu ; il est bien moins commun à Sénars. Il manque en Belgique et sur les falaises arides du nord de la Bretagne, où le bleu s’envole à chaque pas devant le promeneur. Je ne l’ai jamais pris à Compiègne, tandis que le cœrulescens y abonde. Il est facile de distinguer la variété rouge d’avec le P. stridulus, et cependant des auteurs recommandables s’y sont trompés. Chez le criquet stridule les élytres sont brunâtres et sans bandes, les ailes inférieures rouges ne sont qu’incomplètement bordées de noir, seulement au côté extérieur, et le bout n’est pas transparent ; enfin les organes du vol se raccourcissent chez les femelles.

Il nous reste à faire un historique rapide des ravages des criquets en France et en Algérie, à indiquer les moyens bien incomplets de s’en préserver ou plutôt de les restreindre.

Maurice Girard.

La suite prochainement.