Les Démoniaques dans l’art/p32

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JEUNE POSSÉDÉ

FIGURE DANS LA TRANSFIGURATION DE DÉODAT DELMONT (NÉ EN 1581, MORT EN 1641)[1]. MUSÉE D’ANVERS

Un peintre de l’école de Rubens, Déodat Delmont a peint un tableau de la « Transfiguration » conçu sur la même donnée que celui de Raphaël. Les analogies les plus grandes entre les deux œuvres résultent de la simultanéité de deux scènes, l’une céleste montrant le Christ transfiguré au sommet du Thabor, l’autre terrestre, formée aux pieds de la montagne par les disciples auxquels on amène un jeune possédé.

Dans la zone supérieure, le Christ apparaît dans sa gloire entre Moïse et Élie, et un peu plus bas, se voit le groupe formé par saint Pierre, saint Jean et saint Jacques le Majeur. La zone inférieure se divise en deux groupes distincts. À gauche, un homme accompagné de deux autres et d’une femme amène un possédé. Plus vers l’avant-plan, à l’angle du même côté, est agenouillée une femme, et derrière elle se tient un jeune homme en costume du XVIIe siècle. À droite un apôtre entouré de plusieurs autres étend les bras pour chasser le démon du corps de l’adolescent.


JEUNE HOMME POSSÉDÉ
Fragment de la Transfiguration de Déodat Delmont.

Malgré ces ressemblances dans la composition, l’œuvre du peintre flamand se distingue surtout de celle du maître romain par une interprétation toute différente du personnage du jeune démoniaque.

On peut voir du premier coup d’œil quel contraste existe entre le possédé de Delmont et celui de Raphaël. Le possédé de Delmont est dans une agitation telle qu’il ne saurait se tenir debout. Il est soulevé de terre par un homme d’apparence athlétique et qui n’a pas trop de toute sa force pour le maintenir. Son membre supérieur droit s’élève comme pour frapper, le poing fermé, pendant que l’autre membre supérieur dont la main cherche à déchirer la draperie qui enveloppe le torse, est emprisonné dans l’étreinte vigoureuse de l’aide qui l’a saisi. Ses membres inférieurs, dont l’un est fléchi, s’agitent dans le vide. La tête penchée à gauche nous montre une physionomie agitée : les globes oculaires convulsés en bas sont en même temps en strabisme interne, et la bouche est à demi-ouverte dans un mouvement convulsif bien observé.

En somme, nous retrouvons dans cette figure évidemment prise sur nature plusieurs signes qui appartiennent sans conteste aux convulsions de l’hystéro-épilepsie.

Déodat Delmont avait passé plusieurs années à Rome avec Rubens, dont il était l’ami autant que l’élève. Il avait donc pu étudier le tableau de Raphaël, que le cardinal de Médicis avait détourné de sa destination première et dont il avait fait don à l’église San-Pietro in Montorio.

N’est-il pas intéressant, sans vouloir établir de parallèle entre les deux artistes, de constater comment le peintre flamand, du moins en ce qui concerne la figure du jeune possédé, s’éloigna résolument du tableau du chef de l’école romaine, et, à la place d’un personnage de convention, sut dessiner une figure prise sur le vif et toute palpitante de réalité[2].


  1. Grâce à l’extrême obligeance de M. Julien Leys nous avons pu avoir de ce tableau, qui est au musée d’Anvers, une bonne photographie, d’après laquelle nous avons fait le dessin au trait reproduit ici.
  2. Il n’existe dans la chapelle XVII du sanctuaire du Sacro monte di Varallo (Valsésie) une représentation de la Transfiguration par le groupement de vingt statues en terre cuite peinte, de grandeur naturelle. Cette œuvre importante et, parait-il, d’une grande beauté, est due au concours de trois artistes valsésiens du XVIIe siècle. La disposition générale rappelle celle qui a été adoptée par Raphaël et suivie également par Déodat Delmont. Dans la partie supérieure, le Christ et les prophètes exécutés en haut relief sont de Pétera di Varallo. Sur le sommet du Thabor les statues des trois disciples ont été faites par Jean d’Enrico. Enfin toute la scène qui se passe au bas de la montagne est l’œuvre de Gaudenzio Soldo ; il s’agit également de la guérison d’un personnage lunatique, mais qui diffère complètement de celui qui a été représenté par Raphaël : ici c’est une jeune fille soutenue par sa mère. La jeune malade est au milieu d’une crise, renversée en arrière, les bras étendus, la bouche ouverte et les traits convulsés. (Nous devons la connaissance de cette œuvre pleine d’intérêt à l’obligeance de MM. Giuseppe et Carlo Mariani de Turin.)