Les Démoniaques dans l’art/p78

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CONVULSIONNAIRES DE SAINT-MÉDARD

1727-1760

Les épidémies convulsives dans lesquelles on a voulu voir l’influence d’un principe surnaturel n’ont pas toujours été attribuées à l’action néfaste du génie du Mal, du démon. En plusieurs circonstances, elles ont été considérées comme une intervention du principe du Bien dans l’humanité, comme une manifestation de la puissance divine elle-même.

Les sectes religieuses qui en étaient les victimes y voyaient les marques d’une faveur spéciale de la divinité, et s’en servaient comme de preuves irréfutables pour faire prévaloir leur doctrine et confondre leurs adversaires.

Ces interprétations opposées ne pouvaient manquer d’amener, dans la forme extérieure des accidents, quelques modifications en rapport avec la croyance généralement acceptée. Mais il est bien curieux de mettre en lumière les traits communs qui relient entre elles toutes les épidémies convulsives, quelle que soit leur cause supposée ; d’ailleurs d’ordinaire les avis étaient partagés, et lorsqu’un parti prônait l’action divine, les adversaires ne manquaient pas d’accumuler preuve sur preuve, pour tirer des mêmes faits une conclusion diamétralement opposée et démontrer l’influence du malin esprit.

Ce fut le cas de l’épidémie de convulsion qui se produisit à Paris dans la première moitié du siècle dernier, et qui débuta autour du tombeau du diacre Paris, dans le cimetière de Saint-Médard.

Nous résumerons en quelques lignes l’histoire de l’épidémie convulsive de Saint-Médard. Les événements qui s’y rattachent peuvent se grouper en trois époques.

1re époque. — François de Paris, diacre de l’église de Paris, défenseur des doctrines jansénistes, meurt en odeur de sainteté et est enterré le 2 mai 1727 dans le petit cimetière de Saint-Médard. Bientôt des miracles[1] s’opèrent sur sa tombe et, aux yeux des appelans décident en faveur de la doctrine Janséniste. Ces miracles soulevèrent l’incrédulité générale qui se c déchaîna, dit un auteur du temps, dès le commencement, de vive voix, puis par un grand nombre d’écrits de toute espèce, sérieux, raisonnés, satiriques, burlesques, comiques. Les miracles du saint Janséniste furent condamnés par des mandements, anathématisés en chaire et joués sur le théâtre… En un mot, jusqu’à présent la légende des miracles de l’abbé de Paris n’a trouvé crédit que dans le parti Janséniste, malgré toutes les démonstrations que les convulsionnaires et leurs défenseurs ont donné de leur authenticité[2]. Pendant cette première période, il n’est aucunement question de convulsions*

2e époque. — Jusque vers la fin d’août 1731, les miracles des guérisons s’étaient faits au cimetière de Saint-Médard avec assez de simplicité. Les malades faisaient des neuvaines et imploraient l’intercession du saint diacre en s’étendant sur son tombeau et en baisant même la terre qui l’environnait. Mais dans le mois d’août 1731, les convulsions apparaissent, et suivant l’expression des fervents « Dieu changea ses voyes, et celles dont il se servit alors pour la guérison des malades fut de les faire passer par des douleurs très vives et des convulsions très extraordinaires et très violentes ». Dans les récits qui ont été laissés de ces miracles et des convulsions qui les accompagnaient, il est aisé de reconnaître le rôle important que jouait la grande hystérie. Mais l’épidémie n’existait pas encore avec les caractères qu’elle devait revêtir plus tard. Peu à peu, les convulsions devinrent plus fréquentes, et la foule des convulsionnaires si considérable, que la Cour s’émut des conséquences qui pouvaient résulter de semblables désordres. On publia le 27 janvier 1732 une ordonnance du roi pour fermer la porte du petit cimetière de la paroisse de Saint-Médard… avec défense de l’ouvrir sinon pour cause d’inhumation. En même temps, on fit enlever et conduire à la Bastille, à Bicêtre, dans beaucoup d’autres lieux de dépôt, les convulsionnaires les plus renommés.

3e époque. — C’est alors que l’épidémie est définitivement constituée. Les moyens de répression n’ont été pour les convulsionnaires qu’une excitation nouvelle, « À peine eut-on interdit rentrée du saint lieu que Dieu paraissait avoir choisi pour y opérer ses prodiges, dit Carré de Montgeron, qu’il les multiplia plus que jamais. Un peu de terre recueillie auprès de l’illustre tombeau fit éclater les plus merveilleuses guérisons dans tous les quartiers de Paris et jusque dans les provinces. Des convulsions bien plus surprenantes que toutes celles qui avaient paru jusqu’alors prirent tout à coup une multitude de personnes. »

Aux convulsions, on vit alors se joindre les prédictions, les discours, les exhortations, les prières, les descriptions pathétiques, la prétention d’opérer des miracles et de parler des langues inusitées, les impulsions aux actes extravagants, enfin les différents phénomènes du délire hystérique et de l’extase joints aux manifestations variées de la monomanie religieuses[3].

Poursuivis par l’autorité royale, les convulsionnaires tinrent des réunions clandestines et l’épidémie ne s’éteignit que lentement ; elle n’avait pas complètement cessé en 1760.

L’agitation qui se fit autour de cette épidémie convulsive fut des plus vives et se répandit dans toutes les classes de la société. La guerre que se livrèrent à ce propos les Jansénistes et les Jésuites fut des plus acharnées et se manifesta non seulement dans des écrits de tout genre mais encore dans de nombreuses images populaires dont on retrouve encore aujourd’hui un grand nombre.

Il faut parcourir ces estampes, où tous les genres se trouvent réunis, pour se faire une juste idée de l’émotion qui pendant plusieurs années s’empara des esprits.

Les dessins que nous avons réunis sur ce sujet peuvent être rangés en quatre groupes :

1o Les estampes représentant les faits et gestes des convulsionnaires et les miracles opérés par l’intercession du bienheureux ;

2o Les estampes relatives aux divers événements historiques, tels que la fermeture du cimetière de Saint-Médard, la séquestration des principaux convulsionnaires, etc., etc. ;

3o Les portraits du bienheureux de Paris et les estampes relatives à sa vie et à sa mort ;

4o Les pièces satiriques où tour à tour Jésuites ou Jansénistes sont traités de la belle façon. La première catégorie est la seule qui nous intéresse ici ; le nombre des pièces qui la composent est assez grand ; ce ne sont, pour la plupart, à l’exception de quelques-unes de celles qui ont été publiées par Carré de Montgeron, que des images populaires ou des illustrations d’ouvrages, parfois d’un intérêt plein de charme et de pittoresque, mais qui ne sauraient être mises en balance cependant avec les documents si précieux que les anciens maîtres nous ont laissés relativement aux possessions. Nous nous contenterons d’en reproduire ici quelques spécimens.


  1. Le premier miracle est du mois de septembre 1727.
  2. Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, Bernard Picard, t. IV, p. 181, Amsterdam, 1736.
  3. « Dès qu’on commença à persécuter les convulsionnaires, les convulsions se multiplièrent plus que jamais ; elles prirent de tous côtés à un grand nombre de personnes qui n’avaient point de maladie, et Dieu les accompagna de différents dons et les illustra par quantité de prodiges. Entre autres il ouvrit la bouche à une multitude d’enfants et de personnes simples et ignorantes : il leur fit faire journellement des discours d’une grande beauté, il leur fit développer le poison renfermé dans la bulle, déplorer les maux de l’Église, annoncer que sa jeunesse serait bientôt renouvelée comme celle de l’aigle par la venue du prophète Élie et faire plusieurs autres prodiges. (Carré de Montgeron, loc. cit., t. I, 3e partie. Idées des mouvements convulsifs, p. 4).