Aller au contenu

Les Désirs et les jours/3/04

La bibliothèque libre.
Texte établi par L’Arbre (1p. 226-231).
◄  III
V  ►

IV

La police était logée à l’étroit dans une ancienne maison particulière située près du Palais de Justice. Pierre s’engagea dans ce labyrinthe. Il passa devant un sergent, assis sur un tabouret élevé derrière une porte coupée en son milieu. Le long du corridor s’ouvraient quatre autres portes, mais aucune ne portait la mention « chef de police ». Le sergent avait l’air si occupé à son standard que Massénac ne voulut pas attendre son bon plaisir. Il se dirigea vers l’escalier.

— Le bureau du chef, lui dit un détective, est à la tête de l’escalier. Il ajouta après un silence :

— Je vous ai déjà vu quelque part.

— Je suis Pierre Massénac.

— Ah ! fit le détective et il détourna la tête. Puis se ravisant :

— Tu perds ton temps, dit-il. Si tu as besoin de la police, il faut la faire toi-même. Il n’y a pas de police à Deuville. C’est une farce. Le chef est un classeur de petits papiers, le mignon des politiciens. Les autres sont à l’avenant. Prenons l’inspecteur. Qui est-il ? Un bon détective ? Non, le fils du président de la Commission de police. Où a-t-il acquis son expérience ? Dans sa chambre, par correspondance. Mais il est inspecteur. Il est arrivé un matin et il était inspecteur. Il l’est depuis. C’est son premier cas important. Il va faire de la bouillie. Gare au premier suspect qui lui tombera dans les mains.

Le directeur de la sûreté était une créature de Nachand. Comme il n’avait aucune compétence, on avait adjoint un ancien policier de métier, dévoué au parti. Mais celui-ci, comme on a pu le voir par sa conversation avec Pierre Massénac, ne semblait pas un homme à se fouler la rate dans l’exercice de son métier.

Le directeur en titre de la sûreté avait un laboratoire d’empreintes où il passait ses journées, assumant les responsabilités sans en avoir connaissance. Quand il s’inquiétait du travail de la Sûreté, on l’assurait qu’un expert de son importance rendait d’insignes services dans le laboratoire. On lui faisait signer tout ce qu’on voulait et il était assommé de détails fastidieux sur les affaires insignifiantes que ses adjoints compliquaient à dessein.

On fit sous son nom une campagne d’épuration contre les protégés de l’ancien régime, mais quand le parti eut pris le dessus, la morale ne trouva plus rien à redire.

Dès le début, il avait eu la main malheureuse. Au moment où il prêtait le serment d’office, en plein midi, des bandits avaient fait irruption dans un grand magasin et y avaient raflé une somme considérable. Ne manquant pas de courage, il s’était précipité à la poursuite des bandits, mais il était bientôt revenu bredouille. C’était une déveine. Mais il l’aggrava en promettant aux journalistes l’arrestation des voleurs dans les 48 heures. Au bout de 48 heures, il prophétisa de nouveau que des arrestations étaient imminentes, 24 heures plus tard, elles étaient prochaines. Puis l’affaire tomba dans l’oubli. Mais voilà qu’un bon jour, vingt-quatre heures après un vol dans une villa, le nouveau chef arrêtait en différents endroits de la ville, quatre présumés voleurs, et, pour comble d’efficacité, il recouvrait en entier le butin volé.

L’affaire fit sensation. Mais l’avocat chargé de la défense des prévenus déclara au tribunal que ses clients avaient dénoncé un complice et que la police refusait de l’arrêter. Il se trouvait que ce complice était l’indicateur de police qui avait, pour aider son chef, machiné le coup, promis l’impunité à ses voleurs puis les avait dénoncés après avoir mis le butin en sûreté. Le scandale ne connut plus de borne. Et la Couronne eût toutes les peines à empêcher la preuve contre la police.

Cette mauvaise publicité, s’ajoutant à la méfiance et à l’insubordination de ses hommes, avait brisé les derniers ressorts du faux-chef. Il eut désormais le complexe de l’échec. Le criminel ne fut plus pour lui un ennemi personnel, mais une source d’embêtements et de tracas, une occasion de critiques pour lui et son service.

Il interrogea Pierre Massénac sur la disparition de son compagnon.

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

— Dans la nuit de l’incendie.

— Où ?

— À l’hôtel du Chemin de fer. J’avais bu. Quand je suis revenu à moi, j’étais dans une ruelle et j’avais un fort mal de tête.

— Et Lancinet ?

— Il n’était pas avec moi. Je ne l’ai pas revu.

— Votre père adoptif avait-il des ennemis ?

— Je ne sais rien de sa vie depuis que j’ai quitté la maison, il y a plusieurs années.

— Lucienne avait été votre amie avant de vivre avec M. Massénac ?

— Oui.

— Pourquoi l’avez-vous quittée ?

— Pour reprendre la mer.

— Saviez-vous qu’elle était enceinte à ce moment ?

— Non.

— Seriez-vous resté si vous l’aviez su ?

— Je ne sais pas.

— D’après certains témoignages, M. Bernard Massénac paraissait jaloux de la jeune femme.

— Je n’en sais rien.

— Vous ne songez pas à quitter Deuville pour reprendre la mer ?

— Non.

— C’est cela. Tenez-vous à la disposition de la police jusqu’à l’enquête.

À cet interrogatoire à bâtons rompus, le jeune homme répondait sans intérêt. Il se rappelait les paroles du détective au sujet de la police. Pour un innocent, susceptible d’être soupçonné, ces méthodes étaient inquiétantes.

Les autres interrogatoires furent dans ce goût. On ne retrouva pas l’enfant disparu, ni Lancinet. Le directeur de la Sûreté tenait pour la théorie de l’accident. Mais Nachand voulait avoir un coupable, Pierre Massénac. Dans le public, Lecerf laissait entendre que le député protégeait l’assassin.