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Les Derniers Bretons/Tome 2/0

La bibliothèque libre.
Texte établi par Charpentier, libraire-éditeur,  (Tome IIp. 2-24).


CHAPITRE QUATRIÈME.

 le pays de vannes.

Le Pays de Vannes.


§ I.

Aspect du pays. — Carnac. – Tour d’Elven. — Ruines féodales.

Quittons la Bretagne, maintenant nous allons entrer en Celtie. La féodalité qui nous apparaissait sans cesse dans les pays de Léon, de Cornouaille et de Tréguier, comme le caractère propre de la contrée, nous n’allons plus la voir qu’au second plan ; ce sera la trace d’un passage. Elle va se montrer à nous à côté des signes de la conquête latine, pareille à un brochage semé sur une trame gauloise. Ici les cormlec’hs, les licavens, les peulvans, les grottes aux fées, sont semés de toutes parts[1]. Il y a même dans la physionomie que ces monumens donnent à la contrée quelque chose de funèbre, d’aride, de décharné. Dépouillé des forêts qui donnaient du mystère à ses enceintes sacrées ; parsemé de ses pierres druidiques qui ont perdu leur ceinture de mousse avec leurs ombrages, et qui blanchissent sur les landes comme des ossemens, le pays de Vannes a l’air d’un immense squelette qui, après avoir perdu sa peau et ses chairs, étale encore au jour sa carcasse faussée et ses membres à demi désarticulés. Vous qui aimez les traditions des premiers âges et les débris de l’antiquité, allez voir les peulvans de Bieuzy, de Sarzeau, de Quiberon et de Gourin ; allez mesurer le menhir gigantesque de Loc-Maria-Ker qui s’élève à plus de soixante pieds, et sous lequel des troupeaux se mettent à l’ombre ; allez vous asseoir sur les barraws et les galgals[2] de Trehorentec ; allez visiter la pierre de Plougoumelin sur laquelle on prêtait serment ; allez voir les grottes aux fées et les dolmens[3] de Quiberon, de Saint-Nols, de Sulniac, d’Elven, de Cazo, de Pluherlin, de Ruffiac, de Saint-Jean-Brevelay, de Plaudren ; mais hâtez-vous surtout, de peur que les ingénieurs ne vous devancent, et que vous ne trouviez (comme moi à Pleucadeuc) leurs ouvriers mettant la mine sous les monumens druidiques.

Nous voici à Arzon. Voyez-vous cette montagne qui s’élève là-bas à l’horizon et qui sert de point de mire aux caboteurs de l’Océan ? c’est un barow, c’est la tombe de quelque grand commerçant de la Venetie. C’est sur cette plage qu’il venait pendant sa vie attendre le retour des flottes qu’il avait envoyées à Parthenope ou à Phocée ; il a voulu dormir au bruit de la mer, cette vieille amie qui l’a enrichi ; il écoute dans sa tombe le bruit monotone de la houle comme une voix d’associé qui lui rend des comptes. Le soir, si vous voyez une forme humaine s’agiter au sommet de ce tumulus, c’est son ombre qui vient y guetter une voile à l’horizon, car il attend ses navires qui sont allés chercher l’étain de Thulé, la pourpre de Tyr, et les fers de l’île d’Ilva. Montez vous-même au sommet de ce cap dressé pour couvrir les cendres d’un seul homme, et regardez ; la vue s’étend au loin sans obstacle. Ici, devant vous, l’Océan qui se perd dans le bleu du ciel ! là, au nord, l’archipel de la petite mer (Mor-bihan) avec ses îles aussi nombreuses que les jours de l’année. Celle-là où vous voyez un pâtre aux larges braies et aux cheveux flottans, assis sur un galgal, c’est l’île de Galafris ou des chèvres ; cette autre, couverte de barow, s’appelle l’Île longue ; là-bas apparaît l’Île aux moines avec son dolmen, appelé l’autel du sacrifice, et ses menhirs qui se penchent comme les mâts d’un vaisseau près de sombrer. Plus loin c’est l’île d’Artz, toute dépouillée de ses forêts de pins, et qui, désolée, dresse sous le ciel ses cromlechs, ses dolmens et ses peulvans tachés de mousse marine. Puis, sur la mer, voyez ces barques à voiles rouges qui se perdent entre les mille récifs de la baie, qui s’assoupissent à la houle sous le vent de ces îles vertes. Ce sont sans doute des barques venetes qui pêchent pour les banquets de la grande Rome, car les Lucullus d’Italie préfèrent maintenant les huîtres d’Armorique à celles du lac Lucrin[4]. Regardez à vos pieds cet homme qui monte la colline ; à son vêtement de lin ne le reconnaissez-vous pas ? c’est un Bellec’h ou druide[5] ; cette femme là-bas à la longue coiffe et tout habillée de laine blanche, c’est une Lëanes ou prêtresse[6]. Je vous l’ai déjà dit, vous n’êtes plus en Bretagne, vous êtes au pays des Venetes.

Et ce n’est point seulement sur les bords de cette mer que vous trouverez l’aspect celtique ; quittez le rivage et lancez-vous à travers les bruyères : partout et toujours c’est la vieille Gaule, moins ses forêts, que les haches de la conquête et de la civilisation ont fait disparaître. Ici vous rencontrerez la lande immense de Lanvaux, hérissée de ses cent vingt pierres druidiques ; là c’est Trehorenteuc avec ses barows innombrables, et que vous entendrez appeler dans le pays le jardin des tombes ; c’est Carnac enfin, Carnac, ce prodigieux problème contre lequel sont venues se briser toutes les formules de nos antiquaires ; Carnac, où ils ont cru voir tour à tour un campement de César, un cimetière de Venetes, un monument triomphal, les colonnes d’Hercule, un serpent zodiacal, un lieu d’assemblée, et enfin un temple de druides ; Carnac, cette ville des poulpiquets, comme ils l’appellent dans la contrée, cet ouvrage égyptien pour la patience et l’énormité, et qui semble réclamer la fraternité des pyramides et des allées de sphynx qui conduisent au temple du même nom dans la Thébaïde. Et si vous voulez voir ce lieu étrange dans toute sa sauvage et fantastique beauté, arrivez-y, comme moi, vers minuit, par une nuit d’hiver claire et froide ; arrivez-y après avoir erré cinq heures dans les bruyères, sans pouvoir retrouver votre route, après vous être arrêté vingt fois avec un indicible saisissement pour entendre les hurlemens d’une louve affamée ou le cri d’un oiseau de cimetière ; montez comme moi sur la colline au moment où une horloge éloignée vous fera entendre ses douze coups fêlés et tristes, au moment où la lune jettera sa lueur la plus blanche ; et, arrivé au haut, vous vous arrêterez aussi en jetant un cri de surprise et d’épouvante, car Carnac sera devant vous.

Sur onze lignes parallèles s’élèvent onze files de peulvans d’inégales grandeurs. Aussi loin que l’œil peut s’étendre, on voit les onze lignes se prolonger et se perdre dans la nuit. Cette armée de fantômes immobiles semble rangée là pour passer la revue de la mort, que l’on s’attend à voir paraître entre les files, armée de sa faux et montée sur son squelette de cheval. Par instans, la clarté stellaire que voile ou que découvre un nuage, baigne ces masses blanches d’ombre ou de lumière, et l’œil trompé croirait les voir exécuter des mouvemens mystérieux. Un silence solennel règne au loin ; à peine si le vent vous apporte un écho du clapotement de la mer sur les grèves. Il semble seulement que l’on entende dans la nuit cette voix sourde et indistincte de la terre et du ciel, ce retentissement confus de l’eau qui sourde, de l’air qui passe, de l’insecte qui rampe ; cet accent qui n’est pas un bruit, vague rumeur du travail de la nature, à laquelle on ne peut donner de nom ni de cause, et que l’on prendrait pour l’entretien insaisissable des génies, des nuages, de la terre et des eaux.

Mais vers le matin, si le vent s’élève, si une bouffée plus forte traverse la lande, prêtez l’oreille, et vous l’entendrez passer avec un sifflement harmonieusement sauvage à travers cette forêt de peulvans, comme à travers les cordes d’une harpe éolienne. La rafale s’élance alors folle, effrénée, se heurtant à chacune de ces pierres inégales, et les froissant avec mille retentissemens divers et bizarres. Ce n’est qu’à l’apparition du jour que tout prestige disparaît, et que Carnac se montre dans sa réalité colossale. Alors le saisissement fait place à l’admiration. Les onze lignes de pierres druidiques se prolongent jusqu’à l’horizon à plus de deux lieues ; il en est qui s’élèvent à vingt pieds dans le ciel, et dont le poids suffirait pour charger un navire[7] ; toutes sont formées d’un seul bloc, brutes et telles qu’on les tira de la carrière. Pour augmenter encore le prodige d’un pareil travail, ces peulvans ont été plantés la pointe en bas, de manière à paraître portés sur des pivots ; on dirait des pyramides que des géans se sont plu à renverser à la suite d’une orgie. J’étais depuis deux heures dans la contemplation de cet incompréhensible ouvrage ; je parcourais les rues immenses de cette ville sans modèle et sans nom, lorsqu’un jeune paysan passa, conduisant une génisse noire, maigre et malade.

– Bonjour, garçon, lui dis-je.

— Que Dieu vous bénisse, monsieur ! me répondit-il en tirant son chapeau ; car il avait vu que j’étais un compatriote.

— Sais-tu ce que c’est que ces pierres ? Et je lui montrais les lignes de menhirs : le paysan se signa.

— Ça, monsieur, dit-il, ce sont les soldats qui poursuivaient saint Corneille, le bon patron de notre paroisse ; comme il allait être pris par eux et qu’il était arrêté par la mer, il les changea en pierres comme vous les voyez là.

Je remerciai le pâtre et je passai ; je venais de retrouver la trace chrétienne au milieu de mes rêves d’antiquité ; j’avais marché sur le moyen âge en tournant autour d’une pierre druidique.

Car le moyen âge aussi a laissé ses traces au pays de Vannes ; seulement il s’y est soudé après coup et sur un fond qui ne lui appartient pas. Ce fond qui existait également dans le reste de la Basse-Bretagne, y a presque totalement disparu, tandis que le Morbihan se laisse encore percer de toutes parts. Cependant, hâtons-nous de le dire, tous les points du pays n’ont pas ce caractère celtique que nous avons indiqué tout à l’heure ; il en est beaucoup où le brodage a complètement caché la trame. Mais le pays de Vannes a cela de particulier, qu’on y trouve par localité, et pour ainsi dire par taches, le druidisme et la féodalité encore nettement empreints. Il en résulte deux aspects entièrement différens. Nous avons tâché de donner idée du premier de ces aspects, le second n’est pas moins frappant.

Les ruines gothiques sont aussi nombreuses au pays de Vannes que partout ailleurs. Elles ont même un caractère plus militaire et plus historique que dans le reste de l’Armorique. De tout temps, aux jours des Romains comme aux jours de la vassalité, cette terre du Morbihan a nourri une race dure et batailleuse. Là, les hommes naissent avec la maladie héréditaire que l’on nomme esprit guerrier, avec cette nature cuirassée d’acier qui brave les chocs de guerre, recherche les noises sanglantes, aime les chevauchées, les cliquetis de fer et les bosselures du combat. Souvent je me suis étonné de ce que les dépeceurs de moyen-âge, qui se sont mis depuis dix ans à fouiller le passé comme un cadavre, n’avaient pas songé à y placer la scène de quelqu’un de leurs romans. C’est un pays à parcourir pour les arrangeurs de chroniques, et ils y auraient trouvé de merveilleux cadres pour décalquer Walter Scott, et faire de la marqueterie historique. Certes, ni les grands noms, ni les souvenirs, ni les ruines féodales ne leur auraient manqué dans cette Écosse armoricaine. N’avaient-ils pas en effet les sombres châteaux de Plessis et de Rochefort, avec leurs longs souterrains encore béans et garnis de dalles retentissantes ? Sucinio, ce trianon d’une époque farouche, où l’on avait fait des étangs avec la mer ; le château de Josselin, bâti par Clisson, cette hyène baptisée, qui avait également besoin de tuer des Anglais et de faire ses Pâques ; n’avaient-ils pas le vieux chêne de Mi-Voie et le combat des Trente, ce beau duel qui dura dix heures, et où l’on entendit ces sublimes paroles qui seraient dans toutes les rhétoriques si elles eussent été dites en vers alexandrins : Bois ton sang, Beaumanoir, et tu n’auras plus soif ! Je ne parle pas de la tour d’Elven, déjà déshonorée par un roman fétide, et si belle pourtant quand on regarde les deux cents pieds d’élévation qui restent à ses murailles, quand on entre dans son enceinte qui était une ville entière, et où l’on voit les débris du moulin, du four et de la fontaine qui devaient faire vivre la garnison ; l’entrée du souterrain qui lui offrait une issue pour fuir, quand la défense était devenue impossible ; Elven, où l’on peut encore regarder la fenêtre à laquelle s’accouda prisonnier un roi d’Angleterre[8]. Puis la ville de Vannes n’offrait-elle point seule la matière de vingt romans historiques ? N’avait elle point la tour du connétable, dans laquelle se passa le drame terrible dont Voltaire a fait la tragédie si peu terrible d’Adélaïde Duguesclin ? N’y montre-t-on pas encore les halles où Pierre II fut couronné duc ; où, plus tard, des États effrayés et corrompus prononcèrent la clôture définitive de la féodalité, en volant la réunion de la Bretagne à la France ? Et si ces grands souvenirs ne suffisent pas à nos dramaturges historiques, il en était de plus romanesques et de plus intimes. Ils pouvaient visiter, près de Bresch, la fontaine où la levrette de Charles de Blois l’abandonna au moment de la bataille, pour suivre Montfort, présage éloquent qui disait d’avance l’issue du combat ; ils pouvaient dépeindre la curieuse église de Ploërmel, où l’on voit au-dessus du portail le fameux verrat jouant de la cornemuse, et au fond du sanctuaire, deux tombeaux des ducs de Bretagne, Jean II et Jean III. N’avaient-ils pas à parler du pont de l’ile Cadnod, bâti par le diable, et où l’on voit encore la trace que laissa le pied de saint Cado en glissant sur la pierre ? Ne leur restait-il pas à explorer, près de la Magdelaine, une corderie de cacoux, et ne pouvaient-ils nous faire quelque beau tableau de ces parias d’autrefois, vêtus d’une souquenille que timbrait la croix rouge, et forcés d’écouter l’office sous les cloches ? Je ne dis rien de la forêt de Broceliande[9], de la chapelle de Béthléem, de la grotte de saint Rivalin à l’embouchure de la Sare, et de mille autres mines fécondes aussi faciles à exploiter. Mais malgré tant de richesses capables de tenter les romanciers historiques, le Morbihan a été assez heureux pour leur échapper jusqu’à présent ; il est vierge encore de ces harpies. Aucun mauvais portrait n’a déshonoré ses traits en public, et vous pouvez le parcourir sans craindre qu’un nom, un site, un lieu célèbre vous rappelle aucune de ces misérables parodies du moyen-âge ; vous pouvez souiller ses ruines sans qu’il vous vienne par réminiscence aucune fade et nauséabonde odeur d’in-octavo. Ici votre mémoire ne se heurtera qu’à l’histoire des bénédictins, aux chroniques d’Albert de Morlaix et aux traditions populaires. Le Morbihan a eu la guerre de Montfort, la ligue et la chouannerie ; mais du moins on l’a laissé dormir dans ses ruines. Personne ne s’est encore déclaré son Walter Scott : le Morbihan est un pays heureux.


  1. On appelle cormlec’hs des cercles druidiques formés de pierres plantées verticalement en terre ; les lichavens sont formés de deux, pierres verticales, recouvertes d’une troisième en forme de linteau de porte. Les peulvans sont, comme les menhirs, des pierres verticales fichées en terre. Les grottes aux fées sont des carrés longs, formés par des pierres verticales et contiguës, sur lesquelles sont placées, horizontalement et transversalement, des tables de pierre en forme de toit : ordinairement une pierre ferme l’une de leurs extrémités.
  2. Les barraws sont des monticules de pierres mêlées de terre.

    Les galgals sont des monceaux de cailloux sans mélange de terre, qui ont une forme conique. Les barraws et les galgals, sont des tombeaux celtes.

  3. Dolmen, table de pierre. Les dolmens sont des pierres longues et larges qui sont placées horizontalement sur d’autres pierres verticales.
  4. Sunt et Armorici qui laudent ostrea Ponti. ( Ausone, epist. ix, v. 55.)
  5. On appelait les druides Bellec’h, du mot gallique Belh, lin, parce qu’ils étaient vêtus de toile. On a conservé, en Bretagne, le nom de Bellec’h aux prêtres catholiques.

    Nos paysans sont vêtus de toile, comme les anciens druides.

  6. On appelait les druidesses Lëanes, du mot gallique Gloan ; par contraction Lëans, qui signifie blanc, parce qu’elles étaient vêtues de laine blanche. On appelle maintenant, en Bretagne, les religieuses Lëanes, et beaucoup de celles-ci portent aussi le vêtement de laine blanche.
  7. Beaucoup de ces pierres pèsent plus de 80 milliers.
  8. Le comte de Richemont, plus tard Henry VII.
  9. La forêt de Broçeliande de Paimpoul ou de Brécilien se trouve située dans la commune de Concoret, arrondissement de Ploërmel, département du Morbihan ; elle est célèbre dans les romans de la Table-Ronde. C’est là que l’on rencontre la fontaine de Baranton, le Val sans retour, la tombe de Merlin. On sait que ce magicien se trouve encore dans cette forêt, où il est retenu par les enchantemens de Viviane à l’ombre d’un bois d’aubépine. Viviane avait essayé sur Merlin le charme qu’elle avait appris de lui-même, sans croire qu’il pût opérer ; elle se désespéra quand elle vit que celui qu’elle adorait était à jamais perdu pour elle. On assure que messire Gauvain et quelques chevaliers de la Table-Ronde cherchèrent partout Merlin, mais en vain. Gauvain seul l’entendit dans la forêt de Broceliande, mais ne put le voir. Une vieille chronique, faisant partie d’un contrat de propriété de la forêt de Broceliande, s’exprime ainsi à l’égard de ce lieu :

    « En ladite forêt il y a quatre châteaux et un fort grand nombre de beaux étangs, et des plus belles choses qu’on pourrait autre part trouver. Il y a deux cents brieux de bois…… entre autres celui nommé le Breil-au-Seigneur, auquel jamais n’habite ni ne peut habiter aucune bête venimeuse, portant venin, ni nulles mouches ; et quand on y approchait, audit Breil, aucune bête venimeuse tantôt en est morte et n’y peut avoir né. Et quand les bêtes pâturent en ladite forêt sont couvertes de mouches et peuvent recouvrer le dit Breil, soudainement les mouches s’en départent quittent li celui Breil. »

    « Un autre se nomme le Breil de Balanton, et dans le pays de Baranton, auprès de laquelle le bon chevalier de Pontude fit ses armes, ainsi qu’on peut voir par le livre qui de ce fut composé… joignant à ladite fontaine, il y a une grosse pierre qu’on nomme le perron de Baranton. Et toutes les fois que le seigneur de Monfort vient à ladite fontaine, et de l’eau d’icelle arrose et mouille ledit perron, quelque chaleur, temps sûr de pluie, quelque part que le vent soit, soudain et en peu d’espace, plutôt que ledit seigneur n’aura pu recouvrer son château de Comper’, ains qu’avant la fin d’icelui jour, pleut au pays si abondamment que la terre et le bien en icelle en sont moult arrousés et moult leur profite. »

    M. Penhouet, qui donne ce renseignement, ajoute les réflexions suivantes qui nous paraissent fort justes :

    « Cette citation est très curieuse, car sous le voile de la fiction elle nous paraît cacher une cérémonie du Druidisme. On sait qu’antérieurement au christianisme, le culte des fontaines se liait à celui des pierres. Ici un seigneur de Monfort et du château de Comper n’a-t-il pas remplacé un prêtre de Bel, un druide qui s’adresse au dieu Balanton pour avoir de la pluie, et, pour cette cérémonie, prend de la fontaine sacrée l’eau dont il mouille la pierre. Cette pierre n’est-elle pas la représentation d’une divinité qui portait le nom de Balanton, par corruption Baranton ? En Angleterre les Romains avaient admis le dieu Balautnerate, que les Bretons traduisaient par Bal l’ancien, le Noir, l’Assyrien. »