Les Derniers Jours de Henri Heine/III

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III


Quoi qu’on ait dit, il n’a été égoïste avec personne. Il ne faut pas l’en croire, quand il affecte des dehors de Méphistophélès, quand il déborde en railleries sur la vertu et sur l’amour. Cet esprit, que l’on se plaît à représenter comme dépravé, et qui l’est quelquefois, a des délicatesses de sentiment inconnues aux poètes réputés vertueux, et je doute que Schiller lui-même ait jamais écrit des vers aussi profondément émus que les dix lignes que voici : « Tu ressembles à une fleur, tant tu es gracieuse, et belle, et pure : je te regarde en silence, et, tandis que je te regarde, un indicible sentiment de tristesse me pénètre, j’éprouve quelque chose comme si je devais étendre les mains sur toi, et te bénir, priant le ciel de te conserver aussi belle, aussi gracieuse, aussi pure. »

On reconnaît à cet accent l’homme qui, pour rassurer sa mère âgée et infirme, et tandis qu’il criait de douleur, inventait des lettres gaies ; mais on y reconnaît aussi l’homme capable de faire des plaisanteries mordantes sur les personnes qui prétendaient l’aimer et ne songeaient qu’à l’exploiter. En voici une qui peint le degré de désintéressement qu’il attribuait aux domestiques réputés fidèles. Cela se passait peu après le jour de l’an, comme je venais de vanter l’empressement de Catherine, celle des deux bonnes qui servait de garde-malade, et ne quittait point le serre-tête avec lequel elle a dû poser pour le modèle de « Dame Infortune ».

— Tu oublies, me disait Heine, que nous sommes dans la semaine des étrennes, c’est-à-dire dans celle de la reconnaissance. Trois jours avant, trois jours après le 1er  janvier ; total : six jours de prévenance, cela fait le compte. Au moins, ne va pas prendre les domestiques pour des bêtes brutes incapables de bons sentiments.