Les Derniers Jours de Henri Heine/XI

La bibliothèque libre.


Calmann Lévy (p. 39-42).
◄  X
XII  ►


XI


« La plus douce des fines mouches ! Ou bien, laissant l’emblème de votre cachet, est-ce d’après le parfum de votre lettre que je dois vous nommer ? En ce cas, il me faudrait vous appeler « la plus mignonne des chattes musquées ». J’ai reçu votre missive avant-hier, les pattes de mouche me trottent constamment dans la tête, peut-être même dans le cœur. Mes remerciements les plus vifs pour toute l’affection que vous me témoignez. La traduction des poèmes est très belle, et je réitère ce que je vous ai dit à ce sujet avant votre départ. Moi aussi, je me réjouis de vous revoir bientôt et de poser une empreinte vivante[1] sur les traits suaves et quelque peu souabes. Ah ! cette phrase prendrait une signification moins platonique si j’étais encore un homme ! Mais je ne suis plus qu’un esprit ; ce qui peut vous convenir, à vous, mais m’arrange, moi, médiocrement.

» L’édition française de mes poèmes vient de paraître et fait fureur. Toutefois, c’est seulement dans deux ou trois mois que ceux des poèmes qui n’ont pas encore été publiés, par exemple le Nouveau Printemps, paraîtront dans l’un des derniers volumes de l’édition française. Vous le voyez, il n’y a pas de temps perdu. Oui, je me réjouis de vous revoir, fine mouche de mon âme ! La plus gracieuse des chattes musquées, mais en même temps douce comme une chatte angora, l’espèce que je préfère. Pendant longtemps j’ai aimé les chattes-tigres ; mais celles-là sont trop dangereuses et les empreintes vivantes qu’elles laissaient quelquefois sur mon visage étaient déplaisantes. Je me porte toujours très mal ; constamment des contrariétés, des accès de rage. Fureur contre mon état, qui est désespéré ! Un mort ayant soif de toutes les jouissances les plus ardentes que la vie peut offrir ! Cela est affreux ! Adieu ! Puissent les eaux vous fortifier et vous faire du bien. Les plus affectueux saluts de votre ami,

» H. H. »
Paris, ce 20 juillet 1855.

La lettre suivante est écrite en français dans le texte original.

« Ma chère amie,

» Vous êtes à Paris et pourtant vous tardez encore à venir me serrer la main. J’ai grande envie de sentir le musc de vos gants, d’entendre le son de votre voix, de poser une empreinte vivante sur votre Schwabengesicht. — Ne vous fâchez pas : — quelque gracieuse que vous soyez, vous avez une figure de Gelbveiglein souabes !

» Mais venez bientôt. Tout à vous,

» Henri Heiné. »

(Il mettait l’accent en signant lorsqu’il écrivait en français.)

  1. Ces mots, qui reviennent souvent sous la plume de Heine et font allusion à l’une de mes paroles, sont en français dans le texte original.