Les Derniers Jours de Henri Heine/XIX
XIX
Un matin, vers le milieu de décembre, j’entendis causer avec animation dans la chambre du malade. J’entrai chez lui : madame Heine était absente, mais la place que j’occupais ordinairement auprès du lit du poète était prise par une dame blonde, gracieuse, élégante, qui me tendit affectueusement la main et semblait là chez elle. En même temps, un homme encore jeune, qui avait une physionomie agréable, s’avançait vers moi pour me saluer.
Pour toute présentation, Henri Heine m’embrassa sur le front, et leur dit : « C’est ma Mouche. »
Je me trouvais entre madame Charlotte d’Embden, la sœur chérie du poète, et l’un de ses frères, M. Gustave Heine, alors rédacteur du Tagblatt de Vienne. Tous deux se crurent obligés de m’adresser des remerciements qui, pour paraître sincères, ne laissaient point que de m’embarrasser fort. Évidemment, dans l’effusion de sa sympathie pour moi, mon pauvre ami avait fait mon éloge en termes aussi chaleureux qu’exagérés, si bien que je me sentis tout à fait soulagée quand madame d’Embden, alléguant la nécessité d’un entretien d’affaires, m’entraîna avec elle dans une pièce voisine. Là, vis-à-vis l’une de l’autre, nous parlâmes longuement de celui que nous aimions, glissant sur certains points délicats, en effleurant d’autres sur lesquels tout nous défendait de nous appesantir. Par instants, une même pensée mouillait nos paupières, et nous nous taisions, comme si tout était fini déjà. Nous comprenions, sans nous le dire, que notre ami s’affaiblissait beaucoup, et que la fin était proche.