Les Derniers Jours de Henri Heine/XVII

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Calmann Lévy (p. 77-78).
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XVII


Ces historiettes charmantes, qui trahissaient si bien le fond d’une âme délicate, devenaient malheureusement de plus en plus rares ; même, moi présente, il lui arrivait de s’enfoncer et de s’absorber dans ces sombres rêveries pendant lesquelles l’âme des malades semble planer à travers des espaces inconnus et sinistres. Parfois, au sortir de cet assoupissement, il poussait un long gémissement désespéré, ou bien il s’efforçait de rire au souvenir de quelque histoire graveleuse, un trait cynique qui semblait emprunté aux pages les plus scabreuses de l’Ancien Testament, et qu’il paraissait se raconter à lui-même. Des mots tendres, imprévus, poétiques, sortaient de là comme des roses d’entre le fumier, et me ramenaient vers le poète comme je m’éloignais malgré moi du viveur, du libertin raffiné et sceptique. Un jour, s’apercevant qu’il m’effrayait, il allongea son bras vers le mien et le serra avec force. « Pardon, dit-il. Mais cela va bientôt finir. Vois-tu, c’est la faute de la mort qui arrive. Elle approche à grands pas, et, quand je la sens ainsi tout près de moi, comme à présent, j’ai besoin de me cramponner à la vie, fût-ce par une poutre pourrie. »

Il parlait bas, et sa voix creuse semblait sortir de la bouche d’un mort, ou plutôt des lèvres blafardes d’un de ces vampires qui, selon la sombre légende hongroise, quittent la tombe pour venir visiter nuitamment le domaine des vivants, et leur ravir les forces dont le vampire a besoin pour ranimer son cadavre.