Les Deux Timides
LES DEUX TIMIDES
COMÉDIE-VAUDEVILLE
EN UN ACTE
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Gymnase, le 16 mars 1860.
COLLABORATEUR : M. MARC-MICHEL
Acteurs qui ont créé les rôles
Thibaudier : MM. Lesueur
Jules Frémissin : Priston
Anatole Garadoux : Leménil
Cécile, fille de Thibaudier : Mlles Albrecht
Annette, femme de chambre : Georgina
Scène première
Salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin par une grande porte. — Porte à gauche. — Portes dans les pans coupés. — Cheminée à droite. — Une pendule et des vases sans fleurs sur la cheminée. — Une table avec encrier, papier et plumes, à gauche. — À droite, un guéridon. — Un petit buffet après la porte de gauche. — Chaises, fauteuils.
Monsieur, c’est votre eau chaude… (Descendant en scène.) Il est drôle, le futur de Mademoiselle, M. Anatole Garadoux… il passe tous les matins une heure et demie à sa toilette… ses ongles surtout lui prennent un temps ! il les brosse, il les ratisse, il a un tas de petits instruments… Il travaille ça comme de la bijouterie, c’est curieux à voir ! Je ne sais pas si c’est par là qu’il a séduit M. Thibaudier, toujours est-il que le bonhomme s’est laissé prendre comme… Au fait, comme il se laisse prendre par tout le monde. C’est incroyable ! un homme de son âge… pas plus de défense qu’un enfant… une timidité… il n’ose jamais dire non… Ah ! quelle différence avec sa fille ! Voilà une petite tête qui, avec son petit air tout doux, ne fait que ce qui lui plaît. (On entend chanter Cécile dans le jardin.) Ah ! je l’entends. Elle revient de sa promenade du matin avec une botte de fleurs dans son panier et son petit volume à la main.
Cécile, venant du jardin
Air de la Clef des champs (Deffès)
Le bon La Fontaine
Nous peint le tableau
D’un robuste chêne,
D’un frêle roseau
La force inutile
De l’un n’est qu’un nom ;
Le roseau débile
Résiste et tient bon.
Par peur, par faiblesse,
On voit des papas
Qui tremblent sans cesse
Au moindre embarras.
Mais, dans les familles,
L’on peut, en ce cas,
Voir des jeunes filles
Qui ne tremblent pas.
Le bon La Fontaine,
Etc.
Annette ! vite ! les vases de la cheminée.
À qui ?
À M. Garadoux…
Eh bien, qu’est-ce que ça me fait ?
Avez-vous remarqué ses ongles ?
Non…
Comment, vous n’avez pas remarqué ses ongles ?… Ils sont longs comme ça ! Mais l’autre jour, en voulant ouvrir sa fenêtre, il en a cassé un !…
Voilà un grand malheur !
Je sais bien que ça repousse… mais il a paru vivement contrarié… car, depuis ce temps-là, il me sonne pour ouvrir la fenêtre.
Je t’ai déjà priée de ne pas me parler sans cesse de M. Garadoux… cela m’est désagréable, cela m’agace !
Votre futur ?
Oh ! mon futur ! le mariage n’est pas encore fait ! Où est mon père ?
Elle porte un vase sur la cheminée.M. Thibaudier ?… il est dans son cabinet depuis une grande heure avec un particulier venu de Paris…
De Paris ? un jeune homme… un jeune avocat ? blond… l’air doux… les yeux bleus ?
Non… celui-là est brun… avec des moustaches et une barbe comme du cirage.
Ah !
Je crois que c’est un commis voyageur en vins… Monsieur ne voulait pas le recevoir… mais il a presque forcé la porte avec ses fioles.
Pourquoi papa ne le renvoie-t-il pas ?
Monsieur ?… il est bien trop timide pour cela !
Elle porte le deuxième vase sur la cheminée.
Ca, c’est bien vrai !
Scène II
Monsieur, c’est à moi de vous remercier… enchanté… (Montrant deux petites bouteilles d’échantillon.) Je n’en avais pas besoin… mais j’en ai pris quatre pièces.
Vous avez acheté du vin ?
Votre cave est pleine.
Elle remonte.
Je sais bien… Mais le moyen de refuser un monsieur bien mis… qui vient de faire quatre lieues… de Paris à Chatou…pour vous offrir sa marchandise… Car, enfin, il s’est dérangé, cet homme !
Mais c’est vous qu’il a dérangé.
Est-il bon, au moins, son vin ?
Veux-tu goûter ?
Voyons ! (Elle boit et jette un cri.) Brrr !
C’est ce qu’il m’avait semblé… J’ai même osé lui dire… avec ménagement : "Votre vin me paraît un peu jeune ! " J’ai cru qu’il allait se fâcher… Alors, j’en ai pris quatre pièces…
Voilà de quoi faire de la salade. (On sonne à gauche.) C’est M. Garadoux qui sonne pour me faire ouvrir sa fenêtre.
Elle entre à gauche, pan coupé.
Scène III
Comment ! il n’est pas encore levé, M. Garadoux ?
Non. Il paraît jamais avant dix heures…
Ca ne m’étonne pas… Tous les soirs, il s’empare de mon journal… Dès qu’il arrive, il le monte dans sa chambre… et il le lit pour s’endormir.
Eh bien… et vous… ?
Moi ?… je le lis le lendemain…
Ah ! c’est un peu fort…
Je t’avoue que ça me prive ; et, si tu pouvais lui en toucher un mot… sans que cela ait l’air de venir de moi !
Soyez tranquille ! je lui parlerai !
Vrai ! tu oseras ?…
Tiens !
J’admire ton assurance… À dix-huit ans… Moi, c’est plus fort que moi… La présence d’un étranger dans ma maison… ça me trouble… ça m’anéantit…
Pauvre père !
Mais cela va bientôt finir, Dieu merci !
Comment ?
Oui, toutes ces demandes, ces présentations… j’en suis malade !… Que veux-tu ! j’ai passé ma vie dans un bureau… à l’administration des Archives… et des Archives secrètes, encore ! Nous ne recevions jamais personne… ça m’allait… Voilà pourquoi je n’aime pas à causer avec les gens que je ne connais pas.
Vous connaissez donc beaucoup M. Garadoux ?
Pas du tout, mais il m’a été recommandé par mon notaire, que je ne connais presque pas non plus. Il s’est présenté carrément… Nous avons causé pendant deux heures… sans que j’aie eu la peine de placer quatre mots… Il faisait les demandes et les réponses… cela m’a mis tout de suite à mon aise :
Air du Piège
"Bonjour monsieur, comment vous portez-vous ?
Bien ! je le vois… Grand merci, moi de même.
Maître Godard vous a parlé pour nous…
Tant mieux ! Ma joie en est extrême.
Croyez, monsieur, que je serais flatté
D’être admis dans votre famille…
Hein ?… Pas un mot ?… Allons ! c’est arrêté ;
Vous m’accordez la main de votre fille."
Et vous lui ?…
Et il paraît que je lui ai accordé ta main… à ce qu’il m’a dit. Alors, il est venu s’installer ici depuis quinze jours… et, aujourd’hui même, nous devons aller à la mairie pour faire les publications.
Aujourd’hui ?
C’est lui qui a décidé ça… Moi, je ne me mêle de rien !
Mais, papa…
Quoi ?
Est-ce qu’il vous plaît beaucoup, M. Garadoux ?
C’est un charmant garçon… qui a une facilité de parole…
Il est veuf ! je ne veux pas épouser un veuf.
Mais…
Mais si, par hasard… un autre prétendu se présentait ?
Comment ! un autre prétendu ?… Encore des demandes ? des entrevues ! il faudrait recommencer ? Ah ! non, non !
Il va s’asseoir près de la table, à gauche.Celui dont je parle n’est pas un étranger… vous savez bien… M. Jules Frémissin… un avocat…
Un avocat !… je ne pourrai jamais causer avec un avocat !
C’est le neveu de ma marraine…
Le neveu ! le neveu ! je ne l’ai jamais vu !
Je croyais que ma marraine vous avait écrit…
Il y a trois mois… avant Garadoux… ce n’était qu’un projet en l’air… et, puisque ce monsieur n’a pas paru, c’est qu’il n’a jamais pensé à toi !
Oh ! si, papa… j’en suis sûre.
Comment ! tu es sûre ! Voyons, parle-moi franchement… que s’est-il passé ?
Elle s’assied sur ses genoux.
Oh ! rien ! il ne m’a jamais parlé !
Eh bien ?
Je n’aime pas les réunions… où il y a du monde.
J’étais à table, près de M. Frémissin…il rougissait… il ne faisait que des gaucheries.
Je connais ça… Lesquelles !
D’abord, il a cassé son verre !
Ce n’est pas un symptôme… c’est une maladresse.
Ensuite, quand je lui ai demandé à boire… il m’a passé la salière.
Il est peut-être sourd.
Oh ! non, papa, il n’est pas sourd… Il était troublé. Voilà tout.
Eh bien ?
Eh bien, pour qu’un jeune homme qui est avocat… qui parle en public… soit troublé à ce point… (baissant les yeux) il faut bien qu’il y ait une raison…
Et cette raison… c’est qu’il t’aime ?
Si cela était, il serait venu… Il n’est pas venu… donc cela n’est pas ! et j’en suis bien aise, car, au point où sont les choses avec M. Garadoux…
Monsieur, c’est une lettre que le facteur apporte.
Elle sort.
L’écriture de ma marraine !
Voyons, ne te monte pas la tête. Encore quelque invitation… c’est insupportable ! (Lisant.) "Cher monsieur Thibaudier… permettez-moi de vous adresser M. Jules Frémissin, mon neveu, dont je vous ai parlé il y a quelques mois… Il aime notre chère Cécile…"
J’en étais bien sûre !
Allons bon ! des complications ! (Reprenant sa lecture.) "Son rêve serait d’obtenir sa main… Je devais l’accompagner aujourd’hui pour traiter cette importante affaire, mais je suis retenue par une indisposition, il se présentera seul…"
Il va venir !
Je n’y suis pas !
Mais c’est impossible, j’ai donné ma parole à Garadoux… tu vas me lancer dans des difficultés…
Je vous soutiendrai, papa !
Mais qu’est-ce que tu veux que je devienne entre deux prétendus ?
Vous congédierez M. Garadoux !
Moi ?… (Apercevant Garadoux qui sort de sa chambre.) Chut ! le voici !
Scène IV
Bonjour… cher beau-père…
Monsieur Garadoux…
Ma charmante future… vous êtes fraîche, aujourd’hui, comme un bouquet de cerises.
Je vous remercie… pour ma fraîcheur des autres jours !
Elle remonte à la table.Oh ! elle va trop loin ! (Haut.) Ce cher Garadoux !… Vous avez bien dormi ?
Parfaitement ! (À Cécile.) Je me suis levé un peu tard peut-être ?…
Je n’ai pas dit cela !
Le fait est que vous n’aimez pas la campagne, le matin… (Vivement.) Ce n’est pas un reproche !
Moi ? assister au réveil de la nature, je ne connais pas de plus magnifique tableau ! Les fleurs ouvrent leurs calices, le brin d’herbe redresse sa tête pour rendre hommage au soleil levant. (Il examine ses ongles.) Le papillon essuie ses ailes encore humides des baisers de la nuit…
Il tire un petit instrument de sa poche et lime ses ongles.
Le voilà parti !… C’est très commode !
Cécile, à part. Il fait sa toilette !
L’abeille diligente commence ses visites à la rose pendant que la fauvette à tête noire…
C’est impatientant ! (Brusquement, à Garadoux.) Quoi de nouveau dans le journal ?
Vous l’avez monté, hier soir… et mon père n’a pu le lire…
Oh !… a-t-elle un aplomb !
Mille pardons, monsieur Thibaudier, c’est par inadvertance !
Oh ! il n’y a pas de mal !
Je ne l’ai pas même lu…
Vous ne l’avez pas lu ? Alors, gardez-le, monsieur Garadoux !
Non, je vous en prie !
Moi, je vous en supplie…
Allons, puisque vous le voulez !
Il va à la cheminée et arrange sa cravate devant la glace.
J’aurais pourtant bien voulu voir le cours de la rente !
Monsieur…
C’est la carte de visite d’un monsieur qui attend là… à la grille…
Elle remet la carte à Thibaudier.
Un monsieur ?… (Après avoir jeté un coup d’œil.) C’est lui ! M. Jules !
Saprelotte !… et devant l’autre !… Que faire ?
Vous ne pouvez pas lui refuser votre porte. (Haut à Annette.) Faites entrer !
Annette sort.
Une visite ?… Ah ça, beau-père, n’oubliez pas qu’à midi nous allons à la mairie pour les publications.
Certainement, mon cher Garadoux, certainement ! (Bas à Cécile.) Au moins, emmène-le.
Voulez-vous m’accompagner, monsieur Garadoux ?
Volontiers, mademoiselle… Où allons-nous ?
Arroser mes fleurs.
Ah le soleil est bien ardent.
Avec plaisir !
S’il pouvait encore se casser un ongle !
Air de l’Omelette à la Follembuche
Cécile
Venez, monsieur, arroser mes fleurs,
Comptez sur leur reconnaissance,
En doux parfums, en riches couleurs
Elles paieront votre assistance.
Garadoux
Voyez mon obéissance !
Thibaudier, à part
Que faire en cette occurence ?
Ensemble
Cécile
Venez, venez, arroser mes fleurs,
En doux parfums, en riches couleurs
Elles paieront votre assistance.
Allons, venez arroser mes fleurs !
Garadoux
Allons, je vais arroser vos fleurs.
Mais pour les soins donnés à vos sœurs,
De vous j’attends ma récompense.
Allons, allons arroser vos sœurs.
Thibaudier, à part
Quel sort cruel ! deux adorateurs !
Voilà de quoi combler mes malheurs !
À qui donner la préférence
Entre ces deux adorateurs ?
Garadoux et Cécile sortent par le fond.
Scène V
Mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! quelle situation ! un prétendu accepté… installé !… et un autre !… un avocat encore !… Il doit avoir une langue !… il va m’entortiller avec sa langue !… je me connais, je suis capable de lui dire : "Oui…" comme à l’autre !… ça en fera deux !
M. Frémissin !
Elle sort par la droite.
Lui !… que lui dire ?… (Se regardant et saisissant ce prétexte.) Ah ! je n’ai pas d’habit… je vais mettre un habit !
Il se sauve par la première porte de gauche au moment où Frémissin paraît au fond.
Scène VI
Il entre par le fond timidement, très décontenancé, et salue tout bas.
Monsieur… madame… j’ai bien l’honneur… (Regardant autour de lui.) Tiens ! personne ! Ah ! tant mieux ! ce que je redoutais le plus, c’était de rencontrer quelqu’un… Je frissonne à l’idée de me trouver en présence de ce père…qui sait que j’aime sa fille… (Avec feu.) Ah ! oui, je l’aime !… Depuis ce dîner où j’ai cassé un verre… je viens tous les jours à Chatou pour faire ma demande… J’arrive par le convoi de midi, je n’ose pas entrer, et je repars par celui d’une heure. Si cela devait continuer, je prendrais un abonnement au chemin de fer… mais aujourd’hui… j’ai eu du courage, j’ai franchi la grille ! sans ma tante ! qui n’a pu m’accompagner… et je vais être obligé… moi-même… tout seul, de… (Effrayé.) Mais est-ce que ça se peut ? est-ce qu’il est possible de dire à un père… qu’on ne connaît pas : "Monsieur, voulez-vous avoir l’obligeance de me donner votre fille pour l’emmener chez moi et…" (Se révoltant.) Non ! on ne peut pas dire ces choses-là ! et jamais je n’oserai… (Tout à coup.) Si je m’en allais !… Personne ne m’a vu… je m’en vais ! je reviendrai demain… à midi.
Il remonte vers le fond et se rencontre vers la porte avec Cécile.
Scène VII
Trop tard !
Je ne me trompe pas… M. Jules Frémissin ?
Oui, monsieur…
Hein ?
Oui, mademoiselle…
C’est bien le hasard, en effet… je passais… je cherchais le notaire…
Ah !
J’ai affaire au notaire de Chatou… j’ai vu une grille… j’ai sonné… mais je vois que je me suis trompé… (Saluant.) Mademoiselle, j’ai bien l’honneur…
Mais attendez donc !… mon père sera charmé de vous voir…
Oh ! ne le dérangez pas ! je me retire…
Du tout ! vous me feriez gronder… Veuillez vous asseoir…
Avec plaisir… je ne suis pas fatigué.
Il ôte ses gants puis les remet vivement.
Pauvre garçon ! comme il est troublé !
Qu’elle est jolie !
Vous me permettez de garnir mon sucrier ? Elle va prendre sur le buffet un sucrier et une boîte à sucre.
Mais pas du tout !… et même si je ne craignais d’être indiscrète…
Parlez, mademoiselle !
Cécile
Air de Couder
C’est agir sans cérémonie,
Mais vous voudrez bien m’excuser…
Frémissin
De quoi s’agit-il, je vous prie ?
Cécile
Eh bien, allons ! je vais oser !
Abusant de cette obligeance,
Puis-je, monsieur, vous supplier…
Frémissin
De quoi ?
Cécile
D’avoir la complaisance
De me tenir mon sucrier ?
Avec bonheur ! avec transport !…
Ensemble
Cécile
Pardon de la peine.
À part. Mais comme cela, Je suis bien certaine Qu’il nous restera ! </poem> Frémissin
Je vous rends sans peine
Ce service-là
À part
Ce charmant sans-gêne
M’enhardit déjà !
Si son père nous surprenait dans cette position !… Il faut pourtant que je lui dise quelque chose… j’ai l’air d’un idiot ! (Surmontant sa timidité, haut.) Mademoiselle Cécile !…
Monsieur Jules ?
Il est bien blanc, votre sucre !…
Comme tous les sucres…
Oh ! non, pas comme tous les sucres !
Qu’est-ce qu’il a donc ?
J’ai été trop loin. (Haut.) Est-il de canne ou de betterave ?
Je ne sais pas… je n’en connais pas la différence.
Oh ! elle est très grande… l’un est bien plus… tandis que l’autre… est récolté par les nègres…
Ah ! je vous remercie !
Elle reprend son sucrier, s’éloigne de lui et va au buffet.
Voici mon père !
Ah ! mon Dieu !
Scène VIII
Thibaudier entre par la gauche, très décontenancé. Il est en habit noir.
Papa, c’est M. Jules Frémissin…
Thibaudier et Frémissin se tiennent aux deux extrémités de la scène, très embarrassés et n’osant lever les yeux l’un sur l’autre.
Allons, il le faut ! (Saluant Jules de loin.) Monsieur… je suis très heureux…certainement…
C’est moi, monsieur, qui… certainement…
Qu’il a l’air imposant !
J’aurais bien mieux fait de m’en aller !
Vous avez sans doute à causer… je vous laisse.
Il faut que je prépare mon dessert. (À Frémissin.) Asseyez-vous… (À son père.) Vous aussi, papa… (Tous deux s’asseyent. Bas à Frémissin.) Courage ! (Bas à son père.) Courage !
Elle sort par la gauche.
Scène IX
Ils sont assis en face l’un de l’autre, et sont très embarrassés.
Nous voilà seuls… Il a l’air d’avoir un aplomb de tous les diables !
Jamais je n’ai été si mal à mon aise. (S’inclinant.) Monsieur…
Monsieur… (À part.) Il va me faire sa demande !…
Vous avez sans doute reçu une lettre de ma tante ?
Et comment se porte-t-elle, cette chère dame ?
Parfaitement.
Allons, tant mieux ! tant mieux !
Allons, tant mieux ! tant mieux !
Mais j’espère que le beau temps… le soleil…
Mon baromètre monte !
Le mien aussi… C’est drôle ! deux baromètres qui montent en même temps.
C’est fâcheux pour mes rosiers, ils vont griller
Vous êtes amateur ?
Passionné… je fais des semis !
Moi aussi !
Allons, tant mieux ! tant mieux ! (À part.) Jusqu’à présent, ça marche très bien !
Il a l’air bonhomme… Si j’essayais… (Haut, très ému, se levant.) Dans sa lettre… ma tante daignait… vous annoncer ma visite…
Nous y voilà… (Haut.) En effet !… en effet !… mais elle ne m’indiquait pas précisément… le but…
Non ! elle ne m’en a pas soufflé mot…
Ah ! mon Dieu !… mais alors… c’est encore plus difficile. (Haut, avec effort.) Monsieur… c’est en tremblant…
Quel soleil ! regardez donc ce soleil ! ça va tout brûler…
Oui… moi, je couvre avec des paillassons… (Reprenant.) C’est en tremblant que je viens solliciter la faveur de…
Voulez-vous vous rafraîchir ?
Merci ! je ne bois jamais entre mes repas.
Moi non plus… Une fois, j’avais très chaud… j’ai voulu boire un verre de bière… ça m’a fait mal.
Allons ! tant mieux ! tant mieux !… Je viens solliciter la faveur…
Ah ! vous cultivez des rosiers ?…
J’ai exposé l’année dernière l’Etendard de Marengo.
Et moi le Géant des batailles… trois pouces de diamètre !
Non… mais j’ai les Prémices de Pontoise.
Monsieur, c’est en tremblant…
En usez-vous, monsieur ?
Jamais entre mes repas… C’est en tremblant que je viens solliciter… la faveur… d’obtenir…
Quoi ?
Mais… quelques-unes de vos greffes !…
Comment donc ! jeune homme… avec plaisir…
Mais, monsieur…
Je cours les envelopper moi-même dans de la mousse mouillée…
Il s’en va !… (Haut.) Monsieur Thibaudier…
Enchanté, cher monsieur… enchanté… (À part.) Je l’échappe belle !… ouf !
Il sort vivement par le fond et tourne à droite.
Scène X
Il est parti !… et je n’ai pas trouvé un mot !… Imbécile… brute !… âne !… crétin !…
Eh bien, monsieur Jules ?
Elle !
Vous avez causé avec mon père ?
Oui, mademoiselle…
Et… avez-vous été content de l’entrevue ?
Enchanté !… Et la preuve c’est qu’il est allé me chercher ce que je lui demandais…
Il me cherche ?
Non ! pas vous… des greffes de rosier !
Des greffes !
Oui, mademoiselle… pendant un quart d’heure … c’est à ne pas y croire ! nous n’avons parlé que du Géant des batailles et du Triomphe d’Avranches.
Mais pourquoi cela ?
Ah ! parce que… parce que je suis possédé d’une infirmité déplorable : je suis timide !…
Vous aussi ?
Mais timide jusqu’à l’idiotisme, jusqu’à l’imbécilité ! Ainsi, on me tuerait plutôt que de me faire dire tout haut que ce je me dis tout bas depuis trois mois… c’est-à-dire que je vous aime ! que je vous adore ! que vous êtes un ange !…
Mais il me semble que vous le dites très bien !
Je l’ai dit !… Oh ! pardon ! ça ne compte pas, ça m’a échappé !… Je ne vous le dirai plus… jamais… je vous le jure !…
Ne jurez pas… Je ne vous demande pas de serment !… Timide… un avocat ! ça doit bien vous gêner pour plaider.
Aussi je ne plaide jamais !… ça m’est arrivé une fois… et ça ne m’arrivera plus.
Que s’est-il donc passé ?
Ma tante m’avait procuré un client… car Dieu m’est témoin que je n’ai pas été le chercher. C’était un homme violent… il avait laissé tomber sa canne sur le dos de sa femme…
Et vous le défendiez ?
Vous allez voir si je l’ai défendu !… Le grand jour arrive… tous mes camarades étaient à l’audience… J’avais préparé une plaidoirie brillante… Je la savais par cœur… Tout à coup, un grand silence se fait… et le président me dit en m’adressant un geste bienveillant : "Avocat, vous avez la parole ! " Je me lève… Je veux parler… impossible ! rien, pas un mot ! pas un son ! Le tribunal me regardait, le président me répétait : "Vous avez la parole…" Je ne l’avais pas du tout ! Mon client me criait : "Allez donc ! allez donc ! " Enfin, je fais un effort ! quelque chose d’inarticulé sort de mon gosier : "Messieurs, je recommande le prévenu à… toute la sévérité du tribunal." Et je retombe sur mon banc !
Et votre client ?
Il a été condamné au maximum : six mois de prison !
C’est bien fait !
Frémissin.- C’était trop peu pour ce qu’il m’avait fait souffrir ! Aussi je n’ai jamais voulu recevoir d’honoraires… Il est vrai qu’il a négligé de m’en offrir… Et maintenant que vous me connaissez… voyez s’il m’est possible d’adresser moi-même à M. votre père… une demande…Je ne puis pourtant pas lui demander ma main pour vous…
Non ! ça ne serait pas convenable ; alors, j’attendrai que ma tante soit guérie !
Attendre ! mais vous ne savez donc pas qu’il y a ici un autre prétendu ?
Un autre ?
Installé… accueilli par mon père !
Ah ! mon Dieu ! une lutte ! un rival !
Mais je ne l’aime pas, et, si l’on me force à l’épouser, je mourrai certainement de chagrin !
Mourir, vous ? (Avec résolution.) Où est votre père ? qu’il vienne !
Vous parlerez ?
Oui, je parlerai !
À la bonne heure !
Je vais le chercher !… Courage ! courage !
Elle sort par le fond et tourne à gauche.
Scène XI
Oui, je parlerai !… c’est-à-dire non !… Je ne parlerai pas… j’ai un autre moyen… meilleur… je vais écrire : j’ai la plume très hardie ! (S’asseyant à la table.) C’est ça… Une lettre ! (Il écrit rapidement tout en parlant.) Au moins une lettre ne rougit pas, ne tremble pas… On peut casser les vitres !… et je les casse ! (Il plie et met l’adresse.) "À monsieur Thibaudier." (Mettant un timbre par habitude.) Un timbre… voilà ce que c’est.
Tenez-les au frais ! on va venir les prendre !
Lui ! déjà ! (Montrant sa lettre.) Je ne peux pas lui mettre ça dans la main… Ah ! sur la pendule.
Il met vivement sa lettre sur la pendule et s’en éloigne.
Scène XII
Cher monsieur, vos greffes sont prêtes…
J’ai fait ajouter au paquet le Comice de Seine-et-Marne.
Mille fois trop bon ! (Indiquant du geste.) Sur la pendule !… sur la pendule !
Plaît-il ?
Une lettre ! Je reviendrai chercher la réponse.
Il sort vivement par le fond.
Scène XIII
Sur la pendule ?… une lettre ?
Il la prend.
Ah ! papa, je vous cherche partout. (Regardand étonnée.) Eh bien ! et M. Frémissin ?
Il sort à l’instant, mais il paraît qu’il vient de m’écrire… sur la pendule !
Comment ?
C’est bien pour moi… Tiens ! il a mis un timbre !
"Monsieur, j’aime mademoiselle votre fille !… non, je ne l’aime pas !…"
Hein ?
"Je l’adore ! "
Ah !
Mais éloigne-toi donc, tu ne dois pas écouter ça !
Oh ! papa, je le savais !
Ah ! c’est différent. (Reprenant sa lecture.) "Je l’adore ! " (S’interrompant.) Tu le savais, mais comment l’as-tu appris ?
Il me l’a dit !…
Ah ! je disais aussi… (Se ravisant.) Mais c’est fort impertinent de sa part.
La suite ? la suite ?
Oui… (Lisant.) "Vous n’avez que deux choses à m’offrir… sa main ou une loge à Charenton ! "
Eh bien, puisqu’il me laisse le choix, je lui offre la loge !
Oh ! petit père !
Ne cherche pas à m’attendrir !…
Vous qui m’aimez tant !
Non, mademoiselle ! je ne vous aime pas… tant que ça !
Oh ! je le sais bien !
Air de Broskovano (Deffès)
Vous n’aimez pas votre Cécile,
Vous ne voulez pas son bonheur.
Vous supplier est inutile,
Rien ne peut toucher, votre cœur.
Mon malheur, j’en suis bien certaine,
Voilà votre vœu le plus doux,
Et je n’ai droit qu’à votre haine,
Pour tout l’amour que j’ai pour vous.
Est-elle gentille ! (Il l’embrasse.) Mais qu’est-ce que tu veux que je dise à M. Garadoux ?
Oui… je comprends… votre timidité !
Comment ! ma timidité ? mais je ne suis pas timide !
Un homme en vaut un autre.
Certainement.
Je n’ai pas peur de M. Garadoux ! et je saurai bien lui dire… sans me gêner, que… que… (À sa fille.) Qu’est-ce qu’il faudra lui dire ?
Oui… c’est là l’embarras… parler ! (Vivement.) Faites comme M. Frémissin !
Quoi ?
Ne parlez pas… écrivez !
Ecrire !… Parbleu !… tu as raison !… s’il ne s’agit que d’écrire…
Vite vite ! mettez-vous là !
Tu vas voir ! (Ecrivant.) "Monsieur…" (S’arrêtant.) C’est un peu sec… (Ecrivant.) "Cher monsieur." (À sa fille.) Après ? Qu’est-ce que tu mettrais ?
"Votre recherche me flatte…"
"Mais il m’est impossible de donner suite à vos projets de mariage avec ma fille."
"Avec ma fille." (Parlé.) Mais ça ne suffit pas, il faut trouver une raison !
J’en ai une !
Ah ! voyons !
"Croyez bien, cher monsieur, que je n’obéis en cette circonstance qu’à des considérations toutes particulières et toutes personnelles qui n’affaiblissent en rien les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être…"
Tu appelles ça une raison ?
C’est une raison diplomatique.
Portez ça dans ma chambre !
C’est lui !…
Je vous laisse…
Comment ! tu t’en vas ?
C’est juste ! (À part.) Elle est pleine d’idées, ma fille.
Adieu, petit père… quand vous le voulez, vous êtes charmant !
Elle sort par la gauche.
Scène XIV
L’enfant gâté ! (Il sonne.) Appelons Annette.
Comment, beau-père, vous n’êtes pas encore prêt ?
Ce n’est pas Annette. (Haut.) Prêt… pour quoi faire ?
Pour aller à la mairie… dépêchez-vous.
Oui. (À part.) Si cette bête d’Annette était venue ! (Haut.) Mon gendre… Non ! cher monsieur, en vous attendant… j’ai écrit une lettre… une lettre importante.
Une grande nouvelle ! mais pas un mot à votre fille.
Quoi donc ?
Quelle corbeille ?
La corbeille de noce.
Thibaudier. Comment ! vous avez acheté… ? (À part, avec désespoir.) Il a acheté la corbeille !
Vous verrez !… Je crois que ce n’est pas mal !… il y a surtout deux bracelets !… (À lui-même.) Je me suis encore cassé un ongle en arrosant. (À Thibaudier.) Style Renaissance… bleu sur fond d’or.
Bleu sur fond d’or ! (Haut, faisant un effort.) La lettre que je viens d’écrire…
J’ai aussi pensé à vous, papa Thibaudier !
À moi ?
Un souvenir… une tabatière.
Comment ?
C’est du Louis XV… sans restauration.
Comment, monsieur… non ! mon gendre… vous avez eu la bonté… ?
Moi aussi ! (À part.) Un homme qui vous donne des tabatières !… C’est impossible !
Diable ! midi ! Dépêchons-nous, votre maire va nous attendre !
Ma mère ? (Se ravisant.) Ah !… je n’ai qu’une cravate à mettre !
Et moi, un habit. (Regardant sa main, à part.) Diable d’ongle ! (À Thibaudier.) Je suis à vous dans cinq minutes.
Il entre dans sa chambre, pan coupé à gauche.
Scène XV
Il n’y avait pas moyen ! il a acheté la corbeille. Je vais déchirer ma lettre… Et l’autre ? Frémissin, qui va venir chercher ma réponse !… Quel embarras !… ça n’a pas de nom !… (Jetant les yeux sur la lettre qu’il tient.) Mais ma lettre non plus n’a pas de nom !… (Allant à la table.) Je vais y mettre celui de Frémissin… Ma fille ne peut pas en épouser deux… et, puisque l’autre a acheté la corbeille… (Il rit.) "À M. Jules Frémissin, avocat au barreau de Paris." Mettons un timbre. (Se levant.) Et maintenant… sur la pendule !…
Il met sa lettre sur la pendule.Pardon, monsieur, c’est moi !
Sur la pendule !… sur la pendule !…
Il sort par la gauche.
Scène XVI
Sur la pendule ? (Il court prendre la lettre.) Est-ce qu’il n’a pas lu ? Ah ! si, c’est la réponse. Sur la pendule, notre boîte aux lettres. Je suis ému ! je n’ose pas l’ouvrir ! (Lisant.) "Cher monsieur, votre recherche me flatte et m’honore." (Parlé.) Ah ! qu’il est bon ! (Lisant.) "Mais il m’est impossible de donner suite à vos projets de mariage…" (Tombant assis près du guéridon, sur une chaise.) Ah !… refusé !… j’en étais sûr !
Monsieur Jules, vous avez vu…
Votre père ? Oui, mademoiselle… voilà sa réponse !
Il lui donne la lettre.
Hein ? ma lettre ?… mais elle n’est pas pour vous !
Et c’est lui qui vous l’a remise ?
Lui-même ! sur la pendule !
Oh ! c’est trop fort ! me manquer de parole ! me jouer comme une enfant !
Vous sacrifier !
Oh ! mais nous allons voir ! je ne suis pas timide, moi ! monsieur Jules !
Mademoiselle !
Envoyez-moi chercher une voiture.
Une voiture ? Pour qui ?
Vous le saurez… Allez !
Tout de suite, mademoiselle. (À part.) Quelle énergie !
Il sort vivement par le fond.
Scène XVII
Ah ! c’est comme ça que mon père se joue de ses promesses !
Air de la Clef des champs (Deffès)
On verra, l’on verra
Qui des deux cédera ;
Mon cher petit père,
J’ai du caractère !
On verra, l’on verra
Si j’aime qui m’aime,
Et si malgré moi-même
On me mariera !
Je suis trop gentille
Pour le régenter ;
Ce n’est qu’à sa fille
Qu’il sait résister ;
Mais son cœur est tendre
Pour sa pauvre enfant.
Je saurai le prendre
En le tourmentant.
Je vais alarmer sa tendresse ;
Il faut, il faut lui faire peur,
Et conquérir par la frayeur
Ce qu’il refuse par faiblesse !
On verra, l’on verra,
Etc.
Elle prend, sur une chaise au fond, son châle et son chapeau qu’elle met vivement.
Je pars… Je vous quitte !
Où vas-tu ?
Me jeter dans un couvent… humide et froid.
Brrr !… Un couvent humide et froid ? toi ?…
Puisque vous n’avez pas la force d’aimer votre fille… de la délivrer d’un prétendu qu’elle déteste…
Mais c’est impossible ! il a acheté la corbeille ! une corbeille délicieuse, et il vient de m’offrir, à moi, une tabatière Louis XV.
Ainsi vous sacrifiez votre enfant à une tabatière ! Adieu, mon père !…
Mais non ! je ne te sacrifie pas ! Il est charmant, ce jeune homme, et puis il est trop tard… Il passe un habit pour aller à la mairie.
Dites-lui que vous ne pouvez l’accompagner… que vous êtes malade…
Elle quitte son chapeau et son châle.
Qu’est-ce que ça fait ? un éblouissement ! c’est très facile. (Appelant.) Annette, vite la robe de chambre de mon père !
Mais non ! mais je ne veux pas !
Voilà, monsieur… Qu’est-ce qu’il y a donc ?
Rien ! un éblouissement ! (À Annette.) Un verre d’eau sucrée ! (Donnant la robe de chambre à Thibaudier.) Mettez ça, je vais vous aider.
Je veux bien mettre ma robe de chambre, mais je proteste contre une pareille comédie.
L’autre manche !
Et je te préviens que je ne dirai pas un mot… Je ne me mêle de rien.
C’est convenu. (Le faisant asseoir dans un fauteuil.) Asseyez-vous ! Annette ! un coussin, un tabouret…
Voilà ! voilà !
Je l’entends !
Elle prend vivement le verre d’eau sucrée et le retourne près du fauteuil de son père.
Scène XVIII
Vous m’appelez, beau-père ? me voilà prêt… Partons-nous ? (Apercevant Thibaudier.) Ah ! mon Dieu !
Mon père vient d’être pris subitement…
De quoi ?
D’un éblouissement !
Il souffre beaucoup, il lui sera tout à fait impossible de sortir aujourd’hui. N’est-ce pas, petit père !
Je proteste par mon silence.
Pauvre M. Thibaudier !… Il faudrait peut-être appliquer quelques sangsues.
Ah ! oui !
Ah ! non !
Mais je n’ai pas soif.
Il boit.
Il ne faut pas jouer avec sa santé. (Prenant son instrument et se limant les ongles.) La santé est comme la fortune… On ne l’apprécie réellement que lorsqu’on l’a perdue !
Mam’zelle, regardez-le donc travailler !… Il s’est remis à son établi.
Est-ce que nous allons rester toute la journée comme ça ?… J’ai très chaud sous cette robe de chambre.
L’indisposition de mon père peut durer quelques jours, monsieur, et, si vos affaires vous rappelaient à Paris…
Par exemple !… quitter M. Thibaudier quand il est souffrant ! Jamais !
Excellent jeune homme !
Du reste, cette indisposition ne retardera pas notre mariage… Je puis aller seul à la mairie.
Comment ?
Oh ! mon père est tellement fatigué !
Une simple signature.
Il donne tout cela à Thibaudier.
Ne signez pas !
Veuillez signer…
Mais c’est que…
Que faire ?
Elle prend vivement l’encrier et le cache derrière son dos.
Où est donc l’encrier ?
Mademoiselle a la bonté de vous le tenir…
Oh ! merci, ma fille, merci !
Tout est perdu !
Scène XIX
La voiture est à la grille !
Quelle voiture ?
Tiens ! monsieur Garadoux !
Ah ! diable, quelle rencontre !
Et ça va bien, depuis… ?
Parfaitement !
Vous vous connaissez ?
Oui, j’ai eu l’honneur de défendre Monsieur… C’est mon premier client.
Ah bah ! (À son père.) Six mois de prison !
Il met le buvard et l’encrier sur le guéridon à droite.
Oh !… une querelle… un moment de vivacité !
Monsieur a laissé tomber sa canne sur sa première femme !
Ah ! l’horreur !
Elle range le fauteuil et le tabouret.
Comment, monsieur…
Oh ! une canne, c’était une petite badine !
Oh ! ma pauvre Cécile ! (À Garadoux.) Retirez-vous, monsieur. Battre une femme !… Vous pouvez remporter la corbeille ! Voici votre tabatière !
Il lui donne, par mégarde, sa tabatière en corne.
Pardon ! ce n’est pas celle-là !
La voici ! Je ne prise pas de ce tabac-là !
Je suis heureux, monsieur, que ce petit incident vous ait rendu la santé. (Sortant, à Frémissin.) Imbécile !
Scène XX
Hein ! qu’est-ce qu’il a dit ?
Maintenant, faites votre demande… Mettez vos gants.
Mais c’est que…
N’ayez donc pas peur… Il est plus timide que vous !
Ah ! il est timide ?
Il met ses gants.
Il va vous faire sa demande… Mettez vos gants !
Mais c’est que…
N’ayez donc pas peur… Il est plus timide que vous.
Ah ! il est timide ?
Il met ses gants.
Monsieur !
Pour la deuxième fois, je vous demande la main de votre fille !
Monsieur, vous me la demandez sur un ton…
Le ton qui me convient, monsieur !
Mais puisque je vous l’accorde, monsieur !
Vous me l’accordez sur un ton…
Le ton qui me convient, monsieur !
Monsieur !!!
Monsieur !!!
Eh bien, est-ce qu’ils vont se quereller, à présent ? (Haut.) Monsieur Jules, papa vous invite à dîner ; voilà ce qu’il voulait vous dire.
Soit ! mais à condition que vous ne casserez pas mes verres. (À part.) Tiens ! je vais lui faire goûter mon nouveau vin.
Ensemble
Air de Couder
Ici point d’imprudence !
Point de témérité.
Implorons l’indulgence
Avec timidité.
Cécile, au public
Air de Broskovano (Deffès)
Pour sauver ce léger ouvrage,
Messieurs, deux timides m’ont dit :
"Va, nous comptons sur ton courage",
Mais mon courage est si petit !
Devant vous les plus intrépides
Tremblent s’il faut vous implorer…
Ce n’est plus deux… c’est trois timides,
Que vous avez à rassurer…
Daignez tous trois les rassurer !
Reprise de Chœur.
RIDEAU