Les Dieux antiques/Mythes hindous ou Védiques

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J. Rothschild, éditeur (p. 19-26).

Wishnu et Lakschmil sur le Serpent, et la fleur de lotus d’où sort Brahma.



MYTHES HINDOUS OU VÉDIQUES


Le Véda, le recueil des hymnes, ou les Védas, si l’on parle des hymnes pris en eux-mêmes, nous offre le plus ancien monument de notre race : un ensemble des chants religieux en honneur chez les premiers Aryas émigrant vers l’Indus. Ce livre nous fait assister à la naissance ainsi qu’à la formation des doctrines primitives religieuses qui sont familières à notre esprit. C’est à sa lecture qu’il faut demander l’expression authentique de la mythologie hindoue, qui, de notre temps, doit comme illuminer celle des deux nations classiques. « Les ancêtres ont façonné les formes des dieux comme l’ouvrier façonne le fer, » dit un des poètes védiques.

Quelque chose donne à la mythologie védique ou hindoue primitive une valeur toute spéciale : c’est qu’elle offre la clef de celle des Perses, des Grecs, des Latins et d’autres peuples. Ainsi les noms sous lesquels les Grecs désignaient différents dieux et héros, sont dans les Védas de pures épithètes sur la signification desquelles nul ne saurait se méprendre, et l’on peut suivre les légendes les plus compliquées et en retrouver la racine dans quelque phrase extraite des plus anciens de tous les poèmes, les Védas. Cette phrase, dans ces poèmes, présente simplement un incident ou un phénomène mêlé au cours des choses qui forment le monde extérieur. Je citerai quelques exemples. Dans les Védas, Arjuni, Brisaya, Dahana, Ushas, Sarama et Saranyu sont des noms de la lumière du matin ; pour les Grecs, c’étaient autant d’êtres particuliers qu’ils connaissaient sous la forme d’Argynnis, de Briséis, de Daphné, d’Éos, d’Hélène et d’Érinnys. Les Védas parlaient du Panis, cause par ses tentations de l’infidélité de Sarama ; pour les Grecs, ce texte devient le rapt d’Hélène par Pâris et la légende multiple de la guerre de Troie.

Maintenant il faut distinguer la mythologie hindoue primitive d’avec celle des derniers temps. La mythologie tardive est aussi inextricable que la primitive est simple ; mais la façon dont le système mythique s’est développé dans l’Inde jette la plus vive lumière sur l’évolution semblable qui s’est accomplie dans les autres contrées. Notamment il n’y a pas, dans les très-vieux poèmes, de généalogies ou de mariages réglés entre les dieux. La sœur dans cette légende est la femme, ou la mère dans cette autre ; et l’on parle du même être en différentes occasions comme du fils et du frère à la fois de tel dieu. Les déités principales de ces anciens hymnes, celles qui certainement sont les plus importantes, sont peut-être Varuna, Agni et Indra. Le premier, Varuna, personnifie le vaste ciel qui s’étend sur la terre comme un voile. Mais nombre des hymnes lui sont adressés simplement comme au seul dieu auteur du monde [1]. On retrouve du reste l’instinct monothéiste dans les chants védiques. Un être tout-puissant, à la fois notre père, le maître qui nous enseigne et notre juge : il habita d’abord la terre aryaque. Il est Varumna, quoique Mithra s’y ajoute ; enfin il est Adytta, et le Cronos grec. Varuna se trouve dans la mythologie grecque, en tant qu’Ouranos. Mais, au contraire de Zeus (le Dyaus sanscrit), qui devint, en Grèce, le nom du dieu suprême, Ouranos y perdit son importance et disparut même presque totalement.

Qu’est Agni, le deuxième dieu ? Le feu qui, lorsque le combustible est allumé, « s’avance comme un cheval de guerre, hors de sa prison, laissant derrière lui une trace obscure de fumée. » Agni ne se trouve pas dans la mythologie occidentale, mais on reconnaît son nom dans ce mot latin : ignis, le feu. Indra complète ce groupe ternaire, lui le dieu du ciel clair, et aussi de la lumière, de la chaleur et de la pluie fertile (fig. 6) ; il tire son nom d’une racine du langage qui désigne la fluidité, et répond ainsi au Jupiter fluvius des Latins.

On le représente principalement combattant Vritra, l’ennemi qui, en enfermant la pluie, apporte la sécheresse à la terre ; ce dernier est un grand dragon, tué par la lance d’Indra, de même que Python est percé par celle d’Apollon. Vritra prend d’autres formes dans la mythologie de l’Occident et correspond exactement au Sphinx (en l’histoire d’Œdipe), au dragon de Libye exterminé par Persée, à Fafnir abattu par Sigurd, aussi bien qu’aux nombreux monstres tués par les autres héros. Son nom, du reste, existe dans les légendes grecques : c’est le même que Fig. 6. — Agni.
celui d’Orthros, mythe qui, avec Cerbère, le Parvara védique, garde les portes du Hadès répondant au Yama hindou.

N’oublions pas les Harits, qu’il sied même de nommer tout d’abord : ils sont, dans les hymnes védiques, les chevaux brillants du soleil, et deviennent en Occident de belles femmes, appelées par les Grecs les Charites, par les Latins Gratiæ, ou les Grâces (d’une racine ghar, briller). Vient aussi Trita et Traitana. J’y vois des noms donnés au dieu du ciel clair, lesquels reparaissent dans le grec Triton et Tritogénée. Il y a les Maruts, vents d’orage, dont l’appellation (de mar, moudre) reparaît en celle de l’Arès grec, le Mars latin, et de Mors, la mort, ainsi que dans le teuton Thor Miölnir, « celui qui écrase. »

Vous n’êtes point sans avoir entendu parler des Rishis, sept sages qu’on supposait habiter les sept étoiles de la constellation que nous appelons la Grande Ourse. Ces Fig. 7. — Brahma avec Saraswati.
étoiles s’appelèrent d’abord les sept Arkshas, ou « brillantes », mais, comme Rishi vient de la même racine, on confondit les deux mots, tout comme en Grèce on les convertit en ours, le mot de arctoï, ours, appartenant également à cette racine. Comparaisons diverses : le nom Bhuranyu est le même que le grec Phoronée, tandis que Pramantha répond à Prométhée ; Ushas est un nom de l’Aurore, qui reparaît dans le grec Éos et Fig. 8. — Siva.
Fig. 9. — Wishnu.
le latin Aurora. Voyez enfin dans Arusha un nom du Soleil, quand il commençait sa course à travers les cieux et représenté, comme tel, sous la figure d’un bel enfant : on devine qu’il reparaît dans l’Éros grec, ou dieu de l’amour, qui répond au latin Cupido, Cupidon. Mais Éros à son tour est fils d’Iris, une autre forme du moi, déité appelée la Messagère des dieux, tout comme on dit d’Arusha qu’elle éveille la terre avec ses rayons. Ces rayons deviennent les dards ardents d’Éros et de Cupido, enflammant d’amour les cœurs qu’ils percent.

Passons aux dieux de date plus récente, à Brahma, d’abord (fig. 7) : on le dit fils de Brahm, nom de la grande Cause première de toutes choses. Brahma, Vishnu, Siva, forment à eux trois la Trimurti postérieure, ou Trinité ; Brahma étant le Créateur, Vishnu, celui qui Fig. 10. — Krishna avec Siva et Wishnu.
conserve, Siva, le destructeur. Siva est connu sous un autre nom, on l’appelle fréquemment Mahadeva ou Mahadeo (en grec, Megas Theos), le grand dieu (fig. 8) ; et on le regarde comme le reproducteur, car détruire, selon la philosophie indienne, n’est que reproduire sous une autre forme. Quant à Vishnu (fig. 9), l’Inde honora ses avatars, incarnations du dieu, accomplies par lui pour l’exécution de desseins spéciaux. Le nombre des avatars est fixé à dix ; lorsque le dixième aura lieu, ce sera la destruction du monde, et Brahma recommencera son œuvre de créateur. Krishna (fig. 10), qui complète ma nomenclature succincte, est issu, selon quelques légendes, de l’un des cheveux de Vishnu, et il mit au monde, à son tour, Rudra, le destructeur. Ce dieu acquiert une importance très-considérable dans la mythologie tout à fait postérieure des Hindous. Faut-il dire encore que ce personnage, Savitar, n’est autre chose qu’un nom du soleil, en tant que « dieu à main d’or », à cause de ses rayons ? Oui ; pour ajouter que, le nom plus tard pris à la lettre, l’histoire courut que le soleil, offrant un sacrifice, s’était coupé la main, et que cette main fut remplacée par une d’or. Porte le titre de dieu aussi un sage législateur, fils de Brahma, Manu. C’est le même que le Minos grec, et son nom vient d’une racine commune aux mots mens et homo : l’homme tirant son nom de ce qu’il est « celui qui mesure », soit le penseur.

Trimurti.


  1. Gde Myth., liv. I et II.