Les Dix Premiers Livres de l’Iliade d’Homère/10

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Traduction par Hugues Salel.
Iehan Loys (p. cccxix-cccl).



LE DIXIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.




LES PRINCES GRECS en leurs Vaiſſeaulx ſe meirẽt
Pour repoſer, & tresbien ſ’endormirent.

Agamemnon plein de ſoucy paſſe la nuict ſans dormir.

Agamemnon ſeul ayant la Penſée

De grief Soucy durement oppreſſée,


Fut ſans Repos. Et comme on voit ſouvent


Tonner, Plouvoir, Greſler, faire grand Vent,
Et Eſclairer, quand Iuppiter fouldroye,
Ou quand la Neige en ces bas Lieux envoye.
Ne plus ne moins ſortoient Souſpirs, Regretz,
De l’Eſtomach du grand Paſteur des Grecs :
Son Ctjeur trembloit, & l’Ame tres dolente
Sentoit en ſoy Angoiſſe violente
Meſmes alors que ſon Regard jectoit
Au Camp Troien, qui gueres loing n’eſtoit :
Ou il voyoit de grandz Feuz alumez,
Oyoit grand Bruict, Criz non accouſtumez,
Et les Haulxboys, & Fleuſtes qui ſonnoient,
Dont tous les Lieux prochains en reſonoyent.
D’aultre part, quand il tournoit la Veue
Deſſus ſa Gent, Crainctiſve & deſpourveue,
Qu’il contemploit mornes, & endormis,
Et preſtz à cheoir es Mains des Ennemyz,
Douleur griefue qui le faſchoit,
Tous ſes cheveux de la Teſte arrachoit
Tendant les Mains, invoquant Iuppiter,
Pour à pitié le cuyder inciter.
    En ce Combat d’Eſprit inſupportable,
Il luy ſembla que le plus proufitable
Seroit d’aller prompteinent eſveiller
Le Viel Neſtor, ſon prudent Conſeiller,
    Et avec luy faire quelque Ouverture
De bon Conſeil, affin que la Rompture
Qu’il craignoit tant, fuſt ailleurs deſtournée,
Et que ſa Gent ne fuſt exterminée.
    Eſtant debout, il prend ſon Veſtement
Accoutumé, & chauſſe promptement
Ses bons Souliers. Aprés cela il charge
Sur ſon Eſpaule une Peau belle & large
D’ung grand Lion traynant juſques en Terre :
Puis prend ung Dard, & ceint ſa Cymeterre.
    Ce temps pendant que ce Roy ſ’acouſtrois,
Menelaus d’aultre coſté n’eſtoit
Moins ſoucieux, ains de Craindte & de Dueil
Qui le tenoit, ne peult onc clorre l’Oeil :
Conſiderant le perilleux Danger
De tant de Grecs, leſquelz pour le venger
Avoient paſſé la Mer, faiſans la Guerre
Aux fortz Troiens, y penſans Gloire acquerre.
Adonc ſe leve, & deſſus ſon Corps mect
Son bel Harnoys, & au Chef ſon Armet.
Sur le Doz prend la Peau d’ung Liepard,
La Lance en Main, puis ſoudainement part,
Et ſ’en va droict aux Vaiſſeaux pour trouver
Agamemnon, & le faire lever.
Si le trouva ainſi qu’il achevoit
De ſ’abiller. Son Frere qui le voit
En eſt joyeux : Menelaus ſ’avance
Au prés de luy, & a parler commance.
    Mon Frere Aiſné, Qui te faict entreprendre
Preſentement ainſi les Armes prendre ?
Vouldroys tu point quelque Grec inciter
D’aller de Nuict les Troiens viſiter
Comme Eſpyon ? ie doubte grandement
Qu’on n’obeyſſe à ton commandement.
Et ſ’il advient que quelcun le parface,
Dire le fault Homme de grande Audace.
    Agamemnon reſpondit lors, Mon Frere
Et toy de moy avons tres grand aſfaire
De bon Conſeil, pour noz Gens ſoulaiger
Et preſerver les Vaiſſeaulx de danger.
Meſme voyant que Iuppiter ſ’adonne
Aux Ennemys, & qu’il nous habandonne.
Ie n’ay jamais veu ny ouy compter,
Qu’ung Homme ſeul peuſt tant executer
De Vaillantz Faictz, comme par ſa Proueſſe
À faict : Hector au jourdhuy ſur la Grece.
Il n’eſt de Dieu ny de Deeſſe Filz,
Et touteſfois il nous a Deſconfitz.
Et croy pour vray qu’aux Gregeois ſouviendra
De ceſt Effroy tout le temps qui viendra,
Ie ſuis d’advis doncques que tu t’en voiſes
Diligemment juſques aux Nefz Gregeoiſes
Devers Ajax & le bon Roy de Crete :
Pour les prier tous deux a ma Requeſte,
De ſ’en venir au Conſeil. Ie verray
D’aultre coſté, ſi mener ie pourray
Le Viel Neſtor juſques au Guet : pour veoir
Comme on pourra a noſtre Faict : pourveoir.
Son Filz eſt Chef, avec Merionés,
De ceulx qui ſont pour le Guet ordonnez.
Et penſe bien qu’aulcun d’eulx ne fauldra
D’executer ce que Neſtor vouldra.
    Menelaus dict : lors. Ie te demande,
Quand j’auray faict : ce que ton Vueil commande :
Ne veulx tu pas que vers toy ie retourne
Incontinen ou que la ie ſejourne
Les attendant, pour avec eulx venir ?
    Il vauldra mieulx au prés d’eulx te tenir,
Afin (dict il) que nul ne ſe forvoye,
S’il aduenoit qu’ilz prinſſent aultre Voye,
Car en ce Camp y a pluſieurs Sentiers,
Qui leur ſeroient tenir divers Quartiers.
Oultre cela le te veulx conſeiller,
Qu’en t’approchant d’eulx pour les eſveiller,
Tres humblement & a Voix doulce & baſſe
Nommes leur Nom, leur Eſtat, & leur Race,
Sans leur tenir Propoz Audacieux,
Ains tout Courtois, Begnin & Gracieux.
Il nous convient toy & moy travailler
De faire ainſi, & nous appareiller
Doreſnavant, à mainct Faict indécent.
Puis que le Dieu Iuppiter ſ’y conſent.
    Agamemnon ayant ſi bien inſtruict :
Menelaus, part doulcement ſans Bruyct
Et va ſi bien qu’il arrive en peu d’heure
Dedans la Tente, ou faiſoit ſa demeure
Le Roy Neſtor. Adone ſ’eſt approché
Du bon Viellard, lequel trouva Couché
Dedans le Lict. Son Harnoys reluyſant,
Son bel Armet, deux Dardz, l’Eſcu peſant
Eſtoient au prés, & la riche Ceincture,
Dont il ſe ceinct : quand il prend ſon Armure,
    Menant aux Champs les Grecs d’ardant Courage,
Sans ſuccomber ſoubz le Faix du viel Eage.
    Neſtor ſentant de ſon Lict approcher
Agamemnon, & coyement Marcher;
Haulſa la Teſte, & l’ayant appuyée
Deſſus ſon Coulde, en Perſone ennuyée,
Luy dict ainſi. Qui es tu, qui de Nuict :
Vas ainſi ſeul par ce Camp, qui te duict :
Dedans ces Nefz ? Qui t’a en queſte mys,
Voyant ainſi les aultres endormys ?
Cerches tu point ores quelque Mulet ?
Tes Compaignons t’ont ilz laiſſé ſeulet,
Les cerches tu ? dy moy quelle Fortune
T’ameine icy a ceſte Heure importune ?
Si rien te fault ne le vueilles celer,
Et ne l’approche autrement ſans parler.
    Ô Roy Illuſtre, Ô la Gloire, & Renom
De tous les Grecs, ie ſuis Agamemnon,
Agamemnon Dolent & Malheureux :
Que Iuppiter Cruel & Rigoreux
À tant chargé de Honte & Vitupere,
Qui rien que mal de ma Vie n’eſpere.
Ie viens a toy, pource que ie ne puis
Prendre Repoz en l’eſtat que ie ſuis.
L’extreme Soing, le Soucy nom pareil
Que j’ay des Grecs, m’empeſche le Sommeil.
Et ſuis conduit à telle Honte & Craincte
Que mon Cueur tremble, & mon Ame eſt attaincte
De Deſeſpoir puis les jambes me faillent,
Pour les Doleurs qui mon las Cueur aſſaillent.
À ceſte cauſe, Amy, & que ie voy
Que tu ne dors ainſy non plus que moy,
Ie te ſupply d’adviſer le moyen,
De nous ſaulver de ce Peuple Troien.
Sus, leive toy. Et puis ſi bon te ſemble)
Allons nous en juſques au Guet enſemble,
Afin de voir ſi les Souldards laiſſez
Pour ceſt Effect ſont endormyz, laſſez
Du grand Travail. Las, noz Ennemyz ſont
Bien prés de nous, & ne ſcavons ſ’ilz ont
Quelque vouloir ceſte Nuict : nous ſurprendre,
Sans qu’on ſe puiſſe aulcunement defendre.
    Ainſi parla. Surquoy le Roy Neſtor,
Luy reipondit : Penſes tu bien qu’Hector,
De Iuppiter ſoit tant favoriſé,
Qu’il mette a fin ce qu’il a deviſé ?
Nenny Nenny, ie penſe quant à moy,
Qu’il eſt luy meſme en grand peine & eſmoy
Pour Achillés, & doubte qu’il l’appaiſe
Aveques toy, laiſſant l’Ire maulvaiſe.
Au demeurant ie m’appareilleray,
Pour te ſuyvir & ſi eſveilleray,
Aveques toy, Vlyſſés le ſubtil
Diomedés le fort, Megés gentil,
Et le ſecond Ajax dict Oilée,
Dont la proueſſe eſt en Grece extollée
Or pleuſt aux Dieux que quelcun ſ’en allaſt
Devers le grand Ajax, & l’appellaſt.
Idomenée & luy ont leurs grans Tentes,
Aſſez de nous loingtaines & diſtantes.
Que n’eſt venu Menelau icy ?
À il ſi peu de cure & de Soucy ?
Luy qui devroit veiller inceſſamment
Au prés des grands les priant humblement,
Peult il dormir & te laiſſer le Soing
De ceſte Guerre en ſi tres grand Beſoing ?
Certainement quelque benivolenee,
Que j’aye a luy, & quelque reverence,
Que l’on luy doibve, il fault que ie le pouſſe
De motz piquantz & à luy me courrouſſe :
Tu ne ſcaurois m’en garder : Nonobſtant
Que tu luy ſois grand Amytie portant.
    Agamemnon derechef reſpondit,
Digne Viellard, Aultreſfois t’ay ie dict,
Et ſupplié de le vouloir tencer.
Quand ne vouloit au travail ſ’avancer.
Non que Pareſſe, ou trop grande ignorance,
L’en ayt gardé : mais la ferme aſſeurance,
Qui a de moy regardant à mes faictz,
Et me laiſſant tout ſeul porter le faix.
Quant a preſent, point ne fault qu’on l’accuſe
Comme il me ſemble, ains eſt digne d’excuſe.
Il a eſté le premier eſveillé,
Puis eſt venu vers moy appareillé,
De m’obeyr. Si l’ay ſoubdain tranſmys
Devers Ajax, & aultres noz amys.
Allons nous en, ie ſuis ſeur qu’ilz viendront,
Devant le Fort au Guet, & ſ’y tiendront.
Menelaus leur aura faict entendre,
De ne faillir & venir, & d’attendre.
    Lors dict Neſtor, ſi ton Frere germain
Se montre ainſi diligent & humain,
Comme tu dis, & qu’il prie ou commande,
Modeſtement, toute la Greque bande
Le ſervira, & luy ſeront honeur,
Autant qu’a toy qui es leur Gouverneur.
    Diſant ces motz, il laiſſe promptement
Son Lict mollet, & prend ſon veſtement
Beau& Royal ſoubz ſes piedz à lié
Les beaulx Souliers de Cuyr tres delié
Apres veſtit une Robe vermeille,
De fine Laine, & tres riche à merveille :
Car elle eſtoit bien fort elabourée,
Et ſ’attachoit dune Boucle dorée.
Eſtant veſtu, il prend ſa Lance forte,
En ſa main Dextre, & ſoubdain ſe tranſporte
Au Pavillon d’Vlyſſés, ſi l’excite
Criant tout hault, & de lever l’incite.
Lequel oyant la Voix du Viel bon Homme,
Tout en ſurſault habandonne ſon Somme,
Et ſort dehors, en leur diſant. Pourquoy
Vaguez vous ſeulz ainſi en ce Temps Coy
Et tenebreux ? Quel danger, quel deſfault
Eſt advenu, & qu’eſt ce qui vous fault ?
    Ô Prudent Filz de Laertés, ne ſoys
Eſmerveillé, ſi tu nous appercoys,
(Dict lors Neſtor) car la Neceſſité
Nous a menez a ceſte extrémité.
Vien aprés nous, afin d’aller trouver
Ung aultre Roy, & le faire lever,
Pour conſulter ſur la Forme & Conduire
De Batailler, ou de prendre la Fuytte.
    Quand Vlyſſés eut Neſtor entendu,
Soubdainement ſon Eſcu a pendu
Sur ſon Eſpaule, & puis les a ſuivyz.
Si ont trouvé la Tente viz à viz
Du fort Gregeois Diomedés, qui lors
(Armé du tout) ſ’eſtoit couché dehors,
Ayant ſoubz ſoy une grand Peau de Beuf,
Et ſoubz la Teſte ung beau Tapis tout neuf.
Ses Compaignons, ſes Souldards & Genſdarmes
Dormoyent aupres, ayans pendu leurs Armes
Tout à l’entour, leurs Lances & Bouclers
Qui reluyſoient, comme ſont les Eſclers.
    Le Viel Neſtor menant Bruyt : ſ’approcha
Du noble Grec, & le Corps luy toucha
De ſon Talon, & en le reprenant
Luy diſt ainſi. Quoy ? dors tu maintenant,
Filz de Tidée ? Es tu ſi endormy
Saichant ſi prés le Camp de l’ennemy ?
N’entens tu pas à leurs Cris, que la Plaine
Dicy au prés en eſt couverte & pleine ?
    Diomedés oyant Neſtor ſ’eſveille,
Et luy reſpond, Certes ie m’eſmerveille,
De toy Viellard qui es ſi endurcy
À ſupporter tant de peine & ſoucy.
Dont vient cela que ton eſprit ne ceſſe
De travailler ? N’as tu point de jeuneſſe
Aupres de toy, pour les Roys appeller,
Sans qu’il te ſaille ainſi par tout aller ?
Certes ouy : mais ta Nature vive,
Iamais n eſt laſſe, & ne peult eſtre oyſive.
    Il eſt tres vray Amy, & n’as dict rien,
Reſpond Neſtor, que ie ne ſaiche bien.
I’ay des Enfans tres preux, j’ay Serviteurs
Et mamtz ſubjectz, tous ardans Zélateurs
De mon repos ayans volunté grande
De m’obeyr en ce que ie commande.
Mais le danger & le Péril urgent,
Auquel ie voy & nous &c noſtre Cent,
Ne me permect : que par tout ie n’aſſiſte.
Bien cognoiſſant qu’il fault que l’on reſiſte
À ceſte fois : car ſi trop l’on demeure,
On ne ſcauroit garder que tout n’y meure.
Or maintenant, puis que tu as Pitie
De ce vieulx Corps, va t’en par Amytie,
Faire venir Ajax dict Oilée,
Et avec luy Megés Filz de Philée.
    Diomedés incontinent veſtit
Vne grand Peau de Lion, & partit
    (Sans oublier ſa longue & forte Darde)
Si va devers ces deux Grecs, & ne tarde
À les trouver, puis ſoubdain les invite
De ſ’en venir au Chef de l’Exercite.
    En peu de temps tous les Princes & Ducz
Deſſus nommez, ſe ſont au Guet renduz.
Pas n’ont trouve ceulx qu’ilz avoyent commys
À faire Guet, mornes ny endormys.
Ains tous Veillans par Ordre, & eſcoutans,
En bons Souldards, & ruſez Combatans.
Car tout ainſi que les Maſtins qui gardent
Les grandz Tropeaux, de tous coſtez regardent
Si le Lion deſcend de la Montaigne,
S’il ſort du Boys, ou vient par la Campaigne,
Pour aſſaillir les Brebis & Moutonſ :
Dont les Bergers diſpoſez aux Cantons
De leur beau Parc, ſont grand Tumulte & Bruict,
    De peur qu’ilz ont d’eſtre ſurpris la Nuict.
Et n’eſt Sommeil ſi preſſant qui les garde,
Que l’on ne face une ſoigneuſe garde.
Semblablement, voire d’ardeur plus forte,
Se contenoit la Gregeoiſe Cohorte.
Car le Sommeil en leurs Yeulx periſſoit,
Et le Deſir de veiller leur croiſſoit.
Auſquelz Neſtor trop joyeulx de les voir
Si ententifz a faire leur Debvoir,
Diſoit ainſi. Mes Enfans tres ayrnez
Veillez, veillez, & ne vous endormez,
À celle fin que l’Ennemy ne puiſſe
Executer deſſus nous ſa Malice,
Nous ſurprenant à faulte de bon Guet,
Qui nous ſeroit ung merveilleux Regret.
    Diſant ces motz (Suyvy des Roys) il paſſe
Hors les Foſſéz, & vient droict à la Place,
Pleine de Mortz, ou Hector avoit faict :
Le jour devant en Armes maint beau faict,
Continuant juſques à la Nuict noire,
Sa glorieuſe & inſigne Victoire.
Eſtans venuz les bons Princes ſ’aſſirent
Tout bas en Terre, & a parler ſe meirent :
Ayans auſſi appelle en conſeil
Merionés combateur nom pareil,
Et le vaillant & preux Thraſymedés,
Apres les Roys des plus recommandez.
    Adonc Neſtor la fleur des Chevaliers,
Leur dict ainſi : Ô Amys ſinguliers,
Lequel de vous a tant de Confidence
En ſon eſprit tant de Force & Prudence,
Qu’il oſe aller juſque au Camp des Troiens,
Pour l’eſpier, & chercher les moyens
D’entendre au vray ſ’ilz veulent ſ’emparer
Les Champs prochains & gaigner leur Maiſon
Ayans occis de Grecs ſi grand foiſon ?
Il le ſcaura en prenant Priſonnier
Quelque Troien demeuré le dernier,
Ou bien (peult eſtre) il orra les Propos,
Qu’ilz ont enſemble en prenant le Repos.
Et ſ’il revient vers nous ſain, & rapporte
Entierement, comme tout ſ’y comporte,
Dire pourra qu’il aura mérité, Gloire
Immortele en la Poſterité,
Et davantaige il aura pour Guerdon
De ſon labour, de nous maint riche Don.
Il n’eſt Patron de Neſf qui ne luy baille,
Vne Brebis noire de graſſe taille,
Et ſon Aigneau Preſent à vray parler
Qu’on ne ſcauroit paſſer ou eſgaler :
Et ne fera jamais Feſtin tenu,
Ou il ne ſoit toujours le bien venu.
    Ainſi parla : mais ceulx qui l’entendirent
D’ung bien long temps mot ne luy reſpondirent.
Diomedés aprés devant les Roys,
Ouvrit la Bouche & dict à claire voix.
Le noble eſprit qui dans mon Cueur repoſe
Me ſolicite, & veult que ie m’expoſe
Des maintenant comme preux Champion
À ce danger de ſervir d’Eſpion.
Et le ſeray, proveu que l’on me donne,
Ung Compaignon qui de rien ne ſ’eſtonne
Car ie ſcay bien que le Conſeil de deux
Eſt plus certain en faict ſi haſardeux
Que n’eſt d’ung ſeul : Car l’on ſ’entre conſeille,
D’ou ſort aprés l’Audace nom pareille.
Mais l’Homme ſeul tant ſoit ſort & puiſſant,
Bien Reſolu, & ſon faict : cognoiſſant,
Quand vient au point il en eſt plus tardif,
Et quelque ſois plus Timide & Crainctif.
    Les Roys oyans l’entrepriſe louable
De ce ſort Grec, eurent vouloir ſemblable.
Les deux Ajax ſoffrirent de le ſuyvre :
Merionés vouloit mourir & vivre
Aveque luy. Thraſymedés bien fort
Le deſiroit : Menelaus le Fort
S’y preſenta, Et Vlyſſés le Sage,
Dict qu’il iroit hazarder ce Paſſage
Sans craindre rien. Et pour vray eſtoit il
Le plus Acort des, Grecs, & plus Subtil.
    Agamemnon dict lors, voyant l’Empriſe
Continuer : Ô Amy que ie priſe
Comme mon Cueur, Puis que tu voys chaſcun
Preſt de te ſuyvre, eſliz entre eulx quelcun
À ton plaiſir, qui ſoit le plus Adroit
Pour reſiſter quand on vous aſſauldroit.
Et garde toy, que par Honte ou Vergoigne
Ton jugement de raiſon ne ſ’eſloigne.
N’adviſe pas ſi toſt au grand Lignage,
Comme au bon Sens, & au Hardy Courage.
Ce te ſeroit ung extreme Malheur,
Prendre le pire, & laiſſer le meilleur.
Ainſi diſoit Agamemnon, doubtant
Que l’on choyſiſt Menelaus, d’autant
Qu’il eſtoit Riche, & de grand Parenté.
    Puis que le Choix eſt à ma Volunté
Dict le preux Grec, doibz ie mectre en oubly
Cet Vlyſſés, de Prudence ennobly ?
L’Eſprit duquel eſt tout accouſtumé
Aux grandz Dangers, & qui eſt tant aymé
Des Dieux Haultains, meſmement de Minerve
Qui en ſes Faictz le dirige, & conſerve ?
Certainement avec ceſte noble Ame,
Ie penſerois eſchapper de la Flamme
D’ung Feu ardent, & m’en retourner ſain,
Tant ie le ſcay de grand Prudence plein.
    Ie te ſupply (dict Vlyſſés) ne chante
Icy mes Faictz, ne me blaſme ne vante
Devant ces Roys, qui ſcavent de long temps
Mon Impuiſſance, ou bien ce que j’entens.
Allons nous en, deſja la Nuict ſe paſſe :
Les Aſtres ont avancé long eſpace
De leur Chemin, l’Aube ſe monſtrera
Sans trop tarder qui le jour portera :
Et ceſte Nuict aura peu de durée,
Car de troys partz la tierce eſt demeurée.
    Diſant ces motz les deux Grecs Renommez,
Des aſſiſtans ont eſté bien Armez
Thraſymedés bailla ſa grand Eſpée
(À deux trenchans poinctue & bien trempée)
Au fort Gregeois, qui de venir preſſé
Avoit ſon glaive en la Tente laiſſé
Et ſon Eſcu : Aprés luy meit en Teſte
Ung ſien Armet ſans Pannache & ſans Creſte
Faiſt de bon Cuyr de Taureau, on le nomme
Ung Cabaſlet, armure de Ieune homme.
    Merionnés à Vlyſſés preſente
Son Arc, ſa Trouſſe, une Eſpée peſante,
Et quant & quant ung bel accouſtrement
Faict pour le chief bien & : tres proprement.
Car il eſtoit de ſort Cuyr par dedans
Bien extendu, le dehors fut des dentz,
De mainct Sangler, rengées par tel ordre,
Qu’il n’eſt trenchant qui peult par deſſus mordre
Et davantaige oultre la dure Peau,
On povoit mectre au dedans ung Chappeau.
    Autilochus en l’antique Saiſon,
L’avoit trouvé ſoſſyant la Maiſon,
D’ung Amyhtor Filz d’Ormenus, aſſiſe
Dans Eléon la forme tres exquiſe.
Du Cabaſlet, feit qu’il en honora
Amphidamas, lequel en demoura
Par ung long temps Poſſeſſeur, puis le donne
Au preux Molus, & Molus l’habandonne
À ſon Enfant, qui touſjours le porta,
Mais pour ce coup au fin Grec le preſta.
    Eſtans Armez(comme dict eſt) ilz partent,
Et de la Troupe en peu de temps ſ’eſcartent.
En ſ’en allant Minerve leur envoye
Ung grand Heron, qui chante, & les coſtoye :
Point ne l’ont veu, obſtant la Nuict obſcure,
Mais joyeulx ſont de ſi bonne Advanture :
Et meſmement Vlyſſés qui entend
Tres bien l’Augure, en eſt aiſe & content.
Si commença à dreſſer ſa Priere
À la Deeſſe, en devote Maniere.
    Entens à moy Fille de Iuppiter
Ou Dame Pallas qui daignes aſſiſter
À mes Travaulx, Dame qui me confortes
En tous Perilz, me guydes & ſupportes.
Octroye moy aujourd’huy tant de Gloire,
Que ie retourne aux Nefz plein de Victoire.
Et que nous deux achevions tel Ouvrage,
Que les Troiens en recoyvent Dommage.
    Diomedés auſſy devotement
Feit ſa Priere, & dict tout baſſement.
Eſcoute moy, Ô Deeſſe Gentille
Tritonia, tant bien aymée Fille
De Iuppiter, foys ma guyde Proſpere,
Comme tu fus a Tideus mon Pere,
Alors qu’il fut Ambaſſadeur tranſmys
Vers les Thebains, afin de faire Amys
Eulx & les Grecs. Certes à ſon Retour
Il leur monſtra de ſa Force ung bon Tour
Par ton moyen, Ô prudente Deeſſe.
Las, donne moy la Force & Hardieſſe,
Qu’il eut adonc, & me conduyz de ſorte,
Qu’a mon honeur de l’empriſe ie ſorte.
Et ie promectz de faire Sacrifice,
Sur ton Autel d’une belle Geniſſe,
Qu’on n’aura veu encores labourer.
Ie luy feray ſes Cornes bien dorer :
Puis te ſera de bon cueur preſentée,
Si ma priere eſt de toy acceptée.
    Ainſi prioient les deux nobles Gregeoiſ :
Dont la Deeſſe enclinant à leurs voix
Et Oraiſons, pleinement accorda
À chaſcun d’eulx ce qu’il luy demanda.
Lors vont avant, deux Lions reſſemblantz
Mectans les piedz ſur les Corps fraiz ſanglantz :
Dont la Campaigne eſtoit preſque couverte,
Tant fut des Grecs exceſſive la perte.
    Pas ne laiſſa Hector dormir les ſiens
De ſon coſté, car les plus anciens,
Et plus expers feit venir en ſa Tente,
Pour leur monſtrer clairement ſon entente.
    Lequel de vous (dict il) me veult promectre,
D’executer ce que luy vue il commectre :
Et il ſera en honeur avancé,
Et qui plus eſt tres bien récompenſé :
En recevant de moy, pour ſes travaulx,
Ung Chariot mené de deux Chevaulx,
Les plus exquis de l’Armée Gregoiſe ?
De luy ne veulx fors ſeulement qu’il voiſe,
Iuſques aux Nefz des Ennemys, entendre,
S’ilz ont encor vouloir de nous attendre.
S’ilz ſont le Guet ainſi que de couſtume,
En leurs Vaiſſeaulx. Ou comme ie preſume,
Eſtans batus ilz penſent de ſouyr
Couvertement qu’on ne les puiſſe fouyr.
Ainſi parla, mais nul qui l’entendit,
Ung tout ſeul mot alors ne reſpondit.
    En ce Conſeil ung Troien aſſiſtoie
Nommé Dolon, qui Filz unique eſtoit
Au bon Hérault dict Eumedes, pour lors
Tres abondant en Biens & en Threſors.
Ce Dolon cy fut tres laid de Corſage,
Mais aultrement diſpoz a l’avantage,
Et de ſon Pere aymé & honoré,
Comme eſtant ſeul de ſix Filz demouré,
Lequel penſant a la belle promeſſe,
Du Preux Hector, ſoubdain de bout ſe dreſſe,
Et dict ainſi. Hector, Ardent courage,
Force mon cueur à prendre ce voyage :
Pour rapporter ſi les Grecs ſe deſpoſent
À la defenſe ou à fouyr propoſent.
Et le ſeray, mais comme Chef loyal,
Tu jureras par ton Sceptre Royal,
De me donner le beau Char d’Achillés,
Et les Courſiers qui y ſont ateſlez.
Et quant à moy, ne crains poinct que ie fruſtre
En rien qui ſoit ton entrepriſe illuſtre,
Car j’iray droict dans les Vaiſſeaulx des Grecs,
Voire du Chef, & ſcauray leurs ſegretz.
    Alors Hector haulſant le Sceptre en l’air,
Luy reſpondit Puis que tu veulx aller,
Ou ie t’ay diſt, par Iuppiter qui Tonne,
Ie te prometz que nulle aultre perſone
Ne montera ſur ces Courtiers exquis,
Que toy Dolon. Tu les auras conquis
Tres juſtement. Or done d’iceulx hérite,
Pour le Loyer digne de ton Merite.
    De pareilz motz le noble Hector jura
À ſon Troien mais il ſe parjura.
Si le ſemond de partir tout à coup,
Surquoy Dolon prend la Peau d’ung vieulx Loup
Deſſus ſon Dos, ayant ſon Arc tendu,
Soubi le Manteau à l’Eſpaule pendu,
Et ſur la Teſte une Salade neuſve
De Cuyr de Bouc endurcy à l’eſpreuve.
Puis en ſa main ung beau & luyſant Dard,
Se contenant en aſſeuré Souldard.
    Eſtant Armé il part ſans ſejourner :
Mais ce ſera ſans jamais retourner,
Trop grandement eſt deceu ſ’il eſpere
Reveoir Hector, encores moins ſon Pere :
Et va ſi toſt, qu’en peu de temps il gaigne
Ung grand Chemin par la belle Campaigne.
    Lors Vlyſſés qui n’avoit aultre Soing
Qu’a ſon voyage, apperceut de bien Loing
Venir Dolon. Si dict à ſon Amy
Diomedés, voicy ung Ennemy
Venant du Camp des Troiens ie me fie,
Ou bien qu’il ſert aux Ennemys d’Eſpie,
Ou bien qu’il vient deſpouiller quelque Corps
De ceulx qui ſont à la Bataille mortz :
Il ſera bon de le laiſſer paſſer
Encores oultre, & aux Nefz ſ’avancer,
Nous le ſuyvrons ſoubdain eſtans derriere,
Et le prendrons de facile maniere.
Adviſe bien touteſfois ſ’il ſ’efforce
De ſ’enfouyr, que l’on le chaſſe à force
Vers noz Vaiſſeaulx, le faiſant eſloigner
Du Camp Troien qu’il cuydera gaigner.
Suy le de prés avec ta longue Lance
Tant qu’on entende à ce Coup ta vaillance.
    Diſant ces motz les deux Grecs ſe deſvoyent
Entre les Mortz. Puis eſcoutent, & voyent
Leur Eſpion qui ſ’en alloit grand erre.
Quand ilz l’ont veu loing d’eulx autant de Terre,
Qut les Muletz accouplez deux à deux
En labourant gaignent devant les Beufz
Qui ſont tardifz : Incontinent ilz ſortent,
De leur Embuſche, & vers luy ſe tranſportent.
    Dolon oyant leur Bruict penſa qu’ilz fuſſent
Quelques Troiens qui partager voluſient
Aveques luy, empeſchans ſon Marché.
Ce temps pendant les Grecs l’ont approché,
D’ung ject de Dard : lequel appercevant
Quelz ilz eiloient, gaigna toſt le devant
À pleine courſe : Et les deux Gregeois partent
Qui de ſes pas (tant ſoit peu) ne ſ’eſcartent.
Qui aura veu deux Leuriers quelque ſoys
Et la preſſer tellement que la Beſte,
Penſe que ainſi ces Princes valeureux,
Donnoient la chaſſe au Troien malheureux.
Lequel n’avoit nul moyen d’eſchapper
Ains ſe voioyt plus ſort envelopper.
    Tant a ſouy Dolon à vau de Routte
Que peu failliſt qu’il n’entranſt en l’Eſcoute,
Et Guet des Grecſ : mais Pallas la Déeſſe
Accreut pour lors la Force & la Viteſſe
Au courageux Diomedés, doubtant
Qu’ung aultre Grec fuſt l’Honeur emportant
De l’avoir pris : Si l’attainct : & l’arreſte,
En luy diſant, Garde toy ſur ta Teſte
De paſſer oultre : aultrement tu n’as garde
De m’eſchapper, & mourras de ma Darde.
    Diſant cela, il la jecte, & luy paſſe
Bien prés du Col Dolon plus froid que Glace,
S’arreſte court, & de Peur ſi fort tremble,
Qu’on oyt ſes Dentz ſe marteler enſemble.
Les nobles Grecs hors d’aleine ſurujennent,
Et le Troien attrapent & retiennent :
Lequel jectant abondance de Larmes
Leur dict ainſi. Ô valeureux Gendarmes,
Saulvez ma Vie, & ie l’achepteray
Tant qu’on vouldra, & me racheteray.
Mon Pere eſt riche ayant en ſa Maiſon
Or, Fer, Arain, & Ioyaulx à foiſon,
Qu’il donnera ſaichant que ie ſuis vif
Entre voz mains Priſonnier & Captif.
    Lors Vlyſſés remply de grand Prudence
Luy dict ainſi. Troien pren Confidence,
En ton eſprit de chaſſe ceſte Craindre,
Qui t’a ſurpris, d’avoir la vie extaincte.
Et compte au vray ſans point me decevoir
Ce que ie vueil ores de toy ſcavoir.
Quelle entrepriſe as tu, venant de Nuict,
Vers noſtre Camp tout ſeulet & ſans Bruyct,
Meſmes ſaichant qu’à ceſte heure les Hommes
Sont en repoz dormans de profonds Sommes,
Mais viens tu point pour quelque mort ſouiller
Du jour paſſé, & pour le deſpouiller ?
Hector t’a il preſentement tranſmis,
Pour Eſpier que ſont ſes Ennemys ?
Es tu venu de ſon Auctorité,
Ou de ton gré, dy moy la Vérité ?
    Alors Dolon tout crainctif & tremblant,
Mieulx ung Corps mort qu’Homme vif reſſemblant,
Luy dict ainſi, Hector par ſa parole
M’a tant chargé d’eſperanee frivole,
Qu’a ſon vouloir, ie ſuis icy venu :
Dont ie me treuve ores circonvenu.
Il m’a promis d’Achillés la monture
Et Chariot, hazardant l’advanture
De ce voyage, & que ie luy revele,
De voſtre Camp quelque ſeure nouvelle.
Ceſt à ſavoir ſi vous delibérez
D’entrer en Mer, ou ſi vous demeurez,
Pour tenir bon. Sur tout que ie regarde
Quel Guet on faict, ſi les Nefz ſont ſans garde.
Lors Vlyſſés avec ung fainct ſoubrire
Luy dict : ami ie voy bien par ton dire,
Que ton eſprit a ung bien deſiré,
Trop grand pourtoy, & trop deſmeſuré.
Car ces Courſiers ſont de Nature telle
Qu’impoſſible eſt à perſone mortelle
De les dompter ſi ce n’eſtoit leur Maiſtre,
Que Iuppiter a faict de Thetis naiſtre,
Mais ie te pry Compte moy ſans mentir,
Alors qu’Hector t’a preſſé de partir,
Ou eſtoit il ? Son Harnoys tant famé,
Ou le met il quand il eſt deſarmé ?
En quel endroit logent ſes bons Chevaulx,
Et Chariotz apres leurs grans travaulx ?
Dy moy encor ſi ſes gens ſont couchez
Dedans leurs Lictz, de Batailler faſchez,
Ou ſ’ilz ſont Guet ? Se veulent ilz tenir
Encor aux Champs, & deſſus nous venir
Demain matin ? ou reprendre leur voye,
Victorieux pour retourner à Troie ?
    Lors dict Dolon, le vous advertiray,
Certainement, & point n’en mentiray.
Le preux Hector à mon depart eſtoit
Prés du Tombeau d’llus, ou conſultoit
Avec les grands, des choſes neceſſaires,
Pour debeller (ſ’il peult) ſes adverſaires.
Et quant au Guet dont tu m’as demandé,
Il eſt certain qu’Hector l’a commandé :
Mais les Souldards n’obeiſſent en rien
À ſon vouloir, & ſ’endorment tres bien.
Tant ſeulement les Troiens par contraindre
Sont quelques Feux o& veillent, de la craincte
Qu’ilz ont de perdre Enfans, Femmes, Cité,
Et ne ſont rien que par neceſſité :
Les Eſtrangiers leur en laiſſent le Soing
Leur Femmes ſont, comme ilz diſent, trop loing.
    Vlyſſés veult entendre plus avant,
Et l’interrogue, Ores ſay moy ſcavant,
D’ung aultre faict, & point ne le me cele.
Les Eſtrangiers logent ilz peſle meſle
Parmy Troiens, ou ſ’ilz ont leurs Quartiers
Tous ſeparez ? ie l’orray voluntiers.
    Quant à cecy qu’a preſent me demandes,
Ie te diray comme logent les Bandes,
Sans te tromperies Cares, les Peons,
Leſlegiens, Pelaſges, & Caucons,
Sont tous Campez le long de la Marine.
D’aultre coſte, tirant vers la Colline
Dicte Thymbra, campent les Lyciens,
Les Phrygiens, Meons & Myſiens.
Mais de quoy ſert qu’ainſi ie vous recite
Par le menu le Troien exercite ?
Si vous avez volunté d’y aller,
Vous trouverez en tout vray mon parler.
Les Thraciens nouvellement venuz
Se ſont encor loing de nous contenuz,
Mectans à part leurs Bandes & Charroy :
Entre leſquelz j’ay veu Rheſus leur Roy,
Et ſes Courtiers merveilleux & puiſſans
En grand blancheur la Neige ſurpaſſans,
Leſquelz on peult aux Ventz comparager
Tant ilz ſont promptz quand il fault deſloger.
ſI’au veu ſon Char compoſe par Art gent
De deux metaulx, Or fin, & clair Argent :
Et ſon Harnois tout d’Or, ſi admirable
Qu’il n’en eſt point au monde de ſemblable.
Et croy pour vray qu’ung Homme ſoit indigne
D’avoir ſur ſoy Armure tant inſigne,
Certainement elle ſierroit trop mieulx
À Iuppiter, ou à quelcun des Dieux.
Donc vous ayant du tout acertenez,
Ie vous ſupply menez moy en voz Nefz.
Ou me laiſſez lyé eſtroictement
En ce lieu cy : Puis allez promptement,
En noſtre Camp, ou pourrez à l’Oeil voir
Si i’ay voulu en rien vous decevoir.
    Diomedés lors de travers regarde
Le poure Eſpie, & luy dicf Tu n’as garde
De m’eſchapper Ne metz en tes eſpritz
Eſpoir de vivre, encor qu’on ayt appris
Choſe de toy qui ſervir nous pourra.
Ie ſcay tres bien que quand on te lairra
Des maintenant aller en liberté,
Vne aultre fois tu auras volume
De viſiter noſtre Camp, & viendras,
Pour l’eſpier, ou bien nous aſſauldras.
Mais ſi tu meurs, comme eſt en ma puiſſance,
Tu ne ſeras jamais aux Grecs nuyſance.
    Ainſi luy dict. Et Dolon qui penſoit
Le convertir, prés de luy ſ’avancoit,
Pour luy toucher le Menton doulcement,
Et le prier : mais ſur ce penſement
De ſon Eſpée ung ſi grand Coup luy rue
Deſſus le Col qu’il l’abbat & le tue
Couppant les Nerfz, dont la Teſte ſ’en vole
En murmurant encor quelque parole.
Incontinent ont prins ſon Cabaſſet,
De peau de Bouc & le gentil Corpſfet
De peau de Loup, ſon Dard, ſes Arcz tenduz.
Puis Vlyſſés a ſes bras extenduz
Devers le Ciel : & tenant ces Harnois,
Prioit ainſi Pallas a baſſe voix.
Reſjouy toy Deeſſe de l’Offrande
Qu’on te preſente ainſi qu’a la plus grande,
Et la plus digne entre les Immortelz
À qui l’on doibt dreſſer Veux & Autelz.
Doreſnavant ta Deité haultaine
Aura de nous Oblation certaine.
Mais ce pendant Dame fay nous la Grace,
Que nous allons au lieu ou ceulx de Thrace
Sont endormys : fay nous voir leurs Armures,
Leur beaulx Courſiers, & Char plein de Dorures.
    Quand l’Oraiſon du Grec fut achevée,
Encor ung Coup il a ſa main levée
Bien hault en l’air, puis a faict ung Monceau,
De ces Habitz & a ung Arbriſſeau
Les a penduz, aprés coupe & branche
    D’ung Tamarin ung grand Rameau & branche,
    Pour luy ſervir de Marque ou de briſée,
Et que la voye en {bit mieulx adviſée
À leur retour. Cela faict : ilz cheminent
Parmy les Mortz & trouver determinent
Les Thraciens ſ’y ont tant cheminé
Qu’lz ſont venuz au lieu déterminé.
    Trouvé les ont couchez & endormys
À troys grands Rengs, car ainſi ſ’eſtoient mys
Et au plus prés de chaſcun, l’Equipage
De ſon Harnoys, ſa Monture, & Bagage.
Rheſus dormoit au mylieu de ſes Gens,
Et es chevaulx exquis & diligens, tre les jjens.
Bien prés de luy, au Chariot liez
De grands Licoulz riches & deliez.
    Lors Vlyſſés voyant ce Deſarroy,
Dict, Compaignon, Certes voycy le Roy,
    Et les Chevaulx que Dolon nous diſoit
Quand de ce Camp à plein nous inſtruyſoit.
Or maintenant il fault que tu t’efforces
(Mieulx que devant) à demonſtrer tes Forces
Pas ne convient icy porter en vain
Sallade en Teſte & Eſpée en la Main.
Fay l’ung des deux, ou ces Courſiers deſlie,
Et j’occiray ceſte troupe faillye.
Ou ſi tu veulx que toſt ie les deſtache,
Prens ton Eſpée & a ces gens t’attache.
    Ainſi luy dict, lors Pallas la Deeſſe,
Au fort Gregeois accreut la Hardieſſe :
Si les occit & découpe à merveille,
Tant que du Sang la place en eſt vermeille :
Oyant ſouſpirs & plainctz interrompuz
De ceulx qui ſont detrenchez & rompuz.
Car tout ainſi qu’ung Lion d’aventure.
Trouvant Brebis, ou Chievres ſans cloſture,
Et ſans Berger, ſur icelles ſe rue,
Puis les abbat de ſa Griphe & les tue :
Ne plus ne moins le Gregeois deſpeſchoit
Les Thraciens, aulcun ne l’empeſchoit.
    Douze en paſſa par le fil de l’Eſpée,
Tant que la Place en fut toute occupée,
Mais Vlyſſés ainſi qu’il leur donnoit
Le coup mortel ſboubdain les entraynoit,
Et faiſoit voye, afin que les Courſiers
Qu’il deſiroit, partiſſent voluntierſ :
Et n’euſſent craincte en marchant par deſſus,
    Pour n’en avoir oncques plus apperceuz.
    Diomedés juſques au Roy arrive
Pour le trezieſme, & de vie le prive.
Trop doulcement dormoit, mais le poure homme
Fut endormy d’ung mortifere Somme,
Que celle Nuict le Grec luy apporta,
Avec Pallas qui en tout aſſiſta.
    Ce temps pendant Vlyſſés mect grand peine
À deſlier les Chevaulx, & les meine
Haſtivement parmy la multitude,
En les frappant de ſon Arc fort & rude :
Car il n’eut pas l’advis de ſcavoir prendre,
Le beau Fouet craignant de trop attendre.
    Quand il ſe veit ung petit eſloigné,
Et ſon Amy encor embeſoigné :
Soubdain le huſche, & ſiffle de facon,
Qu’il entendit incontinent le Son.
Diomedés ce pendant diſcouroit
(Sans ſe bouger) pour ſcavoir qu’il ſeroit.
Aſſavoir mon ſ’il devoit emmener
Le Char tout plein d’ Armure, & le traiſner
Par le Timon, ou le prendre aultrement
Sur ſon Eſpaule, & partir promptement :
Ou ſ’il devoit encor perſeverer,
À tuer Gens, ains que ſe retirer.
De ces troys poinctz eſtoit l’entendement
Du vaillant Grec agité grandement.
    Surquoy Pallas a ſes faictz aſſiſtente
De ton exploict : va t’en & ne ſejourne :
À celle fin que ton Corps ſ’en retourne
En tes Vaiſſeaulx ſeurement & ſans craincte.
Doubter te fault la Retraite contraincte
Qui t’adviendra, ſi quelque Dieu concite,
Pendant cecy, le Troien exercite.
    Diomedés des qu’il a entendu
Ce bon Conſeil, promptement ſ’eſt rendu
Vers Vlyſſés. Adonc chaſcun d’eulx monte
Sur les Courſiers, qui ont l’alleure prompte :
Car Vlyſſés les preſſoit tant d’aller
A tout ſon Arc, qu’il les faiſoit voler.
    D’aultre coſté Phoebus à l’Arc d’argent,
Pour les Troiens ſe monſtra diligent,
Car lors qu’il veit que Minerve parloit,
Au vaillant Grec, & apres luy alloit;
Tout indigné du Dommage advenu,
Soubdainement eſt aux Troiens venu.
Entre leſquelz il voulut eſveiller
Hippocoon Oncle & grand Conſeiller
Du Roy Rheſus lequel en ſe levant,
Et ne voyant ainſi qu’au paravant
Les beaulx Courſiers, ains la place couverte
D’hommes occis, ſoubdain cognut la perte :
Alors ſ’eſcrie & pleure à chauldes Larmes
En regretant les Thraciens Genſdarmes,
Meſmes Rheſus, Rheſus qu’il a nommé
Son cher Nepveu, ſon Prince tant aymé.
    À ces grands cris, tout le Camp ſe troubla,
Et quant & quant la plus part ſ’aſſembla,
Deſſus le lieu, pour voir la Nouveaulté,
S’eſmerveillant de telle cruaulte,
Et diſoient tous, que trop hardy courage
Avoient les Grecs de faire tel ouvrage.
    Quand les deux Roys qui ſ’en alloient, ſe veirent
Tout juſtement au lieu, ou a mort meirent
Leur Eſpyon, Vlyſſés arreſta
Les beaulx Chevaulx, raultreſe deſmonta,
Pour luy bailler l’habit enſanglanté,
Ce qu’il a faict : & puis eſt Remonte,
Et vont ſi bien qu’en peu d’heure ilz ſe rendent
En leur Vaiſſeaulx, ou les Grecs les attendent.
    Entre les Roys Neſtor premierement
Ouyt ung Bruict & cognut clairement,
Qu’ilz arrivoient. Adonc dict,
Ô Paſteurs de peuple Grec, Ô prudentz Conducteurs
De ce beau Camp, diray ie point menſonge,
Ou verité comptant ce que ie ſonge ?
Certainement mon Cueur veult que ie croye
Ce mien advis avant que ie le voye,
Ung certain Bruict ; de Cheval galoppant
Preſentement m’eſt l’Oreille frappant.
Or pleuſt aux Dieux quenoz deux Champions
Euſſent eſté ſi ſubtilz Eſpions,
Qu’en eſchappant des perilleux dangers,
Peuſſent mener deux beaulx Courſiers legerſ :
Mais trop ie crains que ces grands perſonages,
Ayent enduré quelques mortelz dommages.
    À peine avoit ces troys motz achetez,
Que les deux Roys ſont illec arrivez,
Et deſcenduz, lors chaſcun les accolle
Chaſcun leur dict une bonne parole,
Et meſmement le viel Neſtor ſ’adreſſe
À Vlyſſés. Ô gloire de la Grece
Digne d’honeur, ie te prie me dire,
De ces Chevaulx que ie vous voy conduyre,
Tant excellentz en blancheur admirable,
    Et aux rayons du clair Souleil ſemblable,
Les avez vous ſur les Troiens gaignez ?
Ou quelque Dieu les vous a il donnez ?
Long temps ya qu’aux Combatz ie me treuve
Contre Troiens, ou ie fais claire preuve
De ma vertu, ſans que ie m’en retire
Pour ma vieilleſſe, on me cache au navire,
Mais ie n’ay veu oncques en la Bataille,
Ces deux Courſiers n’y aultre de leur Taille.
Si croy pour vray qu aucun des plus grands Dieux
(De voſtre bien & ſalut curieux)
Vous en a faict ung preſent honorable.
Iuppiter eſt à tous deux ſecourable,
On le faict bien, & Pallas l’invincible
Vous favoriſe autant qu’il eſt poſſible.
    Prudent Neſtor, Filz du bon Nelëus
(Dict Vlyſſés) Chevaulx trop plus eſleuz,
Pourroient les Dieux facilement donner
Quant ilz vouldroient ung mortel guerdonner.
Car leur puiſſance eſt à donner plus grande,
Qu’il n’eſt de prendre à l’homme qui demande.
Quanta ceulx cy ilz ſont en Thrace nez,
Et de nouveau par Rheſus admenez
En ce payſt mais il n’a plus d’envie
De batailler, ayant perdu la vie.
Diomedés luy a le couteau mys
Dedans la Gorge, & a douze endormys
Au pres de luy. Quant à ce veſtement
Ainſi ſanglant, C’eſtoit l’accoutrernent
D’ung Eſpion, que nous avons ſurpris,
Et mys a mort apres avoir apris
Ce qu’il ſcavoit voyla tout en effecr
Entierement ce que nous avons faict.
    Diſant ces motz, ſes Courtiers a paſſez
Demenant joye, oultre les grands Foſſez,
Suyuy des Roys qui faiſoient tres grand feſte
De leur voyage & heureuſe conqueſte.
    Quand Vlyſſés fut en la riche Tente
Du compaignon, alors il diligente
De bien lier ſes Chevaulx, & les loge
Soigneuſement dedans la meſme Loge :
Et au reng meſme, ou la belle monture
Du fort Gregeois, mangeoit Pain & paſture.
    Quant aux habitz de Dolon, il les poſe
Dedans ſa Nef ſur la poupe, & propoſe
En faire ung jour à Pallas Sacrifice,
Et luy offrir à jamais ſon Service.
    Bien toſt apres ces deux Grecs de valeur
Se cognoiſſans oppreſſez de chaleur,
Et de ſueur, dedans la Mer entrerent
Pour ſe laver, & tres bien ſe froterent
Le Col, le Dos, les Iambes, & les Cuiſſes,
Oſtans du Corps toutes les Immondices.
Eſtans ainſi refreſchiz & bien netz,
Dedans des Baingz ſoufz bien ordonnez,
S’en ſont entrez, & quant & quant leurs Corps
Ont eſte oinctz d’huyle par le dehors,
Puis ſont allez manger, prians Minerve :
Qu’en tous leurs faictz les dirige & conſerve :
En reſpandant du Vin à pleine Taſſe,
(Pour Sacrifice) au mylieu de la Place.