Les Dix Premiers Livres de l’Iliade d’Homère/7

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Traduction par Hugues Salel.
Iehan Loys (p. ccxxi-ccxlvi).



LE SEPTIESME
LIVRE DE L’ILIADE
D’HOMERE.



Hector retourne à la bataille auec Paris


LE PREVX HECTOR parlant de ceſte ſorte,

Incontinent ſortit hors de la Porte
Auec Paris : tous deux voulans monſtrer
Quelque beau faict d’Armes au rencontrer.


Et tout ainſi qu’aprés longue Tormente,


Qui bien ſouvent les Mariniers tormeme,
(Les contraignant à voguer & ramer
Contre le Vent, en la plus haulte Mer)
Dieu leur envoye ung Temps doulx & paiſible
Faiſant ceſſer ceſte Tempeſte horrible.
Ne plus ne moins, les Troiens la laſſez
Du long travail furent tous renforcez :
Appercevans ces deux Freres venir,
Qui bien pourraient le Combat ſoubſtenir.
    À l’arriver, deux Gregeois Ennemys
Furent par eulx à mort cruele mis.
Paris tua le vaillant combatant
Meneſthius, qui eſtoit habitant
De la Cité d’Arna, venant de Race
D’Arithöus le Roy, portant grand Maſſe,
Qui eut à Femme, en ſes plus jeunes ans,
Philomeduſe aux yeulx verdz & plaiſans.
    Hector frappa de ſa Lance poinctue
Lonëus ſi tres fort qu’il le tue :
Et fut le coup droictement en la place
Qui eſt au Col, entre Armet & Cuyraſſe.
    Glaucus auſſy ſi rudement hurta
Iphinous qu’a Terre le porta :
Le contraignant de la Bride laſcher
À ſes Cheuaulx, & bas mort trebuſcher.
    Adonc Pallas voyant l’occiſion
De ces trois Grecs, & la Confuſion
Qui ſ’appreſtoit au reſte de l’Armée,
Soubdainement( dolente & animée)
Du hault Olympe à Troie dcſcendit.
    D’aultre coſté Phœbus qui entendit
Son arrivée (eſtant ſur la muraille
Pour contempler la fin de la Bataille,
Quil deſiroit en Faveur des Troiens)
Vint droict à elle & par ſubtilz moyens
En l’invitant de prendre ſon repos
Soubz ung Fouſteau, commencea telz propos.
    Dy moy pourquoy, Ô Fille du grand Dieu,
    Es tu venue à preſent en ce lieu,
Si promptement ? Certes il fault bien dire
Qu’ung grand Deſir ou Aſfaire te tire.
Seroit ce pas pour la Victoire oſter
Aux bons Troiens, & pour la tranſporter
À tes Gregeois, avec intention
De voir bien toſt Troie à deſtruction ?
Il vauldroit mieulx (& ii tu me veulx croire
Nous le ſerons) differer la Victoire
Pour ce jourdhuy, & les faire ceſſer :
Une aultre fois pourront recommencer,
Continuans Batailles & Combatz,
Iuſques à tant que voye miſe à bas
Ceſte Ciré : puis qu’il vous plaiſt ainſi
À tous vous Dieux, ſans les prendre a mercy.
    Ie le veulx bien reſpondit la Déeſſe,
Soit ainſi faict : Auſſy la cauſe expreſſe
Qui m’amenée, eſtoit pour adviſer
Comme on pourrait les deux Camps diuiſer
Trouve moyen doncques, ſans plus debatre,
Que pour ce jour demeurent ſans combatre.
    On ne pourrait mieulx l’affaire dreſſer
(Dict Apollo) que de faire avancer
Le preux Hector, provoquant les plus fortz
Des Ennemyz ſ’eſprouver Corps à corps.
Encontre luy. Ceſte brave Demande
Eſtonnera les plus fortz de la Bande.
Leſquelz tirez en Admiration
De ſa Valeur, ſeront election
De l’ung d’entre eulx, pour venir au Combat
Voila comment finira le Débat.
    L’opinion d’Apollo fut trouvée
Bonne & Subtile, & ſoubdain approuvée.
Lors Helenus le Prudent & Diſcret,
Qui entendit en Eſprit leur Secret,
Vint à Hector, & d’ung langage humain
Luy dict ainſi. Ô cher Frere germain
Entens à moy, & ne prens à merveille,
Si maintenant je t’adviſe & Conſeille
Pour ton honeur : Car eſtant ton bon Frere
Ie ne le puis ny doibs aultrement faire.
Fay retirer les Troiens & Grégeois :
Et puis t’avance, & de ta haulte voix,
S’il y aura Grec, qui vueille entreprendre
Seul contre toy, leur Querele defendre :
Va hardiment, car par la Deſtinée
Ta mort n’eſt pas à ce jour aſſignée
Ie l’ay ainſi cognu des Dieux haultains,
Qui ſont touſjours en leurs conſeilz certains.
Hector à donc tout Reſjouy ſ’avance,
Et fort des Rencs, tenant ſa longue Lance
Par le mylieu, Si faict : tous retirer
Ses Eſquadrons, leur défendant tirer
Contre les Grecs : Leſquelz ſoubdain ſ’arreſtent,
Gardans leur ordre, & a l’ouyr ſ’appreſtent.
Agamemnon auſſy pour l’eſcouter,
Feit les Gregeois promptement arreſter.
Lors Apollo & Minerve qui veirent
Les Traictz ceſſer, ſur ung Fouſteau ſe meirent
Hault & branchu, ayans Forme & Image
De deux Vaultours. Et la en leur courage
Seſjouiſſoient, de veoir Troupes ſi grandes
Se tenir coy parmy les belles Landes.
    Les Bataillons eſtoient aſſis à Terre,
Bien fort ſerrez, & leurs harnoiz de Guerre
Tout au pres d’eulx : Semblables à les voir
Aux Flotz Marins, que le Vent faict mouvoir
Si tres eſpés, que la Mer Bleue ou Verte
Souventeſfois ſemble de noir couverte.
    Doncques Hector acouſtré de ſes Armes
Dict devant tous : Oyez Troiens Gendarmes
Et vous Grégeois, à preſent ung propos,
Qui peult ſervir à voſtre Aiſe & Repos
La Convenance & les Promeſſes faicts
Entre les Camps, demeurent imparfaictes,
Et ſans effect Iuppiter nous a mis
En ce danger, & n’a l’Accord permis,
Pource qu’il veult (tant eſt plein de malice)
Voir de nous tous ung cruel Sacrifice :
C’eſt aſſavoir, ou que Troie ſoit priſe
Par vous Gregeois, Ou que voſtre Entrepriſe
Soit inutile, & qu’en brief vous ſoyez
Par les Troiens tous occiz ou Noyez.
Or maintenant, pource que je ſcay bien
Qu’en voſtre Camp y a de gens de bien
Et Courageux, qui ne vouldroient faillir
De bien Defendre, & de mieulx Aſſaillir.
Faictes venir le plus Vaillant & Fort,
Pour me combatre & monſtrer ſon Effort
Contre moy ſeul. Certes je l’attendray,
Et ma Promeſſe & ma Foy luy tiendray.
Don j’en requier, ſ’il en eſtoit beſoing
À l’advenir Iuppiter à teſmoing.
S’il eſt vainqueur, & que ſa Lance ſouille
Dans mon Corps mort, il prendra ma Deſpouille,
Et la pourra en ſes vaiſſeaulx porter,
Sans aultrement ſur le corps attenter :
Ains permectra aux Troiens de le prendre,
Pour le bruſler & recueillir la Cendre.
Et ſ’il advient qu’Apollo me permette
Qu’il ſoit Oultré, & qu’a mort je le mette :
Tant ſeulement je me contenteray
De ſon Harnois lequelle porteray
Dans llion, le pendant en ſon Temple :
Qui ſervira de Trophée & d’Exemple.
Et quant au corps, je le ſeray mener
À ſes Gregeois, qui pourront ordonner
Son emiment ſur le bord de la Rive
De l’Helleſpont : Dont ſi quelqu’ung arrive
Par traict : de temps, juſque en ceſte Contrée,
Quand il aura la Tumbe recontrée,
Dire pourra. Cy giſt le Grec vaillant,
Au quel Hector (rudement l’aiſſaillant)
Donna la mort combien qu’il feiſt effort
De Chevalier, tres valeureux & fort.
Voila comment l’Homme Eſtranger dira :
Dont mon Renom jamais ne périra.
Ceſte Oraiſon ainſi Bruſque & Haſtiſve,
Rendit la Trouppe eſtonnée & craintive.
Chaſcun doublant le Combat accepter :
Et Rougiſſant de ne ſe preſenter.
    Menelaus qui entendit le tout
Et veid leur mine, adonc ſe meit debout,
Et d’ung maintien enflambé & plein d’ire,
(En ſouſpirant grieſvement) leur va dire.
Ô meſchans Grecs, en parole hardiz
Et Arrogans, mais de faict : eſtourdiz,
Et tres couardz. Ô Grecs par trop infames
Non hommes Grecs, mais pluſtoſt Grecques femmes
Quel deſhoneur. & reprochable Tache
Recevez vous d’avoir le cueur ſi laſche,
Sans vous oſer expoſer au danger
Encontre Hector ? Or ſans d’icy bouger,
Ie prie aux Dieux (pour voz faultes punir)
Que tous puiſſiez Terre & Eau devenir.
Quant eſt à moy, je vois mes Armes prendre,
Pour le Combat hardiment entreprendre.
Bien cognoiſſant que les haultz Dieux ordonnent
De la Victoire, & ou, leur paiſt la donnent.
De pareilz motz Menelaus blaſma
Ses Compaignons, & promptement ſ’arma.
    Certainement ta fin eſtoit prochaine
Menelaus, & la toute certaine
Es mains d’Hector : Il eſtoit trop puiſſant.
Et mieulx que toy les Armes cognoiſſant,
Sans les plus grands des Gregeois qui ſurvindrent,
Incontinent te prindrent & retindrent.
Agamemnon meſmes te vint ſaiſir
Par la main dextre, & du grand deſplaiſirs
Qu’il eut alors, te diſt tout courroucé.
Que veulx tu faire, Ô fol & inſenſé ?
Penſerois tu avoir force & moyen,
De reſiſter ce vaillant Troien ?
Contre lequel nul de la Grecque Race,
Tant ſoit il fort, n’oſe monſtrer la Face.
Non Achillés lequel bien fort doubtoit
Le rencontrer, alors qu’il combatoit
Retire toy, & va te repoſer,
Bien toſt verras entre nous diſpoſer
De ce Combat. Quelqu’ung ſe trouvera
Qui contre luy ſa force eſprouvera.
Et bien qu’il ſoit hardy & Redoubtable,
Homme ſans peur, en Guerre inſatiable :
I’ay bon eſpoir qu’il ſera bien fort aiſe,
Si ſans ſa mort, la Querele ſ’appaiſe.
Et fleſchira avec cueur humble & doulx
(S’il en eſchappé) au grand Dieu ſes Genoux.
    Agamemnon de telz motz enhorta
Menelaus, ſi bien qu’il deſiſta.
Dont ſes Valetz joyeux de veoir leur Maiſtre
Hors de danger, vindrent toſt comparoiſtre,
Prindrent l’Armet, ſon Eſcu, & ſes Armes,
Puis il ſ’aſſiſt avec ques ſes Genſdarmes.
    Sur qnoy Neſtor Venerable & Scavant,
Se va lever, & ſe meit en avant,
Diſant ainſi. Ô choſe trop indigne,
Et mal ſeant à Trouppe tant inſigne,
Ô quel Malheur, ſ’il advient qu’on revele
En noz Pays ceſte triſtr nouvele.
Certainement Peleus le vieil Prince
Des Myrmidons, & toute ſa Province
Enplourera. I’ay veu qu’il ſ’enqueroit
Par le menu de vous, & requeroit
Scavoir de moy, par grande affection,
Les Noms, la Race, & Génération.
Mais il ſera tres dolent & Confus,
Quand il ſcaura voſtre laſche Refus
Et croy pour vray que ſurpris de Triſteſſe
Il dreſſera aux Dieux Priere expreſſe :
Les requerant pluſtoſt par mort finir,
Que voir tel Blaſme aux Gregeois advenir.
Or pleuſt aux Dieux, Apollo, Iuppiter,
Et à Pallas, que je peuſſe porter
Si bien le faix, eſtant jeune & de taille,
Comme j’eſtois au temps de la Bataille
Des Pyliens, & Arcades belliques,
Qui deſpartoient leurs Quereles antiques,
Prés la Cité de Phée, ſur le Fleuve
Nommé Iardan, ou je feis clere Preuve
De ma Vertu. Pour lors vivoit entre eux,
Ung appelle Ereuthalion, Preux
Et Redoubté, accouſtré des Armures
D’Arithous, Acerées & dures.
I’entens de cil Anthöus portant
La grand Maſſue, & d’elle combatant :
Qui par ſa Force acquiſt tant de Renom,
Qu’on l’appella Maſſueur par Surnom.
Lequel aprés fut à mort abbatu
Par Licurgus, non par Force & Vertu,
Ains par Fineſſe, en une eſtroicte Rue,
Ou il ne peut remuer ſa Maſſue
Car Licurgus de ſi court le preſſa,
Que de ſa Darde à travers le perſa.
Et l’ayant mort, il print ſes belles Armes,
Pour ſ’en aider es Aſlaulz & Alarmes.
Ce qu’il a faict durant qu’il a veſcu :
Sans ſe trouver affoybly ou vaincu.
Puis les donna à Ereuthalion,
Qui ſ’en tenoit auſſy fier qu’ung Lion :
Et bien ſouvent Corps à corps provoquoit
Les Pyliens, & d’iceulx ſe mocquoit.
Par quoy voyant la Crainſte & Couardie
De tous les miens, & l’orgueil d’Arcadie :
Ie propoſay (nonobſtant ma jenneſſe)
Encontre luy eſſayer ma Proueſſe
Si l’aſſailly, & moyennant la Grace
Des Dieux haultains, je l’abbatis en place,
Tout roide mort : non ſans grande merveille,
Voyant ſon Corps de grandeur nom pareille,
Plat eſtendu. Ô ſi j’eſtois de l’eage
De ce temps la, & de meſme Courage,
Certainement le Troien cognoiſtroit
Ung Champion qui toſt le combatroit
Or maintenant voyant icy enſemble
Les plus hardy de la Grece : il me ſemble
Que ceſt grand honte, & mal faict ſon devoir
Si l’on ne va ce Combat recevoir.
    Le bon Vieillard juſques au vif poignit
Les Princes Grecs, tant qu’il en contraignit
Neuf des plus grans : qui ſe vont tous lever :
Chaſcun voulant au Combat ſ’eſprouver.
Agamemnon fut de tous le Premier :
Diomedés à vaincre couſtumier
Fut le Second les deux Ajax de meſme :
Idomenée aprés fut le Cinquieſme :
Merionés auſſy en voulut eſtre,
Eſtant pareil en Vaillance à ſon Maiſtre.
Avec leſquelz le bon Filz d’Euemon
Eurypylus, & celuy d’Andremon
Le fort Thoas, ſe leverent afin
D’eſtre receuz.Puis Vlyſſés le Sin
Ne voulant pas qu’on luy peuſt reprocher
D’eſtre Craintif, ou Remis de marcher.
    Sur quoy Neſtor les voyant animez
Leur dict encor. Ô Princes renommez,
Puiſqu’ainſi va, il ſera bien toſt ſceu,
Lequel doibt eſtre à Combatre receu.
Iectez ung Sort, & cil dont ſortira
Le Bulletin, encontre Hector ira.
En l’aſſeurant que ſ’il a la Victoire,
Ce luy ſera une immortelle gloire.
    Suyuant cela, chaſcun des Neuf adviſe
Faire ung Billet, de ſa Marque ou Deviſe.
Agamemnon leur preſta ſon Armet,
Dedans lequel tous les Bulletins mect.
Ce temps pendant les bons Souldars Gregeois,
Haulſans leurs mains, prioyent à baſſe voix.
Ô Iuppiter Dieu puiſſant, Fay de ſorte
Que le Billet du vaillant Ajax ſorte
Tout le premier, ou du Filz de Tidée,
Dont la Proueſſe eſt tant recommandée.
Ou ſ’il te plaiſt octroye ceſt honeur
À noſtre Chef & prudent Gouverneur
    Neſtor faiſoit remuer & branſler
Souvent l’Armet, pour mieulx les Sortz meſler.
Lors meit la main dedans, d’ou fut tiré
Le Bulletin d’Ajax tant deſiré.
Si commanda à ung Hérault le prendre,
Et l’apporter aux Roys, afin d’entendre
Lequel d’entre eulx eſtoit predeſtiné,
D’executer le Combat aſsigné.
Le Hérault donc prend le Billet, & paſſe
De Renc en Renc tout le long de la Place,
En le monſtrant. Mais point ne fut cognu,
Iuſques à tant qu’il eſt es mains venu
Du fort Ajax, qui liſant l’Eſcripture,
Fut tres joyeux de ſi bonne Advanture.
Pour ſien le prend, & puis le jette à terre :
Parlant aux Roys en vray Homme de Guerre.
    C’eſt donc a moy, ainſi que vous voyez
(Mes chers Amyz) je vous ſupply ſoyez
Tous reſjouyz. Ie ſens deſja mon cueur
Qui me promect : que je ſeray vainqueur.
Et ce pendant que je prens mon Armure,
Vous pourrez bien (tout bas & ſans Murmure)
En ma faveur les Dieux haultains prier,
Sans que Troiens vous entendent crier.
Mais qu’ay je dict ? Certes il ne m’en chault,
Priez tout bas, ou bien priez tout hault,
Ie ne crains rien. Car ſi la Nourriture
Faict eſtimer ſouvent la Creature :
Si la Patrie, & illuſtre Lignage,
Aux Hommes faict augmenter le Courage :
Eſtant ainſi, comme je ſuis pourveu
De ces trois dons, il ne ſera pas veu
Que je m’en fuye : ou bien que je delaiſſe,
Ce que doibt faire ung Prince de Nobleſſe.
    Ainſi parla le Grec Audacieux,
Dont ſes Amyz de cueur devotieux,
Pour ſon ſalut feirent Veux & Prieres
À Iuppiter, en diverſes manieres.
Entre leſquelz quelqu’ung mieulx cognoiſſant
Le grand hazard, diſoit. Ô Dieu puiſſant
Tres bon, Tres grand, qui ſur Ida reſides,
Et voys cecy, Iuppiter qui preſides
À tous Combatz, ſay au jourdhuy de ſorte,
Que le bon Grec la Victoire raporte.
Ou ſi tu as trop grande affection
Envers Hector, fay la Contention
Si bien finir, que l’honeur en demeure
À tous les deux ans que Perſone y meure.
    Le fort Ajax ſ’arma & ſ’accouſtra
D’Arain luyſant, puis apres ſe monſtra.
Emmy le Camp, d’auſſy hardie taille
Que le Dieu Mars, quand il marche en Bataille.
Il ſoubzrioyt : mais avec ce Soubzrire
Monſtroit Viſage enflambé & plein d’ire.
Faiſant cognoiſtre à tous ceulx de ſa part,
Que pour certain il eſtoit leur Rempart.
Leſquelz voyans ſa brave Contenance,
Son fier Marcher, & Brandir de ſa Lance,
Se ſouyſſoient. Mais quand Troiens Le virent
Preſt au Combat, grandement ſ’eſbahyrent :
Meſmes Hector en fut bien eſtonné,
Et voluntiers ſ’en fuſt lors retourné.
Mais on l’euſt dict Couard & Defaillant
Conſiderant qu’il eſtoit aſſaillant.
    Doncques Ajax portant au Col ſa Targe
Et grand Eſcu, peſant, horrible, & large
Comme une Tour (lequel jadis forgea
Hetychiu, & ſept Cuyrs y rengea
Subtilement faiſant la Couverture
De fin Acier, bien Acerée & Dure)
Vint à Hector & de tres grande Audace
Luy dict ainſi(en uſant de Menace)
    Hector ce jour tu auras cognoiſſance,
Qu’elle eſt de Grec la Force & la Puiſſance.
Tu cognoiſtras que nous ſommes grand nombre
De Chevaliers, pour te donner encombre.
(Sans y comprendre Achillés, qui ſe tient
En ſes Vaiſſeaulx & des Armes ſ’abſtient :
Pour ung Débat & malheureux meſchef,
Qu’il a conceu encontre noſtre Chef)
Entre leſquelz tu me voys avancer,
Commence donc, ſi tu veulx commencer.
    Adonc Hector, qui le Grec entendit
Ainſi parler, ſoubdain luy reſpondit.
Divin Ajax croys tu par ton Langage
(Qui eſt par trop arrogant & volage)
Comme une Femme, ou ung jeune Apprentis,
M’eſpouventer ? Certes je t’advertis,
Que de long temps je ſcay tous les Meſtiers
Duycltz à la Guerre, & les fais voluntiers.
Ie ſcay tres bien Aſſaillir, Reſiſter,
Mon grand Eſcu à toutes mains porter,
Eſtre à Cheval, fapper de prés, de loing,
Combatre à Pied, quand il en eſt beſoing.
Et quelque fois (par ſubtil cautele)
À l’Ennemy donner playe mortele.
Ce qu’a preſent je ne veulx à toy faire,
Te coghoiſſant Homme de grand affaire.
Ains te ferir apertement, ſans faindre
Mon Bras en rien, ſi je te puis attaindre.
    Diſant ces motz, Hector vers luy ſ’avance,
En brandiſſant ſa rude & longue Lance.
    Si le frappa de Force ſi extreme,
Qu’il tranſperça juſqucs au Cuyr ſeptieſme
Le fort Boucler, faiſant grande ouverture
Dedans l’Acier, & dure couverture.
    D’aultre coſté Ajax feit eſbranler
Sa forte Lance, & tout ſoubdain voler
Encontre Hector de ſi grande roydeur,
Qu’elle enfondra tout oultre la Rondeur
De ſon Eſcu. Et davantage paſſe
Iuſques au Ventre, en faulſant la Cuyraſſe.
Non ſans danger d’Hector, qui ſe tourna
Ung peu a Gaulche, & le coup deſtourna.
    Apres cela, chaſcun de ſa part raſche
Ravoir ſa Lance : & de l’Eſcu l’arrache.
Puis derechef, comme Sangliers terribles,
Ou fiers Lions cruelz & invincibles,
Se courent ſus. Hector ung coup rameine
Sur le Boucler, mais il perdit ſa peine :
La poindre fut à faulſer empeſchée,
Pour la durté de l’Eſcu rebouſchée.
Le coup d’Ajax pareillement gliſſa
Deſſus l’Eſcu d’Hector, & luy paſſa
Au prés du Col, prenant de la Chair tendre,
Dont on veid toſt le Sang vermeil deſcendre.
Mais le Troien de ſi legere Playe
Ne feit ſemblant, & de rien ne ſ’eſmaye
Ains reculant, emmy le Camp trouva
Ung grand Caillou Noir & Rond, qu’il leva,
Et d’iceluy vint à Ajax donner
Si tres grand coup, qu’il en feit reſonner
Le fort Boucler, le frappant au mylieu.
Ajax en prend ung aultre en meſme lieu,
Beaucoup plus grand, & d’iceluy le charge
Si rudement, que l’Eſcu grand & large
En fut froyſſe, & le Troien attainct
Sur les Genoux, parquoy il fut contrainct :
Se laiſſer cheoir à Terre, envelopé
De ſon Eſcu, dont ne fuſt eſchappé.
Mais Apollo qui ſoubdain arriva
Pour le ſaulver, bien toſt le releva.
    La ſe vouloient attacher aux Eſpées,
Dont on euſt veu leurs Armes decoupées,
Sans les heraulx, qui lors ſe vindrent mectre
Entre les deux, chaſcun tenant ung Sceptre.
    Alors Idée Hérault Saige & Scavant,
Leur dict ainſi. Ne paſſez plus avant
Mes tres chers Filz, laiſſez l’aſpre Debat ;
Et donnez fin à ce mortel Combat.
De Iuppiter eſtes tous deux aymez,
Et des humains Valeureux eſtimez.
Voicy la Nuict elle vous admoneſte
D’obtemperer à la miene Requeſte.
    Adonc Ajax reſpond. Tu dict tres bien
Ô Ideus mais je n’en ſeray rien,
Si ce Troien qui provoque nous a
Ne le me dict. Car puis qu’il propoſa
De m’aſſaillir, il ſe doibt avancer
À me prier, de ce Combat laiſſer.
Et ſ’il le faict, je ne contrediray,
Ains de bon cueur toſt luy obeiray.
    Hector adonc luy dict. Puis que les Dieux
T’ont honoré en ces terreſtres lieux,
Non ſeulement de grande Corpulence,
Mais de Vertu, de Force, & de Prudence,
Et que tu es comme bien je confeſſe)
Le plus expert Chevalier de la Grece.
Ie ſuis d’advis, qu’a preſent nous laiſſons
Noſtre Entreprinſe & que recommençons
(Quelque aultrefois, pour veoir à qui la Gloire
Demourera de ſi belle Victoire.
Veu meſmement que la fin du jour vient
Et qu’à la Nuict obeyr nous convient
Faiſant ainſi, tu rendras tres contens
Tes Compaignons, & les Grecs aſſiſtens
Quant eſt à moy, je rempliray de joye
Tous ceulx qui ſont dans la Cité de Troie.
Et meſmement les Dames, qui pour moy
Prians les Dieux, ſont en Peine & Eſmoy ;
Au demourant, Ô Ajax il me ſemble,
Qu’il nous convient entre donner enſemble
Quelque Preſent : afin que chaſcun die,
(Voyans ainſi la Hayne refroidie)
Ces deux eſtoient nagueres Ennemyz,
Et maintenant ſ’en vont tres grandz Amyz.
    Diſant ces motz, le Preux Hector luy donne
Sa belle Eſpée, Argentine & tres bonne :
Et quant & quant la Ceincture & Fourreau,
Qui fut auſſy bien reluyſant & beau.
D’aultre coſté, Ajax luy preſenta
Son grand Bauldrier, dont il ſe contenta
Adonc ſ’en vont, Ajax drolement tire
Vers ſes Amyz : & Heſtor ſe retire
À ſes Troiens, qui le voyans venir
Sain & entier, ne pouvoyent contenir
Leur joye extreme, ayans eu tant de Craindre,
Qu’il euſt receu quelque mortele attaincte.
Si l’ont mené à Troie. Et d’aultre part
Le fort Ajax avec ſes Gregeois part
Victorieux, en Martial arroy,
Et vient trouver Agamemnon le Roy
Dedans ſa Tente, ou le bon Chef ſ’appreſte
De les traicter) & leur faire grand feſte.
    Incontinent il dreſſe ung Sacriſice
À Iuppiter, pour le rendre propice,
D’ung gras Taureau de cinq ans, non dompté :
Qui fut ſoubdain amené ou porté.
On l’immola : puis apres l’eſcorcherent,
Et par Loppins ſes Membres detrencherent
En les mectant promptement à la Broche.
Quand tout fut preſt, ung chaſcun d’eulx ſ’approçhe
Pour en menger, & ſe traictent ſi bien,
Qu’au departir il ne leur falloit rien.
    Agamemnon grandement honora
Son Champion, & lors le decora
De beaulx preſens : pour Teſmoignage & Signe
De ſa Proueſſe, & Force tres inſigne.
    Ayans mangé, & bien beu à plaiſir,
Et ſatiffaict du tout à leur deſir,
Le vieul Neſtor, duquel la Providence
Et bon Conſeil, eſtoit de conſecjuence :
(Comme ilz avoient par ſon dernier advis
Tres bien cognu, dont ilz ſ’eſtoient ſervis)
Leur dict ainſi. Ô Roy Agamemnon,
Et vous Gregeois, Princes de grand Renom,
Chaſcun de vous a peu cognoiſtre aſſez
Combien de Grecs ſont mortz & treſpaſſez
À ce jourdhuy, dont les Corps eſtenduz
Giſent aux Champs, les Eſpritz ſont renduz
Aux bas Enfers. Si ne fault pas faillir
À donner ordre à les enſeuelir.
Et pour ce faire, il conviendra demain
Surſeoir la Guerre, & y mectre la main
En attellant les Muletz deux à deux
Aux Chariotz, & grand nombre de Beufz
Pour les porter icy prés des Vaiſſeaulx
Et puis en faire ung grand feu par monceaulx.
Ie ſuis d’advis auſſy que l’on regarde
De recueillir les Os, & qu’on les garde
Soigneuſement, afin que les donnons
À leurs Enfans, ſi nous en retournons.
Au demourant dreſſons ung Monument,
Qui ſervira pour tous communement.
Et qui plus eſt pour noz Vaiſſeaulx defendre,
Et que Troiens ne nous puiſſent ſurprendre,
(S’il advenoit quelque jour par malheur
Qu’en bataillant ilz euſſent le meilleur)
Il ſera bon que nous edifions
De haultes Tours, & les fortifions
De Boulevertz, en y faiſant des Portes
Amples aſſéſ : afin que les Cohortes
Et Chariotz puiſſent tout franchement
Entrer, ſortir, ſans nul empeſchemcnt
Et par dehors, nous ſerons ung Foſſé
Large & profond de Paliz renforcé
Qui gardera les Troiens d’approcher
Quand ilz viendroient juſque icy nous cercher.
Ainſi parla Neſtor, dont tous les Roys
Vont approuver ſon Conſeil d’une Voix.
D’aultre coſté les Troiens aſſemblez
Pour Conſulter, eſtoyent bien fort troublez :
Et diſcordans par la diverſité
D’opinions. Les grans de la Cité
Y aſſiſtoient, & de Peuple à foiſon :
Lors que Antenor leur feit ceſte oraiſon.
    Or entendez je vous prie Troiens,
(Tant eſtrangiers Souldards que Citoyens)
Ce que le Çueur me commande & ordonne,
Que je vous die, & Conſeil je vous donne
Ie ſuis d’advis que l’on doibt aller prendre
La belle Heleine, & quant & quant la rendre
À ſon Mary : & toute la Richeſſe
Qu’on apporta avec elle de Grece :
Pour accomplir l’Accord & le Serment
Que feit Paris. Car faiſant autrement,
Et bataillans contre la Convenance,
Certainement je n’ay point d’eſperance,
Que rien de bon nous puiſſe ſucceder :
Ie vous pry donc, vueillez y regarder.
    Ces motz finiz, Antenor droict ſ’en va
Choiſir ſon Siege, & Paris ſe leva :
Lequel ſurpris dire & de chaulde Cole,
Luy reſpondit en legere Parole.
Ce que tu dis grandement me deſplaiſt
Ô Antenor : Certes quand il te plaiſt
Tu ſcais trop mieulx parler & conſeiller,
Et pour l’honeur des Troiens travailler.
Mais en diſant ores ce que tu ſens,
En verité tu as perdu le Sens.
Et croy pour vray que les Dieux t’ont oſté
L’entendement, comme à ung Radoté.
Quant eſt a moy, maintenant je declaire.
Que mon vouloir eſt du tout au contraire.
Ie ne veulx point delaiſſer la Gregeoiſe :
Ceſt arreſté. Mais pour finir la Noyſe,
Ie rendray bien les Threſors & Ioyaulx
Que j’apportay de Grece, & les plus beaulx
De ma maiſon : ſ’ilz veullent accepter
Celle ouverture, & puis ſe contenter.
    Sur quoy Priam leur Roy, plein de Prudence
Et bon conſeil, Dict devant l’Aſſiſtence.
Oyez Troiens, & vous tous mes Amys,
Ce que l’Eſprit m’a dans la Bouche mis.
Puis qu’il eſt Nuict, allez vous en loger
En voz maiſons, pour repaiſtre & manger.
Aprés Soupper je vous pry qu’on regarde
Veiller par ordre, & faire bonne Garde.
Demain matin le Herault ſ’en ira
Devers les Grecs, & à plein leur dira
La voluté de mon Filz Alexandre :
Et ſcaura d’eulx ſ’ilz y veullent entendre.
Et d’avantage il leur propoſera,
Choſe qu’a peine on nous refuſera.
C’eſt aſſavoir une breſve Abſtinence
De Batailler afin que chaſcun penſe
D’enſevelir, & de bruſler Mors,
Qui ſont pour nous eſtenduz la dehors.
Et cela faict on recommencera,
Pour voir auſquelz la Victoire ſera.
    Ainſi parla, dont Troiens qui l’ouirent
Incontinent à ſon vueil obeirent.
Si vont ſoupper, puis apres ſe diſpoſent,
Les ungs au Guet, les aultres ſe repoſent.
    Sur le matin, le bon Hérault Idée,
Executant ſa charge commandée,
Vint aux Vaiſſeaulx, ou il trouva la Troupe
Des Princes Grecs en conſeil ſur la Pouppe
De la grand Nef d’Agamemrion & lors
Leur dict ainſi. Ô illuſtres & fortz
Filz d’Atrëus & aultre compaignie,
De Hardieſſe & Prudence garnie,
Le Roy Priam, & ſon Conſeil tres ſage,
    M’ont cy tranſmis, vous porter ce Meſſage.
Paris ſon Filz (qui eſt ſeul Inſtrument
De ceſte Guerre, & qui premierement
Devoit mourir que ſi mal entreprendre)
Vous faict offrir, qu’il eſt content de rendre
Tout le Butin de la Grece apporté :
Auquel ſera d’avantage adjouſté
Beaucoup du ſien. Quant à la belle Heleine
(Bien que Troiens ſe mettent en grand peine
Pour le cuider en ce perſuader)
Ilz perdent temps, car il la veult garder.
Or adviſez de me faire reſponce,
À celle fin qu’a Troie je l’annonce.
Mon Roy vous faict encores demander,
Si vous voulez une Treſve accorder,
Tant ſeulement pour donner Sepulture
Aux Corps giſans par la Deſconfiture
Du jour paſſé ; & qu’apres cela faict,
La Treſve ſoit rompue & ſans effect :
Et qu’on retourne à la Guerre pour voir
Qui doibt l’honeur de la Victoire avoir.
    Les Princes Grccs, ayans ces motz ouyz,
Se tenans coy, furent tous eſbahyz :
Iuſques à tant que le Grec d’excellence
Diomedés, va rompre le Silence.
Il ne fault point que l’offre preſentée
(Dict il alors) ſoit de nous acceptée.
Non quand Heleine, & tout le bien de Troie
Seroient baillez. Qui eſt cil qui ne voye
(S’il n’eſt Enfant, & hors de cognoiſſance)
Qu’ilz ſeront mis ſoubz noſtre obeiſſance
Ung de ces jours : & que le temps ſ’approche,
Qu’on punira ce tant villain reproche ?
Ainſi parla, dont il fut bien loué :
Et ſon advis de chaſcun advoué.
    Agamemnon adonc dict au Herault,
Tu as ouy preſentement tout hault,
L’intention des Gregeois je ne veulx
Et ne pourrais reſpondre, que comme eulx.
Quant à la Treſve elle t’eſt accordée,
Ne plus ne moins que tu l’as demandée.
Ie ne doibs pas a l’encontre eſtriver,
Pour les occis de ſepulchre priver.
La haine doibt touſjours eſtre effacée,
Quand la perſone eſt morte ou treſpaſſée,
Or faictes donc tous les Mortz aſſembler
De voſtre part, afin de les Bruſler,
Ou Enterrer; Nous ſerons les ſemblable.
Et pour teſmoing Certain & Véritable
De noſtre Foy, & Serment reciproque :
Ô Iuppiter à preſent je t’invoque.
Diſans ces motz, envers les haultz Cieulx dreſſe
Son Royal Sceptre, en ſigne de Promeſſe.
    Le bon Hérault ayant tout entendu,
Diligemment ſ’eſt à Troie rendu :
Ou il trouva les Troiens, qui eſtoient
Tenans Conſeil, & fort le ſouhaictoient.
Si leur compta la Reſolution,
Et vray Exploict de ſa Legation.
Laquelle ouye, incontinene ſe partent
De l’Aſſemblée, & par les Champs ſ’eſcartent
Une grand part ſe voulut occuper
Daller querir les Mortz : l’aultre à couper
Bois & Fagotz. Les Grecs d’aultre coſté,
Furent auſſi de meſme voluté.
Et peut on voir par ung jour tout entier,
Grecs & Troiens faiſans pareil Meſtier.
Se rencontrans ſouventeſfois, ſans faire
Aulcun ſemblant de ſe nuyre, ou deſplaire.
    C’eſtoit pitié de les voir par la Plaine
Embeſongnez, & ne povoir à peine
Congnoiſtre au vray les Formes & Semblantz
De leurs Parens tant ilz eſtoient Sanglantz.
Mais ilz prenoient de l’Eau & les lavoient.
Par ce moyen bien ſouvent les trouvoient.
Puis les mettoient ſur le Char, & leurs Armes,
Non ſans gemir, & plaindre à chauldes larmes.
    Le Roy Priam feit dans ung grand Feu mectre
Les Troiens mortz, & ne voulut permedre
À ſes ſubjectz, d’en faire aultres regretz.
    Agamemnon en feit autant des Grecs.
Et qui plus eſt, tout le long de la nuict :
Feit eſlever prompternent & ſans bruyt
Ung Monument, dedans lequel poſerent
Les Oſſementz. Pas ne ſe repoſerent
Apres cela. Ains vont tout a l’entour
Des Nefz baſtir mainte puiſſante Tour,
L’accompaiſnant de Boulevertz exquis,
Et de grans Huys comme il eſtoit requis,
Pour retirer les Souldardz qui viendroient
De la Bataille, ou aller y vouldroient.
Par le dehors feirent ung beau Foſſé
Large & Profond, lequel fut renforcé
Tout a l’entour, de Taluz & Paliz :
D’ou ne pourroient qu’a peine eſtre aſſailliz.
    Les Dieux aſſis au Palais nom pareil
De Iuppiter, voyans ceſt Appareil,
S’eſmerveilloient : Entre leſquelz Neptune
Ne peut celer la conceue Rancune,
Et dict ainſi. Iuppiter Dieu des Dieux,
On ne voit plus les hommes curieux
De faire Veux, ou dreſſer Sacrifices,
En commenceant quelzques grans Edifices.
Ilz n’ont plus ſoing d’entendre le vouloir
Des Immortelz : ilz l’ont à nonchaloir.
Ne voys tu pas ces Gregeois Perruquez,
Qui ne nous ont tant ſoit peu invoquez,
En baſtiſſant leurs Tours & grans Rempartz.
On parlera doncques en toutes partz
De leur ouvrage, & l’on verra deſtruictz
Les Murs par moy & Apollo conſlruiſtz,
Leur grand Renom donc par tour flourira,
Et noſtre peine & Sueur perira ?
Ainſi voulut le Dieu Marin parler,
Qui bien ſouvent faict la Terre trembler.
    Lors Iuppiter ſoubdain luy reſpondit,
Tout courrouce. Neptune qu’as tu dict ?
Quelque aultre Dieu aiant puiſſance moindre
Que toy, devroit ces Entrepriſes craindre :
Tu es trop fort : ta gloire ſ’eſtendra
Partout le monde, ou l’Aube ſ’eſpandra,
Quant aux Foſſez & belles Tours baſties,
Quant tu verras leurs grandes Nefz parties,
Pour au Pays de Grece retourner,
Fay tout ſoubdain abbatre & ruiner.
Pour au Pays de Grece retourner :
Fay tout ſoubdain abbatre & ruiner,
Leur Edifice, & de Sable le coeuvre,
Tant qu’on ny voye aulcune ſorme d’œuvre.
    Bien toſt apres le Souleil ſe coucha,
Tout ſut parfaict : & la Nuict ſ’approcha.
Adonc les Grecs en leurs Tentes ſ’aſſirent,
Prenans repos, & pluſieurs Beufz occirent
Pour le ſouper. Ceſte meſme journée
Grand quantité de Nefz fut amenée,
Portans du Vin, de Lemnos la Fertile.
Euneus Filz de la belle Hypſipyle,
Et de Iaſon l’avoit fait amener,
Pour Trafiquer, auſſi pour en donner.
Car d’iceulx Vins plus Frians & Nouveaulx,
Feiſt ung preſent, juſque à mille Tonneaulx,
Au Chef de guerre. Eſtant ce Vin au Port,
Les Grecs venoient faire Change & Tranſport
Pour en avoir, baillans Arain, Fer, Peaulx
Quelzques Captifz, & Beufz de leurs troupeaulx.
Dont beurent tant, que toute la nuictée
Fut ſans dormir, en Banquetz exploitée.
D’aultre coſté les Troiens ſe traiterent
Abondamment de ce qu’il ſouhaiterent.
Mais Iuppiter bien fort les eſtonna,
Car grandement Fouldroya & Tonna
Durant la Nuict : dont par devotion,
(Pour appaiſer ſon Indignation)
Beaucoup de Vin à terre reſpandirent,
L’offrans à Dieu. Cela faict, entendirent
(Voyans le temps, la tranquille & remis)
À ſe coucher, & ſe ſont endormis.