Les Eaux souterraines/02

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Les Eaux souterraines
Revue des Deux Mondes3e période, tome 82 (p. 166-186).
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LES
EAUX SOUTERRAINES

II.[1]
LEUR ROLE MINÉRALISATEUR AUX ÉPOQUES GÉOLOGIQUES.

Bien avant de se préoccuper du mode de formation des grandes masses qui constituent l’écorce terrestre, et cédant parfois à la cupidité plus encore qu’à la curiosité scientifique, l’homme tenta de découvrir la genèse de certains minéraux. Le moyen âge n’a-t-il pas vu plus d’un alchimiste, dans ses recherches passionnées de la pierre philosophale, s’efforcer de surprendre et de reproduire les procédés par lesquels la nature a engendré à l’intérieur des roches l’or, le plus noble, selon le langage du temps, et assurément le plus précieux des métaux?

D’après le système de Thalès, adopté par Aristote, l’eau serait le principe universel des choses. « Si les élémens naissent les uns des autres, pourquoi la terre, écrit Sénèque, ne serait-elle pas produite par l’eau? Comme le corps humain, la terre renferme nombre d’humeurs, dont quelques-unes se durcissent à l’époque de la maturité; d’où les terres métalliques et les substances pierreuses, qui ne sont que des liquides pétrifiés. »

Les hypothèses, relatives à la nature des substances minérales, qui ont eu cours jusqu’au siècle dernier, se rapprochent de cette doctrine. Bernard Palissy, l’un des esprits les plus pénétrans de son époque, a écrit : « Toutes les matières minérales que tu appelles corps morts furent aussi créées, comme les végétatives, et se travaillent à produire semences pour en engendrer d’autres. Le cristal n’est pas tellement mort qu’il ne luy soit donné de se sçavoir séparer des autres eaux et au milieu d’icelles se former par angles et pointes de diamans. Aussi, les matières minérales ne sont pas tellement inertes qu’elles n’enfantent et produisent de degré en degré choses plus excellentes. Ces matières minérales sont entremeslées et inconnues parmy les eaux, en la matrice de la terre, ainsi que toute humaine créature et brutale est engendrée sous espèce d’eau. Les matières des métaux sont en telle sorte cachées qu’il est impossible à l’homme de les connoistre auparavant qu’elles soyent congelées, non plus qu’une eau en laquelle l’on aurait fait dissoudre du sel, nul ne sçaurait dire qu’elle fust salée, sans la taster à la langue. » Puis, répondant aux alchimistes qui, dans leurs expériences, recouraient aux températures les plus élevées des fourneaux alors connus, Palissy ajoute : « Quand tu auras bien examiné toutes choses par les effets du feu, tu trouveras mon dire véritable, que le commencement et origine de toutes choses naturelles est eau. » On ne saurait raisonner d’une manière plus ingénieuse sur une idée assurément imaginaire, mais qui ne pouvait être guère plus solide, à une époque où, la chimie n’ayant pas encore revêtu un caractère scientifique, la nature des substances dont on cherchait à deviner l’origine demeurait à peu près inconnue.

Frappés de l’admirable régularité des révolutions des astres, certains esprits furent conduits, par une généralisation mystique, à en tirer des conséquences applicables aux phénomènes de notre propre planète. Suivant une doctrine qui remonte aux Chaldéens, et que l’on retrouve aussi chez les Égyptiens, des influences sidérales contribuent à la maturation, c’est-à-dire à la transformation souterraine des substances minérales. On supposait des relations mystérieuses entre les corps célestes de notre système solaire et les métaux dont l’éclat présente quelque ressemblance avec la couleur de ces astres. Conformément au principe des semblables, l’or devait correspondre au soleil, l’argent à la lune, le fer à Mars, le cuivre à Vénus, le plomb à Saturne et l’étain à Jupiter. Tout étrange qu’elle soit, cette croyance n’était pas encore abandonnée il y a deux siècles. Un ancien manuel pratique du mineur, composé en Allemagne, le Bergbüchlein, dont la première édition connue date de 1505, présente des figures où l’on voit les filons métallifères s’enfonçant à l’intérieur de la terre, et, dans le ciel, les planètes qui répondent respectivement aux divers métaux et d’où s’écoulent les effluves générateurs. « A la naissance et à l’accroissement d’un minerai métallique, y est-il dit, se rattachent, d’une part, un agent et, d’autre part, une substance ou matière subordonnée, laquelle est susceptible d’être mise en activité, comme celle qui est en fermentation. L’agent général est le ciel, avec ses mouvemens, la révolution de ses planètes et son rayonnement lumineux : c’est pourquoi chaque minerai métallique subit une influence spéciale de la part de sa planète particulière. » Ainsi, dans un opuscule de quelques pages seulement, et qui n’était destiné qu’à donner les connaissances les plus nécessaires au mineur praticien, on plaçait, au même titre d’utilité que l’emploi de la boussole, la notion de cette prétendue affinité entre les métaux et les planètes.

Le mode de formation, ou, comme disait Buffon, la génésie des minéraux, est une des questions les plus intéressantes de leur histoire. Mais le problème ne pouvait être abordé, avant que les géologues eussent fourni des données précises sur toutes les conditions de gisement. Des solutions satisfaisantes ont été obtenues récemment pour un certain nombre d’espèces minérales : l’expérimentation synthétique, en se plaçant dans les circonstances qui paraissent avoir présidé à leur formation, a réussi à les reproduire, avec leurs formes cristallines et tous leurs caractères essentiels ; elle a complété de la sorte la démonstration de leur origine. Grâce à ce mode d’investigation, on est arrivé à reconnaître que beaucoup de minéraux sont dus à l’intervention des eaux souterraines. Dès les époques les plus anciennes, elles ont circulé à travers l’écorce terrestre, où elles ont laissé, en une multitude de points, des indices décelant sûrement leur rôle et leur parcours, mieux encore que ne le font les phénomènes contemporains.


I.

Les terrains sédimentaires, formés comme les dépôts que la mer étale chaque jour dans le fond de son bassin, s’en distinguent souvent, même à première vue, par certains caractères extérieurs; l’action des eaux souterraines a produit la plupart de ces différences. C’est ce que démontrent les animaux et les végétaux fossiles, longtemps désignés sous le nom de pétrifications, ou plutôt les changemens chimiques que ces corps fossilisés ont évidemment subis. Ici, des coquilles et des polypiers, présentant des formes parfaitement conservées dans leurs moindres détails, ne sont plus constitués avec du carbonate de chaux, comme ils l’étaient certainement pendant la vie de l’animal auquel ils ont appartenu : une substance essentiellement différente, le quartz, a pris exactement la place du carbonate. Ailleurs, ce sont d’autres minéraux, la pyrite, la baryte sulfatée, qui ont pénétré et cristallisé dans les cavités qu’occupait le corps de ces invertébrés.

Les bois silicifiés que l’on rencontre très fréquemment accusent avec plus de clarté encore l’intervention d’un liquide. Non-seulement l’œil le moins exercé reconnaît leur forme extérieure, mais encore la texture ligneuse s’est maintenue jusque dans les cellules et autres parties intimes, aussi distinctement que dans le bois vivant. Ce n’est donc pas un simple moulage de la silice, opéré dans les vides qu’aurait laissés la disparition du végétal, mais l’effet d’une substitution moléculaire, graduelle et lente, qui nous a conservé les organes les plus délicats de plantes diverses. Un liquide, tel que l’eau, a pu seul produire ces substitutions d’un corps à un autre, en déposant les substances qu’il tenait dissoutes.

Des changemens dus pareillement à une influence aqueuse ont amené la formation de masses arrondies dites rognons, confondues parfois avec des productions organisées, bien qu’elles soient entièrement minérales. Le quartz silex, qui est une variété du quartz, se présente souvent sous cette forme tuberculeuse; on en rencontre les rognons, alignés parallèlement à la stratification de la craie, dans les carrières de Meudon et, sur une plus grande échelle, le long des falaises de la Normandie. Ces silex se sont produits après que les couches avaient été déjà déposées, et ont souvent empâté des fossiles sur lesquels ils se sont moulés.

Il existe des rognons analogues pour le mode de production, mais de nature calcaire. Les dépôts quaternaires les plus récens, comme le limon diluvien ou loess, en présentent un grand nombre. Cette même forme apparaît très fréquemment dans le fer carbonate, surtout abondant dans les argiles du terrain houiller, et qui est exploité dans plusieurs comtés de la Grande-Bretagne.

On connaît ces boules, d’un éclat métallique et couleur jaune de laiton, dont la surface est hérissée de pointes cristallines. Elles sont formées de pyrite ou bisulfure de fer et abondent dans la craie, dans l’argile plastique et dans les roches charbonneuses. Quand, à cause des dénudations, elles se présentent isolées à la surface de roches d’une tout autre nature, on serait porté à les croire tombées du ciel : aussi leur donne-t-on vulgairement le nom de pierres de foudre ou d’aérolithes, en Picardie, en Champagne et en Normandie.

La substance qui s’est ainsi concrétionnée paraît avoir subi l’influence d’un véhicule liquide, tel que l’eau de carrière ou d’imbibition des roches. La tendance de la matière dissoute à se réunir en sphère, sous l’influence de l’attraction, a été contrariée par l’inégale résistance de la masse dont elle devait s’isoler ; de là ses formes tuberculeuses.

Quant aux enduits noirâtres nommés dendrites, dont les formes Imitent avec une ressemblance trompeuse celles de mousses, comme dans les agates arborisées, le dépôt est tout à fait inorganique : l’eau, en se ramifiant par l’effet de la capillarité dans des fentes très minces, y a déposé de l’oxyde de manganèse.

Les marbres dits veinés, si répandus autour de nous, montrent avec évidence un autre mode d’action des eaux souterraines. Leur aspect élégant est dû à de petites veines de chaux carbonatée blanche et cristalline, qui serpentent dans une masse de couleur foncée et de nature amorphe, quoique de même composition chimique. Des fissures, s’entre-croisant en tout sens, se sont d’abord produites dans la roche, sous l’influence d’actions mécaniques ; puis les cavités ainsi ouvertes ont servi de canaux à des eaux qui, sur leur passage, ont dissous une partie de la substance pour la déposer ensuite purifiée par la cristallisation ; fait analogue à celui que nous présentent à chaque instant nos laboratoires. Un tel mode de structure veinée est des plus fréquens dans les calcaires des régions disloquées; les Alpes en fournissent maint exemple le long d’escarpemens d’une étendue considérable.


II.

Des modifications se sont aussi opérées dans les roches éruptives, sous l’influence des eaux qui les traversèrent ; mais elles offrent un caractère différent de celle que nous venons de constater, non-seulement à cause de la chaleur qui y présidait, mais aussi par suite de la composition même de ces roches.

Diverses espèces minérales, groupées sous le nom générique de zéolithes, se présentent dans les masses éruptives, en cristaux tapissant d’innombrables cavités, telles qu’on en voit se produire encore dans les laves volcaniques actuelles, par le dégagement des vapeurs que ces laves exhalent jusqu’au moment où elles sont complètement solidifiées. On reconnaît aisément que ces zéolithes ne se sont pas formées en même temps que leur roche-mère, mais après que celle-ci se fut consolidée et boursouflée. Elles affectent toujours exactement une même disposition, quel que soit l’âge des roches.

Parfois l’agate leur est associée comme à Oberstein, dans le Palatinat, où l’on a exploité cette pierre dès l’antiquité, et dans l’Uruguay, dont on l’extrait aujourd’hui. Ses zones concentriques, appliquées les unes dans les autres par des moulages successifs, témoignent clairement d’un dépôt graduel, de nature évidemment aqueuse. Les eaux incrustantes produisent sous nos yeux des dépôts de carbonate de chaux d’une structure identique. Quant aux colorations variées des zones successives de l’agate, qu’on utilise pour la fabrication des camées, elles correspondent à de très faibles variations dans la nature du liquide précipitant. Les cristaux limpides de spath d’Islande, auquel la physique est redevable, depuis Huyghens, des plus importantes découvertes sur la double réfraction et la polarisation de la lumière, sont associés aux zéolithes, dans les vacuoles d’anciennes laves, et ont pris naissance à la même époque.

Au lieu de conjectures erronées ou vagues auxquelles on avait eu recours pour expliquer l’origine de ces minéraux, nous possédons une démonstration, pour ainsi dire expérimentale, qui en éclaire toutes les particularités de la manière la plus complète.

A Plombières, la découverte d’importantes substructions romaines et d’une piscine assez vaste pour cinq cents baigneurs, en excitant l’admiration, démontra que cette localité, comme beaucoup d’autres stations de la Gaule, avait acquis dans l’antiquité un grand développement. Les travaux exécutés en 1851, pour l’accroissement du débit des sources, firent en outre apparaître, dans des tranchées profondes du sous-sol, une partie des conduites souterraines qui avaient échappé aux dévastations des barbares ; ils mirent aussi au jour une maçonnerie formée de béton et de fragmens de briques, disposée avec art autour des sources thermales, de manière à les isoler de la rivière voisine et du gravier, où elles se seraient épanchées et refroidies. Chaque source, emprisonnée dans cette maçonnerie à partir de son orifice, n’en sortait que par une cheminée verticale en pierres de taille pour s’élever et s’écouler vers les piscines.

En examinant attentivement les briques immergées depuis des siècles dans l’eau minérale, je pus reconnaître qu’elles avaient subi une transformation des plus intéressantes. Des combinaisons nouvelles, silicates de la famille des zéolithes, avaient pris naissance dans les cavités dont ces briques sont criblées : chabasie en cristaux striés, groupés exactement comme ceux de la nature et avec les mêmes angles; christianite dont les cristaux, se pénétrant en forme de croix, sont identiques à ceux des roches volcaniques. Il s’était en outre produit de l’opale, translucide et incolore comme des gouttes de rosée. Le tissu des briques contenait de petits globules fibreux et rayonnes, que les caractères optiques firent reconnaître pour de la calcédoine. Les mêmes espèces s’étaient formées jusque dans les moindres pores de la brique. Ces minéraux, de production contemporaine, furent retrouvés plus tard dans les maçonneries romaines de Luxeuil et de Bourbonne-les-Bains.

Avec l’aide du temps, l’eau thermale avait donc réagi chimiquement sur les briques et sur la chaux; elle avait ainsi engendré peu à peu, comme par une surprenante collaboration, les substances qui viennent d’être signalées, et cela sans qu’il fût besoin de la température élevée qu’on eût pu supposer, ni d’une eau fortement minéralisée. Un travail très lent, mais incessant, avait suffi.

Cette démonstration ne rend-elle pas compte, jusque dans les moindres particularités, de la formation, aux époques anciennes, des zéolithes, de l’agate et des substances qui les accompagnent habituellement? D’après leur similitude complète avec ceux dont Plombières a révélé l’histoire, ne peut-on pas dire que tous ces minéraux ont été produits dans des roches encore incomplètement refroidies, par la réaction chimique d’eaux chaudes ou tièdes, qui s’y infiltraient facilement, grâce à une texture éminemment perméable, et dont les zéolithes, véritables parasites, tracent sûrement les antiques itinéraires?


III.

A raison de la multiplicité et de l’étendue des travaux d’exploitation qui traversent les gîtes métallifères dans une foule de pays, et de l’exactitude mathématique avec laquelle tous les détails de leurs formes et de leur composition sont relevés chaque jour, ces gîtes apportent des documens particulièrement précis sur le rôle minéralisateur des anciennes sources.

Les filons qui en offrent le type le plus fréquent ont la forme de plaques dont l’épaisseur dépasse rarement quelques mètres. Dans le sens horizontal, ils se prolongent sur de grandes étendues, quelquefois sur 10 et 15 kilomètres, ainsi que les galeries d’exploitation le font parfaitement reconnaître. On le constate, même à la surface du sol, quand les parties quartzeuses, ayant mieux résisté aux agens de dénudation, apparaissent sous forme de saillies escarpées, d’une hauteur imposante, que l’œil peut suivre au loin; tantôt elles s’étendent comme un gigantesque mur bizarrement dentelé, tantôt elles se dressent en aiguilles. En profondeur, les filons se prolongent indéfiniment, et les travaux d’exploitation ne peuvent en atteindre la limite inférieure, quoique poussés parfois jusqu’à la distance d’un kilomètre de la surface du sol.

Au premier aspect, les filons métallifères contrastent par leur composition minéralogique avec les roches encaissantes, à quelque catégorie qu’elles appartiennent, et lors même qu’ils s’y sont soudés. Ils sont formés de minéraux très divers ; il faut y distinguer les substances utiles ou minerais, et les matières pierreuses ou gangues. Ces dernières se présentent souvent en proportion tout à fait prédominante, et de leurs variations, en quantité et en richesse, résulte beaucoup d’imprévu dans les bénéfices d’une exploitation.

Les substances diverses qui constituent les filons affectent quelquefois, par rapport à leurs deux parois, une disposition symétrique, annonçant qu’elles résultent de dépôts successivement appliqués les uns sur les autres, à la manière de ce qui arrive dans un cristallisoir ou à l’intérieur des tuyaux de fontaine qui se sont incrustés de matières pierreuses.

Rarement les filons métallifères sont isolés ; unis par un lien de parallélisme et par une ressemblance de composition, ils forment en général des systèmes ou groupes. Ils se rencontrent exclusivement dans les régions ayant subi des dislocations, dont ils apparais- sent comme une conséquence. La constitution du sol de la France fait bien ressortir cette corrélation ; tandis que les filons font défaut dans les parties dont les couches ont à peu près conservé leur horizontalité première, ils se trouvent par milliers, quoique avec une faible richesse, dans le Plateau central, les Vosges, les Pyrénées, les Alpes et la presqu’île de Bretagne. Souvent ils avoisinent des roches éruptives, auxquelles ils se rattachent visiblement aussi par un lien de parenté. Bien des pays classiques pour leurs richesses métalliques, comme le Cornouailles, la Hongrie et l’état de Nevada, fournissent des exemples frappans de cette dernière alliance.

C’est par leurs formes et la manière indépendante dont ils coupent les roches de toute sorte que les filons métallifères trahissent leur origine. Leur formation est due à de grandes cassures verticales, nommées failles ou paraclases, qui ont donné issue à des substances et en ont été ultérieurement remplies. La concomitance des filons et des grandes dislocations témoigne suffisamment que c’est de bas en haut, c’est-à-dire des régions profondes du globe vers la surface, que les matières métalliques et leurs gangues ont été apportées. de ce fait, on avait d’abord induit que l’ascension des minéraux filoniens s’était produite par sublimation ou au moins par fusion. Plusieurs circonstances montrèrent bientôt l’inexactitude de cette conclusion. Les échantillons des collections apprennent, à eux seuls, que leurs divers minéraux se sont précipités les uns à la suite des autres, en se superposant dans un ordre tout à fait différent de leur degré de fusibilité et de volatilité. Il est d’ailleurs à noter que la plupart d’entre eux se rencontrent en dehors des filons et dans des circonstances où ils ne peuvent avoir été déposés que par l’intermédiaire de l’eau.

Ces vues, que l’observation directe de la nature avait suggérées à Élie de Beaumont, ont été vérifiées expérimentalement par de Sénarmont. En opérant dans des tubes fermés, sous pression et à une température bien supérieure à celle de l’eau bouillante, cet homme éminent était parvenu, au moyen des substances les plus communes, à reproduire les espèces minérales caractéristiques des filons : le quartz, la baryte sulfatée, la fluorine, les pyrites de fer et de cuivre, la blende, l’antimoine sulfuré, l’argent rouge, le fer spathique, le zinc carbonate; tous ces minéraux de laboratoire, à l’état cristallisé, ressemblent complètement à leurs analogues naturels. La formation contemporaine de la plupart d’entre eux constatée dans le bassin des sources actuelles, comme à Bourbonne-les Bains, vint plus tard confirmer et compléter cette démonstration.

Les fractures profondes ou failles, qui sillonnent en si grand nombre l’écorce terrestre, ont donc subi des destinées différentes dans la série des siècles. Les unes sont demeurées vides ou ont été seulement remplies par des fragmens détachés de leurs parois. D’autres ont fourni une voie de sortie à des roches éruptives pâteuses, par exemple à des basaltes et à des porphyres. Il en est enfin, et ce sont celles qui nous occupent en ce moment, qui ont servi de canaux aux émanations métallifères, par l’intervention de l’eau.

Ce n’est pas toujours dans les failles que ces exhalaisons se sont portées. Souvent elles ont comblé des interstices de formes irrégulières et très variées, constituant alors des amas filoniens, tantôt juxtaposés à des roches d’éruption, comme s’ils étaient venus à leur suite, tantôt enchâssés dans les terrains stratifiés. Quelles que soient leurs formes, ces divers amas sont souvent en rapport avec des failles qui ont servi d’évens à des émanations, en partie aqueuses, de l’intérieur de la terre.

Parmi les dépôts métallifères de cette dernière catégorie, quelques-uns, mieux encore que les filons, démontrent l’intervention d’eaux minérales ou thermales. Les amas de peroxyde de fer hydraté, fréquens en Berry, où les Romains les ont exploités, en Périgord, en Lorraine, en Franche-Comté et ailleurs, ont été attribués avec beaucoup de vraisemblance à l’arrivée de sources gazeuses, où le fer était dissous à l’état de bicarbonate. La forme de globules à couches concentriques ou pisolithes qu’ils affectent rappelle, d’une manière frappante, les petits sphéroïdes de chaux carbonatée déposés chaque jour dans le bassin où jaillissent et tourbillonnent les sources thermales de Carlsbad. Parfois on reconnaît clairement que les dissolutions de peroxyde de fer ont agi sur le calcaire qu’elles baignaient ; car elles l’ont graduellement corrodé. Leur action chimique s’est exercée aussi sur les matières organiques, animales et végétales. En plusieurs points de l’Alsace, le minerai contient des fragmens menus et fibreux consistant en débris ligneux, où le bois, sans perdre sa texture, a été complètement remplacé par du peroxyde de fer et du quartz.

Rien de plus clair que l’intervention d’eaux souterraines dans l’origine de beaucoup d’amas de calamine, dont le zinc se trouve à l’état de carbonate et de silicate hydraté, par exemple à la Vieille-Montagne, non loin d’Aix-la-Chapelle. Les travaux d’exploitation ont permis de reconnaître et de suivre dans tous leurs détails les canaux d’ascension des sources génératrices. Les parois calcaires entre lesquelles elles cheminaient ont été attaquées, et, de même que nous venons de le voir pour le peroxyde de fer, le minerai de zinc s’est substitué peu à peu au carbonate de chaux. Les sources qui tenaient le métal en dissolution sortaient de failles ; elles se sont insinuées dans les couches perméables, en coulant à la surface des couches imperméables. Des vestiges de coquilles fossiles que renferment parfois les minerais de zinc et de plomb, en Westphalie, par exemple, attestent également k substitution des combinaisons métalliques au calcaire. Les mines de plomb et d’argent du Laurium, l’une des principales richesses des Athéniens, et qui, dès l’an 520 avant notre ère, figurent dans leur budget, ont révélé, par leurs vastes excavations, peut-être avec plus d’évidence encore, les mêmes procédés de la nature.

Des faits semblables se retrouvent dans beaucoup d’autres contrées. Citons en France divers gîtes calaminaires sur le pourtour du Plateau central, particulièrement dans le Gard et l’Hérault ; et aux États-Unis, dans les Montagnes-Piocheuses, les gisemens importans qui ont donné naissance aux deux villes d’Eureka et de Leadville. Malgré des différences locales, tous ces amas de calamine présentent des analogies frappantes et tout à fait indépendantes de l’âge des couches dans lesquelles ils se sont épanchés. Toujours les nappes métalliques sont en rapport de situation avec la perméabilité et la nature chimique des roches, exactement comme elles le seraient encore aujourd’hui, si les eaux métallifères continuaient à affluer. Il devient ainsi possible de préciser toutes les circonstances du régime de ces anciennes sources zincifères.

C’est à l’état de phosphate de chaux ou phosphorite que le phosphore se rencontre le plus ordinairement dans l’écorce terrestre. L’agriculture l’extrait pour ses besoins de certains étages des terrains stratifiés et, dans le groupe crétacé, particulièrement des couches désignées sous le nom de gault, celles mêmes qui fournissent l’eau du puits de Grenelle, Depuis 1855, l’exploitation de ce minéral est surtout active dans les Ardennes, la Meuse, la Marne et la Drôme. Cependant il est connu dans beaucoup d’autres départemens, depuis le Pas-de-Calais jusqu’à la Savoie et le Var. Le même terrain contient abondamment ce phosphate en Angleterre, en Bavière, dans l’Allemagne du Nord, en Russie, ainsi qu’en Espagne et en Portugal. Il n’a pas seul ce privilège, et nos couches jurassiques renferment aussi, en Bourgogne et en Berry, le phosphate de chaux en quantité exploitable. Dans ces divers gisemens, le phosphate affecte souvent des formes animales, d’ossemens, par exemple, annonçant qu’il a passé par la vie. Mais, lorsqu’il se présente dans les roches éruptives et dans les filons métallifères, son apparition est tout à fait indépendante de l’action des êtres organisés. De même que les métaux, le phosphore aujourd’hui contenu dans les terrains sédimentaires provient principalement des réservoirs intérieurs du globe, d’où il a été apporté également par le véhicule des sources thermales. Mieux encore que nos amas du Quercy (Lot et Tarn-et-Garonne), les importans gîtes de l’Estramadure le démontrent ; la phosphorite associée au quartz y constitue, en effet, de nombreux filons verticaux, qui ont été remplis de bas en haut. Accidentellement, la substance a pénétré dans des couches calcaires et en a moulé les fossiles, apportant ainsi une nouvelle preuve de précipitation humide.

Bien plus fréquemment encore que toute autre substance, le quartz s’est épanché dans de puissans filons. Le plateau granitique de la France, la Bretagne, les Vosges et les Pyrénées en offrent d’innombrables exemples. Ces filons de quartz, nous l’avons déjà dit, se décèlent souvent de loin. Outre le quartz cristallisé, ils contiennent parfois des parcelles de minerais métalliques et présentent ainsi des transitions avec les filons métallifères proprement dits. La texture rubanée de la calcédoine et de l’agate, qui abondent dans ces filons, et mieux encore la manière dont ils se rattachent à des dépôts exactement de même nature, enclavés dans les couches voisines, viennent confirmer leur origine aqueuse et permettre d’en préciser l’âge. Ainsi, dans le département de la Loire et lieux voisins, ces sorties de quartz sont survenues à la suite d’éruptions de porphyre, autour desquelles elles forment un encadrement et d’où elles se sont abondamment extravasées dans les strates, empâtant et silicifiant leurs coquilles : l’épaisseur de 15 mètres qu’elles atteignent dans la butte de Saint-Priest, près de Saint-Étienne, paraît correspondre à un long laps de temps. La pointe septentrionale du Morvan, particulièrement aux environs d’Avallon et de Semur, est devenue classique par les faits de ce genre. Signalons, comme remarquables filons quartzeux, ceux de la Sierra-Nevada de Californie, qui, en quelques points, sont aurifères. Compris dans une zone de 12 à 15 kilomètres de large, ils se prolongent du nord au sud, dans toute la chaîne, sur plus de 250 kilomètres. L’un des plus considérables, le Great quartz vein, peut être suivi sur plus de 50 kilomètres.

En somme, tous ces épanchemens de quartz et de minéraux connexes, quelle que soit la diversité de leurs formes, filons, amas ou couches, attestent, non moins authentiquement que les gîtes métallifères, l’intervention et la puissance génératrice d’eaux souterraines depuis longtemps taries. On verra bientôt que les eaux convenablement surchauffées déposent, à l’état de quartz cristallisé, la silice qu’elles tiennent si souvent en dissolution. On s’explique dès lors commentée minéral est devenu, en quelque sorte, le cicatrisant des fractures de l’écorce terrestre.


IV.

Des actions sensiblement différentes de celles qui ont engendré les dépôts métallifères se sont propagées à travers des massifs considérables, et leur ont imprimé un cachet tout particulier. Les roches qui en sont marquées présentent alors et à la fois les caractères des roches sédimentaires et quelques-uns de ceux des roches éruptives. Tout en gardant la disposition stratifiée qu’elles doivent à leur origine sédimentaire, elles sont souvent parsemées de silicates cristallins et anhydres, qu’elles ne contiendraient pas si elles étaient demeurées dans leur état normal. Ces roches, de nature en quelque sorte mixte, sont nommées métamorphiques, par allusion aux changemens qu’elles ont éprouvés depuis leur dépôt et auxquels elles doivent leur faciès actuel.

Les roches stratifiées ont souvent acquis ces caractères dans le voisinage des roches éruptives. Dans plusieurs localités du Tyrol, au contact des mélaphyres, le calcaire triasique s’est transformé en marbre blanc, sur une épaisseur de plus de 500 mètres, et en même temps se sont développés du pyroxène, du spinelle, de la tourmaline et d’autres minéraux cristallisés.

Les schistes argileux ont subi des transformations minéralogiques à proximité des éruptions granitiques. Déjà, il y a un demi-siècle, l’excellent géologue de Boblaye signalait, en Bretagne, la présence de coquilles fossiles au milieu de roches schisteuses, contenant en même temps, comme témoignage de la chaleur qu’elles ont subie, de grands cristaux de minéraux silicates, andalousite ou macle et staurotide. Les groupemens en forme de croix avaient fait remarquer depuis longtemps et appeler croisette cette dernière espèce, qui figure dans les armoiries de l’antique famille des Rohan.

Ces modifications remarquables des schistes, qui constituent une sorte de rayonnement autour des épanchemens granitiques, se sont propagées à des distances variant de quelques centaines de mètres à 3 kilomètres. La chaleur à laquelle les strates ont été soumises, par suite de l’intrusion de la masse éruptive, en est sans doute une des causes. Mais les émanations aquifères qui accompagnaient la sortie du granit, et qui nous sont décelées par les inclusions que renferme encore la pâte de cette roche, attestent que l’eau y a joué un rôle non moins important.

Mais pourtant il est quelque chose de plus remarquable encore dans le phénomène du métamorphisme. Des roches sédimentaires, occupant des pays entiers, montrent des modifications profondes, sans qu’il nous soit possible d’y découvrir le moindre affleurement éruptif; et pour citer un exemple des plus communs, les roches argileuses sont devenues des phyllades. Les roches ainsi nommées, bien que consistant essentiellement, comme les argiles, en silicates d’alumine, en diffèrent par leur cohésion; ils se refusent à se délayer dans l’eau, ainsi que chacun peut le constater sur les variétés employées comme ardoises. Les terrains stratifiés des Ardennes, du Taunus et d’autres régions de l’Europe occidentale, où l’on a constaté pour la première fois cet état minéralogique, appartiennent aux époques géologiques les plus anciennes ; ce qui a fait pendant longtemps regarder cette texture cristalline comme exclusivement propre aux dépôts sédimentaires d’un âge très reculé. De là, le nom de terrains de transition qui leur fut donné ; on pensait que dans la mer où ces matériaux s’étaient déposés, à la suite des terrains primitifs ou cristallins, continuait à s’opérer une précipitation chimique de silicates qui se mêlait à des dépôts arénacés et calcaires. Il fut reconnu plus tard que cet état demi-cristallin résulte d’une transformation postérieure à la sédimentation.

L’opinion que l’état minéralogique de ces terrains n’est pas une conséquence nécessaire de leur ancienneté paraît d’autant mieux fondée que, dans d’autres pays, des couches appartenant aussi aux systèmes les plus anciens ne participent pas à ces mêmes caractères cristallins : leurs roches argileuses sont telles qu’elles se présentent dans les terrains récens. Il en est ainsi en Suède, en Russie, aux États-Unis, au Canada. Mais on observe alors que les couches, au lieu d’être fortement disloquées, comme dans les régions que nous avons précédemment citées, ont conservé leur horizontalité originelle, circonstance à laquelle elles doivent sans doute leur conservation. Ce contraste minéralogique, entre des terrains de même âge, correspond donc à une différence essentielle de gisement.

Il existe des contrées où des terrains peu anciens ont subi également des transformations profondes. Les Alpes, région classique par excellence pour la géologie, tant à cause des actions dynamiques qui ont donné naissance à cette chaîne que des profondes et imposantes déchirures où elle exhibe et démontre avec une éloquence saisissante sa constitution interne, fournissent à ce sujet des données fondamentales. En présence des roches des diverses périodes qui entrent dans sa constitution, carbonifères, triasiques, jurassiques et tertiaires, on est surpris de la physionomie spéciale que présente chacune d’elles, comparée à celle que nous observons dans les terrains du même âge de l’intérieur de la France et d’autres pays, où elles sont restées horizontales. Une influence générale a donc agi sur une partie de la vaste région des Alpes : elle a affecté des roches de toutes les époques, même celles de l’époque tertiaire inférieure, c’est-à-dire une série de couches épaisses de plusieurs milliers de mètres, et cela, quoique les roches éruptives y soient très rares.

Aux changemens minéralogiques dont nous venons de donner un aperçu est associée une modification de texture qui se rattache à la même cause. Désignée sous le nom de schisteuse ou de feuilletée, elle est bien connue dans les ardoises. Les roches fissiles qu’elle caractérise ont la propriété de se détacher par plaques minces, c’est-à-dire de se cliver dans certaines directions. Des observations faites dans les contrées les plus diverses ont démontré ce fait important que les plans de clivage sont bien distincts des plans de stratification. En effet, au lieu d’être parallèles aux couches, ils leur sont fréquemment obliques, comme c’est le cas pour les ardoisières de Fumay, et, ce qui est plus concluant encore, tandis que les plans de stratification ont été ployés et présentent des inclinaisons variées, les plans de clivage se poursuivent avec régularité, en dépit des inflexions les plus prononcées, et restent toujours parallèles entre eux. Cette indépendance montre, en outre, que les plans de clivage se sont produits, non-seulement après que les terrains où ils se manifestent s’étaient déposés, mais encore après qu’ils avaient perdu leur horizontalité première. La disposition schisteuse, très fréquente dans les roches fossilifères les plus anciennes, persiste parfois dans des terrains beaucoup plus récens, lorsque ceux-ci ont été soumis à des dislocations énergiques. En maintes localités des Alpes, des ardoises sont exploitées jusque dans le terrain tertiaire, en Dauphiné, par exemple, et dans les Basses-Alpes.

Un caractère important des roches schisteuses consiste dans les déformations considérables des fossiles qu’on y rencontre; tels sont les crustacés fossiles appelés trilobites des ardoises d’Angers. Ailleurs, et non moins fréquemment, ce sont des débris de mollusques désignés sous le nom de bélemnites, qui ont été tronçonnés et dont les segmens sont plus ou moins écartés, comme on l’a observé dans les Alpes et particulièrement dans le massif du Mont-Blanc.

Depuis que la schistosité a été reconnue indépendante de la stratification, la cause d’une disposition géométrique aussi remarquable et aussi générale est devenue l’objet de diverses hypothèses. On l’a successivement attribuée à des effets électriques, au magnétisme terrestre, à la chaleur du globe et à un commencement de cristallisation. Mais des observations exactes ont appris que la production du clivage dans les terrains stratifiés se montre en rapport, d’une part, avec les actions qui ont déformé les fossiles dans les mêmes couches ; d’autre part, avec les axes de redressement et les grandes lignes de dislocation. Selon toute probabilité, ce phénomène devait donc être attribué à des actions mécaniques.

Des expériences fort simples ont confirmé la démonstration. L’argile soumise à une compression se lamine en prenant une texture feuilletée; mais il faut qu’elle possède un degré particulier de plasticité : trop sèche, elle se brise ; trop molle, elle se lamine, sans que les feuillets puissent s’isoler. J’ai obtenu des résultats plus décisifs encore en contraignant l’argile à s’écouler, sous la forme d’un jet, à l’aide de la presse hydraulique. Dans ce cas, des feuillets très nets se produisent, et cela, sur des bandes de plusieurs mètres, dans le sens même de la pression et du mouvement. Toutes ces pâtes feuilletées artificielles rappellent complètement, par l’aspect de leur cassure, les roches schisteuses naturelles. Dans ces divers écoulemens de la masse plastique, les particules voisines ne marchent pas uniformément; les différences de vitesses qu’elles acquièrent les font glisser les unes sur les autres, et la texture schisteuse, conséquence directe de ce glissement, est, on le conçoit sans peine, nécessairement ordonnée par rapport à la direction de l’écoulement. Les déformations des fossiles et les étiremens des bélemnites ont été aussi reproduits et expliqués par des expériences.

Voyons maintenant comment les faits fondamentaux du métamorphisme impliquent l’action nécessaire des eaux souterraines.

Les modifications minéralogiques propres au phénomène ont incontestablement eu lieu à une température plus élevée que celle qui règne maintenant à la surface du globe. On peut le conclure du seul fait des analogies de ces terrains avec les roches éruptives et notamment de la présence de nombreux silicates anhydres qui forment un de leurs traits les plus remarquables.

La chaleur propre du globe décroissant des profondeurs vers la surface, les sédimens déposés dans l’océan, à la température relativement basse qui y règne généralement, ont dû, quand ils ont été recouverts ensuite par d’autres couches, acquérir une température plus élevée, à raison de leur plus grande distance de la surface de rayonnement. La superposition de remblais puissans, comme le sont certains terrains stratifiés, a pu souvent suffire pour déterminer, postérieurement à leur dépôt, le réchauffement notable des masses inférieures, surtout aux époques où l’accroissement de la chaleur selon la verticale suivait une loi beaucoup plus rapide qu’aujourd’hui. Ainsi, la propagation régulière de la chaleur du globe a pu agir sur des terrains entiers.

Toutefois il est une autre source de chaleur, à la fois plus immédiate et plus énergique, des transformations qui nous occupent, bien qu’elle ait été longtemps méconnue. C’est la chaleur engendrée par les actions mécaniques qui ont marqué leurs traces en une foule de parties de l’écorce terrestre. En effet, au lieu d’avoir conservé l’horizontalité qu’elles présentaient à l’époque de leur dépôt, ces couches ont souvent été redressées, ployées et contournées de diverses manières, comme nous venons de le voir ; ces dislocations s’observent sur des épaisseurs énormes, atteignant plusieurs milliers de mètres. A. chaque pas, dans les Alpes, par exemple, en face des escarpemens où la roche se montre au vif, l’œil le moins observateur est rendu attentif par la hardiesse des inflexions, et l’esprit reste stupéfait devant la grandeur des forces qui ont produit de tels effets. Tout le travail mis en jeu dans ces poussées colossales n’a pas été employé en actions purement mécaniques. Il a été, en partie, transformé en chaleur ; c’est cette chaleur même dont nous venons d’étudier les effets.

L’expérience est venue aussi confirmer cette dernière induction. De l’argile a été forcée de s’écouler, soit entre des cylindres semblables à ceux des laminoirs à fer, soit sous la trituration de tonneaux malaxeurs, tels qu’ils sont en usage dans certaines briqueteries. Dans l’un et l’autre cas, la roche s’est très notablement échauffée, après un temps très court, et sans que les pressions auxquelles elle était soumise fussent considérables. Dans des conditions égales, l’échauffement est d’autant plus élevé que la pâte argileuse est plus dure et plus résistante. Nous sommes donc autorisés à penser que, dans la nature, quand des roches plus cohérentes et moins plastiques que l’argile ordinaire ont été soumises à des actions mécaniques, assez puissantes pour y déterminer un mouvement intérieur, fût-il de faible amplitude, elles se sont trouvées dans des conditions encore plus favorables pour s’échauffer. Il a donc suffi que des masses argileuses subissent un laminage, par l’effet des dislocations de l’écorce terrestre, et soient devenues schisteuses, pour que leur température se soit élevée d’une manière notable.

Mais la chaleur seule, quelque intense qu’on la suppose, ne peut expliquer les effets les plus caractérisés du métamorphisme, non plus que l’uniformité avec laquelle ils se sont produits sur des étendues considérables ; car les roches ont une conductibilité extrêmement faible. D’ailleurs, à l’inverse de ce que donnerait une simple action calorifique, ce n’est pas toujours dans les parties en contact avec les roches éruptives que les effets ont été les plus énergiques. L’eau que toutes les roches renferment, soit dans leurs pores, soit en combinaison, est nécessairement intervenue comme auxiliaire de la chaleur. La nature des minéraux produits, par exemple celle de silicates hydratés, comme la chlorite, non moins que l’uniformité de leur disposition dans de vastes massifs, dénotent l’intervention de cette eau intérieure. Ainsi, dans cet ordre de phénomènes géologiques, où l’on avait pu croire que la chaleur, accompagnée de quelques actions chimiques, avait été le seul agent, l’eau souterraine a encore eu son rôle.


V.

Il fallait à une telle conclusion touchant les causes fondamentales du métamorphisme, bien qu’elle fût justifiée par l’observation, une sanction expérimentale. Pour cela, on devait se placer dans des circonstances aussi voisines que possible de celles dans lesquelles la nature paraît avoir agi, et obtenir la reproduction des minéraux caractéristiques. C’est ce que j’ai autrefois essayé de réaliser.

Pour opérer sous l’énorme pression acquise par la vapeur d’eau, dès que la température s’élève vers le rouge sombre, la difficulté principale consiste à trouver des parois capables de résister. De l’eau ayant été placée dans un tube de verre, qui fut ensuite fermé à la lampe, on introduisit le tube dans un second tube en fer, à parois très épaisses, qui fut lui-même, non sans peine, clos à la forge. Afin de contrebalancer dans l’intérieur du tube de verre la tension de la vapeur d’eau qui pouvait le faire éclater, on avait eu soin de verser de l’eau extérieurement à ce tube, entre ses parois et celles du tube de fer. Les appareils furent placés sur le dôme d’un four d’usine à gaz, en contact avec une maçonnerie au rouge sombre, dans une couche épaisse de sable où ils séjournèrent pendant plusieurs semaines. Dans ces conditions, les explosions peuvent être d’une violence extrême : les tubes les plus résistans sont projetés en l’air, en se déchirant avec un bruit comparable à celui d’un coup de canon. Il n’a donc pas été possible de multiplier les épreuves, comme il eût été désirable. Cependant, celles qui ont été faites ont suffi pour dévoiler des faits bien différens de ceux que nous avaient appris les laboratoires, dans les conditions ordinaires.

En effet, l’eau réagit alors très énergiquement sur le verre, qui bientôt subit une transformation complète, dans son aspect aussi bien que dans sa composition. Il se trouva remplacé par une masse blanche, tout à fait opaque, ressemblant à de la terre à porcelaine, avec des gonflemens et des ampoules, dus à un ramollissement. Aux dépens d’une partie de la substance se développèrent d’innombrables cristaux très petits, incolores, d’une limpidité parfaite comme le cristal de roche, auquel ils sont identiques, puisqu’ils en possèdent exactement les formes, jusqu’aux petites facettes dites plagièdres, bien connues dans certains gisemens des Alpes et du Brésil. Ces cristaux de quartz artificiel apparaissent tantôt isolés, tantôt groupés en géodes qu’il serait impossible de distinguer, à la dimension près, de celles de la nature.

Un autre produit des mêmes expériences ne mérite pas moins d’attention; c’est le pyroxène qui s’offre en petits cristaux verts, brillans et transparens, véritables fac-similés de ceux des Alpes. Pour la première fois, on voyait un silicate anhydre se produire par l’action de l’eau[2].

Mentionnons encore un témoignage d’un autre genre de la puissance qu’acquiert l’eau dans de telles conditions : du bois de sapin a été converti en une substance d’un noir très éclatant et dure comme l’anthracite, dont elle a l’aspect, ne consistant plus qu’en charbon associé à de faibles quantités de matières volatiles. Sa granulation en petits globules prouve qu’au milieu de l’eau elle a passé par une sorte de fusion.

Les réactions auxquelles sont dus ces produits offrent d’autant plus d’intérêt qu’elles ont été obtenues avec une très faible quantité d’eau, à peine égale au tiers du poids du verre métamorphosé. De plus, les nouvelles combinaisons ont cristallisé à une tempéra- ture de beaucoup inférieure à leur point de fusion. On a ainsi la preuve que l’eau acquiert, lorsqu’elle est fortement surchauffée, une énergie inattendue ; elle détruit des combinaisons réputées stables, en présence desquelles elle passait pour inerte; puis, elle en compose d’autres, notamment des silicates anhydres.

La réalisation de ces silicates dans l’écorce terrestre échappe à notre observation ; car elle exige une température bien supérieure à celle de l’eau bouillante. Mais elle doit s’opérer dans les profondeurs des roches, où ne font défaut ni l’eau emprisonnée, ni des températures et des pressions incomparablement plus élevées que celles de nos expériences les plus puissantes.

Il est superflu de faire ressortir davantage les conséquences de ces résultats synthétiques, en ce qui touche la transformation métamorphique de régions entières.

D’autres faits de la nature trouvent dans ces expériences une explication. Tout d’abord, elles nous montrent l’origine du quartz dans l’écorce terrestre, où il apparaît de toutes parts et dans des gisemens fort divers. Par exemple, les veinules de ce minéral, qui traversent en tout sens les quartzites et les phyllades, n’ont-elles pas dû se séparer aux dépens de la roche encaissante, en présence de l’eau et de la chaleur, tout à fait comme le quartz qui a été extrait du verre? Une action du même genre se reconnaît dans les filons métallifères. Quelquefois la température y a été assez haute pour que des silicates aient aussi pris naissance : les filons dont proviennent les émeraudes vertes du Pérou, si avidement recherchées depuis trois siècles, et associées à du quartz cristallisé, à de la calcite et à de la pyrite, sont évidemment de formation aqueuse.


VI.

Nous venons de voir, en remontant aux anciennes périodes, la production de nombreuses espèces minérales que l’observation des faits actuels ne pouvait nous apprendre. Ces minéraux divers, métalliques ou pierreux, affectant des gisemens très variés, sont le résultat final du travail de l’eau, qui s’y trouve en quelque sorte stéréotypé. Nous arrivons ainsi à surprendre les opérations intimes de ce liquide dans les laboratoires qu’il a abandonnés depuis longtemps, fissures plus ou moins grandes, boursouflures ou simples pores des roches. Pour ce qui est de son mode de circulation, nous sommes exactement renseignés, comme il a été dit, par des vestiges de divers ordres, qui nous permettent de reconstituer les différentes circonstances du trajet.

Les caractères extérieurs d’un être organisé ne font connaître sa constitution que d’une manière bien incomplète; l’étude anatomique doit pénétrer dans ses organes intérieurs et ses tissus. Ainsi, les sources thermales actuelles, même si l’on prend soin de scruter de la manière la plus attentive la constitution de la contrée et les conditions où elles jaillissent, sont loin de suffire à révéler avec précision leur économie; leurs colonnes d’eau jaillissante, lors même qu’elles ne sont pas accompagnées de gaz irrespirables, nous empêchent, en effet, de parvenir jusqu’à leurs canaux d’ascension. Dans les cas très exceptionnels où il est possible de pénétrer au-dessous de leurs orifices d’émergence, comme dans les captages de Bourbonne et de Plombières, les faits curieux que l’on observe donnent à regretter de ne pouvoir descendre encore plus bas. La nature semble avoir voulu soustraire à nos regards les actions actuelles des eaux souterraines, surtout lorsqu’elles engendrent des minéraux.

Pas plus que la chaleur, l’eau ne fait défaut dans les masses de l’intérieur du globe. Lors même qu’elle ne circule pas dans des canaux naturels, elle y est au moins présente, imbibant les roches les plus compactes ; dans les argiles, bien que combinée, elle n’est pas moins susceptible de réagir chimiquement qu’à l’état de liberté. Ainsi, ce que nous n’obtenons qu’avec beaucoup de difficultés dans nos expériences, l’action de l’eau surchauffée, se trouve forcément réalisé de toutes parts dans l’intérieur des roches, capables de résister aux énormes pressions qu’elle peut mettre en œuvre, bien autrement que nos appareils les plus habilement disposés, toujours prêts à éclater ou à éprouver des fuites.

Dans des masses aussi peu conductrices que les substances pierreuses, la chaleur emmagasinée se conserve très longtemps, circonstance éminemment favorable aux combinaisons chimiques et à la cristallisation. La nature possède, comme nous l’avons déjà remarqué, une autre supériorité sur l’homme : elle a le privilège de disposer de très longs laps de temps; l’importance de cet avantage, au point de vue qui nous occupe, ressort clairement de ce qui s’est produit dans les maçonneries romaines de Plombières. En outre, des réactions qui peuvent se développer avec lenteur ne requièrent pas une température aussi élevée que celles dont la durée est beaucoup plus courte. L’étude des eaux dans leurs parcours et leurs effets aux époques anciennes vient donc compléter l’histoire et agrandir considérablement le tableau de leurs œuvres souterraines. Là se produit un véritable échange de lumière : le passé éclaire autant le présent que le présent éclaire le passé.

Rien, du reste, ne prouve que les phénomènes de cette nature ne persévèrent pas de nos jours. Il est à croire que présentement des actions semblables se produisent encore, mais dans des régions intérieures inaccessibles à nos observations. L’eau surchauffée, qui trahit son existence par des sources thermales et des exhalaisons volcaniques, engendre, selon tome apparence, lentement et silencieusement, dans l’intérieur du globe, des effets considérables et permanens et donne naissance, comme autrefois, à des minéraux variés.

De même que, dans notre organisme, toutes les parties du corps doivent leur développement aux apports qu’elles reçoivent de la circulation du sang, dans l’écorce du globe terrestre, l’eau, par son incessante circulation souterraine et par un travail surtout chimique, accomplit une sorte d’action vitale qui s’est perpétuée à travers les âges. Ne peut-on pas appliquer justement à ces effets minéralogiques et géologiques, si dignes de notre curiosité et dérivant d’une cause unique, l’épigraphe choisie par Leibniz : In varietate unitas?

Daubrée.
  1. Voyez la Revue du 15 juin.
  2. Plus récemment, à l’aide de procédés analogues, le feldspath a été imité par MM. Friedel et Sarrasin.