Les Eléphans à la guerre, de leur emploi dans les armées modernes

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Les Eléphans à la guerre, de leur emploi dans les armées modernes
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 4 (p. 481-513).
LES
ELEPHANS A LA GUERRE
DE LEUR EMPLOI DANS LES ARMÉES MODERNES.

« L’éléphant est, si nous voulons ne nous pas compter, l’être le plus considérable de ce monde. » Ainsi parle Buffon, et, si ses paroles sont vraies de la stature imposante de l’éléphant, elles le sont bien davantage de son intelligence et de la douceur de son caractère. Il n’est pas dans la nature d’être mieux préparé à la société de l’homme que l’éléphant, et la preuve, c’est que l’espèce n’en a jamais été domestiquée. L’homme est forcé de mettre entièrement sous sa dépendance les autres animaux dont il attend des services, chevaux, bœufs, chiens, chats, etc., parce que l’obéissance entre seulement au bout de plusieurs générations et par une hérédité non interrompue dans le caractère de ces animaux. On s’en aperçoit bien quand des individus retombés à l’état sauvage traitent en ennemi l’homme qui veut les apprivoiser de nouveau. Il n’en est pas de même de l’éléphant. Pris adulte, il se laisse domestiquer et devient l’esclave fidèle de l’homme. Aussi, même dans les pays où l’éléphant compte parmi les animaux utiles et où il rend des services inappréciables, — dans l’Inde anglaise par exemple, où on l’emploie dans les services militaires et dans l’artillerie pour traîner les canons de fort calibre, trop lourds pour des chevaux, — a-t-on jugé inutile d’apprivoiser l’espèce et d’établir des haras d’éléphans. L’entreprise serait dispendieuse. La gestation est de vingt à vingt-deux mois, et l’animal ne peut être mis au travail que vers l’âge de quinze ou dix-huit ans (il vit de cent à cent vingt ans). A quoi bon cette dépense quand on peut dresser les individus nés libres et pris adultes? Et leurs propres parens ne les élèvent-ils pas avec plus de soins et d’affection que ne pourraient le faire les hommes? Notre apparent paradoxe est ainsi justifié pour la plus grande gloire de l’éléphant. L’emploi le plus important que l’on ait fait de ces monstrueux et intelligens animaux est celui de machines de guerre vivantes. C’est à ce point de vue que nous allons esquisser leur histoire, dire ce qu’on en a fait dans l’antiquité, à quel usage on les emploie actuellement dans l’Inde anglaise, et enfin quels services ils peuvent rendre encore, même dans les guerres de notre époque, même dans les rangs de notre armée.


I.

Il n’est personne qui n’ait dans la mémoire le rôle joué par les éléphans dans la première bataille livrée aux Romains par Pyrrhus, roi d’Épire. C’était en Lucanie, près de la ville d’Héraclée, sur le golfe de Tarente (an 280 avant J.-C). La lutte avait été acharnée : Pyrrhus lui-même avait été blessé, et ses soldats lâchaient pied devant les Romains lorsque le roi commanda de faire donner les éléphans. Les Romains voyaient pour la première fois ces monstrueux animaux : la surprise ébranla leur courage, leurs chevaux s’effrayèrent, et, se jetant tumultueusement sur l’infanterie, y portèrent le désordre. Une charge de la cavalerie thessalienne de Pyrrhus changea ce désordre en déroute. L’intervention de ses éléphans sauva ce jour-là le roi d’Épire d’une défaite; mais dans les rencontres suivantes les Romains s’étaient familiarisés avec les bœufs de Lucanie, comme ils appelaient ces animaux nouveaux pour eux. Ils réussirent à les effrayer par des projectiles incendiaires et à les rejeter sur les rangs de l’armée de Pyrrhus, où ils causèrent de cruels ravages. Celui-ci, découragé par son insuccès, abandonna l’Italie pour retourner en Épire. Les éléphans qui n’avaient pas été tués sur les champs de bataille furent pris par les Romains et ornèrent le triomphe du consul Curius Dentatus : triste fin pour les vétérans de tant de guerres ! car les éléphans qui suivirent le char triomphal dans les rues de Rome avaient derrière eux une longue épopée; laissés dans l’héritage du conquérant de l’Asie, ils avaient figuré dans les guerres de la succession d’Alexandre, et ils n’avaient survécu à de nombreuses batailles et à de nombreux sièges que pour amuser les enfans de Rome et leur servir de spectacle !

L’armée d’Alexandre est en effet la première armée européenne à laquelle aient été opposés des éléphans de guerre. Ceux de Darius tombèrent au pouvoir du vainqueur. A la bataille de l’Hydaspe, le roi indien Porus avait dans son armée 300 chars de guerre et 30 éléphans suivant Diodore, 200 suivant Arrien. Alexandre avait fait munir un certain nombre de soldats de haches bien affilées et de sabres en forme de faux pour couper jarrets et trompes aux éléphans de l’ennemi. Après cette victoire, Alexandre se trouva possesseur des éléphans de Porus, et ce nombre s’accrut de tous ceux que lui offrirent en présent les autres princes de l’Inde. Après la mort d’Alexandre, ses éléphans furent, comme ses états, partagés entre ses généraux, et, des batailles qu’ils se livrèrent, il n’en est pas où ces animaux n’aient joué un rôle important. Comme ils adoptaient les mœurs et la pompe de l’Asie, les généraux grecs en imitaient également les institutions militaires. L’un d’eux, le fondateur de la dynastie des Séleucides, Séleucus Nicator, avait encore augmenté ses forces militaires en épousant la fille d’un roi de l’Inde qui lui apportait en dot 500 éléphans de guerre. Son goût pour les éléphans lui avait fait donner par ses contemporains le sobriquet de Grand Éléphantarque. C’est grâce à leur concours qu’il gagna sur Antigone la bataille d’Ipsus. Raconter la part prise par les éléphans aux guerres de cette époque serait raconter ces guerres elles-mêmes. Les Ptolémées, ne pouvant remonter leur corps d’éléphans dans l’Inde même, avaient organisé la traite des éléphans dans la région du Nil-Bleu.

La guerre contre Pyrrhus servit à bien des égards d’école aux Romains. Pyrrhus était un des meilleurs généraux de l’antiquité : il avait composé des traités de tactique dont les écrivains anciens parlent avec éloge. Le « jeu de la guerre » (Kriegspiel), si fort en honneur dans l’armée prussienne, n’est même, comme notre jeu de l’oie, qu’un jeu « renouvelé des Grecs. » C’est Pyrrhus qui eut le premier l’idée de représenter les évolutions militaires au moyen de petites pièces de bois ou de plomb. Sa tactique savante prépara les Romains à celle des généraux carthaginois; en même temps leurs soldats s’accoutumaient à voir les éléphans, et ceux de l’armée carthaginoise ne leur inspirèrent plus qu’une médiocre crainte.

L’exemple des Ptolémées et l’ambition de mettre leur armée à la hauteur de l’armée égyptienne avaient poussé les Carthaginois à employer des éléphans de guerre. Les éléphans ont été indigènes dans l’Afrique septentrionale jusqu’au IVe ou Ve siècle de notre ère. La race y a disparu à la suite des chasses séculaires faites d’abord par les Carthaginois et par les rois africains pour le service de leurs armées, plus tard par les Romains pour les jeux et pour les combats de l’amphithéâtre. Séparés par le Sahara du gros de leur race, si nombreuse aujourd’hui dans le Soudan, les éléphans de l’Afrique septentrionale furent exterminés jusqu’au dernier.

A l’origine, les Carthaginois employaient des chars de guerre comme la plupart des peuples de l’Orient; ils renoncèrent à cette arme pour adopter les éléphans, appréciant davantage les services de ces derniers. Dès ce moment, toutes leurs armées furent accompagnées d’un grand nombre de ces animaux. Lorsqu’au début de la première guerre punique Hannon débarqua en Sicile pour essayer de faire lever le siège d’Agrigente, il amenait avec lui 60 éléphans, qui furent presque tous tués ou pris par les Romains. Quelques années après, Xanthippe mettait en ligne 100 éléphans dans cette bataille où l’armée de Régulus fut anéantie, et c’est au concours des éléphans qu’il dut en grande partie la victoire. Par contre, c’est à l’encombrement produit sur un terrain trop étroit par ces auxiliaires aux corps énormes qu’Annibal dut, cinq ans plus tard, de voir son armée anéantie à Palerme : 104 éléphans tombèrent au pouvoir des Romains et ornèrent le triomphe du proconsul Métellus. Peu après, dans la guerre que Carthage eut à soutenir contre les mercenaires licenciés, elle eût vraisemblablement succombé sans le secours qu’elle tira de ses éléphans. Ces animaux jouèrent également un rôle important dans la seconde guerre punique. Asdrubal en avait 200 en Espagne. Annibal en prit une quarantaine avec lui lorsqu’il quitta ce dernier pays pour se diriger vers l’Italie. Ces éléphans traversèrent les Alpes avec le reste de son armée, et ce ne fut pas une des moindres difficultés de ce passage célèbre de mener ces animaux à travers la neige et les glaciers, par des chemins étroits et escarpés. La rigueur du climat fit perdre à Annibal une partie de ses éléphans comme de ses chevaux et de ses hommes ; mais il put en sauver un certain nombre, qui prirent part à la bataille de la Trébie. A Trasimène et à Cannes, Annibal n’avait plus d’éléphans. Plus tard, il en reçut d’Afrique en même temps qu’un renfort de nouvelles troupes. Cela ne l’empêcha pas d’être finalement défait et forcé d’abandonner l’Italie, comme Asdrubal était forcé d’abandonner l’Espagne. La bataille de Zama mit bientôt fin à la fortune de Carthage. Dans le traité qu’ils subirent alors, les Carthaginois durent livrer aux vainqueurs les éléphans qui leur restaient, et promettre de ne plus en entretenir dans l’avenir.

Jusque-là, les Romains s’étaient contentés de combattre les éléphans de leurs ennemis, sans en entretenir eux-mêmes dans leur armée. Il leur était pourtant facile de retourner contre Pyrrhus et contre les Carthaginois ceux qu’ils avaient faits prisonniers. S’ils hésitèrent longtemps à recourir à ces monstrueux auxiliaires, c’est sans doute dans la crainte d’affaiblir le moral des soldats en mettant leur confiance ailleurs que dans leur propre courage. C’est pour le même motif qu’ils ne firent jamais usage de chars armés de faux. Pendant longtemps ils ne s’occupèrent que de neutraliser l’action des éléphans ennemis. A la fin pourtant, ils adoptèrent cette machine de guerre, et dans la troisième guerre punique, — où les Carthaginois n’avaient plus d’éléphans, — ils menèrent contre ces derniers des éléphans que Masinissa leur avait procurés. Ce roi africain en entretenait un nombre considérable, et il en fournit libéralement aux armées romaines à plusieurs reprises; les Romains en avaient en outre une réserve qui provenait de leurs victoires sur les Carthaginois. Dans la guerre contre Philippe, roi de Macédoine, Quintus Flaminius se servit des éléphans pour charger la phalange macédonienne. Les Romains avaient également des éléphans dans leur guerre contre Antiochus III, mais il ne semble pas qu’ils en aient fait usage. Dans cette campagne, ils s’emparèrent des éléphans d’Antiochus, qui étaient de la belle race de l’Inde, et ils les employèrent, vingt ans plus tard, concurremment avec leurs éléphans africains, dans leur guerre contre Persée, guerre qui se termina par la disparition du royaume de Macédoine. « Il est curieux de remarquer, dit à ce propos un historien des éléphans[1], que ces animaux, qu’Alexandre avait amenés le premier des bords lointains de l’Orient, furent, sinon les instrumens, du moins les témoins de la destruction de son royaume. » Les Romains employèrent aussi les éléphans dans leurs guerres d’Espagne. En Gaule, ils n’en firent usage qu’une fois : ce fut dans leur première expédition au-delà des Alpes, à la fin du second siècle avant l’ère chrétienne, expédition conduite par le proconsul Domitius Ahenobarbus, un des ancêtres de Néron. — Quand on rencontre dans la France méridionale ou dans les Alpes des ossemens d’éléphans, il peut être téméraire de les faire remonter à l’époque quaternaire ou à l’époque tertiaire, car plus d’un éléphant, parmi ceux d’Annibal et de Domitius Ahenobarbus, a dû laisser ses os sur notre sol.

En Afrique, les éléphans continuèrent à être employés et par les rois indigènes et par les Romains. Jugurtha s’en servit contre les Romains, et plus tard, dans les guerres civiles, où l’on vit combattre

Romains contre Romains, parens contre parens,


on vit également combattre éléphans contre éléphans. Pompée, après avoir vaincu le parti de Marins près d’Utique, amena à Rome les éléphans qu’il avait pris. Il en avait fait atteler quatre de front à son char de triomphe, mais, la porte de Rome se trouvant trop étroite, il fallut les dételer et les remplacer par des chevaux. Dans la guerre entre Pompée et César, les pompéiens d’Afrique menèrent des éléphans contre César à la bataille de Thapsus, à 30 lieues de Carthage (an 47 avant J.-C), mais ils n’en furent pas moins battus. C’est la dernière fois que les Romains emploient d’une façon régulière les éléphans à la guerre : désormais ils les réservent aux spectacles du cirque. En effet, les éléphans-étaient devenus les acteurs accoutumés des jeux du cirque. C’est en l’an de Rome 655 qu’on exposa pour la première fois ces animaux dans l’arène. Dès lors ce spectacle se renouvela fréquemment. Pompée, pour fêter son second consulat par un spectacle grandiose, fit combattre vingt éléphans contre des chasseurs gétules armés de javelots. César fit plus encore. Il avait amené à Rome les éléphans pris à la bataille de Thapsus. Le jour de son triomphe, on le vit se diriger vers le Capitole, précédé de quarante éléphans rangés sur deux files et portant dans leurs trompes d’immenses flambeaux. Ce spectacle, nouveau pour les Romains, ne l’était pas en lui-même. Les rois d’Egypte et de Syrie se faisaient quelquefois accompagner d’éléphans dressés à cet exercice, et auxquels on donnait le nom de porte-flambeaux, lychnophores. A Rome, c’était devenu chose ordinaire de faire combattre les éléphans dans le cirque, soit contre des gladiateurs, soit contre des taureaux ou des tigres. L’empereur Commode, qui était un gladiateur et descendait parfois dans le cirque, y tua un jour un éléphant d’un coup de pique.

Mais les spectacles les plus curieux furent ceux où l’on vit les éléphans remplir le rôle de mimes, de saltimbanques et d’acrobates. Les Romains avaient poussé très loin l’art de dompter les animaux et de leur faire accomplir les exercices les plus difficiles. Les dompteurs modernes ne font rien que les mansuetarii de Rome n’aient inventé il y a des siècles. Ceux de Rome ont obtenu des animaux des actes de docilité et des tours d’adresse dont on n’a pas vu d’exemples dans les temps modernes. Pour ne parler ici que des éléphans, on les dressait à des exercices si compliqués et si disproportionnés avec leur énorme taille qu’on aurait peine à les croire vrais sans le témoignage des écrivains de l’antiquité. « Dans les combats de gladiateurs que donna Germanicus, raconte Pline, les éléphans exécutèrent des mouvemens grossiers ressemblant à une sorte de danse. Leurs exercices ordinaires étaient de jeter dans les airs des armes que le vent ne pouvait détourner, de figurer entre eux des attaques de gladiateurs et de se livrer aux ébats folâtres de la pyrrhique (danse d’origine dorienne), puis ils marchèrent sur la corde tendue. Quatre éléphans en portaient dans une litière un cinquième représentant une nouvelle accouchée, et dans des salles pleines de peuple ils allèrent prendre place à table, en marchant à travers les lits avec tant de ménagement qu’ils ne touchèrent aucun des buveurs... Il est très curieux de les voir aller de bas en haut sur des cordes; mais ce qui l’est encore davantage, c’est de les voir aller de haut en bas. » Ces cordes raides, qu’on désignait du nom grec de catadromus, étaient tendues transversalement du sol à un point élevé, et les acrobates devaient monter et descendre par le même chemin. Ce n’est pas la seule fois que Rome assista au spectacle d’éléphans funambules; elle le revit de nouveau, raconte Suétone, dans des fêtes données par Néron et par Galba. On vit même sous Néron un illustre chevalier romain se livrer à cet exercice monté sur un éléphant. La docilité naturelle de l’éléphant rendait possibles ces jeux étranges : Pline en donne un exemple dont il garantit l’authenticité. « Un éléphant d’une intelligence trop lente pour retenir ce qu’on lui enseignait, ayant été plusieurs fois fustigé, fut trouvé (c’est un fait certain) répétant la nuit sa leçon. »

De tels spectacles se continuèrent jusqu’à l’époque où Rome cessa d’être la résidence des empereurs. On employait encore les éléphans à d’autres usages. Aux jours de grandes cérémonies, on les attelait aux chars de parade destinés à porter les images des dieux et des empereurs. Les empereurs eux-mêmes paraissaient quelquefois en public sur des chars traînés par des éléphans. On faisait également appel à leur force pour exécuter de grands travaux mécaniques. Sous le règne d’Adrien, on employa 24 éléphans pour déplacer le colosse de Néron et pour le transporter près de l’amphithéâtre auquel il devait donner son nom.

Il y avait à Rome des édifices réservés à la demeure des éléphans qui figuraient dans les jeux du cirque. Il existait en outre des dépôts d’éléphans sur le littoral du Latium, notamment à Ardea et à Laurentum. L’air de la campagne était en effet meilleur pour ces animaux que celui de Rome. C’est également à la campagne qu’on avait établi l’infirmerie des éléphans : on avait choisi dans ce dessein et principalement à cause de ses eaux sulfureuses la charmante retraite de Tivoli célébrée par Horace. Ces eaux avaient la propriété de rendre leur blancheur aux défenses des éléphans quand elles étaient jaunies ou noircies à la suite de quelque maladie. Un éléphant avait-il les digestions difficiles, les défenses jaunes, le teint un peu pâle, on l’envoyait se remettre à Tivoli. Martial fait méchamment allusion à cet usage dans une épigramme sur une dame qui allait à Tivoli pour se blanchir les dents ou le teint.

Depuis l’époque romaine, on ne vit plus d’éléphans en Europe qu’à de rares occasions. Le calife Haroun-al-Raschid en envoya un en présent à l’empereur Charlemagne; les annalistes du temps racontent l’étonnement que causa l’arrivée de cet animal à Aix-la-Chapelle. Plus tard Frédéric II, à son retour de Palestine, saint Louis, à son retour de Syrie, amenèrent chacun un éléphant en Europe. Après leurs découvertes et leurs conquêtes dans l’Inde, les Portugais firent cadeau au pape Léon X d’un jeune éléphant.

L’éléphant comme animal de guerre ne devait plus se rencontrer qu’en Asie. Les Sassanides de Perse s’en servirent dans leurs luttes contre les empereurs de Constantinople. Dans l’Inde, où la race est indigène, les éléphans n’avaient jamais cessé d’être employés à la guerre. Ils ne sauvèrent pourtant pas l’Inde ni de la conquête musulmane, ni de la conquête tartare. Les conquérans de l’Inde adoptèrent cette institution militaire du pays conquis. Le Grand-Mogol Akhbar de Delhi entretenait 6,000 de ces animaux. Lorsqu’il entreprit en 1573 la conquête du Bengale, il se fit suivre de 600 éléphans, et, dans une expédition ultérieure, il en emmena sur le dos desquels il avait installé de petites pièces en fer servies par quatre canonniers. L’invention des armes à feu n’avait pas mis fin à l’emploi des éléphans à la guerre : on trouvait au contraire avantageux de pouvoir les tenir loin de la mêlée en établissant des pièces de campagne sur leur dos, et ils servaient en quelque sorte d’affûts vivans et mobiles. Lorsque Thomas Roe fut envoyé en 1615 à la cour d’Agra comme ambassadeur de Jacques Ier, il vit 300 éléphans qui portaient de petits canons de 6 pieds de long et du calibre de 2 livres. Ces pièces étaient montées sur des affûts installés sur le dos même de l’animal ainsi que les quatre servans. Les éléphans figurèrent dans les guerres des souverains indigènes contre les Français, au temps où ceux-ci avaient un empire dans l’Inde et contre les Anglais. Il nous faut dire maintenant quels services rendent ces animaux dans les parties de l’Inde où l’espèce est indigène.


II.

Aristote est le premier naturaliste qui ait décrit l’éléphant; il avait sous les yeux un spécimen vivant de l’espèce, car Alexandre envoyait à son ancien maître des animaux curieux des contrées qu’il soumettait. Aussi les naturalistes de notre siècle ont-ils pu constater que sa description de l’éléphant est plus exacte que celle de Buffon. Un seul détail le montrera : Buffon soutenait contre Aristote que l’éléphant tette sa mère avec sa trompe et non avec sa bouche; mais Aristote avait raison contre Buffon. Les autres écrivains de l’antiquité mêlèrent à des observations vraies des récits chimériques auxquels donnaient lieu l’intelligence et la docilité de l’animal. Se méprenant sur le but des ablutions auxquelles les éléphans se livrent la nuit dans les fleuves, on allait jusqu’à leur attribuer je ne sais quelle religion sidérale analogue à celle des mages de la Chaldée.

Malgré sa haute taille et sa force, l’éléphant est un des êtres les plus inoffensifs de la nature; cela s’explique par ce fait, que sa nourriture est exclusivement végétale. A l’état de liberté, il se nourrit de feuilles et d’écorces d’arbre. Il n’attaque personne à moins d’être excité, et il évite la rencontre de l’homme, comme s’il avait le sentiment de l’hostilité de ce dernier; on a même remarqué dans l’île de Ceylan qu’il montre une plus grande inquiétude en présence du blanc qu’en présence de l’indigène. L’éléphant a la vue très courte, mais l’ouïe et l’odorat d’une extrême finesse, et il se guide surtout par ces deux sens. Les éléphans d’un même troupeau s’appellent l’un l’autre par des cris. On a observé que l’éléphant possède trois sortes de sons dans son langage, ceux qu’il tire de son gosier, ceux qu’il produit avec sa bouche et ceux qu’il obtient de sa trompe. Ces derniers, qu’il pousse surtout dans les momens de rage et de colère, sont si aigus que tous les observateurs depuis Aristote les ont comparés à ceux d’une trompette ou d’un cor, et l’animal doit à cette ressemblance le nom de trompe que son prolongement nasal a reçu dans notre langue.

L’éléphant habite de préférence les forêts. Le jour, il se retire au plus épais des fourrés pour éviter les rayons du soleil et pour se reposer; la nuit, il se livre à ses pérégrinations et descend vers les fleuves pour s’y baigner. Il connaît une certaine organisation sociale; il vit non pas à l’état d’isolement comme le plus grand nombre des animaux, mais en famille. Chaque famille forme un troupeau. Ces troupeaux, qui comprennent de 20 à 50 individus, se gouvernent monarchiquement, comme c’est le cas de tous les animaux qui forment des sociétés, l’homme excepté. Ils choisissent entre eux l’individu le plus fort et le plus intelligent, qu’il soit mâle ou femelle; ils en font le chef de la bande, lui obéissent aveuglément, et lui témoignent le plus grand dévoûment. Le chef guide le mouvement du troupeau, pose des sentinelles et joue le rôle d’éclaireur dans les expéditions nocturnes. La famille, on pourrait presque dire le clan, est si étroitement unie qu’elle est fermée à tout étranger. Lorsqu’un éléphant reste seul, soit que son troupeau ait été tué ou pris, soit qu’il en ait été séparé par un accident, il n’est pas reçu dans une autre famille, et il est forcé de vivre solitaire. La solitude aigrit le caractère de l’éléphant, naturellement doux et inoffensif, et ces célibataires malgré eux, auxquels on donne le nom de gundah dans l’Inde et celui de rogue à Ceylan, deviennent sauvages, et commettent souvent des déprédations dans les champs cultivés et auprès des habitations. On les chasse sans chercher à les prendre en vie : leur caractère perverti se prêterait moins facilement au dressage.

L’intelligence de l’animal se manifeste dans bien des circonstances de sa vie en liberté. A Ceylan, on a plus d’une fois remarqué que pendant des orages accompagnés de violens coups de tonnerre des bandes d’éléphans sortaient de la forêt pour stationner en plein champ, et ne rentraient dans la jungle que lorsque le tonnerre avait cessé de gronder. Dans les forêts vierges qu’ils habitent, l’homme profite des chemins frayés par leur passage ; on a dit ingénieusement que là les éléphans représentent toute l’administration des ponts et chaussées. Ces chemins vont d’ordinaire des hauteurs vers les cours d’eau. On a remarqué que dans les montagnes leurs chemins sont disposés avec une intelligence digne d’hommes du métier. Ces chemins suivent généralement la crête d’une chaîne de montagnes, évitant les pentes rapides, et à Ceylan les arpenteurs du gouvernement ont constaté que, même dans les forêts où la vue ne permettait pas de découvrir la ligne la plus droite, les éléphans suivaient invariablement la ligne qui communique le plus commodément avec le point opposé. Le docteur Hooker décrivant l’ascension de l’Himalaya dit que les indigènes n’admettent pas le zigzag dans leurs chemins, et qu’ils abordent en droite ligne les montées les plus raides, tandis que le chemin des éléphans est une œuvre excellente d’ingénieur, et, tout au contraire des chemins des indigènes, suit des détours judicieux. Ce n’est pas que l’éléphant ne puisse monter et descendre aisément les pentes les plus raides; sur le sommet du Pic-d’Adam, dans l’île de Ceylan, à une altitude de 7,420 pieds, là où les pèlerins grimpent avec difficulté à l’aide de degrés taillés dans le roc, le major Skinner trouva en 1840 la trace de pieds d’éléphans. Les chemins que leur inclinaison rend impraticables pour le cheval et dangereux pour l’homme ne l’effraient ni ne l’arrêtent. Malgré ses énormes pieds et la masse de son corps, c’est un véritable animal grimpeur. La sûreté de son large pied le rend précieux, comme animal domestique, dans les pays de montagnes où les chemins sont rares ou mal frayés. Un voyageur dans l’Inde, M. Rousselet, a raconté une descente périlleuse faite à dos d’éléphant. L’éléphant rend des services inappréciables dans les pays dépourvus de chemins et dans les régions montagneuses; comme monture et comme bête de somme, il passe là où ni le cheval, ni le mulet, ni le chameau, ne pourraient trouver passage.

L’éléphant d’Afrique n’a été apprivoisé que par les Carthaginois, les rois numides et les Romains. Il serait aisé aux noirs habitans de l’Afrique centrale de faire de l’éléphant leur esclave et leur auxiliaire, comme cela se pratique en Asie; mais l’espèce d’hommes qui grouille à l’intérieur de l’Afrique est trop rapprochée de la brute pour profiter des richesses que la nature met sous sa main. Les nègres ne chassent l’éléphant que pour le tuer et pour en troquer les défenses contre les verroteries, les couteaux et les étoffes que leur apportent des trafiquans arabes. Les éléphans sont encore très nombreux en Afrique, malgré l’énorme quantité qu’on en détruit chaque année. La chasse en a réduit le nombre dans certaines régions, par exemple dans cette partie de la côte de Guinée qui avait reçu le nom de Côte-d’Ivoire du trafic qui s’y faisait. Ce nom n’est plus aujourd’hui mérité, car la Côte-d’Ivoire ne livre plus au commerce qu’une mince quantité de défenses d’éléphant; mais l’intérieur de l’Afrique, depuis le Nil-Blanc et le Nil-Bleu jusqu’à la région du Cap, est encore extrêmement riche en éléphans. En 1860, Livingstone en a vu plusieurs centaines en un seul jour dans la région du Zambèse.

On a rapproché la chasse à l’ivoire de la traite des esclaves. L’une comme l’autre en effet ne vit que par la dévastation, et les scènes de cruauté qui accompagnent en Afrique la chasse à l’éléphant ne le cèdent en rien aux barbares épisodes de la chasse à l’homme. Une partie de l’ivoire africain vient en Europe par Khartoum ; mais dans l’Afrique orientale Zanzibar est le principal marché pour la région comprise entre le 2e et le 10e degré de latitude sud. Une partie de ces défenses va à Bombay, l’autre va à Londres. L’exportation de Zanzibar se compose en moyenne de 20,000 défenses par an, ce qui, pour l’Afrique orientale au sud de l’équateur, représente 10,000 éléphans tués annuellement. Quelques-unes de ces défenses atteignent jusqu’à 8 et 10 pieds de longueur, et jusqu’à 120 livres de poids. Au marché de Zanzibar, il faut ajouter ce qu’exportent, mais en bien moins grande quantité, la côte occidentale, le Cap, le Haut-Nil et l’Abyssinie. C’est une des branches les plus actives du commerce africain ; quelques chiffres en diront l’importance. A Zanzibar en 1858, un lot de 47 défenses a atteint le prix de 1,500 livres sterling (37,500 francs). La Chine se procure son ivoire dans l’Inde et occasionnellement à Ceylan.

En Asie, la chasse à l’éléphant a un caractère moins barbare. Rarement cherche-t-on à le tuer pour l’ivoire de ses défenses, et encore le chasse-t-on avec des armes à feu. Un chasseur exercé tue l’éléphant d’une seule balle logée dans le front ou au-dessous de l’oreille; mais, dans le plus grand nombre des cas, on s’attache à le prendre vivant pour l’apprivoiser et le dresser à la vie domestique. Cet art, qui remonte à l’époque la plus ancienne, se pratique aujourd’hui sur une plus vaste échelle que jamais dans les possessions anglaises de l’Inde, à cause des services de tout genre que rend cet animal. Tant que les éléphans n’avaient d’autre rôle que de rehausser l’éclat des fêtes royales ou des processions religieuses, on se contentait de chasser des individus isolés. On les prenait soit en les faisant séduire par des femelles apprivoisées, soit grâce à l’agilité et à l’adresse d’hommes dont c’était la dangereuse profession. Deux hommes suffisaient à prendre un éléphant : tandis que l’un détournait son attention en l’irritant et en le provoquant, l’autre se glissait derrière l’animal et lui passait au pied un lien solide. Une fois ce lien passé autour d’un gros arbre, l’éléphant, devenu captif, était forcé de se rendre à discrétion et de se soumettre à ses nouveaux maîtres. Depuis que les Européens établis dans l’Inde ont résolu d’employer les éléphans au même degré que les chevaux et que les autres animaux domestiques, il fallut recourir à un autre système de chasse pour se procurer un plus grand nombre de ces animaux. Dans l’île de Ceylan, les Portugais et après eux les Hollandais organisèrent le système des battues, et les Anglais, en leur succédant, ont continué leurs traditions. Des battues annuelles se font à Ceylan et dans le nord de l’Inde, et font tomber au pouvoir des chasseurs des troupeaux entiers d’éléphans. Tennent, dans son livre sur Ceylan, a raconté ces chasses grandioses, où, sans effusion de sang et presque sans péril, on prend souvent à la fois une centaine d’éléphans; mais, si l’on parvient à prendre vivans et sans blessures des animaux d’une telle force et d’une telle intelligence, c’est en profitant de la terreur et de l’inexpérience des éléphans sauvages, et surtout en employant comme auxiliaires des éléphans apprivoisés. Bien loin d’avoir de la répugnance à servir l’homme contre leur propre espèce, ils apportent à cette besogne un entrain et une intelligence admirables; ils poussent les éléphans sauvages vers les arbres auxquels on doit les attacher; pendant qu’on les attache, ils les empêchent de détourner les liens d’un coup de trompe; ils protègent leurs propres maîtres contre les coups de trompe des captifs. C’est également à l’aide d’éléphans déjà apprivoisés qu’on dresse les captifs, appliquant ainsi à la race éléphantine la méthode pédagogique préconisée par Lancaster. Dans le dépôt de remonte pour les éléphans que le gouvernement anglais entretient à Dacca, dans le Bengale, on garde un certain nombre d’éléphans choisis parmi les plus forts et les plus intelligens pour dresser les nouveau-venus ; ce sont comme de vieux sergens instructeurs sous la direction desquels passe chaque génération de recrues. Le dressage d’un éléphant est l’affaire de quelques mois; mais il ne faut le mettre au travail que lentement et par degrés, quand l’obéissance est entrée dans sa nature et qu’il a contracté de l’affection pour les personnes qui le soignent. L’obéissance à son gardien est chez l’éléphant le résultat de l’affection plus encore que de la crainte, et à cet égard sa docilité ressemble plus à celle du chien qu’à celle du cheval. Elle va jusqu’à surmonter la douleur; on en a la preuve dans la résignation avec laquelle, sur l’ordre de son mahout (c’est le nom que dans l’Inde on donne aux cornacs), il avale des médecines souvent repoussantes, et se soumet, non pas seulement à des saignées, mais même à des opérations chirurgicales pénibles, telles que l’enlèvement de tumeurs et d’ulcères. Tous les éléphans ne se résignent pas à oublier leur vie de liberté dans la forêt. Aussi faut-il les traiter avec douceur et avec égards, et encore la mortalité est-elle grande chez eux pendant les premiers mois de la captivité. On en voit se coucher tout d’un coup et mourir, sans qu’on observe chez eux la trace d’aucune maladie. Les indigènes expriment ce genre de mort en disant que l’animal est mort « le cœur brisé. » Il y aurait là matière à un beau poème barbare de M. Leconte de Lisle. L’extrême sensibilité de son caractère fait que l’influence du moral sur le physique est aussi grande chez lui que chez l’homme.

Tous les voyageurs dans l’Inde ont décrit les rôles auxquels les éléphans sont dressés de temps immémorial. M. Rousselet, entre autres, a donné d’intéressans détails à cet égard; il raconte les splendides cortèges où ces animaux figurent richement caparaçonnés et portent les monarques indigènes sur des trônes lamés d’or. Dans un sowari ou procession militaire, dont il fut témoin à Baroda, plus de quatre-vingts éléphans, traînant jusqu’à terre les couvertures frangées d’or dont ils étaient couverts, défilèrent, portant les personnages les plus considérables de la cour. La plupart avaient la trompe et le front peints de dessins fantastiques et portaient sur la tête de hautes aigrettes de plumes blanches. Les éléphans sur lesquels étaient montés le rajah et ses fils étaient caparaçonnés plus splendidement encore. Celui du rajah lui-même était un animal gigantesque. « De chaque côté de l’éléphant, quatre hommes sont debout sur des marchepieds... L’animal, entièrement caché sous ses ornemens, semble une montagne d’or étincelante de diamans. Des hommes l’entourent en brûlant des parfums dont la fumée bleuâtre donne à la scène quelque chose de mystique. »

Le harnais spécial que l’on adapte au dos de l’animal supporte tantôt un trône de cérémonie, tantôt une sorte de kiosque, tantôt une espèce de cage destinée au voyage. On monte à éléphant à l’aide d’une échelle, qui ensuite est repliée sur le côté droit de l’animal, comme elle le serait sur le flanc d’un navire. C’est montés sur des éléphans que les rajahs de l’Inde chassent le tigre. On fait grand usage de l’animal comme monture de voyage, surtout dans les régions montagneuses, où les chemins sont rares ou mauvais. Grâce à l’extrême sûreté de son pied, l’éléphant peut s’avancer sans crainte sur les pentes les plus rapides; il présente en outre l’avantage de pouvoir, sans fatigue, transporter plusieurs personnes sur son vaste dos, où l’on peut dormir, si l’on voyage de nuit. « Une fois étendu, dit M. Rousselet, et en fermant les yeux, on pourrait se croire couché à bord d’un navire : le balancement régulier de l’éléphant imite, à s’y méprendre, le tangage et le roulis. »

Dans certaines parties de l’Asie, dans le royaume de Siam et dans les régions de l’Inde anglaise laissées aux souverains indigènes, on dresse les éléphans aux combats singuliers comme chez nous on fait des coqs. Ces combats répugnent au caractère natif de l’éléphant, être très doux, qui à l’état de liberté n’attaque ni l’homme ni les autres animaux. C’est par un régime de mets excitans continué pendans plusieurs mois qu’on arrive (triste conquête de l’homme!) à rendre l’éléphant méchant. Les Hindous appellent must cet état de rage auquel ils amènent cet animal. Les mâles seuls peuvent être dressés à ce métier; la douceur plus grande encore des éléphans femelles ne permet pas de leur inculquer cette éducation perverse. M. Rousselet fut témoin d’un combat d’éléphans donné par le rajah de Baroda, et le récit de ce kousti (combat) n’est pas une des parties les moins intéressantes de ce curieux voyage. Il a également vu et raconté des supplices horribles où l’éléphant sert d’exécuteur des hautes œuvres.

Mais l’éléphant remplit en même temps un rôle plus utile et plus civilisateur; l’homme en a fait l’auxiliaire de ses travaux. Dans l’île de Ceylan, il figure au service des ponts et chaussées; on l’emploie à traîner ou à porter de lourds matériaux, pierres et poutres. Dans la coupe des forêts, il transporte les pièces de bois et les dispose en piles. Il montre à cette opération une dextérité surprenante; une fois dressé, l’homme n’a presque pas à intervenir dans son travail; quelques éléphans même ont réussi à apprendre un procédé mécanique auquel ils recourent dans les cas extrêmes. Quand la pile atteint une certaine hauteur et qu’ils ne peuvent plus, à deux, élever jusqu’au sommet la lourde pièce d’ébène ou d’autre bois précieux et lourd, ils disposent deux autres pièces contre la pile, et sur ce plan incliné roulent en haut la pièce, dont le poids les embarrassait. En Birmanie, on emploie les éléphans dans les scieries de bois de teck; non-seulement ils apportent le bois de la forêt, mais même ils le disposent avec leur trompe sur le support où il doit être scié en planches, le poussant avec leurs pieds jusqu’à qu’il soit en place et regardant des deux côtés si tout est bien en ordre. Tennent rapporte une anecdote qu’il tenait du major Skinner et qui montre à un haut degré l’intelligence de l’éléphant. « Un soir, dit le major Skinner, je me promenais à cheval dans la forêt, près de Kandy. Tout à coup mon cheval s’arrête, effrayé d’un bruit qui se faisait dans la forêt. On entendait le cri ourmph, ourmph, sourdement répété. Je vis bientôt d’où venait ce cri. C’était un éléphant domestique qui, laissé à lui-même, avait entrepris un travail difficile : il s’efforçait de transporter une lourde poutre, qu’il avait chargée sur ses défenses; mais le sentier était trop étroit, il était forcé d’incliner la tête tantôt à droite, tantôt à gauche. Cet exercice lui faisait pousser des grognemens de mauvaise humeur. Dès qu’il nous aperçut, il leva la tête, nous considéra un instant, jeta son fardeau à terre et se rangea de côté, contre le bois, pour nous livrer passage. Mon cheval tremblait de tous ses membres. L’éléphant le remarqua, s’enfonça encore plus dans le fourré et répéta son ourmph, mais sur un ton plus doux et comme pour nous encourager. Mon cheval tremblait toujours. Enfin il franchit le chemin; aussitôt l’éléphant reparut, reprit sa poutre et continua son travail pénible. « 

Les éléphans sont employés en très grand nombre dans les divers services de l’armée anglaise de l’Inde, et ils y rendent d’importans services. Les ouvrages que nous avons consultés sur l’éléphant ne nous fournissant rien à cet égard, nous avons cherché à nous renseigner ailleurs. Un fait curieux m’avait déjà été communiqué par un officier de l’armée française, M. le commandant Mowat, qui le tenait d’un officier de l’artillerie anglaise. « Dans les marches militaires à travers les contrées incultes et peu frayées du Bengale, il est d’usage d’employer des éléphans à la suite des convois. Ces animaux sont si bien dressés que, s’il survient un accident à une voiture, à une pièce d’artillerie, et que les chevaux d’attelage ne puissent les tirer d’un mauvais pas, dès qu’un éléphant s’aperçoit de l’accident, il accourt près de la voiture embarrassée sans même attendre l’avertissement de son mahout, et la dégage en la soulevant avec sa trompe. Il ne la quitte que lorsqu’elle est remise dans le bon chemin, et que les attelages peuvent suffire à la besogne. Il reprend alors sa place dans la colonne, prêt à recommencer au premier besoin. » Désireux d’avoir des renseignemens plus circonstanciés, je m’adressai à mon savant ami M. Whitley Stokes, secrétaire du gouvernement de l’Inde, et par son obligeante entremise je reçus de M. le colonel Willis, commissaire-général de l’armée du Bengale, les détails les plus précis sur l’emploi des éléphans dans l’administration anglaise de l’Inde.

Le gouvernement anglais se procure ses éléphans dans l’île de Ceylan, dans le nord de l’Assam, dans les jungles de Cachar et de Chittagong (à l’est du Bengale), dans le Teraï (basses-terres du Népaul), dans les forêts qui s’étendent au pied de l’Himalaya, et, sur une moins grande échelle, dans celles de l’Inde centrale. Ritter, dans sa Géographie de l’Asie, nous apprend que les éléphans des diverses parties de l’Inde se distinguent par quelques caractères différens : ceux du Népaul sont plus petits, ceux de Chittagong plus forts, ceux de Ceylan plus intelligens. Aussi de tous ces lieux de chasse, les principaux sont-ils les jungles de Chittagong et de Cachar : on y fait régulièrement des battues de deux ans l’un; le mode de chasse est le même qu’on pratique à Ceylan et que l’on connaît par les récits de Tennent. Le nombre ordinaire des captures varie de 50 à 100 par année. Un dépôt central de remonte connu sous le nom de Khedda est établi à Dacca dans le Bengale, et c’est de là que les éléphans, une fois dressés, sont envoyés aux divers services de l’armée. Les éléphans reviennent au gouvernement à environ 100 livres sterling (2,500 francs) par tête prise; dans les foires, un éléphant se vend près de 140 livres. C’est une somme minime, si l’on pense à la grandeur de l’animal et au nombre d’années que sa longévité lui permet de servir ses maîtres. Les éléphans peuvent travailler de dix-huit à soixante-dix et quatre-vingts ans : on les considère comme étant dans toute leur vigueur de vingt-cinq à soixante ans. Le gouvernement britannique de l’Inde emploie les éléphans à la fois dans les services civils et dans les services militaires. Au civil, ils concourent principalement aux opérations de la triangulation, des administrations du télégraphe et des forêts, et aux cortèges solennels des vice-rois et des gouverneurs de province. Au militaire, on les emploie dans les services du train et de l’artillerie. On leur fait porter les bagages et l’équipement d’un camp tout entier. Chaque colonne d’infanterie en a un certain nombre qui marchent près d’elle; de la sorte on évite de charger le soldat d’un bagage qu’il ne pourrait porter impunément sous le ciel brûlant de l’Inde, et lorsqu’on arrive à la fin de l’étape, il ne faut qu’un instant pour dresser les tentes et organiser le camp. Les éléphans sont aussi très utiles dans les districts marécageux, où les chevaux et les bœufs marcheraient difficilement, et dans les régions de montagnes ils rendent des services inappréciables; mais dans ce dernier cas il faut réduire leur charge de moitié. Leur charge ordinaire est de 1,230 livres en plaine et de 674 dans la montagne; on verra tout à l’heure que dans la campagne d’Abyssinie cette charge a été de beaucoup augmentée. Ils ne se servent de leur trompe que pour donner à l’occasion un « coup de main, » par exemple quand il s’agit de tirer d’embarras un chariot ou une pièce d’artillerie.

Dans l’Inde, l’éléphant est principalement bête de somme, non bête de trait, bien que ce soit ce dernier rôle qu’on puisse lui faire remplir le plus aisément sans crainte de le blesser. Malgré son nom de pachyderme, l’éléphant a la peau très délicate; elle est souvent irritée par le harnais, surtout quand le temps est humide. Aussi Tennent dit-il que le travail auquel on puisse le plus avantageusement employer l’éléphant est celui de bête de trait; mais, si on l’attelle à un chariot construit et chargé en proportion de sa force, les routes seront défoncées par la charge. D’autre part, si on réduit la charge de façon à ne pas dégrader les routes, par exemple à 1,500 kilogrammes, comme cela a été essayé plusieurs fois à Ceylan, on a plus de profit à se contenter de bœufs ou de chevaux, dont l’entretien est moins coûteux. Aussi est-ce uniquement dans l’artillerie qu’on emploie l’éléphant comme bête de trait. Il sert à traîner les pièces de fort calibre, trop lourdes pour les jarrets des chevaux. Il y a dans l’artillerie anglaise des Indes, deux batteries de pièces de fort calibre, de 18 pour la plupart, attelées d’éléphans, et à Calcutta même un certain nombre de ces animaux est gardé en permanence pour manœuvrer les grosses pièces dans Fort-William.

Les pièces auxquelles on attelle des éléphans sont d’ordinaire des pièces de 18; mais on peut leur faire traîner des pièces plus fortes encore. Comme je désirais avoir des renseignemens sur la façon dont ces animaux sont attelés, le colonel Willis eut l’obligeance de m’adresser la photographie d’une pièce avec son attelage d’éléphans; elle lui avait été envoyée par le major Harcourt, qui commande la batterie d’éléphans stationnée à Gwalior. La pièce représentée dans cette photographie est un canon Armstrong de 40. Le poids total du canon, de l’avant-train et de l’attelage tout entier est de 8,100 livres anglaises, soit plus de 4,000 kilogrammes. La pièce est traînée par deux éléphans attelés en flèche, leur mahout sur le cou; tranquilles et sérieux, ils laissent leurs trompes tomber droites jusqu’à terre, comme s’ils voulaient prendre la pose du soldat au commandement de : fixe !

Les services civils n’emploient que quelques centaines d’éléphans, les services militaires un millier, dont le plus grand nombre sert spécialement au train. L’artillerie n’en a besoin que de quelques-uns; aussi les prend-elle de préférence parmi les femelles. Celles-ci sont d’un caractère plus doux que les mâles, et surtout elles ne sont pas sujettes aux frénésies du rut, qui à de certains momens rend l’emploi des mâles plus difficile. La conformation de l’éléphant (il est cryptorchide) ne permet pas de pratiquer sur lui la castration comme sur les autres animaux domestiques. Quand la nature parle trop vivement chez lui, les mahouts lui administrent des potions qui calment son tempérament.

L’éléphant devenu auxiliaire de l’homme au même titre que le cheval, le mulet, le chameau, etc., on devait nécessairement se préoccuper de ses maladies. Un vétérinaire de l’armée anglaise, le docteur Gilchrist, a écrit un ouvrage spécial sur l’histoire et le traitement des maladies de l’éléphant. Cet ouvrage, plusieurs fois réimprimé[2], sert de guide et de manuel aux vétérinaires et aux mahouts. Le docteur Gilchrist a coordonné les mussallas ou remèdes traditionnels des mahouts; il les a amendés, ajoutant des recettes nouvelles, et accompagnant le tout d’une étude anatomique de l’éléphant. Toutes les maladies de l’animal sont l’objet d’une étude spéciale, fièvre, inflammation cérébrale, maladies de la peau, conjonctivites, opacité de la cornée, maladie des poumons, de l’estomac, de l’abdomen, rhumatismes, foulures, panaris, etc. Le docteur Gilchrist indique la manière de tâter le pouls à ses cliens (derrière l’oreille) et de les saigner, et décrit le genre de trousse et de pharmacie de campagne qu’un vétérinaire d’éléphans doit emporter avec soi. Il traite également de l’hygiène de l’éléphant, des moyens de le maintenir en bonne santé en campagne et d’éviter les accidens. L’éléphant a le pied délicat, et la nature de ce pied ne permet pas de le défendre d’une façon artificielle, comme on fait pour le cheval. On a essayé de lui faire porter des bottes de cuir avec semelles en fer; mais sa marche en était gênée. On se borne à veiller à ce que les chemins suivis par l’animal ne soient pas mauvais, par accident ou par artifice de l’ennemi. On évite également de le faire passer par des clairières où des souches sortant de terre d’un pouce ou deux pourraient blesser la plante de ses pieds. On se garde aussi des fondrières où les éléphans pourraient, lourdement chargés comme ils sont, se fouler le pied ou se briser la jambe. Quand ils ont à fournir de longues marches sur un sol pierreux, on leur enduit la plante des pieds d’un onguent qui lui donne de la dureté. Il faut avoir un soin égal du dos de l’éléphant, prendre garde que le harnais ne le blesse et surtout ne reste humide sur son dos. Si sa tête demeure trop longtemps exposée aux rayons d’un soleil brûlant, il peut gagner une inflammation du cerveau ou une ophthalmie. M. Rousselet raconte que pour la marche au soleil on enduit la tête des éléphans de graisse, et le docteur Gilchrist recommande dans les haltes de les établir à l’ombre, quoique dans un endroit aéré : après une marche, il ne faut ni les laver, ni les faire baigner tant qu’ils ne sont pas naturellement refroidis. M. Gilchrist entre aussi dans les détails de la nourriture habituelle des éléphans : l’eau est pour eux une nécessité impérieuse; ils pourraient difficilement s’en passer plus de vingt-quatre heures; ils la veulent pure et claire. Pour garder l’animal en bonne santé, il est nécessaire de le faire baigner souvent[3]. Il existe à Honsoor un hôpital spécial pour les éléphans et les chameaux de l’armée britannique. Pendant les premiers temps que le service des éléphans était organisé, les animaux étaient souvent malades et forcés d’entrer à l’hospice. On s’aperçut que ces maladies étaient, la plupart du temps, causées par le manque de soins nécessaires, et on arrêta que les mahouts seraient mis en demi-solde aussi longtemps que leurs animaux seraient en traitement à l’hôpital. Depuis ce moment, les mahouts, intéressés à la santé de leurs animaux, les soignent avec plus d’attention, et les cas de maladie ont diminué dans une forte proportion. L’histoire officielle de la campagne d’Abyssinie entre dans plus de détails encore sur les règles d’hygiène applicables aux éléphans et sur la nécessité de surveiller incessamment les mahouts indigènes.

Jusqu’en 1868, les éléphans n’avaient pris part aux manœuvres et aux marches de l’armée anglaise qu’en temps de paix et dans le pays où ils sont nés. L’expédition d’Abyssinie a été pour eux une épreuve dont ils sont sortis avec honneur. On les a employés dans cette campagne, non comme bêtes de trait, mais, service bien plus pénible, comme bêtes de somme lourdement chargées, et cela dans un pays de montagnes, de ravins et de précipices. La grande difficulté dans cette expédition était d’arriver jusqu’au repaire du roi Théodoros, jusqu’à Magdala. L’Abyssinie est à l’Afrique ce que la région des Andes est à l’Amérique du Sud : c’est une série de plateaux élevés d’où se détachent de puissans contre-forts, et qu’entrecoupent de profondes vallées. Le pays était peu connu, les montagnes n’étaient traversées d’aucune route. Il était impossible d’y faire passer de grosse artillerie attelée; on résolut de la faire porter à dos d’éléphans, et on en fit venir quarante-quatre de Bombay. Les éléphans n’aiment point voyager sur l’eau; lorsqu’on veut les faire embarquer, il faut souvent user de subterfuge pour les décider à se confier au plancher d’un navire. Quelquefois on recouvre de terre le pont mobile qui mène à bord, et on en garnit les côtés de branches touffues qui cachent la vue de l’eau[4]. L’histoire officielle de la campagne d’Abyssinie[5], si riche en renseignemens sur toute l’histoire des éléphans dans cette campagne, donne peu de détails sur leur embarquement; elle se borne à dire que les deux transports qui prirent ces animaux à Bombay furent introduits dans un bassin et que les éléphans y furent hissés du rivage. Ces transports avaient été disposés d’une manière toute particulière. Les éléphans furent installés dans la cale du navire, sur un plancher ajouté, fait de pierre et de voliges; on les disposa dos à dos, la tête tournée vers le flanc du navire. Dans un navire dont le maître-bau mesure de 34 à 36 pieds, on peut placer deux éléphans de cette façon, et encore laisser entre eux un passage assez large pour que les valets puissent aller et venir. La largeur des stalles était de 6 pieds ; elles étaient partagées par deux traverses, larges chacune de 1 pied et épaisse de 8 pouces. Ces traverses reposaient sur une longue pièce d’appui large de 8 pouces et épaisse d’autant, qui à son tour était retenue au flanc du navire par des taquets longs de 1 pied 2 pouces et larges de 7 pouces, placés à distance de 5 pieds 5 pouces le long du flanc du navire. Les traverses dont nous parlons étaient soutenues par un solide montant placé au centre du navire pour empêcher les éléphans de les déplacer ou de les endommager en pressant contre elles. Cela dit du logement, voici quelle était la ration journalière d’un éléphant[6] :


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Fèves 4 livres (1,800 grammes).
Riz ou farine 20 livres (9 kilogrammes).
Sel 2 onces 1/2 (70 grammes).
Foin 175 livres (80 kilogrammes).
Eau 40 gallons (180 litres).

On remarque la quantité considérable d’eau nécessaire à l’éléphant. Tandis que la ration d’eau était de 40 gallons pour l’éléphant, elle était de 5 gallons pour les mulets, de 6 pour les bœufs et les chevaux et de 8 pour les chameaux. Les navires qui transportaient l’expédition étaient pour la plupart munis de condensateurs destinés à faire de l’eau douce avec de l’eau de mer. À terre, la ration de l’éléphant fut de 175 livres de foin, 25 de farine, 2 onces 1/2 de sel et 15 livres de bois vert. L’éléphant aime les feuilles et l’écorce des arbres, et à l’état de liberté c’est sa seule nourriture[7].

Les éléphans partirent en deux convois : le premier débarqua à Zula en janvier 1868, le second un peu plus tard. Pendant toute la campagne, ils furent un objet de grande curiosité pour les indigènes. L’éléphant n’a jamais été domestiqué en Afrique, et les Africains se refusent à croire que l’homme puisse se faire obéir de cet animal. Les Abyssins arrivaient de tous côtés sur le passage de l’armée anglaise pour contempler ce miracle d’éléphans apprivoisés; ils pouvaient à peine en croire leurs yeux. Ce qui était plus étonnant que l’obéissance de l’éléphant à l’homme, c’était le spectacle des services auxquels il se soumettait. On employa ces animaux d’a- bord à transporter des provisions de Zula vers le front de l’armée, et ensuite pour le transport de la grosse artillerie à partir d’Antalo, à mi-chemin de Magdala; jusqu’à cet endroit, l’état des routes avait permis aux attelages de traîner les pièces. L’entreprise que l’on tentait était nouvelle à bien des égards. On avait maintes fois dans l’Inde fait porter des canons aux éléphans, mais c’étaient des pièces de petit calibre, et ce n’avait été que pour de courtes distances. Cette fois c’étaient des canons Armstrong de 12 et des mortiers de 8 pouces qu’il fallait transporter pendant des centaines de lieues à travers un pays de montagnes et de ravins. D’Antalo à Magdala, ces pièces ont fait le chemin à dos d’éléphant, avec leurs caissons, etc., presque sans interruption. Quand le pays devenait uni et la route praticable, pour reposer les éléphans de leur rude besogne, on les déchargeait et on réattelait les chevaux; mais ce n’était jamais que pour de courtes distances.

Les quatre pièces de 12, canons Armstrong chargeant par la culasse, furent réparties comme suit :


1 éléphant pour chaque canon 4 éléphans.
1 — pour chaque affût 4 —
1 — pour chaque avant-train et une roue 4 —
1 — pour une paire de caissons et une roue 4 —
1 — pour trois roues (des huit restant) 3 —
Total 19 éléphans.


Le dernier éléphant n’ayant que deux roues, on parfit la charge avec des cordages et des ustensiles.

Il n’y avait aucun moyen de peser les diverses portions du matériel sur place : les chiffres suivans furent donnés à l’arsenal de Poona (le lieutenant-colonel Hill Wallace, qui commandait la division d’artillerie dans laquelle servaient les éléphans, était pourtant d’avis que l’affût était plus lourd qu’il n’est indiqué) : canon, 924 livres; affût, 966 liv.; avant-train, 450 liv.; une roue, 314 liv.; caisson, 255 liv. Le berceau (cradle, sorte de réceptacle sur lequel on établissait les charges) pesait environ 150 liv., et le bât, avec tous les détails du harnachement, était supposé peser environ 500 liv. Avec ces données, il est facile de calculer que le poids des différentes charges variait de 1,300 à 1,600 livres. Comment chargeait-on l’animal ? On avait trouvé impraticable de se servir de chèvres ; il était difficile de maintenir l’animal tranquille sous le brusque poids de la charge, et en outre la nature du sol permettait rarement d’enfoncer solidement les piquets. On opéra donc de la façon suivante. Pour le chargement d’un canon, on se servait d’une rampe (skid), — pour le chargement d’un affût, de deux rampes, dont une extrémité reposait sur le sol et l’autre sur le berceau, l’éléphant étant naturellement couché. L’obturateur enlevé, on insérait des anspects dans l’âme de la pièce à la culasse et à la bouche, et huit hommes hissaient le canon le long de la poutre pour l’installer dans son berceau. Pour faciliter l’ascension du canon, on l’attachait par une corde à l’endroit des tourillons. Cette corde passait par-dessus l’animal et était manœuvrée de l’autre côté par trois ou quatre hommes. De cette manière le canon était maintenu, et les hommes qui le hissaient acquéraient ainsi une nouvelle force.

L’affût étant plus lourd, il fallait douze hommes pour l’enlever. Les arrangemens étaient les mêmes qu’avec le canon, à cela près qu’il fallait deux rampes, le long desquelles on faisait glisser le poids jusqu’en haut. L’avant-train était enlevé à force de bras, sans qu’on eût besoin de rampe, et placé dans son berceau; on mettait par-dessus une roue que l’on attachait avec des cordes. Les caissons étaient portés suspendus aux flancs de l’animal avec une roue attachée au sommet du bât. Pour ceux qui portaient trois roues, deux étaient portées suspendues et la troisième sur le dos de l’animal. Le temps occupé à charger l’animal était peu de chose : il fallait plus de temps pour l’équiper avec son bât et son berceau. Cela fait, charger le canon et l’affût prenait deux ou trois minutes : les autres parties du matériel demandaient plus de temps parce qu’il fallait les attacher avec des cordes.

Le poids des mortiers était approximativement le suivant : mortier de 8 pouces, 924 liv.; flasques en fer pour le tir, 840 liv. Les flasques en bois pour le transport pesaient 168 liv., le berceau 252 liv., le bât 500 liv. Les éléphans chargés des mortiers portaient donc un poids total de 1,844 livres, et ceux qui étaient chargés des flasques en fer un poids total de 1,760 livres. — Le poids des rampes, des boîtes d’instrumens, des anspects, etc., n’était pas connu, mais tout cela formait une bonne charge pour un éléphant. La poudre était portée sur un autre éléphant, et les bombes suivaient à dos de mulet (4 par mulet).

Le chargement était effectué à peu près de la même façon pour les mortiers que pour les canons, à cela près qu’on employait deux rampes et que, pour en assurer le parallélisme, on les maintenait à la distance voulue par des tirans de fer; elles étaient munies de rainures sur lesquelles glissaient les flasques. Pour empêcher le bât de se déplacer pendant qu’on élevait le poids, une troisième rampe, un peu plus courte, était placée du côté où l’on tirait, avec une extrémité appuyée contre le berceau, donnant ainsi de la fixité à tout le harnachement de l’animal. Charger un mortier ne prenait pas plus de temps que charger un canon. On employait le même procédé pour délivrer les éléphans de leurs fardeaux. L’historien de l’expédition entre dans de nombreux détails sur le harnachement et le bât des éléphans, et propose à cet égard les améliorations qu’a suggérées l’expérience de la campagne.

Les rapports des officiers qui, dans cette campagne, avaient les éléphans sous leurs ordres directs sont d’accord pour traiter d’admirable la manière dont ils s’acquittèrent de leur tâche. Une expédition à travers un pays aussi montagneux et aussi sauvage que l’Abyssinie rencontre des obstacles qu’ignorent nos guerres européennes : c’est, à part les frimas et les glaciers, le passage d’Annibal à travers les Alpes se continuant pendant des centaines de lieues. Si robustes et si obéissans que fussent les éléphans, la marche leur était souvent difficile; quelquefois ils jetaient bas leurs fardeaux en chemin, et il fallait les recharger sur place. Survenait-il un de ces orages torrentiels si fréquens en Abyssinie, souvent les éléphans refusaient d’avancer sous la grêle et sous les éclairs : il fallait s’arrêter et attendre, pour se remettre en marche, la fin de l’orage. Parfois aussi un éléphant accablé de fatigue se couchait et refusait de marcher : si un éléphant se trouvait inoccupé à la suite du convoi, on lui passait la charge de son camarade fatigué, sinon on laissait ce dernier sous la garde de quelques hommes, et après quelques heures de repos il rejoignait le soir ou le lendemain le reste de la colonne. Quand le terrain le permettait, on déchargeait les éléphans pour les reposer et on attelait les chevaux aux pièces. Il y a des journées de l’expédition où chevaux et éléphans se sont ainsi relayés plusieurs fois. C’est d’Antalo à Magdala et de Magdala à Antalo qu’on employa les éléphans pour le service de l’artillerie. D’Antalo à Zula, le port d’embarquement, le terrain permettait d’atteler les chevaux aux pièces ; les mortiers seuls furent portés par les éléphans tout le long du chemin.

Trente-neuf éléphans retournèrent à Bombay après la campagne sur quarante-quatre qui en étaient partis. Voici en quels termes le capitaine Holland, dans son rapport sur le service du train en Abyssinie, s’exprime sur le rôle des éléphans : « Il était souvent difficile de leur procurer le fourrage qui leur convient, et c’est ce manque de fourrage et aussi la distance à laquelle ils devaient aller s’abreuver à Magdala qu’on peut regarder comme la cause de la mort de cinq d’entre eux... Les éléphans marchent lentement dans un pays de montagnes, et prennent aisément mal aux pieds. En outre, dans un pays comme l’Abyssinie, il n’est pas toujours facile de leur procurer le fourrage nécessaire. Pourtant ils firent bien leur ouvrage en portant des fardeaux variant de 8 à 16 quintaux; et sans eux il aurait été impossible d’amener devant Magdala la grosse artillerie et les mortiers, à moins de perdre un temps considérable à construire des routes pour les voitures à roues. » Il semble que les Anglais se réservent d’utiliser les éléphans dans d’autres circonstances, car l’histoire de la campagne parle en plusieurs endroits de l’expérience acquise par cette expédition en vue de l’avenir.


III.

Une expérience aussi heureuse a donné l’idée d’utiliser les éléphans dans les explorations de l’Afrique centrale. Au lieu de louer, pour porter les bagages des voyageurs, un grand nombre de porteurs, souvent voleurs et infidèles, dont le cortège est coûteux et embarrassant, un ou deux éléphans rendraient le même service à moins de frais et avec plus de sécurité pour le propriétaire des bagages. Dans une région marécageuse, ces animaux serviraient de monture au voyageur; avec une suite d’éléphans, Livingstone n’aurait pas marché plusieurs jours dans les marécages, où il enfonçait à mi-corps, et il n’aurait pas contracté la maladie dont il est mort. Dans la récente exploration allemande au Congo, on a voulu employer des éléphans comme porteurs, mais le temps a manqué pour en faire venir de l’Inde. L’avenir verra sans doute cette idée féconde mise à profit.

Peut-être même verra-t-on reparaître l’éléphant sur les champs de bataille de l’Europe, où il peut rendre d’importans services. Les deux batteries d’éléphans que l’Angleterre a organisées dans l’Inde seraient un appoint considérable dans une grande bataille, aujourd’hui que l’artillerie joue un aussi grand rôle. Peut-être est-ce en prévision d’une guerre avec la Russie en Asie que l’Angleterre a créé ce service, absolument inutile dans une guerre avec des souverains asiatiques. On peut se demander si la France, — qui seule avec l’Angleterre est en état, par ses possessions coloniales, d’organiser des batteries d’éléphans, — n’aurait pas profit à imiter l’Angleterre? Nous n’ignorons pas que les canons employés ordinairement en campagne, canons de 4, de 7 et de 12, suffisent parfaitement aux principaux événemens de la guerre. Le plus fort calibre dont on puisse se servir pour manœuvrer sur le champ de bataille est le canon de 12, parce que, du moment où l’on quitte les routes pour suivre le mouvement des troupes au milieu des terres, la voiture qui porte plus de 2,000 kilogrammes environ n’a pas, avec un attelage de chevaux, une mobilité suffisante. Le canon de 12 seul pèse 880 kilogrammes, avec l’affût et l’avant-train chargé de munitions 2,127 kilogrammes. On l’attelle à six chevaux, et on ne peut en mettre davantage, car un plus grand nombre ne saurait manœuvrer avec ensemble. Il y a donc, avec des chevaux pour attelage, une difficulté matérielle qui s’oppose à l’emploi d’un calibre plus lourd, d’autant que plus le calibre est fort, plus il faut de caissons pour transporter les 200 coups qui forment l’approvisionnement de chaque pièce. D’autre part, sur le champ de bataille, où l’on n’a pas de gros obstacles matériels à renverser, mais où il s’agit de désorganiser des groupes animés, des lignes minces et étendues, le calibre de campagne atteint le but qu’on se propose. La puissance meurtrière du 12 est suffisante, et, quant à sa portée extrême, elle dépasse les limites de la vision. Pourtant, si ces calibres répondent aux besoins ordinaires de la campagne, quelques pièces d’un calibre supérieur peuvent être d’une grande utilité un jour de bataille pour détruire la résistance d’un village fortifié ou pour éteindre le feu de batteries ennemies. On a pu le voir dans deux engagemens où, par suite de circonstances particulières, il a été possible de mettre en ligne des pièces de 18, de 24 et de 30.

La bataille d’Inkermann en a fourni un exemple, et nous le rapportons tel que le raconte un officier de l’état-major anglais dans son histoire de la campagne. Sur le Mont des Cosaques, les Russes avaient 60 pièces, dont 24 de fort calibre. À cette imposante artillerie, les Anglais ne pouvaient opposer que six batteries de 9, soit 36 pièces. Lord Raglan, voulant autant que possible égaliser les forces d’artillerie, eut l’idée de faire amener sur le champ de bataille les canons de position qui pouvaient n’avoir pas trouvé leur emploi dans le train de siège. Ayant interrogé un officier de l’état-major de l’artillerie, il apprit que deux pièces de position, deux canons de 18 en fer, étaient disponibles; il envoya aussitôt l’ordre de les faire venir. L’officier qui reçut cet ordre, le colonel Fitzmayer, répondit que c’était impossible. Lord Raglan, ennuyé de cette réponse, se retourna vers un officier d’artillerie qui faisait partie de son état-major et lui dit : «Adye, je n’aime pas le mot impossible. Ne pensez-vous pas qu’on puisse amener ces pièces ici même? — Certainement, » répondit le major Adye à lord Raglan. Aussitôt celui-ci envoya le capitaine Gordon, avec ordre formel d’amener les deux pièces de 18. On parvint à traîner les pièces et on les mit en position sur un point qui dominait l’artillerie ennemie du Mont des Cosaques; elles n’y étaient pas depuis une demi-heure que leur supériorité fut démontrée par le ralentissement du feu chez les Russes. Les Russes avaient évidemment perdu leurs meilleurs artilleurs. Du côté des Anglais, la perte n’était pas moins grande en canonniers, mais des renforts d’hommes arrivaient incessamment du train de siège. Un peu avant une heure de l’après-midi, il devint tout à fait évident que les Russes ne continuaient la canonnade que pour couvrir la retraite de leur infanterie. L’avantage de la journée était en grande partie dû à l’action de ces canons de 18, que des officiers supérieurs d’artillerie avaient d’abord déclaré impossible d’amener sur le champ de bataille. « Ces pièces, dit l’officier anglais que nous suivons dans ce récit, ces pièces firent tourner la bataille en faveur des alliés, en forçant l’ennemi à se retirer avec des pertes énormes[8]

Pendant le siège de Paris, lorsqu’on occupa le plateau d’Avron dans la nuit du 28 au 29 novembre 1870, en vue d’appuyer le mouvement que l’on allait tenter sur la Marne, on y amena six pièces de 24 court et six pièces de marine de 30. Le sol de la route et celui des terrains du plateau était sec, et le transport put se faire sans trop de difficultés, quoique la pente fût par endroits assez raide. Bien que le succès n’ait pas récompensé nos efforts, il faut reconnaître que ces pièces furent d’un grand secours. « Il est certain, dit le général Vinoy dans son Histoire du siège de Paris, que, le jour de la bataille du 2 décembre, les batteries placées sur le plateau ont influé très sérieusement, par la puissance et la précision de leur tir, sur le résultat de la journée. » Lors de l’évacuation du plateau, les difficultés de transport furent rendues plus grandes par le mauvais état des chemins. « Une lourde pièce de marine, dit le général Vinoy, entraîna dans la pente glissante qui conduit à Neuilly-Plaisance la voiture et les chevaux qui la transportaient, et alla rouler avec eux dans un ravin. » Une autre pièce fut versée en cage, obstrua le passage et arrêta pendant quelque temps le mouvement de retraite. Il fallut laisser sur place deux pièces, une de 24 et une de 30, qu’on vint rechercher la nuit suivante. Avec quelques attelages d’éléphans, l’enlèvement des grosses pièces se fût opéré sans difficultés et avec promptitude, et ces animaux auraient avec leurs trompes retourné les pièces encagées, comme ils font dans les marches de l’armée anglaise aux Indes. On a encore employé trois pièces de fort calibre dans d’autres circonstances du siège de Paris. Un officier de marine, M. Lavison, avait inventé un affût qui permettait de transporter cette sorte de pièces avec plus d’aisance et de rapidité. Ce système a été appliqué à trois pièces de 16 centimètres, dont on forma une demi-batterie de réserve qui a rendu « de très utiles services, » selon les expressions de M. le vice-amiral La Roncière Le Noury.

Ces exemples ne prouvent-ils pas qu’il pourrait être avantageux d’ajouter à notre artillerie de campagne, comme dernière réserve, une ou deux batteries de pièces de 18 ou de 24 attelées d’éléphans? L’organisation en serait aisée et peu coûteuse, grâce aux facilités que nous présentent nos possessions coloniales. La France peut se procurer des éléphans au Sénégal ou en Cochinchine. Laissons pourtant le Sénégal de côté : les éléphans y ont été refoulés dans l’intérieur par suite de la chasse à l’ivoire[9]; de plus, l’art de prendre vivans et de dresser les éléphans étant inconnu en Afrique, il faudrait organiser ce service de toutes pièces. Il n’en est pas de même en Cochinchine. Les éléphans y sont nombreux; Ritter, dans sa Géographie de l’Asie, vantait la beauté et la force de l’espèce cochinchinoise. « Tandis qu’en Cochinchine le cheval est petit et débile, l’éléphant se montre ici dans sa perfection et dans sa beauté comme dans l’est du Bengale. Dans les forêts du Cambodge, il vit en très grand nombre et appartient à la plus belle espèce. » C’est le témoignage de tous les voyageurs. A l’époque où écrivait Ritter, c’est-à-dire il y a quarante ans, le prix d’un éléphant était de 40 à 50 quans, monnaie qui vaut, dit-il, les deux tiers d’un dollar espagnol, soit environ 3 francs 75 cent.[10]. Cela met le prix de l’éléphant entre 150 et 200 francs. En Cochinchine, comme dans l’Inde, l’art de dresser l’éléphant a été pratiqué dès la plus haute antiquité. C’est par la Cochinchine que la Chine a connu les éléphans, et au XIIIe siècle de notre ère la Cochinchine livrait, en forme de tribut, des éléphans aux empereurs mongols de la Chine. Les souverains indigènes de l’Indo-Chine, comme ceux de l’Inde, emploient les éléphans à rehausser l’éclat de leurs fêtes.

Le seul cas à notre connaissance où les Français se soient servis d’éléphans depuis leur établissement en Cochinchine est le voyage d’exploration entrepris par le capitaine de Lagrée et le lieutenant Francis Garnier. M. de Lagrée, dans plusieurs excursions à travers des régions où les routes de chariot manquent, eut recours aux éléphans, et l’expédition en employa jusqu’à quinze en une fois. Dans l’ouvrage qui renferme le récit de cette expédition[11], Francis Garnier donne sur les éléphans de Cochinchine d’intéressans détails. « L’éléphant sauvage, dit-il, est très commun dans toutes les parties tropicales de l’Indo-Chine; il est surtout très abondant dans la partie moyenne, où existent de grandes plaines herbeuses et d’immenses forêts-clairières entremêlées de petites montagnes. Les éléphans vivent en troupeaux. Au Laos, au Cambodge et dans le Siam, on les chasse pour leur ivoire et pour les domestiquer. En Cochinchine, chez les sauvages et en quelques points des pays précédens, on les chasse aussi, mais uniquement pour les détruire, car ils causent de grands ravages dans les champs de riz. Les villages annamites situés sur la lisière des forêts ont des chasseurs attitrés dont l’unique occupation est de suivre les troupeaux afin de tâcher de les détruire. En outre de l’ivoire que recueillent ces chasseurs, ils reçoivent pour chaque animal tué une prime qui leur est offerte par cotisation. » Des témoignages plus récens confirment celui de M. Garnier pour des parties de la Cochinchine qu’il n’avait pas visitées. M. le capitaine Senez, commandant l’aviso le Bourayne, dans son rapport sur l’exploration des côtes de la Cochinchine et du golfe du Tonkin, affirme que les éléphans abondent dans la partie est de l’Annam : « à 4 milles du cap Pandaran (golfe de Tonkin), ils sont tellement nombreux que chaque jour, à la nuit tombante, ils viennent en troupes autour des villages prendre leurs ébats et chercher pâture. »

C’est donc principalement dans le dessein de préserver les plantations et les potagers qu’on chasse l’éléphant en Cochinchine. Quand les animaux tués ont des défenses, on en vend l’ivoire. On sait que chez les éléphans d’Asie les mâles presque seuls ont des défenses et que celles-ci n’atteignent pas le même développement qu’en Afrique. Cet ivoire va en Chine. D’autres parties du corps de l’éléphant font l’objet d’un commerce avec le même pays. « La peau découpée en lanières séchées ensuite au soleil, dit M. Garnier, est emportée en Chine pour fabriquer ces mets gélatineux que recherchent tant les Chinois. La plupart de ses os sont aussi recueillis pour être expédiés dans le même pays, où l’on s’en sert pour différens usages, en particulier pour fabriquer des boites de fantaisie de toute espèce. »

La plupart des éléphans domestiques qu’on voit en Cochinchine sont des éléphans sauvages qu’on a pris en les attirant, à l’aide d’éléphans apprivoisés, dans des parcs construits exprès dans les régions forestières où ils vivent. Les autres sont nés d’éléphans domestiques qui se reproduisent, quoi qu’on en ait dit, très facilement dans cette condition. Les éléphans domestiques sont bien moins nombreux en Cochinchine que dans l’Inde, et on est loin d’en tirer le même parti ; aussi M. Francis Garnier, qui juge l’éléphant par ce qu’il a vu en Cochinchine, n’apprécie pas à leur juste valeur les services qu’ils peuvent rendre. Ainsi il assure qu’il « n’est guère possible à plus de deux personnes de se tenir dans la cage qu’on adapte sur son dos, et que, pour s’y trouver bien, il faut y être seul. » On s’explique l’opinion de M. Garnier à voir la cage étroite et mal équilibrée que portent les éléphans dans les gravures de son livre; mais cette incommodité tient à la construction primitive de ces cages, comme on peut s’en assurer en les comparant aux hoodas de l’Inde. C’est dans l’Inde qu’il faut étudier l’emploi de l’éléphant, et dans l’Inde seule on peut apprécier pleinement les mérites de cet animal; c’est là en effet que l’art de la domestication et du dressage de l’éléphant a été poussé à ses dernières limites.

La Cochinchine peut donc gisement fournir les éléphans nécessaires aux besoins de notre armée. Dans l’hypothèse que nous esquissons et vu le petit nombre d’animaux requis pour le service de deux batteries, comparé à l’abondance des éléphans en Cochinchine, on pourrait choisir principalement des femelles. Les éléphans, une fois habitués à l’attelage et au bruit du canon, seraient transportés en Algérie. Dans ce pays, où l’espèce a été indigène jusqu’aux Ve et VIe siècles de notre ère, on organiserait les batteries d’éléphans, et on les enverrait en France, une fois leur éducation militaire terminée. Ces batteries stationneraient en France à poste fixe pour être prêtes à entrer en campagne au premier signal. Elles hiverneraient dans le midi, et pendant la belle saison viendraient dans le nord prendre part aux grandes manœuvres. De la sorte les éléphans s’habitueraient au bruit, à la foule, aux marches avec la troupe, et les chevaux, race nerveuse et impressionnable, s’accoutumeraient aux visages de leurs nouveaux camarades. Le dressage de l’éléphant étant l’affaire de quelques mois, il suffirait de dix-huit mois ou deux ans au plus pour que ces batteries nouvelles fussent en état d’entrer en campagne[12].

Ces idées peuvent paraître étranges parce qu’elles sont nouvelles, et elles soulèveront des objections. La seule valable, à notre avis, serait qu’il est inutile de s’embarrasser en campagne de pièces de fort calibre. Il nous semble que les exemples d’Inkermann et du plateau d’Avron et l’importance de plus en plus grande de l’artillerie à la guerre réfutent cette objection. Quant à celles qu’on pourrait tirer du système même, qu’on nous permette de les évoquer pour démontrer qu’elles ne sont pas concluantes. La dépense ne sera-t-elle pas considérable? ces animaux pourront-ils suivre les marches de l’armée? pourront-ils faire campagne en hiver? ne seront-ils pas involontairement cause d’accidens ou d’embarras?

On a vu tout à l’heure qu’il y a quarante ans un éléphant coûtait de 150 à 200 francs en Cochinchine. Nous ignorons quel en est aujourd’hui le prix, mais il ne peut y être élevé, puisqu’on n’exploite pas cet animal sur une aussi grande échelle que dans l’Inde, et puisqu’il y est si nombreux qu’on le chasse uniquement pour le détruire. Nous pouvons donc sans crainte d’erreur affirmer qu’un éléphant coûte moins cher en Cochinchine qu’un cheval en France. Si l’on ne veut armer un transport spécial pour amener en une fois les éléphans destinés à notre artillerie, on peut les envoyer par petits groupes sur les steamers qui font le service de l’Indo-Chine. Supposons les éléphans amenés en France, leur entretien sera-t-il coûteux? A voir ces énormes animaux, on pourrait croire que leur appétit est inépuisable. Il n’en est rien, la nourriture de l’éléphant est relativement moins coûteuse que celle du cheval. Je dois à l’obligeance de M. Albert Geoffroy Saint-Hilaire, directeur du Jardin d’acclimatation, de savoir ce que coûte la nourriture des deux éléphans d’Afrique qui font l’ornement de ce jardin : ce prix est de 4 francs par jour par chaque animal. Pour un cheval, il varie de 1 fr. 50 c. à 1 fr. 75 c. Ainsi les deux éléphans formant l’attelage d’une pièce de 18 ou de 24 coûteront 8 francs de nourriture par jour, tandis que les six chevaux formant l’attelage d’une pièce de 12[13] reviennent à 9 ou 10 francs. Rendant de plus grands services, les éléphans coûteraient moins cher que les chevaux. Ajoutons à cela que l’éléphant vit cinq ou six fois plus longtemps que le cheval, et que par conséquent la dépense des remontes s’espace sur un temps plus long. Le colonel Willis nous apprend que l’éléphant peut servir de dix-huit à soixante-dix ans. Un cheval ne peut servir qu’à l’âge de quatre ou cinq ans; le dressage dure un an, et l’animal est réformé à l’âge de quinze ans; en outre, la mortalité enlève annuellement un dixième de l’effectif. Ce sont là de graves dépenses.

Dans toutes les guerres où l’éléphant a figuré, cet animal n’a jamais été une cause de retard pour l’armée. Il fournit les mêmes étapes que les autres corps; il pourra également traîner avec rapidité les canons auxquels il serait attelé, car il peut courir, et si la vitesse de sa course n’égale pas le galop du cheval, elle en dépasse le trot. Quoique originaire des pays les plus chauds du globe, il peut faire campagne, même en hiver, sous nos climats. Ils en témoignent, ces éléphans qui faisaient partie des armées carthaginoises en Espagne et en Italie, et surtout ceux d’Annibal qui firent cette longue marche de cinq mois d’Espagne en Gaule et de Gaule en Italie à travers les neiges et les glaciers des Alpes. C’était sans contredit une. expédition pénible, puisque Annibal y laissa presque la moitié de son armée; pourtant, malgré les fatigues indicibles de ce passage effectué en plein mois de novembre, un grand nombre des éléphans d’Annibal survécut à cette épreuve, et fut en état de prendre part à la bataille de la Trébie. Suivant Tite-Live, 8 éléphans survécurent à la bataille de la Trébie, 7 périrent l’année suivante, par conséquent après avoir passé un second hiver en Italie, et le dernier servit de monture à Annibal pendant le reste de ses guerres en Italie. Sans doute une campagne d’hiver dans le nord de l’Europe serait préjudiciable à la santé de l’éléphant; il y contracterait le germe de cruelles maladies; mais, si l’année suivante les éléphans revenaient de la guerre avec des tubercules dans les poumons, ils n’en auraient pas moins rendu les services que l’on attendait d’eux. N’a-t-on pas indéfiniment le moyen de combler les vides faits dans leurs rangs?

La docilité de l’éléphant est si connue qu’il est inutile d’en rappeler des exemples; elle dépasse celle du cheval : on n’a de ce côté à redouter aucun accident; mais par leur présence, les éléphans peuvent-ils involontairement provoquer des désordres et des dangers imprévus? Rien de pareil ne se produit là où l’on emploie l’éléphant. Si les chevaux manifestent de l’inquiétude à la vue des éléphans, cette inquiétude passe vite. Nous ne pensons pas que les chevaux français soient plus impressionnables que les chevaux anglais ou ceux de Carthage et de Rome. La haute taille de l’éléphant n’est pas non plus une cause d’embarras, et il n’est pas de porte de ville ou de caserne où il ne puisse passer, car il occupe moins de place que ces voitures chargées de foin qu’on voit s’engouffrer dans nos quartiers de cavalerie.

Il ne faut pas croire que le cheval soit le seul animal qu’on ait jamais utilisé à la guerre, et, pour rester dans l’histoire moderne et dans l’histoire de l’armée française, rappelons diverses circonstances où l’on a employé comme auxiliaires des animaux qui produisent l’impression d’étrangeté au même degré que l’éléphant. C’est par exemple le dromadaire. Dans l’expédition d’Egypte, le général Bonaparte eut l’idée d’organiser un corps de dromadairerie afin de poursuivre jusque dans le désert les Arabes insoumis. Le projet rencontra des objections : pouvait-on former les dromadaires à la manœuvre, les habituer au bruit des détonations, accoutumer nos soldats à ce genre d’équitation? Venu d’officiers de grade inférieur, ce projet n’eût peut-être pas été mis à exécution, mais il venait du général en chef et d’un homme qui savait vouloir. Le général Bonaparte fit lui-même usage de cette monture dans ses excursions à travers le désert. Par un arrêté du 20 nivôse an VII, il créa un régiment de dromadaires à deux escadrons de quatre compagnies chaque. Ce corps nouveau fut mis sous les ordres du chef de brigade Cavalier, descendant du célèbre protestant de ce nom, et rendit aussitôt de grands services.

Le dromadaire dépasse le cheval à la course, et peut faire jusqu’à 30 lieues tout d’une traite. Grâce à la vitesse de sa course, on put atteindre jusque dans le désert les tribus insoumises qui venaient piller le territoire occupé par nos troupes. En cas d’engagement, les soldats descendaient de dromadaire et se formaient en bataille. On avait choisi des soldats dans l’infanterie, de sorte que ce corps était, à un plus haut degré même que nos dragons, une arme mixte, tenant à la fois de l’infanterie et de la cavalerie. En réalité, c’était de l’infanterie en état de se transporter promptement à de grandes distances. C’est avec une colonne montée sur des dromadaires que le général Desaix poursuivit et atteignit Mourad-Bey. Plus tard, en Algérie, il fut question d’organiser d’une façon permanente un corps de dromadairerie, et le général Bugeaud en chargea le général Marey-Monge; c’était en 1843. La direction de ces essais fut confiée au commandant, plus tard général Carbuccia; mais, bien que ces essais aient eu des résultats favorables, — les généraux Oudinot et Yusuf en ont témoigné, — il ne fut pas donné suite à ce projet. Le général Carbuccia a écrit un livre fort instructif sur ces expériences et sur l’utilité qu’il y aurait à organiser d’une façon permanente un corps de dromadaires en Algérie[14]. En effet, chaque fois que nos troupes ont opéré dans le Sahara, on a fait suivre leurs colonnes d’un équipage de dromadaires, et récemment, il y a dix-huit mois, la brillante expédition du général de Galiffet à El-Goleah s’est faite entièrement à dos de dromadaire.

Nous ne nous dissimulons pas que le système que nous venons d’esquisser rencontrera chez bien des lecteurs la contradiction et le doute, et que, sans même discuter, on nous dira peut-être ce que le colonel Fitzmayer fit répondre à lord Raglan : Impossible ! Nous savons quelle suspicion rencontre dans notre pays toute idée qui semble nouvelle, et nous n’ignorons pas que le peuple le plus spirituel de la terre en est en même temps le plus routinier. Le général Garbuccia avait bien raison lorsqu’il mettait comme épigraphe à son livre cette phrase mélancolique : « le plus difficile n’est souvent pas de prouver une vérité,... c’est de la faire admettre; » mais la dernière guerre n’a-t-elle pas vu les pigeons, ces messagers des temps primitifs, faire le service de courriers militaires? Si, avant le mois de juillet 1870, on avait proposé d’établir des pigeonniers dans nos forteresses pour qu’elles pussent correspondre avec l’extérieur en cas d’investissement, peut-être le ministère de la guerre n’eût-il pas donné suite à ce projet. La guerre vint, traînant à sa suite les désastres; elle amena l’ennemi sous les murs de la capitale. Paris assiégé fut heureux que des amateurs de pigeons fussent enfermés dans ses murs avec leurs élèves et qu’ils pussent offrir leur concours à la défense. Aujourd’hui le gouvernement allemand entretient des pigeons voyageurs dans les forteresses de Metz et de Strasbourg, et dans les grandes manœuvres que l’armée russe va exécuter près de Moscou, on doit expérimenter l’emploi de ces messagers pour les dépêches militaires. Il n’y a de chimérique que l’impossible, et quand une idée nouvelle se présente, avant d’en contester la valeur, il faut tout d’abord se demander si elle peut recevoir une application pratique.

Nous avons montré que l’éléphant a figuré dans les armées à toutes les époques et sous tous les climats, en Asie et en Europe. Bien loin que l’invention des armes à feu ait mis fin à son rôle, on a trouvé en lui un précieux auxiliaire de l’artillerie. Il a porté des pièces de campagne sur son dos, et, quand les exigences de la guerre moderne ont forcé d’augmenter le calibre des canons, il a fourni à l’armée anglaise le plus vigoureux et le plus docile des attelages. Nous sommes plus encore que l’Angleterre en état d’organiser ce service et d’en tirer profit dans les guerres européennes. L’Angleterre est forcée de laisser ses éléphans dans l’Inde; la rigueur du climat ne lui permettrait pas de leur faire tenir garnison dans la métropole : le plus près qu’elle pût les avoir serait Gibraltar ou Malte. Plus favorisés que l’Angleterre par la richesse en éléphans de nos possessions coloniales, qui nous permet d’organiser ce service à moins de frais, nous sommes plus heureux encore par la situation géographique de notre pays. Grâce à la douceur du climat dans le midi de la France, nous pouvons faire des batteries d’éléphans un corps permanent, établi toute l’année sur notre sol comme les autres corps de notre armée, comme eux mobilisé au premier signal, comme eux prêt à faire campagne en hiver. Aujourd’hui que l’artillerie a une aussi grande importance dans la guerre, et que le sort des états dépend souvent de l’issue d’une seule bataille, ne négligeons aucune ressource pour augmenter la puissance de notre armée. C’est avec de fortes réserves d’artillerie que Napoléon gagnait ses victoires : or l’emploi d’éléphans mettra dans la main de nos généraux la plus puissante réserve d’artillerie qu’on ait jamais fait entrer en ligne.


HENRI GAIDOZ.

  1. Armandi, Histoire militaire des Éléphans, Paris 1843, p. 230.
  2. J’ai entre les mains l’édition de 1871, publiée sous ce titre : A practical memoir on the history and treatment of the diseases of the éléphant, etc., by William Gilchrist, assistant Surgeon, P. C. D., Honsoor. Calcutta, 1 vol. in-8o avec planches.
  3. Voici ce que dit de son côté M. Rousselet : « L’animal doit toujours être placé à l’ombre d’un arbre au feuillage épais, et sur un terrain sec, sans litière. Une simple corde attachée à une des jambes de derrière et retenue à un piquet suffit pour l’entraver; un animal si docile ne cherchera jamais à rompre ce faible lien. Matin et soir, il faut le baigner, et avant qu’il se mette en marche lui graisser le front, les oreilles, les pieds et toutes les parties susceptibles de se fendre sous l’influence du soleil. »
  4. Pourtant Annibal réussit à faire passer le Rhône à ses éléphans sur des radeaux. Tite-Live raconte tout au long cet épisode.
  5. Record of the expedition to Abyssinia, compiled by major R. J. Holland and captain H. M. Hozier, Londres 1870.
  6. La livre anglaise vaut 453 grammes, le gallon 4 litres 1/2.
  7. M. Rousselet donne les détails suivans sur la nourriture de l’éléphant que le maharajah de Rewah lui avait prêté comme monture. « La ration quotidienne d’un éléphant en marche se compose de 20 à 25 livres de farine de blé, que l’on pétrit avec de l’eau en y ajoutant 1 livre de ghi ou beurre clarifié et 1/2 livre de gros sel. On en fait des galettes de 1 livre chacune que l’on cuit simplement sur un plateau de fer et que l’on distribue en deux repas à l’animal. Cette ration est absolument indispensable pour que l’éléphant ne dépérisse pas, lorsqu’il a tous les jours à faire de longues marches ; mais, pour qu’elle lui soit réellement donnée, le voyageur doit assister à ses repas, sans cela le mahout et sa famille ne se font aucun scrupule de prélever dessus leur propre nourriture. Ces galettes de farine fournissent à l’éléphant ses repas réguliers, mais cela est loin de lui suffire, et dans les intervalles il absorbe une quantité de nourriture bien en rapport avec son énorme volume. Cet appoint lui est fourni par les branches de plusieurs arbres, principalement le bàr, ficus indica, et le pipul, ficus religiosa. On le conduit à la jungle, où il choisit et cueille lui-même les branchages à sa convenance. Il ne les mange pas sur place, mais charge sur son dos la provision nécessaire à la journée et la rapporte au camp. Il rejette les feuilles et le bois et ne mange que l’écorce : c’est un spectacle curieux de voir avec quelle dextérité il enlève d’un seul coup, avec le doigt qui est au bout de sa trompe, l’écorce entière d’une branche, quelque petite qu’elle soit. »
  8. Letters from head-quarters, by an officer of the staff. London 1859.
  9. « L’éléphant est rare et ne descend vers le fleuve que lorsqu’il a été chassé des grands bois qui lui servent de retraite dans le Haut-Sénégal ou la Gambie. On en tue auprès de Dagana. On en a même vu descendre jusqu’à Sor, à l’entrée du fleuve. » Croisière à la côte d’Afrique, par le vice-amiral Fleuriot de Langle.
  10. Aujourd’hui le quan ne correspond plus guère qu’à 1 franc de notre monnaie, à ce que m’apprend un savant versé dans les langues de la Cochinchine.
  11. Exploration de l’Indo-Chine, 1872.
  12. On pourrait encore, comme me le suggère un ami, employer les éléphans pour l’aérostation militaire. Au lieu d’enlever au service les hommes qui retiennent les cordes du ballon captif, on pourrait attacher le ballon à deux ou trois éléphans qu’on dresserait à cette besogne. Les mêmes éléphans transporteraient le matériel nécessaire à l’aérostation, et pourraient même, un jour de combat, transporter le ballon tout gonflé d’un point à l’autre du champ de bataille. Sur l’utilité d’un service aérostatique aux armées, voyez une conférence de M. le capitaine Delambre, de l’Aérostation militaire, faite à la réunion des officiers.
  13. Nos pièces de 12 et de 7 sont attelées de six chevaux deux par deux. Nos pièces de 4 n’étaient attelées que de quatre chevaux dans la dernière guerre : c’était une fâcheuse économie. Les Prussiens mettaient six chevaux à leurs pièces de 4.
  14. Du Dromadaire comme bête de somme et comme animal de guerre, par le général J.-L. Garbuccia, 1 vol. in-8o ; Paris 1853.