Les Entretiens d’Épictète/I/5

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Version audio

Traduction par Victor Courdaveaux.
Didier (p. 18-19).

CHAPITRE V




Contre les Académiciens.

Si quelqu’un, dit Épictète, résiste à l’évidence complète, il n’est pas facile de trouver des raisons capables de le faire changer d’avis. Et ceci ne tient ni à sa force, ni à la faiblesse du démonstrateur ; mais quand, mis au pied du mur, il reste là comme une pierre, comment discuter avec lui ?

Cette pétrification est de deux sortes : il y a celle de l’intelligence ; il y a celle du sens moral, quand, de parti pris, on refuse de se rendre à l’évidence, ou de renoncer à des contradictions. Or, pour la plupart, nous avons grand peur de la mort du corps, et nous faisons tout pour ne pas y arriver ; mais la mort de l’âme, nous nous en inquiétons peu. Nous trouvons bien, pour ce qui est de cette âme, par Jupiter, que celui qui est dans un état d’esprit à ne suivre aucun raisonnement et à ne rien comprendre, est dans une fâcheuse situation ; mais, quand la conscience et le sens moral sont morts chez quelqu’un, nous appelons encore cela de la puissance d’esprit.

« N’es-tu pas certain que tu es éveillé ? — Non, répond l’académicien ; car je me trompe, quand dans mon sommeil je rêve que je suis éveillé. — N’y a-t-il donc aucune différence entre cette apparence-ci et celle-là ? — Aucune. » Est-ce que je discuterai plus longtemps avec un pareil homme ? Quel feu, quel fer employer contre lui, pour qu’il se sente bien mort ? Il le sent, mais il feint de ne pas le sentir. Il est dans un état encore pire que s’il était mort. Un tel n’aperçoit pas les contradictions ; sa situation est fâcheuse. Cet autre les voit, mais ne s’en émeut point, et n’en profite pas ; il est bien plus à plaindre encore. Le sens moral et la conscience ont été supprimés en lui ; quant au raisonnement, il n’y a pas été supprimé, mais il y est devenu non maniable. Est-ce donc là ce que j’appellerai de la puissance d’esprit ? à Dieu ne plaise ! Ou je vanterai aussi la puissance d’esprit des prostitués, quand ils font ou disent devant tout le monde tout ce qui leur vient à l’idée.